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06/11/2007

la vie aux indes (7)

Photos: Bénédicte Mercier

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Le train poussif avançait péniblement, tiré par une locomotive diesel en zigzaguant sur les rails tortueux qui s’élançaient entre les plantations de thé. Dans une vallée large et ensoleillée le convoi grimpait dans ces paysages qui semblaient peignés et sagement taillés par un jardinier scrupuleux dans lesquels s’y enfoncent des allées. Pas un arbrisseau n’est plus haut que l’autre. Impeccablement. De loin cela dessine un puzzle verdoyant entre les pièces duquel se faufilent les ouvrières qui partent récolter les feuilles de thé. Parfois, ça et là, dans le paysage percent des villages verts ou bleus, de terre battue et couvertes de tuiles ou de tôles de zinc qui se reflètent comme des plaques d’argent. Accrochées à flanc de colline, les maisons sont serrées les unes contre les autres pour économiser le terrain. Ces villages aux maisons de poupées ponctuent de leur présence cette épaisse moquette végétale dans laquelle parfois des drapeaux rouges marqués de la faucille et du marteau font des points comme des perles de sang dans cette immense étendue verdoyante. Tout le paysage court sur ces monts dodus d’où émergent quelques grands arbres qui étendent des branches pour donner un semblant d’ombre. Des troncs montent d’un jet au ciel. Droits et noirs avec des branches aux feuillages éparses.

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Dans la gare attendait une locomotive à vapeur qui crachait déjà son nuage blanc et le conducteur actionna le sifflet. On aurait pu croire à un modèle réduit. Changement de motrice, nous voilà après une longue demi-heure, attelés à cette nouvelle machine qui siffle, peste et avance en grimaçant sur ses rails. Deux trains par jour sur cette ligne construite au début du siècle dernier par les anglais qui allaient se mettre au frais en altitude, en attendant la mousson.
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Temps modernes obligent la montée s’effectue au diesel la descente au charbon. Le convoi s’ébranle lentement. Quand nous abordons la descente les freineurs installés sur les plateformes à l’extérieur des wagons, un à chaque extrémité, tournent la manivelle en laiton brillant de leurs freins pour contenir l’accélération lors de la descente du convoi. On dirait un être vivant. Le dragon crache ses escarbilles et des petits feux s’allument ça et là le long de la voie. Souvent des débuts d’incendie ont noircis le bord des rails. Le petit train avançait lentement malgré la descente. Passer de deux mille à trois cent mètres d’altitude, sur une distance de trente kilomètres, rend l’exercice périlleux.
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A l’arrêt d’une gare entourée de hauts arbres, où visiblement sous les frondaisons à l’abri de la lumière on cultive le cardamome, des bandes de singes encadrés de vieux mâles aux babines retroussées montrent leurs crocs. Des femelles flanquées de jeunes grimpés sur le dos surgissent et courent après le train. Ces agiles soudards regardent à l’intérieur des wagons prêts à chaparder tout ce qui passe à leur portée.

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Ces petits humains ont le tour des yeux plus blanc que le reste du pelage, comme s’ils étaient maquillés ce qui leur donne un regard si expressif qu’on dirait qu’ils vous dévisagent avec presque autant d’intensité qu’un mendiant qui attend en souriant son aumône. Le cul posé à même la pierre, excités à la vue de la nourriture, les impudiques exhibent des sexes turgescents sortis de leurs fourreaux. Des femelles s’approchent plus prés encore des wagons. Un gros mâle monte sur le toit, tandis qu’un autre s’installe entre les deux wagons à la place désertée par le freineur parti boire un thé massala au buffet de la gare miniature. Sur le ballast, les macaques attendent près des hommes qui boivent et mangent des samosas debout au buffet. Leurs silhouettes font comme si d’étranges chiens s’étaient mélangés à une troupe d’humains. Ils gardent une distance de sécurité, bien qu’ils sachent ne pas craindre pour leur vie.
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Soudain, des cris dans un des wagons. Un de ces mâles s’est emparé du biberon qui dépassait d’un sac et nonchalamment presque avec agilité, il a rejoint la frondaison d’un acacia flamboyant, mordant la tétine pour mieux disposer de ses mains afin de pouvoir escalader le tronc. Arrivé sur une branche où il se sentait en sécurité, narguant le public des humains, il a arraché la tétine et a bu lentement le lait. Fier de son forfait, il provoquait l’assistance des voyageurs incrédules par tant d’audace d’intelligence. Le soudard semblait rigoler de ce bon tour joué aux humains. Quand il a eu fini de boire le lait qui lui dégoulinait de chaque côté des babines, il a laissé tomber le biberon qui ne l’intéressait plus. On se serait attendu à le voir roter d’aise.

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Suspendu à des pentes abruptes, traversant des gouffres vertigineux, maintenus dans le vide par des ponts aux piles antédiluviennes, passant sous des tunnels qui rabattent la fumée de mauvais charbon à l’intérieur des wagons dépourvus de fenêtre, le convoi avance. Vous tentez de vous protéger le nez avec un bout de kleenex usagé qui erre au fond d’une poche de votre saharienne et vous manquerez de vous asphyxier. Le convoi trahi toutes les lois de la physique. Il ne chute pas, ne se renverse pas. La chenille avance lentement sur ces fils ténus que sont ces deux rails dans une végétation qui devient de plus en plus tropicale avec la descente.

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30/09/2007

la vie aux indes (6)

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Photo Bénédicte Mercier

Ces mains qui sortaient de nulle part, émergeaient de ce mur de chair loqueteuse, comme si des cadavres se levaient de terre pour m’accaparer. D’un geste brusque, je me suis dégagé de l’étreinte maladive du mendiant et, d’une bourrade, je l’ai envoyé bouler. Il tomba à la renverse et ne bougea plus, il semblait mort. Les autres m’insultaient, me maudissaient et levaient leurs cannes en me poursuivant. Et je tentais de fuir en courant. Mais rien n’y faisait, je perdais pied comme retenu prisonnier par ce sol gluant. Pour fuir je les frappais d’un coup de bâton pris sur le passage à un policier. Et comme un dératé je courais, poursuivi par ces hordes de monstres.

Combien en ai-je tué, en les achevant d’un coup de gourdin derrière la nuque pour abréger leurs souffrances ou la mienne, en imaginant la leur. Leurs corps tordus me faisait si mal, leurs yeux hagards, brûlants de folie me heurtaient de plein fouet. Comment ont-ils pu survivre malgré tant de misères, de douleurs, d’abnégation. Il me semblait que si j’étais dans la même situation, j’aurais choisi de m’enfuir par la mer, de me laisser engloutir mais que jamais ma dignité n’aurait accepté une telle soumission. Et je savais que je me mentait. Je me savais identique aux autres humains, capables de tous les compromis pour arriver à mes fins, pourvu que je perdure dans ce foutoir. Et se penser par compassion à leur place m’effrayait autant que le spectacle de leurs moignons en guise de mains, de leurs pieds sans doigts, de leurs visages si laids aux faces creusées par la lèpre de leurs pansements sales sur leurs membres sectionnés. Comment supporter une telle vision sans s’écrouler. La lèpre leur a fait fondre le visage comme celui d’un grand brûlé et leur a rongé les cartilages, leur laissant un groin à la place du nez, une bouche de macchabée sans lèvres. Quand je les ai regardé, un haut-le-coeur m’a soulevé le ventre. Pourtant ils semblaient si heureux de me voir qu’ils joignirent leurs membres et me saluèrent à la manière indienne. Comment rendre un autre sourire au leur, qui me parurent si paisible, si doux. Ils m’observaient étrangement. Ils savent lire sur le visage la peur qu’ils inspirent et tentent de rassurer, d’apprivoiser. Pourquoi ne pas avoir fuit avant qu’ils n’arrivent jusqu’à moi et que leur regard ne me transperce ? Un fil m’a retenu auprès d’eux. Une étrange compassion a anéanti toutes mes certitudes sur l’existence. Ces êtres ne sont pas des singes mais des humains, ou ce qu’il en reste. Et cette laideur est fascinante d’étrangeté, car aucun regard ne m’a jamais semblé plus humain, plus doux, plus paisible, plus soumis à la loi de la pourriture de l’existence.
Et quand je me suis réveillé trempé de sueur, j’ai su que ce cauchemar n’en était pas un. La chance d’être passé à côté de toute cette misère m’a semblé si infime que le souffle du boulet m’en hébétait encore. J’étais bien en Inde et les pâles du ventilateur qui semblaient tourner à une vitesse accélérée étaient bien réelles.

09/09/2007

La vie aux indes (4)

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Photo Bénédicte Mercier

Á la saison des pluies la campagne dégouline de partout avec une couleur rouge sang et ce pays se transforme en un marigot où les grenouilles mènent le bal des amours. Elles sont lyriques et leurs envolées bruyantes au moment de la ponte. En pleine nuit, un ronflement monocorde et puissant le réveille. Instinctivement il pense que le ventilateur est en train de s’emballer dangereusement et il imagine le pire. Il prête l’oreille dans ce demi sommeille, où, épuisé de fatigue il était enfin arrivé a somnoler malgré cette moiteur. Cela pourrait ressembler à une samba au loin, si le rythme était plus rapide. La vibration de ce bruit c’est le battement du cœur de la mangrove. Sourd et lent comme un insolite moteur diesel monocylindre. Tout n’est plus qu’eau. Et les millions de grenouilles qui habitent, rizières, lacs, étangs et fleuves ont senti le temps du rut. Il n’en verra jamais une seule, mais à entendre leur sérénade il en imaginera des dizaines de milliers tellement lui paraîtra puissant le volume sonore. Elles appellent le mâle avec un étrange coassement en faisant gonfler une poche d’air sous leur gorge. Et le concert crapoteux qu’elles jouent vaut bien une symphonie fantastique ou une charge de cavalerie pour cette apocalypse nocturne.
Cette chaleur moite provoque le renoncement à vouloir être. À quoi bon lutter, il faut laisser l'esprit aller, lâcher prise. C’est la seule issue pour ne pas perdre la raison. Car ici l’impression la plus forte est que plus rien ne peut rester intact, ni le corps, ni l’esprit effaré par tant de saletés, de mouches de puanteur, de folie concentrées en un seul point. Tout se décompose et devient sale, putride. L’être pris dans un intestin géant est réduit en une matière en voie de digestion qui fuit de son corps. Et il sent qu’il approche de l’état de décomposition. Qu’il va être happé, broyé et digéré avant d’être rejeté.

01/09/2007

Tanger-Port

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Mon passeport a posé problème aux fonctionnaires. Ils m'ont retenu. Il m'aura fallu attendre que tout le monde débarque. Je suis resté seul passager fortement encadré, sur le pont, pendant que d'autres embarquaient pour retraverser le détroit. Un jeune flic en civil est venu me poser la rituelle série de questions administratives. Puis il est reparti emmenant mes papiers et m'a abandonné à mon sort. Après une demi-heure, on m'a demandé de les suivre avec mes bagages au dépôt de police du port.

Etait là, un cul-de-jatte ivre qui avait déclenché une bagarre sur le navire. Le commandant l'avait menotté et mis aux arrêts. Dans ce local attendaient quelques petites frappes ainsi qu'un homme venu d'Italie, vêtu d'un costume gris perle de la dernière mode. L'italien inquiet tremblait des mains. Le cul-de-jatte n'est pas parvenu à allumer sa cigarette. Sa jambe de bois posée à côté de lui, il s'est gratté le moignon. Une chaussette et une chaussure étaient enfilées sur sa prothèse. Il a attendu que son dossier soit complété pour être conduit à la maison d'arrêt. Un garde a imposé le silence. Un homme transportant des kilos de café, des cartouches de cigarettes blondes, des cassettes vidéo, des briquets, des montres est venu nous rejoindre. Il a offert quelques cartouches de cigarettes et des breloques à des flics en civil. Il connaissait bien son monde, était entré de son plein gré, et n'est pas resté longtemps.

On m'a reposé les mêmes questions dans un ordre différent. Je devenais nerveux. Ils s'en apercevaient. J'ai quémandé une cigarette au cul-de-jatte, et l'ai remercié de sa gratitude.
Né en France... De mère... En vacances… De l'argent... Traveller's chèques... Liquide... Travail...

Des policiers, avec des gueules de tueur, sont sortis d'une Mercedes crème. Un tenait une enveloppe de papier couleur saumon à la main. Il en a extirpé un fax. Je devinais qu'il était destiné à mon cas. Ce genre de situation stimule l'imagination.

Le chauffeur m'a fait signe de prendre place avec un policier dans la voiture. Je n'ai pas essayé d'ouvrir la porte de l'intérieur, pressentant qu'elle était fermée. Ce qu'il m'a confirmé lorsque nous sommes arrivés au dépôt central, en venant donner le tour de clef nécessaire. J'ai pris mon sac. On m'a conduit au troisième étage d'un immeuble crasseux et installé dans un bureau. Un homme a pénétré, costume bleu foncé, chemise rayures bleu ciel, cravate noire, chaussures vernies... Le deuxième bureau... Potentiellement je n'existais plus...

Activité... Lieu de destination... Numéro de téléphone... Adresse du père... Nom... Prénom... Des amis... Adresse... Un rituel.
La rapidité et la précision des réponses l'ont étonné. Il a cessé de noter. Il semblait visiblement contrarié et s'est excusé du dérangement, après avoir insulté un cerbère qui n'en menait pas large.
On m'avait confondu avec un terroriste qui travaillait pour un pays ennemi. Et on l'avait dérangé pour un simple touriste. Il suffisait de regarder la photo pour comprendre qu’à part le nom je ne lui ressemblait en rien. J'en ai été fort aise. Il n'y avait rien à redire à ce contrôle de routine.


Extrait de: Point de fuite publié dans la revue Propos de campagne

Explication de texte



Saïd Mohammed From Wikipedia, the free encyclopedia

Saïd Mohammed is a citizen of Afghanistan, held in extrajudicial detention in the United States Guantanamo Bay detention camps, in Cuba.[1] Mohammed's Guantanamo Internee Security Number is 1056. Joint Task Force Guantanamo counter-terrorism analysts estimate that Mohammed was born in 1977. Joint Task Force Guantanamo counter-terrorism analysts listed his place of birth simply as Afghanistan.


Pour connaître le dossier de cet homme Cliquez ICI

16/07/2007

la vie aux indes (2)

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Suspendue hors du temps, une vieille maharani vit recluse dans une aile du palais.
Une jeune femme dont la prestance indique la lignée princière, probablement la future héritière des lieux, tient la caisse des entrées. Le touriste est généreusement invité à laisser, en plus du montant de son entrée, une obole pour soutenir la restauration du patrimoine royal. Les voilà devenus à leur tour mendiants pour maintenir en état les ors d’antan. Cruelle revanche de l’histoire. Dans les vitrines, des photos du siècle écoulé partageant l’intimité des têtes couronnées, lors de chasses au tigre à dos d’éléphants. Empaillés des animaux en tous genres: gavial, tigres, lions, sont exposés dans des vitrines poussiéreuses dans un état plus proche du carton pâte dans laquelle se serait logé toute la vermine que de l’état de bête sauvage. Alignés sur les murs des dagues, des épées, des fusils à éléphants de plusieurs pieds de longueur portés sur l’épaule de plusieurs hommes, plus proches du canon que du fusil. Les fastes d’antan réduits à de simples souvenirs, tel est le destin de ces mortels que l’histoire a laissé sur le carreau totalement déplumés. Ces lieux sont hantés, et cela sent terriblement fort les déjections de chauves-souris. Des hordes de singes se sont installées dans les anciennes étables à éléphants et les parties inhabités, ce qui accentue plus encore l’aspect désolant de l’ensemble. Grimpés dans les branches d’un banyan ils narguent et menacent de leurs puissants crocs celui qui tenterait de s’aventurer sur leur territoire. Ils sont ici chez eux et le font bruyamment savoir.


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16/06/2007

Temples du sud (2)

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Ces lieux sont emplis d’une étrange présence ; le mantra récité en permanence par les hauts parleurs participe à cette étrangeté. L’esprit donne l’impression de se détacher du corps et qu’il flotte hors du temps, hors du corps. Cette sensation il l’avait déjà perçu en prenant des hallucinogènes. Là, il n’a fallu aucun produit, c’est le cerveau qui secrète son propre psychotrope. Rien à dire cela fonctionne.
Tous ces dieux colorés, ces personnages de bande dessinée en relief bariolés, ces dragons ailés, ces chevaux de granit, tous ces lieux qui se ressemblent et donnent une notion géographique trouble. Tout participe au décalage. Où suis-je ? Dans quel siècle sommes-nous ? Est-ce encore la terre ? Je ne reconnais rien. Suis-je déjà dans une autre galaxie ? qui sont ces gens ? Le jet flag si brutal. Comment s’habituer à l’évolution d’une civilisation lorsque la transition n’est pas inscrite dans la lenteur du défilement du paysage. Dans la dernière enceinte du temple, la pénombre du lieu ajoute encore au mystère. Des officiants versent ce qui semble être du lait sur des pierres en forme de phallus et le lait s’écoule par des rigoles à l’extérieur du temple avec les eaux usées. Ce lieu ressemble à un monstre étrange. Des gens font brûler de petites coupelles contenant de l’huile de palme gélifiée, d’autres s’enduisent le front d’un point blanc, jaune rouge, trois traits sur les bras. Pieds nus, sur le sol noir et luisant d’huile de palme rance. De l’encens, des chants. Quelqu’un s’adresse à vous en anglais pour vous indiquer que vous êtes à contresens de la marche. Hérésie. Vous avez commencé à contourner par la gauche.
Une sculpture de pierre, noire d’avoir été huilée, représentant un taureau allongé de taille imposante à l’encolure recouverte de couronnes de fleurs, de poudre blanche et de safran. Aux pieds de certaines autres statues dont les pieds sont recouverts d’une poudre couleur safran, des bâtons d’encens se consument.


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Lui qui rêvait de gloire : le voilà confronté à la vacuité de l’existence. Les quelques réminiscences de croyances qui lui restaient sur les buts de la vie se sont dissoutes. La matière ne convainc pas quand elle a eu son compte. C’est peut-être pour cette raison que personne ne pleure quand passe une cérémonie funéraire. Pas la peine de s’apitoyer sur le cadavre. Il est parfois accompagné par une fanfare où les gens chantent et dansent les yeux injectés de sang et l’haleine chargée des vapeurs d’un mauvais alcool de noix de coco. Ils accompagnent le défunt au bûcher dans un défilé bruyant extravagant et chaotique. Alors vous est revenu en mémoire ces enterrements où vous alliez enfant de choeur. Le spectacle n’était pas celui du mort, mais celui des vivants représentant une douleur avec leurs larmes.
Le catafalque couvert d’œillets d’inde orange que les perdants jettent sur la route tout au long du parcours est autant décoré qu’un char de carnaval. Précédé de gens joyeux qui dansent tandis que d’autres jouent de la musique, il est suivi par une bande de chèvres qui s’empiffrent de fleurs et mâchonnent nerveusement en agitant la queue, tout en crottant pour prouver le dérisoire de l’existence.
La mort tout le monde semble la mépriser. Le corps inanimé n’intéresse personne. On reconnaît une bonne crémation au tas de cendre et au peu des morceaux d’os qu’elle laisse. Il suffit que la famille du défunt possède l’argent nécessaire à sa totale crémation pour acheter le poids de bois nécessaire. Quand le miséreux ne possède pas de quoi se payer une fin décente le travail est bâclé. Les restes du corps non consumés finissent au fleuve dans le meilleur des cas, ou à la rivière en espérant que celle-ci ne soit pas à sec, sinon ce sont les chiens, les corbeaux, les vautours et les cochons qui font bombance. Les chiens galeux dont le poil est largement tombé par plaques laisse apparaître une peau rose avec des croûtes. En bande ils attendent leur casse-croûte, un rôti d’humain mal carbonisé. Le pauvre pour eux, c’est un festin assuré. Rien n’est perdu, tout se transforme dans une immense fête où la vie à plus de droit que la mort. Un cadavre ça doit faire des heureux et ça en fait…
L’instinct de survie reprend le dessus et ses yeux s’échappent pour fureter vers les spectacles de jeunes femmes, belles à maudire, qui passent dans la rue. Son désir d’étreindre le corps de ces femmes dont les saris brillent de tant de vie le rassure. Etrange réalité que le cerveau capte avec une fulgurante rapidité, passant en d’un état d’extase à celui d’abattement en quelques secondes.



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La dangerosité de l’Inde ne provient pas de ses habitants qui semblent les êtres les plus placides que la terre ait jamais porté. Bien que les hindous soient comme n’importe quel sapiens capable de découper à la machette son voisin avec qui il a essuyé depuis sa plus tendre enfance tous les coups fourrés de l’existence. Capable de réduire en torchère le plus honorable vieillard et en rations pour chien le dernier-né de sa belle famille, parce qu’il habite un autre village, une autre rue, ou le trottoir d’en face. Et ces huttes tressées dans les feuilles de palmiers ont la mauvaise idée de brûler aussi bien qu’une botte de foin, et d’être construites dans la promiscuité. Bref l’homme tel qu’en lui même, ni meilleur ni pire.

Le danger est ailleurs. Dans l’absence de repères identifiables, dans la vacuité de l’esprit...


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16/05/2007

Rldasedlrad les dlcmhypbgf

Par Valéry Larbaud

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Photo Bénédicte Mercier: Cochin

Il y a quelques jours, étant de passage à Nantes, au retour d'une excursion à Belle-Île, j'ai lu, dans un journal de Paris, que j'allais publier un livre formé de plusieurs nouvelles dont une, la dernière, était intitulée « Rldasedlrad les dlcmhypbgf ».

En province française, je lis volontiers les journaux de Paris. Il me semble toujours que je vais y trouver des nouvelles de mes amis, de mon quartier, de ma maison. Un fait divers qui s'est passé dans mon arrondissement m'intéresse comme si je connaissais les gens qui y ont joué un rôle ; et s'il y avait à Paris, comme à Londres, des journaux de quartiers, j'achèterais, en même temps que "le Journal", "le Temps" et "l'Intransigeant",le quotidien du Cinquième arrondissement qui s'appellerait, par exemple, "la Lanterne du Panthéon" ou peut-être "l'Âme latine".

Voilà pourquoi, pendant tout mon séjour à Nantes, je n'ai pas manqué d'acheter les journaux de Paris. J'avoue qu'ils ne m'ont donné aucune nouvelle de mon quartier. Ils n'ont même pas su me dire où en étaient les travaux de repavement des Boulevards et de la rue Soufflot. Mais, en compensation, ils m'ont appris qu'on allait publier un certain nombre d'ouvrages de mes amis, et un d'entre eux m'a même donné des nouvelles de moi-même, nouvelles qui m'ont un peu surpris, puisque, si je me souviens bien d'avoir écrit trois des ouvrages qu'il annonçait sous mon nom, je suis très assuré de n'avoir jamais écrit « Rldasedlrad, etc.»

Et pourtant ce journal l'affirmait sans hésitation aucune. Un certain nombre de personnes que je croisais dans les rues de Nantes l'avaient lu comme moi, et ceux qui s'en souvenaient encore devaient en être persuadés. Si un ami, de passage à Nantes, m'avait aperçu dans la foule, rue Crébillon, et m'avait appelé par mon nom, il aurait pu se trouver un passant qui aurait songé : Tiens, voilà justement l'auteur de cette chose qui a un titre imprononçable. Ainsi je me trouvais, dans une certaine mesure, responsable de « Rldasedlrad les dlcmhypbgf ».

Je sais bien que c'était un mensonge et que c'était la machine à imprimer qui l'avait fait. Mais je suis trop le lecteur d'Erewhon pour ne pas croire à l'intelligence des machines et pour ne pas voir une intention dans leurs erreurs. Quand je dictais, justement, ma traduction d'Erewhon à une jeune dactylographe distraite et dépourvue d'orthographe («Attention, Mademoiselle, vous allez encore écrire «chute» avec deux t», c'était fait), j'ai pu constater que la machine à écrire donnait quelques signes non douteux d'intelligence. Dans les chapitres où il n'est question que des aventures et des amours du héros, tout allait à peu près bien en ce qui concernait la ponctuation ; mais dès que nous passions à un de ces chapitres qui sont surtout des essais philosophiques, il devenait clair que la copiste se désintéressait complètement de son travail et renonçait à comprendre ce qu'elle écrivait. Pourtant, de loin en loin, l'oeil de son esprit essayait de saisir le sens de ce qu'elle venait de transmettre au papier, mais il ne voyait rien et se détournait vite vers une autre région de sa vie intérieure. Eh bien, la machine à écrire, malicieusement, enregistrait ce mouvement d'attention déçue. Ne possédant pas, dans ses ressources sémantiques, un signe spécial, le point d'incompréhension, elle prenait ce qui s'en rapprochait le plus, et mettait un point d'interrogation au bout de chacune des phrases que la copiste avait cherché à comprendre et n'avait pas comprises, transformant ainsi les plus rondes affirmations de Samuel Butler en de timides questions au lecteur.

Evidemment, en m'attribuant un ouvrage intitulé « Rldasedlrad les dlcmhypbgf », la linotype de ce journal avait voulu, ou bien se moquer de moi, ou bien me fournir un thème, me conseiller d'écrire sur un sujet qui lui tenait à coeur, et qu'elle avait essayé, en son langage de machine, de m'indiquer. Or une linotype est une machine d'aspect trop sérieux pour qu'on puisse s'arrêter à l'hypothèse d'une plaisanterie. Qu'avait-elle donc voulu me dire, et quel sujet me demandait-elle de traiter ?

De l'excellent Musée d'histoire naturelle au riche Musée de peinture de Nantes, et du quai de l'Erdre à la place de la Bourse, j'ai considéré attentivement ce message machinien. La cryptographie n'avait rien à y voir, et aucune clé n'aurait pu m'y faire lire par exemple : "Onorate l'altissimo poeta", ou : Eh va donc, sans-talent ! Le seul mot humain qu'elle avait réussi à former : «les», inséré entre deux mots de son langage, pouvait me faire penser qu'il s'agissait d'une maxime, d'un avis qu'elle m'offrait, comme : «Méprise les méchants critiques ». Mais le contexte même me montrait qu'il fallait y voir, ou plutôt y chercher, un titre qui m'était proposé.

Par malheur, je n'ai pu le déchiffrer qu'à demi. J'ai bien trouvé, dans le premier mot, trois groupes de lettres qui faisaient un sens à peu près acceptable. Rlda pouvait être un prénom féminin slave prononcé Rulda ou Rilda, et rad m'a fait songer, je ne sais pourquoi, non au mot allemand qui signifie «roue», mais aux voies ferrées : un mot scandinave qui viendrait du latin rete, à moins qu'il ne s'apparente à des mots germaniques qui signifient : «Je fais transporter»; reit --- rid ---. Le groupe intermédiaire sed, était du moins parfaitement clair. Donc je devais comprendre : «Pour rencontrer la belle Rilda, il faut faire un voyage.»

Mais, dans cette explication, j'avais négligé la présence de «l» entre sed et rad. Pour en tenir compte, il me fallait donc considérer un nouveau groupement, dont le sens était : «le noble chemin de fer de Rilda» : Rldas edl rad. Du reste, cela revenait à peu près au même : il y avait toujours une femme et un voyage, comme dans une séance de cartomancie.

Eh bien, qui était donc cette Rlda, et valait-elle le voyage ? La suite aurait dû me l'apprendre. «Les» qui m'avait paru si clair devenait incompréhensible. Il valait mieux le considérer comme une graphie phonétique : «laisse»; c'est-à-dire : Renonce à Rlda et au voyage. Mais le troisième mot commençait par me donner à entendre que cette personne était «douce» , et même qu'elle jouait habituellement de l'instrument appelé «dulcimer» dlcm dont le nom fait si bien dans un poème inachevé de S.T.Coleridge. Après, tout devenait confus, et c'est à peine si hyp me faisait prévoir une montée, un effort; et puis, soudain, la phrase s'achevait brutalement sur des initiales ou des schémas d'injures ou de jurons orduriers : b --- g ! f ---! qui peut-être prédisaient une suite fâcheuse à ce voyage sentimental, ou qui exprimaient simplement la colère de la machine contrainte par l'homme à imprimer des mots, des idées, qui ne sont pas les siennes.
Oserais-je dire, à présent, que je ne me suis pas amusé à Nantes ? Et ce n'est pas seulement à cette linotype parisienne que j'ai dû quelques moments agréables. Nantes a un fleuve immense divisé en plusieurs bras par des îles couvertes de maisons et de rues à l'infini qui ne sont pourtant que les faubourgs de la ville. On y voit aussi un remarquable passage vitré, un passage à plusieurs étages, théâtral, avec des escaliers de fer dont les paliers superposés donnent accès à des boutiques aux belles devantures luisantes, rangées comme des vitrines de musée autour d'aériennes galeries. Enfin, le long d'un quai, au beau milieu de la ville, en pleine rue, passent les trains, qui ont tous l'air de grands rapides qui vont rejoindre les paquebots en partance. C'est toute l'Amérique des romans de Jules Verne (qui est né à Nantes), --- l'Amérique des années qui ont précédé et suivi la guerre de Sécession, --- l'Amérique des longues barbes en pointe et des képis dont la coiffe était rabattue sur une courte visière carrée, et des uniformes bleu foncé à parements et ganses blanches pour l'infanterie, jaunes pour la cavalerie et rouges pour l'artillerie, --- une Amérique extraordinairement moderne et qui restera toujours moderne, grâce à Jules Verne; --- mais ce serait encore mieux si les locomotives qui passent dans les rues de Nantes avaient des chasse-neige et de grosses cloches.

14/05/2007

Temples du Sud indien

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Photos Bénédicte Mercier

C’est le soir qu’à lieu dans les temples le spectacle le plus paisible qu’il puisse vous être donné de voir. Quand le soleil décline et embrasse la pierre rose des gaths, jetant les reflets dans l’eau verte du bassin où s’ébattent des milliers de poissons rouges. Un vieil homme archétype de l’humanité ancienne est venu et lentement s’est déshabillé ne gardant sur lui qu’un bout de tissus en guise de cache-sexe qui lui passait dans la raie des fesses, retenu par un lacet. Lentement avec des gestes emprunts de religiosité, il a sorti de son sac les ingrédients de son bain. De l’argile qu’il a broyé et mélangé un citron qu’il a pressé pour en extraire le jus, puis des petites branches de nim, cet arbre magique aux vertus médicinales multiples, dont il a retiré les feuilles qu’il a broyé avec un galet arrondi comme un rouleau à pâtisserie. Il a mélangé le tout et malaxé longtemps afin d’obtenir une pâte avec laquelle il a enduit ses cheveux humides. Il a attendu que le shampoing fasse effet puis il s’est lavé les cheveux. Il s’est baigné, a lavé son corps et ses vêtements dans le bassin et il a bu l’eau. Ses gestes semblaient si sûrs qu’il avait dû les répéter des milliers de fois.
Que la gorgée d’eau qu’il a bu ai pu terrassé un hippopotame, tant elle contenait de bactéries et de matières fécales, il ne faut pas en douter un seul instant. C’est un poison puissant. Redoutable, typhoïde garantie à l’imprudent européen qui oserait pareille chose. Non rien de cela ne lui arrivera. Ce vieil homme fait cela depuis des siècles. Son corps est immunisé contre les pires poisons. Maigre comme un i , mais frais comme un centenaire épanoui. Rien de ce que vous avez connu ne vous sert plus. Si partout dans le monde on ne croit que ce que l’on voit, ici ce que vos yeux voient, votre cerveau ne le croit pas.
Non ce n’est pas possible qu’un homme puisse boire à même le cul de la vache l’urine quelle pisse. Panacée bien incroyable à ses yeux d’occidental et pourtant rien d’anormal à cela. On insistera pour que vous en buviez lorsque vous ferez une chute de vélo pour vous remettre d’aplomb alors que vous êtes sonné sur le bitume. Vous refuserez malgré l’insistance bienveillante.
Juste retour des choses. L’érudition ne sert plus à rien. L’hygiène, le bon sens, la raison, vos croyances, tout ça il faut le mettre par-dessus bord, pour se délester la compréhension. Tout ça n’a plus rien à faire dans ce monde-là.
Le moindre geste, la moindre scène anecdotique est perçue comme une situation hyperréaliste. Le cerveau capte en permanence avec une acuité qu’il n’a pas dans un lieu où il a déjà pris ses repères. Et cela provoque un état second. Ces souvenirs que vous avez oublié et qui reviennent par flashs, précis et lumineux ils vous éclairent sur le passé et vous aide à comprendre ce qui s’est joué sur le moment que vous n’aviez pas compris. L’état de découvreur est un état erratique où tous les sens sont en alerte. Le voyage nettoie le cerveau. Il décortique la réalité pour la percevoir et rendre acceptable. Cette femme mourante allongée dans des détritus, le visage couvert de mouches qu’elle ne chasse plus qu’avec un geste las, combien d’heures lui reste-t-il à vivre ?
Ce soir probablement elle sera morte, et des familles entières passent, des enfants jouent, des chiens erratiques dont la gale a fait tomber les derniers poils cherchent leur nourriture dans les déchets. Eux aussi ignorent la mourante. Peut-être attendent-ils simplement la nuit pour mieux se partager son cadavre. Vous, vous ne voyez plus qu’elle. Ses yeux envahissaient toute la scène du spectacle. Vous ne saviez plus si vous aviez peur de cet être, ou de la perception palpable de votre propre finitude. Avec cette morte, vous avez apprivoisé celles des autres.
Il a fini par douter, de la réalité de son être. Cela à commencé par l’odorat. Il ne savait plus si l’odeur putride qu’il percevait n’était finalement pas l’amorce d’un parfum bien plus subtil d’un raffinement le plus extravagant. Sa peur du début lui paraît si stupide, elle s’est métamorphosée. Tout lui paraît si étrangement simple. Comment avait-il pu s’embarrasser de désirs si stupidement superflus en vogue en occident et se sentir menacé par un système aussi passablement archaïque et désuet que l’Inde. Il lui semblait maintenant qu’il pouvait vivre simplement et être heureux en s’inspirant de ces gens.
C’est dans la proximité des deux états si opposés que se niche le sublime. L’état de transe émotionnelle que provoque tant de beauté de sublimation du temporel et l’état de la réalité actuelle. Ce raccourci temporel provoque comme un vide sidéral. Cela se passe sur la même planète, au même endroit et ce n’est que dans la confrontation de ces deux instants que la réalité vacille et conduit à la détresse du spectateur. Comment vivre parmi tant de vermines entouré de ces mouches agressives agglutinées en grappes noires et voraces.
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19/03/2007

Ouagadougou-Paris en mobylette.....

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photo Vincent Colin

Au festival culture-aventure, j'ai croisé un fou sympathique qui se soigne par le voyage. Vincent Colin possède un réel talent de photographe doublé de celui d'aventurier. Si le reportage sur son voyage souffre de manque de moyens, -caméra d'appareil photo numérique oblige- par contre il respire cette fraîcheur qu'on ne retrouve que chez les professionnels du périple qui ont un talent de photographe. Jugez par vous même de ses photos en noire et blanc sur son site...


The Pigeot Delta my friend!
Ici, pas une seconde sans voir une mobylette du type nos bonnes vieilles 103 Peugeot; c'est le moyen de transport national!
J'ai vite fait le tour des modèles en vente, neuf et occasion, et pas de doute les occases font vraiment peur!

J'ai donc acheté une Peugeot Delta neuve, 710 euros et 1 Km au compteur! C'est un peu le modèle "vintage" avec le phare rond, mais ça fait aussi tout terrain avec la fourche "best quality"!!! Bon elle ne fait pas vraiment « MEEH MEEHHHH!!!!! » Comme prévu, mais plutôt ....mmmmMeeeeuuuu...... Je ne suis pas prêt d'arriver!!! Et les pédales sont loin d'être inutiles au démarrage!!! (voilà pourquoi y’a des pédales sur les mobylettes....)

Bonne surprise, les plaques de la mob sont vierges, donc ça sera plus pratique pour taper le type de bécane, l'année et tout ce qui est utile. J'ai également eu des fausses factures, une avec un prix inférieur et d'occasion pour la douane, une vraie pour les flics au Burkina, et une autre vierge pour la France!!


Pour en savoir plus sur Ouagadougou-Paris en mobylette... cliquez sur le lien
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Photo Vincent Colin

13/02/2007

ALLER-RETOUR

Par Mouloud Akkouche

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L’avion ne devait pas tarder à atterrir. Je fermai les yeux et essayai d’imaginer mon village. Plus de dix-sept ans, sans y remettre les pieds. Ce petit patelin de Kabylie où je fis mes débuts de comique. Sur une colline couverte d’oliviers, mes premiers spectateurs n’avaient jamais quitté leurs maisons de pierres sèches. Sauf, ceux massacrés par les mains sans noms.
Une semaine auparavant, en pleine nuit, un coup de fil de mon frangin. Notre mère allait bientôt mourir. Aussitôt, j’avais voulu prendre le premier avion. Ma femme m’avait rappelé qu’un retour en Algérie tenait du suicide.
Sonné par la nouvelle, j’avais passé une nuit blanche. Le lendemain matin, Ali, notre plus jeune fils, m’avait jeté un coup d’œil inquiet. J’étais affalé sur le canapé, les yeux gonflés. Le cendrier plein. Jamais il ne m’avait vu dans un tel état. Aussi désemparé.
Après une hésitation, il s’était penché sur moi pour dire avec son patois de cité :
-Papa, j’ai trouvé un bon plan grave pour que tu puisses partir au bled sans blême.
J’écrasai mon mégot en soupirant.
- Et c’est quoi ton idée ?
Il avait haussé les épaules.
- Tu y vas dans un cercueil comme les vieux qu’on envoie se faire enterrer au bled…
Rouge de colère, ma femme lui avait fondu dessus.
- Ca suffit ! Va dans ta chambre, tu as du boulot.
Avant de refermer la porte, Ali avait posé sur moi un regard étrange ou je pouvais lire: ‘’ Mais putain ! vas-y Pa ! C’est ta mère quand même, y faut que tu ailles.’’ Mon propre gosse m’avait exhorté à me rendre au chevet de ma mère. Sa grand-mère qu’il ne connaîtrait jamais.
Trois jours plus tard, un vieux pote de comptoir me fournissait les papiers d’un faux mort et un vrai cercueil équipé d’un système d’aération bricolé à la hâte. Quant au reste, tout avait été organisé dans les règles, sans oublier la collecte de fonds dans un bistrot pour le convoyage du défunt.
Même dans le sketch le plus délirant, je n’aurais pu coller cette scène: un acteur comique voyageant en cercueil dans une soute à bagages. Quelle connerie. Pathétique. A Alger, j’allais arrêter cette pitoyable comédie.
Le choc interrompit mes digressions. Le boucan faillit m’éclater les tympans. Que se passait-il ? Je redressai la tête et tendis l’oreille. Nous étions à l’aéroport. Après un moment interminable, l’avion finit par ouvrir ses entrailles. Je sentis qu’on me soulevait. Environ une heure plus tard, je me retrouvai hissé dans un véhicule : direction mon village natal.
Excepté Djamel, mon jeune frère- le seul ayant échappé aux mains sans nom- personne n’était au courant de mon arrivée. Pour ne pas éveiller les soupçons, il avait tout réglé par mail de son bureau de comptable dans une usine de chaussures. Son efficacité et sa rapidité m’avaient stupéfié. Meilleur qu’un tour opérator le p’tit frangin ; même ma mère n’était pas au courant.
Pendant le voyage sur les routes sinueuses, le cercueil ne cessa de tanguer et cogner contre les parois. Je m’étais fait une bosse au front. Bras et jambes coincés, visage inondé de sueur. A chaque coup de freins, ma poitrine se serrait. Des heures d’enfer. Je croyais que j’allais devenir fou.
A peine garé, des cris fusèrent. On tira le cercueil vers l’extérieur avant un arrêt brusque, suivi d’un silence. Un très long silence. Une femme gueula, son cri ricocha de femme en femme. Puis des voix d’hommes.
-Mais ce mort là… Il est pas de cette famille.
- C’est vrai, renchérit un autre. On connaît personne de ce nom-là au village.
- Je vous dis que c’est ici, affirma mon frère.
Le cercueil avançait, reculait, comme si les types des pompes funèbres hésitaient à décharger leur livraison. L’un d’eux envisagea d’appeler son patron à Alger. Mon frère commença à le culpabiliser avec le respect dû aux morts et, pour renforcer ses propos, appelait systématiquement Dieu à la rescousse. Tandis qu’il parlait, le bruit s’amplifiait, les voisins devaient tous s’agglutiner autour de la camionnette.
-Je vais devoir appeler mon chef, grommela l’un des employés.
-Tenez, fit mon frère, c’est pour vous.
Le cercueil fut aussitôt soulevé du sol et transporté à l’intérieur de la maison.
Puis plus un bruit. Des minutes qui me parurent une éternité. Qu’est-ce qu’ils foutaient ? Il voulait que j’y passe pour de bon ou quoi ! Je m’apprêtai à pousser un cri quand j’entendis des bruits de pas.
Le couvercle s’ouvrit. Je mis un petit moment à m’habituer à la lumière.
A travers le hublot, j’aperçus le visage rondouillard du frangin et celui de ma mère.
- Alors comment ça va ? demanda-t-il en m’aidant à sortir. Je ne te demanderai pas si tu as fais un bon voyage.
- A tombeau ouvert, répondis-je avec un clin d’œil avant de le serrer contre moi.
Ma mère avait reculé de deux pas et, adossée au mur, elle me dévorait des yeux. Un sourire traversa son masque de douleur. Soutenue par deux vieilles cousines, elle s’approcha à pas si lents que j’avais l’impression qu’elle ne parviendrait jamais jusqu’à moi. Incapable du moindre geste, les bras ballants, je l’accompagnai du regard.
Elle se glissa entre mes bras et pleura.
- Y faut retourner au lit, ordonna le frangin. Le docteur a dit qu’il fallait pas que tu bouges trop.
- Laisse-moi Djamel, ordonna-t-elle. Tu es revenu alors Mohamed. Tu es revenu.
J’allumai une cigarette.
- Oui, maman.
Elle désigna le cercueil:
- T’aurais pas dû venir dans ça. T’aurais pas dû… Ca se fait pas mon fils, c’est une honte.
Je haussai les épaules.
- Je ne pouvais pas faire autrement.
Elle leva les yeux au ciel et commença à m’engueuler comme quand j’étais gosse. A bout d’arguments mais surtout de souffle, elle s’arrêta.
- Maman, je… je…
Telle une propriétaire, elle me fouillait du regard pour retrouver ce qui lui appartenait encore, ce que l’exil et ma nouvelle existence n’avaient pu dérober.
Puis elle se laissa à nouveau tomber dans mes bras.
- Je suis si heureuse de te voir Mohamed.
Son corps frêle, un paquet d’os. Ses sanglots étouffés contre ma poitrine. Ses ongles labouraient mon dos comme pour y inscrire des empreintes indélébiles.
- Mon Mohamed, tu es revenu, répétait-elle avec de plus en plus de difficultés pour respirer.
Inquiet, Djamel me fit un signe discret avant de la diriger d’autorité vers sa chambre.
Prêt à m’effondrer, je détournai la tête et m’accoudai au rebord de la fenêtre.
Une cigarette à la main, je fixai un point invisible dans le champ derrière la maison. Un troupeau de moutons paissait près d’un pylône électrique, de nombreuses habitations avaient poussé sur les champs qui faisaient la fierté de mon père : disparu deux mois avant ma fuite en France. Il m’avait fait promettre sur son lit de mort de ne jamais les vendre et continuer de les labourer. Mal à l’aise, j’avais juré de respecter ses dernières volontés ; mon départ était déjà programmé. Je portai le regard vers le sommet de la colline : il reposait dans sa terre rouge.
- Je… Je suis content de te voir, bredouilla Djamel. Je peux t’en prendre une ?
- Garde le paquet.
- Merci. Ça coûte vachement cher ici.
Nous restâmes assis côte à côte à fumer tels deux potes à la terrasse d’un bistrot. Une conversation sans phrases s'installa entre nous. Les mots, inutiles, se dissolvaient dans la chaleur de cette fin d’après-midi.
- Je dois repartir quand ?
Il fronça les sourcils.
- Demain à 8 heures.
- Non, je veux rester plus longtemps.
- C’est pas possible. J’ai eu Mourad au téléphone. Il a tout préparé avec un mec du consulat de France. Tu partiras avec les papiers d’un coopérant français mort d’une attaque cardiaque. Il va se faire enterrer du côté de Marseille.
- Je peux rester au moins un ou deux jours de plus.
- Non, c’est trop risqué que tu restes ici. T’es pas en sécurité. Ils vont finir par apprendre que tu es là.
Mon absence et les drames ayant ébranlé la famille lui avaient donné l’assurance d’un aîné, celle que je n’avais jamais eue. L’expérience en accéléré du malheur. Il me parlait comme à un petit frère à protéger. Et j’étais infoutu de lui offrir la moindre parole de réconfort. Minable.
- Viens Momo, on va manger.
Avant de me coucher, je poussai la porte de la chambre plongée dans l’obscurité. Je m’assis sur la chaise, à côté du lit. Sa respiration était bruyante et heurtée.
- Tu reviendras quand Momo ? murmura-t-elle en serrant ma main. Faut que tu reviennes vivre ici. Y faut pas que tu laisses Djamel tout seul.
Je baissai les yeux.
- Tu sais que …
- Je sais, m’interrompit-elle. J’espère qu’un jour, tu pourras revenir dans ta maison dans autre chose qu’un cercueil. Quand le sang cessera de couler.
Une quinte de toux commença à la secouer.
-Ce jour-là viendra, ajouta-t-elle après un long moment, j’en suis sûre mon fils. Un jour, notre pays sortira de cette nuit de sang. Tout à une fin, même l’horreur.
Elle cracha une nouvelle fois et conclut :
- Je le verrai pas ce jour-là, moi. Je serai au cimetière à l’ombre des cyprès… avec tes frères et ton père.
Le lendemain matin, j’étais prostré dans la cuisine avec Djamel et deux cousins. Les tasses de café et les clopes ne ralentissaient pas les aiguilles de la vieille horloge bourrée à craquer de dix-sept ans d’absence. Après avoir lâché deux plaisanteries foireuses pour tenter de ressusciter le bon temps où tout le village me surnommait Momo le rigolo, je fixai le carrelage fissuré en de nombreux endroits. Et les images se pressaient au portillon de la mémoire. Momo le rigolo, star comique en Europe, n’était plus qu’un fantôme sans humour, un type qui avait claqué la porte de son enfance et laissé la clef dedans. Paumé derrière une cloison de dérision.
Très mal à l’aise, Djamel précipita les adieux. Il m’entraîna jusqu’à ma mère recroquevillée sur un fauteuil. Dès qu’elle me vit, elle s’appuya à l’accoudoir, sans réussir à se lever. D’un geste agacé, elle demanda à une jeune voisine, immobile dans l’embrasure de la porte, de l’aider.
Incapable de prononcer le moindre mot, je l’embrassai sur les joues en évitant son regard.
- Faut y aller maintenant Momo, ordonna-t-il et me poussa dans le cercueil.
Avec une grimace de douleur, elle se pencha très lentement et embrassa le hublot. Son visage ne décollait plus du rectangle vitré. Une main la tira en arrière.
Djamel se pencha à son tour, visage tendu. Malgré son sourire, je sentis qu’il retenait ses larmes. Un grand pudique le petit frangin.
Il referma le cercueil.

05/02/2007

Un petit dessin de Gab's

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06/12/2006

Le dernier vol

par MOULOUD AKKOUCHE


Petits repères bibliographiques

Mouloud Akkouche habite la région de Toulouse.
Il a déjà publié
Causse toujours - édition Baleine - 1997
Avis déchéance - édition Gallimard-Série Noire - 1998
Les Ardoises de la mémoire - édition Gallimard-Série Noire- 1999
Sur la route de Bauliac - édition Baleine - 2000
Cayenne, mon tombeau - éditions Flammarion - 2002
Il est auteur dramatique mais aussi scénariste.
Il écrit depuis 1998 de nombreuses pièces radiophoniques pour France Inter, France Culture… et élabore des scénarii pour le cinéma : (L'Extra ; Qu'est-ce que tu deviens? ; L'amour rend Flou).
Il écrit également des nouvelles publiées dans : Brèves ; Le Sabord ; L'Autre Journal ; Libération ; Drunk ; Encres vagabondes, collectif Fleuve Noir, Nouvel Obs…. et des Textes pour des Catalogues d'art contemporain.

Gérad Gautier est naturaliste.
Il habite la baie du mont St Michel.
Il n'a rien publié en dehors de ses travaux scientifiques.
Vous pouvez retrouver sur ce blog l'article le concernant.
"Juste quelqu'un de bien"
Si vous désirez entrer en contact avec lui pour ses photos,
laissez lui un message sur ce blog.
La série présentée ici concerne les Fous de bassan.


- Tu veux vraiment le faire ?
Elle se retourna et esquissa un sourire.
- Oui.
- C’est de la folie.
- Je ne changerai pas d’avis.
Elle secoua la tête et ajouta :
- Même seule, je le ferai.
Puis elle reprit sa position. Plusieurs semaines qu’elle restait immobile, recroquevillée, l’œil scrutant l’horizon. Mais ce jour là, elle était beaucoup moins tendue. Sans doute grâce au départ prévu le lendemain. Elle avait fini par le convaincre. Mais il appréhendait ce voyage.
Un voyage sans retour.
Pourtant ils avaient parcouru des milliers de kms ensemble. Elle aimait partir, revenir, partir… Infatigable. Elle n’arrivait pas à tenir très longtemps en place. Toujours impatiente de s’envoler pour n’importe quelle destination.
Cette fois, ils partiraient avant les autres. Et sans les prévenir. Elle ne voulait pas de leur présence. Il aurait préféré partir avec eux. Bourlinguer en groupe était plus agréable et plus rassurant. Surtout avec une voyageuse gravement malade.
- Bon je vais faire des courses.
A son retour, elle dormait. Il déposa son repas près d’elle et l’observa. Elle avait maigri, ses joues de plus en plus creusées. Sa respiration, haletante, emplissait l’air. Mais le sommeil semblait l’apaiser, comme une liberté provisoire.
La maladie lui était tombée dessus d’un coup. En quelques jours, elle eut des problèmes pour se déplacer, le moindre mouvement la faisait souffrir. Elle chutait fréquemment. Elle, très volubile et enjouée, s’enferma dans un profond mutisme. A la moindre contrariété, elle se défendait bec et ongles. Plus personne ne pouvait l’approcher, à part lui. Deux ou trois fois, elle était redevenue gaie. Et lui convaincu qu’elle s’en sortirait. Mais les répits furent de courte durée.
Souvent, paupières closes, elle murmurait : « Emmène-moi là-bas. Je veux y retourner ». La première fois, il avait refusé fermement. Tous les autres étaient d’accord avec lui : elle ne pouvait accomplir un si long trajet. Une folie dans son état. Elle s’était mise en rogne comme jamais auparavant, ne lui adressant plus la parole. Et elle avait décidé de ne plus se nourrir.
Et une nuit, elle n’était pas rentrée. Rongé d’inquiétude, il avait écumé tous les lieux où il pensait la trouver. Sans résultats. Le cœur gros, il avait fixé le ciel… Puis il avait tourné des heures durant avant de la découvrir à l’aube : sur le pont d’une autoroute. Il avait eu le ventre noué. Incapable du moindre geste.
- Rentre avec moi.
Sans se retourner, elle avait murmuré :
- Autant en finir maintenant.
Elle tremblait.
-…
Il avait retenu de justesse une parole réconfortante. A quoi bon ? Elle ne désirait qu’une chose. Une chose enfouie au plus profond de son être.
Et à l’horizon.
- D’accord, on part demain.

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Photo: Gérard Gautier

Le jour se levait à peine lorsqu’ils atterrirent. De nombreuses odeurs mêlées flottaient dans l’air. Elle sourit, heureuse de cet instant braconné à la douleur. Ils gagnèrent leur pied à terre, le même à chaque halte dans cette ville.
Il ne tarda pas à s’endormir. Si longtemps qu’elle ne l’avait regardé dormir… Des années qu’ils vivaient côte à côte. Pourtant beaucoup avaient parié que leur couple ne tiendrait pas la route : trop différents. Pas du même coin, ni du même milieu. Mais, contre vents et marées, ils avaient résisté. Leurs gosses volaient de leurs propres ailes, sous d’autres cieux. Et eux deux continuaient leur chemin ensemble.
Malgré la fatigue, elle n’avait pas envie de dormir. Elle sortit sur l’espèce d’avancée.
- Tu vas où ? Faut pas te fatiguer.
- Ne t’inquiète pas, je n’use que mes yeux.
- Tu devrais essayer de te reposer.
- Je me sens bien aujourd’hui.
Rassuré, il se rendormit.
La lumière du soleil, très forte, lui fit plisser les yeux. Elle inclina la tête et contempla la grande place. Voitures, camions, taxis et mulets circulaient sans ordre apparent. Un flic, sifflet à la bouche, faisait de grands gestes. Derrière leurs étals, les vendeurs de jus d’oranges pressées hélaient chaque passant. Un singe sur l’épaule, un ado se précipita sur deux touristes sortant d’un taxi.
Elle poussa un soupir. D’habitude, elle sillonnait la ville, quartier par quartier. Désormais, elle ne pouvait quitter son poste d’observation. Trop épuisée pour bouger.
Les virées à l’océan lui manquaient plus que le reste. En très peu de temps, ils passaient de la folie urbaine au calme de l’océan. Au lever du jour, ils traînaient sur les remparts du village fortifié puis descendaient vers les plages désertes. Et à l’heure de la criée, ils allaient manger au milieu d’une cohue piaillant. Repas inoubliables face aux flots…
- Tu te souviens ?
Elle poussa un nouveau soupir.
- Je ne peux plus faire que ça.
Il promena son regard sur la ville puis, peu à peu, le laissa couler loin, très loin derrière les montagnes.
- Tu peux y aller.
- Non, je…
Un crissement de pneus l’interrompit.
- Tu n’es pas obligé de rester avec moi.
- Arrête. J’ai pas envie d’y aller.
- Je te connais.
-…
- Je sens bien que tu as très envie d’aller à la criée. Vas-y… Je ne t’en voudrais pas.
Il fit la moue.
- Tu sais bien que je m’en fous. D’ailleurs, j’aime pas ce qu’on mange là-bas.
Menteur, faillit-elle répondre. Il adorait le poisson. Elle eut soudain la gorge serrée à l’idée que, un jour, il se retrouverait là-bas avec une autre. Au même endroit, à la même heure. Jamais elle n’avait ressenti auparavant un sentiment de jalousie.
- Tu veux faire quoi alors aujourd’hui ?
Il eut un silence.
- Ce que tu veux, répondit-il.
- J’aimerais bien…
Elle ferma les paupières.
A son réveil, elle mit un long moment à se rappeler où elle se trouvais. Avait-elle dormi une heure ou une semaine ? Son cou avait encore gonflé.
- Tu es là ?
Pas de réponse.
- Tu es là ? insista-t-elle d’une voix moins faible.
Toujours rien.
Etait-il sorti ? Il ne la quittait jamais quand elle s’endormait, la prévenant de chacun de ses déplacements. Elle fit quelques pas et s’arrêta.
Il se lavait en chantonnant. À part un léger embonpoint, il n’avait pas beaucoup changé. Si longtemps qu’elle n’avait senti son corps sur le mien…
Quand il croisa son regard, il se renfrogna comme un gosse pris en faute.
- Excuse-moi. J’arrive.
- Ne te presse pas.
- Faut qu’on décide de notre prochaine étape.
- Je voulais te dire…
Elle baissa les yeux.
- Quoi ?
Elle laissa passer un instant.
- Continue de chanter.
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Photo: Gérard Gautier

Au-dessus de l’océan, il se tourna vers elle. « Comment te sens-tu ? ». Elle ne l’entendit pas, absorbée par l’immense nappe bleue. Une étrange lueur dans le regard.
- Tu m’entends ?
Ses yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites. On dirait qu’elle a le vertige, s’inquiéta-t-il. Mais il balaya aussitôt cette impression stupide. « Je suis si contente de survoler l’océan » lui avait-elle confié avant le départ.
- J’ai mal aux oreilles.
Elle était exténuée. Jamais, depuis le début de sa maladie, elle n’avait eu de telles difficultés à respirer, les traits aussi tirés. Et autant envie de décrocher.
- On va bientôt arriver.
- J’ai froid.
Elle se plia en deux, le souffle coupé.
- Ne parle plus.
Sa poitrine se leva et s’abaissa plusieurs fois. Peu à peu, sa respiration retrouva son rythme. Un rythme imposé par le mal qui la rongeait.
- C’est mon dernier vol.
Elle ferma les paupières. Il paniqua et la secoua : elle rouvrit les yeux.
- On est pas loin.
- J’en peux plus.
- Encore un effort.
Et pendant le reste du vol, il n’arrêta pas de lui parler pour la tenir éveillée. Fallait qu’elle tienne au moins jusqu’à l’autre rive. Elle rêvait tant d’y revenir…
- Je vais tout lâcher.
- Accroche-toi.
Ils atterrirent vers midi.
- J’ai réussi finalement à le traverser vivante, sourit-elle avec une imperceptible fierté.
- On va dormir où ?
- Comme d’habitude.
- J’espère qu’il y aura de la place.
Leur point de chute habituel était entouré d’une palissade. Plusieurs pelleteuses déblayaient le sol. Un camion-benne vide entra, croisant un autre chargé de terre. Une centaine de mètres en contrebas, une grue tournoyait au-dessus d’un immeuble en construction. Cette colline, ponctuée de pins et de vieilles bâtisses, deviendrait un complexe hôtelier. Plus pour eux.
Gorge nouée, elle regardait leur nid douillet de printemps rasé à jamais.
- Quel gâchis, grommela-t-elle.
Il l’entraîna plus loin.
- Tu m’attends-là, je reviens.
Après une bonne heure de recherche, il réussit à trouver un endroit pour dormir. Mais moins confortable. Elle se fichait du confort, seule la vue l’intéressait.
- J’ai un p’tit creux.
Il sourit.
- Moi un gros. Je vais chercher à manger.
- Non.
- Tu veux que je reste avec toi ?
- Je viens.
Ils gagnèrent le bord de l’eau. Le soleil cognait fort. Elle était trempée de sueur.
- Ca te va ici ?
- Je préfère en haut.
Il avançait très lentement pour ne pas l’obliger à accélérer. Mais elle s’en rendit compte. Deux fois, elle piqua une colère. Et il dût se résigner à la laisser derrière.
- Ici, ça a l’air bien.
Installés à l’ombre, ils mangèrent du poisson. Elle se força à avaler quelques bouchées, pour lui faire plaisir. Chaque geste, même grignoter ou boire, lui coûtait. Elle bougeait le moins possible, tout entière concentrée dans son regard.
La plage se remplit très vite malgré le vent qui s’était levé d’un seul coup. Des cris de gamins se mêlaient au bourdonnement des voitures longeant la côte. Une dizaine de surfeurs s’échinaient à apprivoiser les vagues.
- Je n’ai pas peur de mourir.
- Mais tu…
Elle le remercia d’un regard de lui éviter sa tirade faussement optimiste.
- Maintenant que je le sais, ça…
Elle déglutit et ajouta :
- Si j’ai peur.
Puis elle se plongea dans le silence. Il essaya de relancer la conversation. En vain. Elle se contentait de répondre par de petits hochements de tête.
- Si tu veux, je peux continuer toute seule.
- Dis-pas n’importe quoi.
Avait-elle perçu son agacement ? Il s’en voulait de ne pas s’être contenu.
- Tu n’en as pas marre de me traîner comme un boulet ?
Il ne répondit pas.
- Quel est l’endroit que tu as préféré de tous nos voyages ?
Sa question le prit de cours.
- Ben, je… J’en sais rien, moi. Mais pourquoi tu me poses cette question ?
- Je me demande s’il vaut mieux mourir dans un lieu qu’on préfère ou… Ou n’importe où.
- Tu crois que les autres sont partis eux aussi ?
- Ils te manquent ?
Il hésita avant de lâcher :
- Un peu.
- Moi pas du tout… J’en avais plus qu’ assez de leurs regards bourrés de pitié.
- Ils t’aimaient… ils t’aiment beaucoup.
- Tu peux employer le passé ; je ne les verrai plus. Et au fond, je m’en contrefous. J’avais rien à leur dire et eux n’ont plus d’ailleurs. Je les vomis ces cons.
Et elle se mit à les insulter, un par un, comme s’ils se trouvaient en face d’elle.
- Calme toi.
- Toujours ça de moins dans mes bagages, ricana-t-elle à bout de souffle.
Elle grelottait.
- Tu veux rentrer ?
- Non, pas tout de suite.
- Tu devrais te mettre à l’abri du vent.
Ils se déplacèrent de trois-quatre mètres. Elle ferma les paupières et laissa choir sa tête. J’espère qu’elle va dormir, espéra-t-il. Mais elle rouvrit les yeux.
- Ramène-moi.
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Photo: Gérard Gautier
Elle pestait contre la pluie qui coulait depuis leur arrivée dans la région. Impossible de contempler le paysage. Derrière le rideau opaque tombé du ciel, une impressionnante forêt de pins s’étendait sur des dizaines de kms. Seule un chemin cahoteux la traversait. Rares ceux qui s’aventuraient aussi loin.
Il n’avait pas envie de s’y arrêter. Elle avait insisté. Elle voulait tant retrouver ce silence. Un silence unique.
Il rentra tard, le corps entièrement trempé.
- Quel merdier. Je t’ai pas trouvé grand chose à manger.
- T’occupe pas de mon estomac s’il te plait.
Il encaissa sans ciller.
- Bon, je vais me sécher
Elle le regarda avec un sentiment de culpabilité. Des semaines qu’il supportait ses caprices. Quelle patience ! Mais parfois il devait espérer que ça finisse au plus vite.
Elle aussi.
La pluie s’arrêta en fin de journée.
- On sort.
- Si tu veux.
Une agréable odeur exhalait de la terre humide. Elle s’engagea sur le sentier en pente très glissant. Il avançait à côté d’elle, prêt à la rattraper.
- T’inquiète pas, je tiens encore un peu sur mes pattes.
Les rives de l’étang étaient boueuses. Pas d’autres traces que les leurs.
Et celles du silence.

- Nous, on a eu de la chance quand même..
- La chance de quoi ?
Fatiguée par la promenade, elle s’arrêta et aspira une grande goulée d’air.
- On est bien ici.
Un clapotis dans l’eau brisa le silence.
- De quelle chance parlais-tu ?
Elle reprit la marche.
- … De se trouver ici. Regarde autour de nous… C’est magnifique. Ce silence, je ne m’en lasse pas.
- Ouais, souffla-t-il, mais je sais pas si ce sera pareil pour nos gosses. J’ai vraiment l’impression que tout ça ne va pas tarder à disparaître.
- Toujours aussi pessimiste.
- Non, réaliste.
Il ramassa une brindille.
- Tu exagères.
- C’est la triste vérité. Tout se dégrade. Bientôt plus personne ne trouvera à becqueter. Cette planète est de plus en plus en mauvais état. Tu te rappelles ce qu’on a vu hier au bord de la rivière… Des carcasses de bagnoles.
Il souffla et continua :
- La nourriture devient dégueulasse. Et maintenant, dans certains endroits, on peut plus dormir tant l’air est irrespirable. Les océans et les fleuves, je t’en parle pas… Ils sont devenus pires que des égouts. J’ai plus du tout envie de pêcher dedans tellement ça me dégoûte
- C’est pas comme ça partout.
- Bien sûr que si. Même dans les lieux les plus reculés, soi-disant protégés. Plus rien n’arrêtera la progression des 4X4 et des braconniers.
- Qu’est-ce qu’on peut faire ?
- J’en sais rien mais il faut le faire. Et vite. Si on veut pas perdre tout ça.
- Moi je crois que c’est foutu.
Il se crispa.
- Pourquoi ?
- On y peut rien.
- Si !
Il sentit la colère monter en lui. Ce genre de sujet lui tenait très à cœur.
- Calme-toi.
Il balança les brindilles.
- C’est toi qui part perdante.
Un silence gênant succéda.
- Pourquoi tu t’énerves ?
Gêné, il bredouilla :
- Je suis désolé de t’emmerder avec tout ça. C’est vraiment pas le moment.
Il fixa le sol.
- J’ai froid, réchauffe-moi.
- Je vais réussir cette fois.
Malgré son acharnement, elle n’arrivait pas à tenir debout. Déjà plusieurs fois qu’elle avançait, deux ou trois pas, trébuchait et s’affalait.
Il l’aida encore à se relever.
- Faut que tu te reposes.
- Non, refusa-t-elle d’une voix éraillée, je ne veux pas rester ici. Emmène-moi ailleurs.
Lui aussi n’avait pas envie de rester. Mais, son état ayant empiré, elle ne pouvait continuer le voyage. Et ils avaient dû s’arrêter près d’une zone industrielle.
Perchés au dernière étage, ils suivaient la ronde des voitures sur le périphérique. L’autre côté donnait sur un parc. Des joggeurs couraient chaque matin autour de l’étang.
- Dès que tu iras mieux, on repartira.
- Ça fait déjà trois jours que nous sommes là. Je ne veux pas mourir ici.
- Je sais, je sais.
- Tu ne peux pas me faire ça.
- Viens, on va rentrer.
Elle lui montra les barres d’immeubles.
- Je ne veux pas que tu me laisses ici. Je veux mourir en regardant. l’horizon.
- On va repartir…
Ses yeux humides le suppliaient.
- Essayons encore.
- Avance lentement.
- Lâche-moi, je vais y arriver…
Grimaçant de douleur, elle fit un pas, puis deux autres… et s’effondra sur la pelouse.
- Je vais te remonter là-haut, tu seras mieux.
- Je n’en peux plus.
Il se pencha.
- Tu as besoin de dormir.
- Oui c’est vrai, bafouilla-t-elle. J’ai… J’ai besoin de…
Et son regard se vida.
Toute la nuit, il la veilla. Le silence ponctué de ses sanglots et des bruits de la ville.
Il finit par s’endormir contre elle.

Au matin, des pas le firent sursauter. Plusieurs camionnettes et des motos étaient garées devant l’entrée du parc. Deux hommes vêtus comme des cosmonautes se dirigeaient vers lui. Le plus gros portait un sac plastique.
Il essaya de les empêcher de passer. « Dégage sale bestiole ! » aboya le gros en lui filant un coup de pied. Il l’évita de justesse et se mit à voleter autour d’eux.
Accroupi, l’autre homme ramassa le cadavre. Soudain, il lui fondit dessus et referma son bec sur la main. L’homme tenta de se libérer. Il serra encore plus fort, déchirant la combinaison.
Le gros l’aspergea avec une bombe paralysante. Il lâcha prise, battit des ailes et s’affala
- Le salaud, y m’a bouffé la main. Je vais le…
- Laisse tomber, on a pas le temps.
Ils la balancèrent dans le sac.
- Tu crois que c’te cigogne a vraiment la grippe aviaire ?
- On verra bien.
Il entrouvrit les yeux et les vit s’éloigner.
Précédés de deux motards sirènes hurlantes, la camionnette roulait très vite. Encore étourdi, il suivait leur véhicule. Il volait le plus bas possible pour ne pas les perdre de vue. Trois autres motos avec des caméramans fermaient le convoi.
La camionnette franchit le portail de l’Ecole Vétérinaire et s’engouffra dans un souterrain.
Il se posa sur le toit de l’un des trois immeubles de verre. Puis, peu après, il fit le tour de toutes les façades, examinant chaque salle. Aucune trace d’elle. Résigné, il s’apprêta à abandonner quand une porte s’ouvrit au huitième étage.
Ils l’allongèrent sur une table de labo. Deux écrans d’ordinateurs clignotaient sur les côtés. Une dizaine d’hommes et femmes, masques sur le nez et gantés, s’agglutinèrent autour d’elle. Ils parlèrent longuement. Puis tous se turent et s’immobilisèrent. Sauf un qui se pencha sur elle, un scalpel à la main…
Fou de douleur, il cogna son bec contre la vitre.
Un an plus tard, il s’arrêta manger au bord de l’océan : à l’heure de la criée.
Elle lui souriait.

Copyright: Mouloud Akkouche

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Photo: Gérard Gautier

17/11/2006

Poétes vos papiers...

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photo: Bénédicte Mercier, carnaval de Pau


Mes papiers ont toujours intrigué l'administration qui n’a jamais cessé de me regarder de travers. Peut-être que je ne conviens pas. Je n’ai jamais rien demandé et ce n'est pas moi qui les ai imprimés, ces papiers….
Pourtant l'administration m'a obligé à avoir une carte. Avant, quand je présentais le bout de papier qui me servait de carte d’identité d’apatride, c'était déjà pareil, on me regardait de travers. À force d'être suspecté, on finit par se penser en suspect. Rien de défini, mais une appréhension persistante.
En passant au poste-frontière, je me voyais déjà au fond d'un bagne, charcuté par des experts en aveux. La trouille ne se raisonne pas. On passe du blanc au verdâtre, les joues s'affaissent, les yeux se creusent, deviennent vitreux. L'air manque. On pense que rien, plus jamais, ne sera comme avant. L'adrénaline, pistonne en jets continus au fond des veines. Même en s’arrangeant pour paraître calme, on ne le reste pas. Les sbires au trois quarts bourreaux ont reniflé quelque chose de louche. Ils subodorent un avion détourné, un navire coulé, une ambassade plastiquée, un général dessoudé.
Vous avez la tête de l'emploi, vous en êtes convaincus. Les cerbères de la sécurité deviennent nerveux. La contagion gagne la fourmilière. Les gâchettes sensibles ont flairé le gros poisson. L'avancement plane dans l'air. C’est tout simplement votre nom… Un homonyme pas sympathique du tout… À ce rythme, vos abattis ne valent plus grand-chose. La bavure n'est pas loin. Un siècle, d'un seul coup, vous tombe sur les épaules. Et vous vous emmêlez les pédales dans les explications. À force d'être suspecté, vous finissez par vous persuader d'être un type dangereux.
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photo: Bénédicte Mercier, carnaval de Pau

16/11/2006

En vallée de Soulor

La journée n'était pas au beau fixe, quelques nuages de-ci de-là passaient, mais rien n'interdisait une sortie en montagne. Un pull et un K-way pour tout équipement. On savait que la course ne serait pas longue et on ne s'était pas chargé. Pour une randonnée, une bonne paire de chaussures suffit. Quand on a enfilé les vêtements de promenade il a trépigné d'impatience, sauté en tous sens et s'est mis à aboyer. Heureux à l'idée de courir sur les prairies de ses ancêtres.

Flanqué du chien, un énorme patou, on s'était attaqué à la ballade en pensant ramasser quelques myrtilles. Il en restait encore après le passage des touristes, dans des coins reculés. On a mis le peigne à baies dans le sac à dos. La chaleur est descendue dès que les nuages ont caché le soleil. Au loin résonnaient les clochettes des vaches, des moutons. Des chevaux aussi paissaient en liberté dans cette estive totalement déserte et mystérieuse. Au milieu de l'immense prairie, quelques cahutes servaient à traire les animaux sur place avant la tombée de la nuit. Les bergers redescendaient au village distant d'une dizaine de kilomètres, les coffres de leurs deux chevaux chargés de bidons de lait. On a continué à grimper. On n'aurait aucun mal à revenir, même si le brouillard s'épaississait encore. Il nous suffisait pour cela de suivre la pente naturelle et l’on retournerait à notre point de départ. Une silhouette furtive de renard est passée non loin. Le chien s'est élancé à sa poursuite. On l'a entendu gueuler après le goupil qui l'a distancé. Il a couru comme un dératé croyant qu'il pourrait le rattraper. Ce chien m'apparaissait chaque jour plus idiot. On ne s'est pas inquiété de lui, sachant bien que cet imbécile retrouverait son chemin. Continuant le nôtre, on est arrivé sur le plateau couvert de myrtilles protégé du pillage des touristes. Le gisement était quasiment intact. À chaque coup de peigne, on en ramenait une poignée. En moins d'une heure, on en a récolté plusieurs kilos.
-Le chien n'est pas de retour!
-Il nous attendra près de la route, s'il s'est perdu, ai-je dit à Lola.
Le brouillard était devenu trop dense pour qu'on envisage sérieusement de s'aventurer plus dans cette Balade. On a continué à cueillir profitant de l'aubaine. Quand on s'est décidé à partir, glacé par le brouillard, le chien n'avait toujours pas donné signe de vie. On l'a sifflé en vain. Puis on a décidé de le laisser tomber et de retourner à la voiture. La température descendait rapidement. Le brouillard emmaillotait tout d'une humeur blanchâtre. Des gouttes d'eau se formaient sur les toiles d'araignées. On ne reconnaissait plus aucun des points de repère.
-Par quel chemin, on est venu, j'ai demandé à Lola?
-Par là!
-Tu es sûr?
-Je pense!
-Où est le pierrier?
-Je ne le vois plus!
La vision s'était réduite à quelques mètres. On s'était laissé prendre de vitesse et piéger en néophyte. Je jetais un oeil à ma montre. Il nous restait une bonne paire d'heure avant la nuit. Je ne me suis pas inquiété outre mesure. On a avancé précautionneusement pour ne pas dévaler en contrebas. S'engager dans le bois nous donnait l'assurance de se perdre.
-Nous, ne sommes pas passé dans les arbres, lui ai-je fait remarquer!
J'ai enfilé mon pull de réserve, et j'ai tendu le sien à Lola. Des touffes de fougères, des myrtilles, mais pas le moindre son de clochettes.
-Je ne sais plus comment sortir de ce foutoir!
-Si au moins on entendait les vaches!
-Ouais on pourrait passer la nuit prés d'elle, on aurait du lait et de la chaleur, ai-je dit pour détendre l'atmosphère.
Un épais silence répondait à l'angoisse de plus en plus palpable.
-Mais où est parti ce connard de clebs?
On s'époumonait à hurler son nom. Face à ce mur blanc compact un écho atténué nous renvoyait désespérément au vide. Il ne fallait pas s'aventurer mais rester sur place. Risquer de se perdre était stupide. Je posais mon sac et j'ai tenté de réfléchir
-Ce n'est pas la période des grands froids, on ne risque rien!
-Si on passe la nuit sous la pluie, ça ne sera pas la première fois a répliqué Lola!
-En plus on ne peut pas faire du feu, je n'ai pas d'allumettes!
Me revenait en mémoire la technique apprise chez les scouts pour démarrer un feu avec des brindilles mortes. Mais pas la peine d'y penser un instant de plus.
-D'abord garder son calme...
Il nous a semblé apercevoir un point plus blanc que le brouillard, puis une tache noire et des oreilles marron. Ce crétin battait de la queue. Nul doute, il était revenu nous chercher. Il avait compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il a aboyé, nous a léché les mains puis a marché devant. Il se retournait souvent pour vérifier qu'on le suivait bien. À cet instant, il m'est apparu d'une intelligence extraordinaire. Joyeux de se sentir utile il se trémoussait. Il nous attendait. On lui faisait entièrement confiance. On n'avait guère le choix. On a entendu à nouveau les clochettes bien qu'on ne distinguait rien dans la brume. On était sur la bonne voie. Il la connaissait la nature, bien mieux que quiconque. J'ai compris pourquoi les bergers s'aidaient dans leur tâche de ces gouffres à bouffe. On a buté sur la voiture aussi blanche que le reste du ciel.
-Bon dieu! Ce taré de chien n’est pas si débile!
Il n'a pas voulu monter dans le coffre et a couru devant la voiture pour nous montrer la route. On était vraiment heureux de l'avoir rencontré au fond d'une étable, ce clébard.

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