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02/09/2007

DU BAUME AU COEUR

J'ai trouvé ça sur le blog FRERETROC de Benoit qui ne m'en avait rien dit...
Un plaisir à peine croyable...
Un oxymoron on appelle ça, et je vous jure que c'est drôlement agréable...

Et puis ça aussi sur le site de la FNAC c'est réconfortant Cliquez ici et là par la même occasion... en cliquant ici...

06/06/2007

Un Enfant de Coeur


VIENT DE PARAITRE

Un Enfant de coeur

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en librairie mi juin...



Avec une Illustration de couverture de ANTO

ISBN 978-2-35270-028-9

Quatrième de couverture.
On peut lire ce premier tome d'une saga en y plongeant comme dans un fleuve intarissable, ou comme dans une parabole. Elle nous apprend que la vie n'est jamais que ce que l'on en fait et que le sentiment d'exil peut devenir une patrie. Car si la réalité est convoquée elle ne tombe jamais dans le misérabilisme. Elle rebondit balle espiègle et joueuse comme l'enfant en l'homme qui raconte.
Le lecteur ne saurait résister à la sincérité qui se dégage de ce livre nu cruel et désarmant. Ce livre prouve plus sûrement que tous les discours l'absurdité à laquelle aboutit toute tentative d'identification en dehors du vécu individuel.
Un enfant de coeur est une révélation littéraire. Le souffle de Saïd Mohamed emporte sur son passage tous les préjugés qui consistent à ériger des frontières entre l'autobiographie et la fiction la tristesse et le rire, le beau le laid. Comme un certain nombre de ses homologues, il oppose la liberté au joug d'une appartenance arbitraire à une catégorie spécifique, sociale culturelle ou géographique.
Kristina Briaudeau

Resté inédit en France, Un enfant de cœur est le premier volet d'une saga picaresque. Saïd Mohamed est l’auteur de plusieurs romans parus aux Éditions Paris-Méditerrané entre 2000 et 2004. Son premier titre La Honte sur nous a obtenu le Prix Beur FM Méditerranée en 2000. Il a publié aussi plusieurs recueils de poèmes au Dé bleu, et aux carnets du dessert de Lune.

Dur et nu mais non dénué de poésie, ce roman nous lègue une belle leçon de vie.
"Femmes du Maroc".

Ce récit est à la fois d'une sobriété et d'un éclat tout particulier. Car tout dans ce livre est simplement transcrit avec dignité, humour et coeur.
Jean Michel Bongiraud

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Chapitre un


Très tôt j’ai su que les parents allaient me poser problème. Si je ne comprenais pas tout, je voyais bien que chez les autres ça ne se passait pas comme chez nous. La Mère ; elle ne rentrait à la maison qu’après le départ au travail du Père et le soir elle se réfugiait chez des voisins. Heureusement, qu’il a toujours ignoré où elle se cachait. S’il l'avait attrapée, il lui aurait cassé les pattes, pour ne plus qu'elle traîne.
Une voiture s'est arrêtée à notre niveau, alors qu’on revenait d’une balade dans les champs. La Mère en est descendue, précédée d'un type du coin que j'avais déjà vu venir minauder autour de la frangine. En voyant leurs têtes, j'ai su qu’ils n’allaient pas à la noce. Ces derniers jours avaient tellement tourné au vinaigre que le pire était à prévoir. Trouver la Mère sur la route, en train de plier bagage, embarquant ce qu'elle pouvait n'avait rien d'extraordinaire.
Avec la Mère, on ne s'est pas causé. On n’avait pas non plus matière à se raconter un roman.
Elle a dit simplement :
" Bon, les gars, je m'en vais !..."
On ignorait où elle allait, et avec qui, mais elle s’en allait. Depuis un bout qu'elle en parlait de partir. On ne peut pas tout le temps voir la fumée et pas le feu.
La voiture touchait presque le sol tellement elle était chargée. On s'est mis à courir derrière. J'ai eu l’impression que pour nous ça tournait vraiment mal. Rien n'est venu contredire ça. Même le Petit qui était trop petit pour comprendre ce qui se passait n’a pas pleuré.
—Tu lui presses sur le nez, il en sort encore des limaces, avait l’habitude de dire de lui le Grand.
On a attendu que le Père rentre du travail. Le Grand s'est chargé de lui raconter les événements de la journée. Le Père assommé par sa ration quotidienne de vin ne s'était pas encore rendu compte qu'il manquait quelqu'un. Il n'a pas réagi. Se bouchant une narine, il s'est mouché en soufflant dans ses doigts. Il a gardé le silence et il a achevé la deuxième bouteille de la soirée. Des mouches se poursuivaient autour de l'ampoule de la cuisine. Des gouttes s'écrasaient dans la vaisselle sale. Le père s'est levé pour aller chercher dans le clapier, au fond du jardin, un lapin qu'il a tué, et il l’a préparé comme il a pu.
Il me suffisait de regarder le Grand pour savoir s'il fallait être prêt à tout. N'importe quel objet, entre nos mains, pouvait devenir un moyen de défense. Le Grand était sur ses gardes, quand il l'a vu prendre le couteau.
On venait d'achever le plat mal cuisiné, quand le Grand m'a fait un signe de la tête en m'indiquant la direction de la chambre. Je devais le suivre. La soirée était trop calme. On aurait préféré entendre crier. Au moins, là on savait où on en était. On redoutait le silence parce qu’en général il présage le pire. Le lendemain matin, le Père est reparti au travail, comme à l'accoutumée, en vélo. Il nous a laissé de l'argent pour acheter du pain et une tablette de chocolat noir à croquer pour le goûter. Le midi, on a mangé les restes du lapin.

Chaque jour, le Père partait le matin de bonne heure, et il rentrait le soir vers sept heures. Il avait trouvé son vieux vélo dans une vente. Des enchères, il ramenait n'importe quoi. Sa bicyclette était surmontée d'un énorme phare. Sur la roue à l’avant, une dynamo qui le ralentissait plus qu'elle n'éclairait, ronronnait. Mais il connaissait bien le chemin. Le freinage se faisait en inversant le pédalage. La roue arrière se bloquait même quand il pleuvait. Dans la région, il valait mieux avoir ça. Il flottait tout le temps, une sorte de bruine qui dégoulinait lentement. Une lavasse, qui vous abonnait le ciel à l'hiver pour l'éternité. Dans ce pays, tout le monde avait des rhumatismes et toussait à cause du froid et de l’humidité. La terre à chaque pas s'enfonçait d'un centimètre et lâchait des bulles d'air. Même l'été, tout restait vert, comme conservé dans du formol. Le vélo était notre seul moyen de transport. Le matin, deux cars passaient, l'un ramassait les ouvriers de l'usine de caoutchouc, l'autre les élèves du lycée.
On approchait de l'automne, et déjà les hirondelles se rassemblaient sur les fils. Quelques mois auparavant, j'avais soufflé mes neuf bougies. Façon de parler. Chez nous, les fêtes et les anniversaires, on ne les fêtait pas. Il restait deux semaines avant la rentrée scolaire, le Petit et moi, pour ne pas traîner à la rue, on a partagé un peu le bac à sable avec les gosses du facteur.
Le Grand s'est bagarré avec un de ses gamins. Lorsque le facteur est venu en personne lui demander des explications, à l’heure du dîner, la situation sur le terrain a tourné au désavantage du Grand. La claque que le Père a mise au Grand aurait pu assommer un cheval. Même lorsque les autres nous cherchaient, on ne devait jamais répondre.
J'avais peur du facteur parce qu’il ressemblait au Fantôme noir du Journal de Mickey. Vêtu d'une grande veste noire en cuir, coiffé d'un casque avec des grosses lunettes, il parcourait toute la région en moto. Je l'évitais aussi parce que je lui avais flingué un carreau en voulant tirer une bouteille posée sur le rebord de la fenêtre. La pierre avait fait un trou rond et bien net, sans que le verre ne vole en éclats. Il savait que c'était moi, mais il n'avait rien dit. Il me laissait jouer chez lui, avec ses gosses.

Les hirondelles s'impatientaient sur les fils et on traînait par le village, livrés à nous-même. Pour une fois, on s'est retrouvé avec les autres gamins, dans leurs jeux. Une baraque abandonnée à la toiture inexistante nous servait de château fort. Le village était séparé en deux: nous d'un côté et, de l'autre, ceux du bourg qui craignaient le Grand. Ce qui restait de la baraque n'a pas tenu longtemps à ce régime. En trois jours, il ne restait plus qu'une partie des murs. Il manquait la fumée pour parfaire le décor d'un western après l'assaut des Indiens. Les attaques se succédaient, et on les repoussait à coups de bâtons, de flèches, de javelots. Un front bleui, une oreille décollée, c'était le bilan du premier jour du combat. On en a profité, au passage, pour régler nos comptes...

Au bruit mat, comme un paquet de chiffes molles qui s'écrase, suivi d'un cri hoquetant, le Grand a compris qu'on venait de dépasser le simple accrochage. Le Petit avait chuté du mur. Il avait la bouche ouverte, sa langue pendait, et il crachait beaucoup de sang. Les autres ont pris peur et se sont enfuis.
— Bande de salauds! On est dans la merde! Le vieux va gueuler! a râlé le Grand.
— Ça devait arriver!
Le père n'a rien dit de plus. Il en avait déjà tellement vu, que ça en plus ou en moins, ça ne changeait pas grand-chose. Il voulait avoir la paix en rentrant du travail, pour réfléchir à l'avenir, mais il en devenait de moins en moins capable, à mesure qu’il vidait ses bouteilles. Il a marmonné:
— Quelle honte!
Et, comme le Petit pleurait, il lui a dit :
— Viens là, que je t'achève!
Ce qui lui a enlevé toute envie d'en rajouter. Cette expression avait les faveurs du Père. Un fils d'homme ne pleure pas. Il suffit de se mettre ça dans le crâne et ça va déjà mieux. La vie a recours à des certitudes auxquelles il faut se soumettre, ou crever. Pleurer n'a jamais été une preuve de force. Alors, plutôt que d'encourir la colère paternelle, il valait mieux avaler sa salive. Depuis, à cause de sa langue à moitié coupé, le Petit zozotte en parlant. Il ne veut pas qu'on le fasse "sier avec les sossettes de larsi dussesse qui sont pas sésses".

27/05/2007

Des relations humaines entre auteur et éditeur

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Cette photo provient du site du photographe Cara Barer cliquez sur son nom pour voir son travail...

Cette fois-ci on ne s’est pas pris de bec comme à l'accoutumée. Il a lu et accepté le manuscrit, tel quel, sans vouloir imposer sa grosse intelligence sur le texte. Un seul paragraphe de trois lignes a souffert de nos débats qui n’ont pas duré une minute. J’en ai de suite convenu, ces phrases n’étaient pas indispensables. Elles rendaient incompréhensible ce qui suivait. Je m’étais préparé un pugilat digne d’intérêt, à des joutes oratoires, comme seul en existe dans ce métier. Partir en claquant la porte, en se maudissant et revenir trois mois après, en ayant intégré presque toutes les corrections demandées et recommencer. Cela m’a presque frustré de ne pas avoir à subir ce rituel. C’était signe que le manuscrit a du ressort, qu’il était capable d’encaisser pareil régime et de revenir lors de la lecture à sa forme primitive.
Ce silence n’augure rien de bon. Je vieillis ? Il devient moins exigent ? Il s’est habitué à mon style. C’est mauvais signe. Cela voudrait-il dire qu’il ne sera plus capable à l’avenir de discernement ? Je vais devoir être obligé de changer encore de crémerie. Cela ne lui à donc pas suffit de faire faillite et de m’emporter par le fond trois textes, passés à la concurrence, chez un fou dingue. Un de ces emplumés du chiffre, pas foutu de parler de style, seulement de pognon. Un de ces gestionnaires sorti d’une de ces usines à crétin, sec comme un bilan. J’aurais pu aller lui porter le nouveau manuscrit à celui-là, parce que finalement c’est mon nouveau patron. Pas question je préfère encore mon Thénardier, au moins je sais à quoi m’attendre avec lui. L’autre avec sa tronche de médecin légiste m’inquiète plus encore. Oh non, il ne cause pas, il compte l’emplumé et je ne pèse pas lourd dans son bilan à cette enclume. Il pinaille avec des arguments de premier de la classe, finalement les quelques écrivaillons avec un peu de souffle qu’il aurait pu ramener dans son écurie, ils sont passé à la concurrence. Soit envolés du nid les piafs, soit retournés chez le vieux soit planant vers des plus prometteurs encore. Je lui suis resté fidèle, je ne sais pas pourquoi. Par fainéantise sûrement, par amitié peut être aussi, par empathie, par compassion, un peu tout ça à la fois. Peut-être aussi parce que j’espérais qu’on allait continuer à s’engueuler avant chaque publication...

28/04/2007

Dans cet immense souk...

Dans cet immense souk, une étoile qui veille sur votre destin peut surgir à n'importe quel moment du fin fond de la constellation et vous permettre de traverser des galaxies entières. Votre double existe dans l'univers où l’on trouve matière pour continuer à vivre. Et quand on revient d’aussi loin, on peut avouer avoir eu de la chance. Car cette étoile, ce simple morceau de caillou, cet ensemble vaporeux, ce conglomérat gazeux, cette purée primitive, ce semblant de bain sulfureux, ce presque néant, existait.
J’ai écrit pour me maintenir en vie, tout simplement. En parvenant à l’autre bout de la nuit comme Schéhérazade, je suis étonné d’être encore de ce monde, d’avoir percé les nuages et d’avoir pu échappé à un destin funeste. J’ai survécu, par hasard. Pourtant je n’ai jamais douté. Persuadé que je devais prendre la parole pour donner un sens à cette vie. Trouver une issue. Je ne sais ce qui m’a guidé, peu importe. J’ai l’impression d’avoir accompli un travail. Mais comment juger s’il a été bien fait ?

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03/04/2007

Les crobards de Malnuit

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L'illustration est de Yves Budin qui vient de publier aux carnets du dessert de lune Visions of Miles

Voila ça y est l'idée fait son chemin. On va republier Malnuit. Oui c'est un événement. Ce sera pour l'automne probablement. C'est Bédé qui s'est mis au clavier pour exhumer ces textes devenus introuvables. Je vous en dirai plus au fur et à mesure de l'avancée des travaux. Mais pour commencer juste un petit morceau pour le plaisir, comme on lèche les plats...

Crobard : n.m. Dessin à main levée qui ne fait qu’esquisser l’image d’un être ou d’une chose. (Petit Larousse – voir : croquis)


En parlant de tout ça, j’suis pas sûr de mon coup ; c’est ça qu’est bien (j’écris je dégorge je dégueule) et vache aussi parce que où ça mène ? Ce qu’y a au bout j’en sais rien, que dalle ! (On passe l’éponge et on recommence).
Je vois le coup je le sens, je sais bien que j’arrive pas à dire les choses ; ça pousse ou ça pousse pas c’est tout, et ce qui vient c’est du dégueulis pour me sentir moins lourd après ; je laisse faire, la main griffonne, et quand elle a fini c’est fini ; y’a pas de sens à ça ; j’exprime, j’expurge, j’exgueule, j’excule, j’extrapole, j’explique pas je laisse faire ; même que quand ça veut pas je pousse un peu – parce que c’est pas ma fête quand ça coince ! Là-dedans qu’est-ce que j’ai à y voir ? Que ça aille comme ça peut et qu’on en parle plus. Moi c’est autre chose, moi c’est ailleurs, t’as vu l’avion ? Je suis pour personne – j’ai jamais été pour personne ; j’ai vu, j’ai regardé, j’ai cru voir, j’ai cru être là mais j’y étais pas j’étais ailleurs et ce que j’en dis c’est n’importe quoi par rapport à une vie antérieure, ou à une nuit de rêves !… Une suite de mots qui tombent comme des crachats dans le ruisseau… Un bouquin ça ?
C’est vrai, les mots c’est quoi ? On s’en sert à la tribune, dans les conférences les colloques pour dire des mensonges, à l’Assemblée nationale pour du vent, au lit dans le creux de l’oreille pour dire la tendresse et entre copains un pot pour, pour, pour, quoi ? –
Je leur voyais des charmes fous aux mots, et une ruse diabolique, et des innocences bouleversantes, et aussi de la colle aux fesses et du poil derrière les oreilles et des bites molles… Putain de bordel ces envolées les gars ! … plus de place pour les fines bouches, j’étais en ballon et je survolais le vocabulaire ce peigne-cul que c’est pas demain la veille qui sera en voie de développement comme on dit de nos jours !… J’étais dans une cloche, comme y’en a pas encore dans les abysses de la race – plus anciennes et plus profondes que celles des océans – et je me farcissais de la vision sublime à pas en croire mes coquillards ! des spectacles en cinérama et à portée de langue les secrets de l’univers !… Tout ça au Derby en bouffant une saucisse chaude… Une fois ou deux on a bouffé en haut, un poulet rôti ou truite meunière. Un bon troquet le Derby, à part que des fois t’avais des cons qui venaient semer la zizanie, complètement ronds les louis, et pas toujours des freluquets : je m’y suis fait foutre par terre une fois ou deux par un de ces clampins avinés – mézigue je m’amenais comme un bleu qui sort de sa laitue et vlan, tiens ça jeunot, ça m’encombrait les envies depuis un moment fallait que ça sorte ! – J’ai même failli y laisser du scalp ! mais c’est le petit inconvénient quand on fréquente les bars de nuit !

10/03/2007

La vie d'artiste...

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collage de Maryvonne Lequellec

C’est à l’aune de la hauteur du tas de manuscrits refusés que l’on voit l’auteur enragé. Dès les premiers refus, les prétentieux rentrent à la niche et stoppent toute velléité de plumitif. Seuls les plus teigneux continuent d’étaler leurs production pendant cinq, dix, quinze ans. Recousus, rafistolés sur toutes les coutures, de leurs manuscrits plus une seule phrase n’est identique au texte du départ. Qu’importe ils s’accrochent, s’acharnent, en espérant qu’un seigneur de la cellulose daignera leur accorder un peu d’attention.
Mon travail était remis en cause par des gens dont je soupçonne l’existence suffisamment terne pour ne pas être racontable même par un génie. Leur histoire ne réussirait pas à remplir un chapitre. À peine trois pages lâches, pas même une trame de mauvaise nouvelle. Ces types n'auront connu de la vie que la voie royale, du berceau au bac à sable, des études brillantes au poste confortable de directeur littéraire. Pas foutu de pondre un articulet qui ne soit un summum de poncifs. Pas capable d'écrire une lettre personnelle pour répondre par la négative, trop faux derche, taux de testostérone pas assez élevé. J'ai récolté suffisamment de leurs correspondances au style insipide pour en tapisser un mur. Ils sont vissés à leur siège éjectable et le savent bien, alors ils publient du consensuel mais pas de l'original. Ils veulent des noms vendus d'avance, pas du talent inconnu trop difficile à fourguer. De l'histoire facile et joliment écrite qui ne dérange pas dans les chaumières. De l'académique, mais pas du sanguinaire quartier de bœuf, à la manière de Soutine. Comme si la façon dont je raconte la chaîne pouvait être trop monotone. Le brave homme n’y est jamais allé à l’usine. Il n’a pas connu la monotonie de la chaîne. Il l’a ressenti jusque dans le cœur du texte et il me dit : c’est monotone. Comment ne pas perdre son sang froid, ai je essayé de me justifier ? Il faut se contenter d'une apparition sur scène contrôlée et dosée à l'infinitésimal. La nuance, le pastel, le non dit, le entre les lignes. Mais surtout ne pas déranger l’estomac du lecteur qu’il est. Il leur faut aussi du convenu, de la référence, pour notre brave directeur littéraire.
Il n’y a que madame Germaine. La très gentille, madame Germaine. Ce n'était pas encore mûr, qu’elle me disait. Je devais passer à autre chose. Elle reconnaissait le talent, bien que ce ne soit pas son genre. Madame Germaine, m’a toujours répondu par une lettre gentille avec beaucoup de compassion et plein de gentils encouragements. Une vraie grande dame charitable avec tout plein de charmants sentiments, madame Germaine. Et elle me répétait toujours la même chose. Cette femme devait être bonne comme du bon pain blanc ou de la miche de Noël, ce n’est pas possible autrement. Aujourd’hui on s’écrirait encore, si ça se trouve. Elle m'a encouragé mais ne m’a pas publié : elle a eu la mauvaise idée de mourir entre temps, madame Germaine.
C’est sûr, j’étais fait pour l’écriture. Mais ce n’était pas assez bien écrit pour elle. Je n’ai jamais su si madame Germaine préférait des gaufrettes ou des boudoirs avec son Darjeeling. Bien gentille, quand même. Je ne lui en veux de m’avoir laissé là, au milieu du gué alors que je ne savais pas encore où aller. Beaucoup de politesses, de délicatesses, de bonnes intentions pour rien.
Elle n’est pas la seule qui m’ait refusé et qui ne soit plus de cette galaxie. Combien d’éditeurs qui ont eu ce manuscrit entre les mains en faillite ? De directeurs littéraires à la rue ? C’est une compensation minime qui n’est pas rassurante pour autant.