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06/11/2007

la vie aux indes (7)

Photos: Bénédicte Mercier

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Le train poussif avançait péniblement, tiré par une locomotive diesel en zigzaguant sur les rails tortueux qui s’élançaient entre les plantations de thé. Dans une vallée large et ensoleillée le convoi grimpait dans ces paysages qui semblaient peignés et sagement taillés par un jardinier scrupuleux dans lesquels s’y enfoncent des allées. Pas un arbrisseau n’est plus haut que l’autre. Impeccablement. De loin cela dessine un puzzle verdoyant entre les pièces duquel se faufilent les ouvrières qui partent récolter les feuilles de thé. Parfois, ça et là, dans le paysage percent des villages verts ou bleus, de terre battue et couvertes de tuiles ou de tôles de zinc qui se reflètent comme des plaques d’argent. Accrochées à flanc de colline, les maisons sont serrées les unes contre les autres pour économiser le terrain. Ces villages aux maisons de poupées ponctuent de leur présence cette épaisse moquette végétale dans laquelle parfois des drapeaux rouges marqués de la faucille et du marteau font des points comme des perles de sang dans cette immense étendue verdoyante. Tout le paysage court sur ces monts dodus d’où émergent quelques grands arbres qui étendent des branches pour donner un semblant d’ombre. Des troncs montent d’un jet au ciel. Droits et noirs avec des branches aux feuillages éparses.

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Dans la gare attendait une locomotive à vapeur qui crachait déjà son nuage blanc et le conducteur actionna le sifflet. On aurait pu croire à un modèle réduit. Changement de motrice, nous voilà après une longue demi-heure, attelés à cette nouvelle machine qui siffle, peste et avance en grimaçant sur ses rails. Deux trains par jour sur cette ligne construite au début du siècle dernier par les anglais qui allaient se mettre au frais en altitude, en attendant la mousson.
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Temps modernes obligent la montée s’effectue au diesel la descente au charbon. Le convoi s’ébranle lentement. Quand nous abordons la descente les freineurs installés sur les plateformes à l’extérieur des wagons, un à chaque extrémité, tournent la manivelle en laiton brillant de leurs freins pour contenir l’accélération lors de la descente du convoi. On dirait un être vivant. Le dragon crache ses escarbilles et des petits feux s’allument ça et là le long de la voie. Souvent des débuts d’incendie ont noircis le bord des rails. Le petit train avançait lentement malgré la descente. Passer de deux mille à trois cent mètres d’altitude, sur une distance de trente kilomètres, rend l’exercice périlleux.
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A l’arrêt d’une gare entourée de hauts arbres, où visiblement sous les frondaisons à l’abri de la lumière on cultive le cardamome, des bandes de singes encadrés de vieux mâles aux babines retroussées montrent leurs crocs. Des femelles flanquées de jeunes grimpés sur le dos surgissent et courent après le train. Ces agiles soudards regardent à l’intérieur des wagons prêts à chaparder tout ce qui passe à leur portée.

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Ces petits humains ont le tour des yeux plus blanc que le reste du pelage, comme s’ils étaient maquillés ce qui leur donne un regard si expressif qu’on dirait qu’ils vous dévisagent avec presque autant d’intensité qu’un mendiant qui attend en souriant son aumône. Le cul posé à même la pierre, excités à la vue de la nourriture, les impudiques exhibent des sexes turgescents sortis de leurs fourreaux. Des femelles s’approchent plus prés encore des wagons. Un gros mâle monte sur le toit, tandis qu’un autre s’installe entre les deux wagons à la place désertée par le freineur parti boire un thé massala au buffet de la gare miniature. Sur le ballast, les macaques attendent près des hommes qui boivent et mangent des samosas debout au buffet. Leurs silhouettes font comme si d’étranges chiens s’étaient mélangés à une troupe d’humains. Ils gardent une distance de sécurité, bien qu’ils sachent ne pas craindre pour leur vie.
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Soudain, des cris dans un des wagons. Un de ces mâles s’est emparé du biberon qui dépassait d’un sac et nonchalamment presque avec agilité, il a rejoint la frondaison d’un acacia flamboyant, mordant la tétine pour mieux disposer de ses mains afin de pouvoir escalader le tronc. Arrivé sur une branche où il se sentait en sécurité, narguant le public des humains, il a arraché la tétine et a bu lentement le lait. Fier de son forfait, il provoquait l’assistance des voyageurs incrédules par tant d’audace d’intelligence. Le soudard semblait rigoler de ce bon tour joué aux humains. Quand il a eu fini de boire le lait qui lui dégoulinait de chaque côté des babines, il a laissé tomber le biberon qui ne l’intéressait plus. On se serait attendu à le voir roter d’aise.

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Suspendu à des pentes abruptes, traversant des gouffres vertigineux, maintenus dans le vide par des ponts aux piles antédiluviennes, passant sous des tunnels qui rabattent la fumée de mauvais charbon à l’intérieur des wagons dépourvus de fenêtre, le convoi avance. Vous tentez de vous protéger le nez avec un bout de kleenex usagé qui erre au fond d’une poche de votre saharienne et vous manquerez de vous asphyxier. Le convoi trahi toutes les lois de la physique. Il ne chute pas, ne se renverse pas. La chenille avance lentement sur ces fils ténus que sont ces deux rails dans une végétation qui devient de plus en plus tropicale avec la descente.

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