30/09/2007
la vie aux indes (6)
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Photo Bénédicte Mercier
Photo Bénédicte Mercier
Ces mains qui sortaient de nulle part, émergeaient de ce mur de chair loqueteuse, comme si des cadavres se levaient de terre pour m’accaparer. D’un geste brusque, je me suis dégagé de l’étreinte maladive du mendiant et, d’une bourrade, je l’ai envoyé bouler. Il tomba à la renverse et ne bougea plus, il semblait mort. Les autres m’insultaient, me maudissaient et levaient leurs cannes en me poursuivant. Et je tentais de fuir en courant. Mais rien n’y faisait, je perdais pied comme retenu prisonnier par ce sol gluant. Pour fuir je les frappais d’un coup de bâton pris sur le passage à un policier. Et comme un dératé je courais, poursuivi par ces hordes de monstres.
Combien en ai-je tué, en les achevant d’un coup de gourdin derrière la nuque pour abréger leurs souffrances ou la mienne, en imaginant la leur. Leurs corps tordus me faisait si mal, leurs yeux hagards, brûlants de folie me heurtaient de plein fouet. Comment ont-ils pu survivre malgré tant de misères, de douleurs, d’abnégation. Il me semblait que si j’étais dans la même situation, j’aurais choisi de m’enfuir par la mer, de me laisser engloutir mais que jamais ma dignité n’aurait accepté une telle soumission. Et je savais que je me mentait. Je me savais identique aux autres humains, capables de tous les compromis pour arriver à mes fins, pourvu que je perdure dans ce foutoir. Et se penser par compassion à leur place m’effrayait autant que le spectacle de leurs moignons en guise de mains, de leurs pieds sans doigts, de leurs visages si laids aux faces creusées par la lèpre de leurs pansements sales sur leurs membres sectionnés. Comment supporter une telle vision sans s’écrouler. La lèpre leur a fait fondre le visage comme celui d’un grand brûlé et leur a rongé les cartilages, leur laissant un groin à la place du nez, une bouche de macchabée sans lèvres. Quand je les ai regardé, un haut-le-coeur m’a soulevé le ventre. Pourtant ils semblaient si heureux de me voir qu’ils joignirent leurs membres et me saluèrent à la manière indienne. Comment rendre un autre sourire au leur, qui me parurent si paisible, si doux. Ils m’observaient étrangement. Ils savent lire sur le visage la peur qu’ils inspirent et tentent de rassurer, d’apprivoiser. Pourquoi ne pas avoir fuit avant qu’ils n’arrivent jusqu’à moi et que leur regard ne me transperce ? Un fil m’a retenu auprès d’eux. Une étrange compassion a anéanti toutes mes certitudes sur l’existence. Ces êtres ne sont pas des singes mais des humains, ou ce qu’il en reste. Et cette laideur est fascinante d’étrangeté, car aucun regard ne m’a jamais semblé plus humain, plus doux, plus paisible, plus soumis à la loi de la pourriture de l’existence.
Et quand je me suis réveillé trempé de sueur, j’ai su que ce cauchemar n’en était pas un. La chance d’être passé à côté de toute cette misère m’a semblé si infime que le souffle du boulet m’en hébétait encore. J’étais bien en Inde et les pâles du ventilateur qui semblaient tourner à une vitesse accélérée étaient bien réelles.
Combien en ai-je tué, en les achevant d’un coup de gourdin derrière la nuque pour abréger leurs souffrances ou la mienne, en imaginant la leur. Leurs corps tordus me faisait si mal, leurs yeux hagards, brûlants de folie me heurtaient de plein fouet. Comment ont-ils pu survivre malgré tant de misères, de douleurs, d’abnégation. Il me semblait que si j’étais dans la même situation, j’aurais choisi de m’enfuir par la mer, de me laisser engloutir mais que jamais ma dignité n’aurait accepté une telle soumission. Et je savais que je me mentait. Je me savais identique aux autres humains, capables de tous les compromis pour arriver à mes fins, pourvu que je perdure dans ce foutoir. Et se penser par compassion à leur place m’effrayait autant que le spectacle de leurs moignons en guise de mains, de leurs pieds sans doigts, de leurs visages si laids aux faces creusées par la lèpre de leurs pansements sales sur leurs membres sectionnés. Comment supporter une telle vision sans s’écrouler. La lèpre leur a fait fondre le visage comme celui d’un grand brûlé et leur a rongé les cartilages, leur laissant un groin à la place du nez, une bouche de macchabée sans lèvres. Quand je les ai regardé, un haut-le-coeur m’a soulevé le ventre. Pourtant ils semblaient si heureux de me voir qu’ils joignirent leurs membres et me saluèrent à la manière indienne. Comment rendre un autre sourire au leur, qui me parurent si paisible, si doux. Ils m’observaient étrangement. Ils savent lire sur le visage la peur qu’ils inspirent et tentent de rassurer, d’apprivoiser. Pourquoi ne pas avoir fuit avant qu’ils n’arrivent jusqu’à moi et que leur regard ne me transperce ? Un fil m’a retenu auprès d’eux. Une étrange compassion a anéanti toutes mes certitudes sur l’existence. Ces êtres ne sont pas des singes mais des humains, ou ce qu’il en reste. Et cette laideur est fascinante d’étrangeté, car aucun regard ne m’a jamais semblé plus humain, plus doux, plus paisible, plus soumis à la loi de la pourriture de l’existence.
Et quand je me suis réveillé trempé de sueur, j’ai su que ce cauchemar n’en était pas un. La chance d’être passé à côté de toute cette misère m’a semblé si infime que le souffle du boulet m’en hébétait encore. J’étais bien en Inde et les pâles du ventilateur qui semblaient tourner à une vitesse accélérée étaient bien réelles.
19:14 Publié dans carnets de voyages | Lien permanent | Commentaires (0)
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