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08/12/2008

Walden ou la vie dans les bois.....

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portrait de Henry David Thoreau


Traduction française de Louis Fabulet

Quand j'écrivis les pages suivantes, ou plutôt quand j'en écrivis le principal, je vivais seul dans les bois, à un mille de tout voisinage, dans une maison que j'avais bâtie moi-même, au bord de l'Étang de Walden, à Concord, Massachusetts, et je ne devais ma vie qu'au travail de mes mains. J'habitai là deux ans et deux mois. A présent me voici pour une fois encore de passage dans le monde civilisé.

Je n'imposerais pas de la sorte mes affaires à l'attention du lecteur si mon genre de vie n'avait été, de la part de mes concitoyens, l'objet d'enquêtes fort minutieuses, que d'aucuns diraient impertinentes, mais que, loin de prendre pour telles, je juge, vu les circonstances, très naturelles et tout aussi pertinentes. Les uns ont demandé ce que j'avais à manger; si je ne me sentais pas solitaire; si je n'avais pas peur; etc., etc. D'autres se sont montrés curieux d'apprendre quelle part de mon revenu je consacrais aux oeuvres charitables; et certains, chargés de famille, combien d'enfants pauvres je soutenais. Je prierai donc ceux de mes lecteurs qui ne s'intéressent point à moi particulièrement de me pardonner si j'entreprends de répondre dans ce livre à quelques-unes de ces questions. Dans la plupart des livres il est fait omission du Je, ou première personne; en celui-ci le Je se verra retenu; c'est, au regard de l'égotisme, tout ce qui fait la différence. Nous oublions ordinairement qu'en somme c'est toujours la première personne qui parle. Je ne m'étendrais pas tant sur moi-même s'il était quelqu'un d'autre que je connusse aussi bien. Malheureusement, je me vois réduit à ce thème par la pauvreté de mon savoir. Qui plus est, pour ma part, je revendique de tout écrivain, tôt ou tard, le récit simple et sincère de sa propre vie, et non pas simplement ce qu'il a entendu raconter de la vie des autres hommes; tel le récit que, par exemple, il enverrait aux siens d'un pays lointain; car s'il a mené une vie sincère, ce doit, selon moi, avoir été en un pays lointain. Peut-être ces pages s'adressent-elles plus particulièrement aux étudiants pauvres. Quant au reste de mes lecteurs, ils en prendront telle part qui leur revient. J'espère que nul, en passant l'habit, n'en fera craquer les coutures, car il se peut prouver d'un bon usage pour celui auquel il ira.

L'existence que mènent en général les hommes est une existence de tranquille désespoir. Ce que l'on appelle résignation n'est autre chose que du désespoir confirmé. De la cité désespérée vous passez dans la campagne désespérée, et c'est avec le courage de la loutre et du rat musqué qu'il vous faut vous consoler. Il n'est pas jusqu'à ce qu'on appelle les jeux et divertissements de l'espèce humaine qui ne recouvre un désespoir stéréotypé quoique inconscient. Nul plaisir en eux, car celui-ci vient après le travail. Mais c'est un signe de sagesse que de ne pas faire de choses désespérées.

Si l'on considère ce qui, pour employer les termes du catéchisme, est la fin principale de l'homme, et ce que sont les véritables besoins et moyens de l'existence, il semble que ce soit de préférence à tout autre que les hommes, après mûre réflexion, aient choisi leur mode ordinaire de vivre. Toutefois ils croient honnêtement que nul choix ne leur est laissé. Mais les natures alertes et saines ne perdent pas de vue que le soleil s'est levé clair. Il n'est jamais trop tard pour renoncer à nos préjugés. Nulle façon de penser ou d'agir, si ancienne soit-elle, ne saurait être acceptée sans preuve. Ce que chacun répète en écho ou passe sous silence comme vrai aujourd'hui, peut demain se révéler mensonge, simple fumée de l'opinion, que d'aucuns avaient prise pour le nuage appelé à répandre sur les champs une pluie fertilisante. Ce que les vieilles gens disent que vous ne pouvez faire, vous vous apercevez, en l'essayant, que vous le pouvez fort bien. Aux vieilles gens les vieux gestes, aux nouveaux venus les gestes nouveaux. Les vieilles gens ne savaient peut-être pas suffisamment, jadis, aller chercher du combustible pour faire marcher le feu; les nouveaux venus mettent un peu de bois sec sous un pot, et les voilà emportés autour du globe avec la vitesse des oiseaux, de façon à tuer les vieilles gens, comme on dit. L'âge n'est pas mieux qualifié, à peine l'est-il autant, pour donner des leçons, que la jeunesse, car il n'a pas autant profité qu'il a perdu. On peut à la rigueur se demander si l'homme le plus sage a appris au cours de sa vie quelque chose qui ait une réelle valeur. Pratiquement les vieux n'ont pas de conseil important à donner aux jeunes, tant a été partiale leur propre expérience, tant leur existence a été une triste erreur, pour de particuliers motifs, suivant ce qu'ils doivent croire; et il se peut qu'il leur soit resté quelque foi capable de démentir cette expérience, seulement ils sont moins jeunes qu'ils n'étaient. Voilà une trentaine d'années que j'habite cette planète, et je suis encore à entendre de la bouche de mes aînés le premier mot d'un conseil précieux, sinon sérieux. Ils ne m'ont rien dit, et, probablement, ne peuvent rien me dire à propos. Ici la vie, champ d'expérience de grande étendue, inexploré par moi; mais il ne me sert de rien qu'ils l'aient exploré. Si j'ai fait quelque découverte que je juge de valeur, je suis sûr, à la réflexion, que mes mentors ne m'en ont soufflé mot.

Certain fermier me déclare : « On ne saurait vivre uniquement de végétaux, car ce n'est pas cela qui vous fait des os »; sur quoi le voici qui, religieusement, consacre une partie de sa journée à soutenir sa thèse avec la matière première des os; marchant tout le temps qu'il parle, derrière ses boeufs, qui, grâce à des os faits de végétaux, vont le cahotant, lui et sa lourde charrue, à travers tous les obstacles. Il est des choses réellement nécessaires à la vie dans certains milieux, les plus impuissants et les plus malades, qui, dans d'autres, sont uniquement de luxe, et dans d'autres encore, totalement inconnues.

Il semble à d'aucuns que le territoire de la vie humaine ait été en entier parcouru par leurs prédécesseurs, monts et vaux tout ensemble, et qu'il n'est rien à quoi l'on n'ait pris garde. Suivant Evelyn, « le sage Salomon prescrivit des ordonnances relatives même à la distance des arbres; et les préteurs romains ont déterminé le nombre de fois qu'il est permis, sans violation de propriété, d'aller sur la terre de son voisin ramasser les glands qui y tombent, ainsi que la part qui revient à ce voisin ». Hippocrate a été jusqu'à laisser des instructions sur la façon dont nous devrions nous couper les ongles : c'est-à-dire au niveau des doigts, ni plus courts ni plus longs. Nul doute que la lassitude et l'ennui mêmes qui se flattent d'avoir épuisé toutes les ressources et les joies de la vie soient aussi vieux qu'Adam. Mais on n'a jamais pris les mesures de capacité de l'homme; et on ne saurait, suivant nuls précédents, juger de ce qu'il peut faire, si peu on a tenté. Quels qu'aient été jusqu'ici tes insuccès, « ne pleure pas, mon enfant, car où donc est celui qui te désignera la partie restée inachevée de ton oeuvre? »

***

Biographie en résumé
Écrivain américain. Disciple de Ralph Waldo Emerson, il "fut un non-conformiste résolu. Après avoir vécu seul dans une cabane au bord d'un étang dans les bois, Thoreau publia Walden, récit de cette expérience, dans lequel il prêche la résistance aux diktats de la société organisée. Ses écrits expriment la tendance à l'individualisme fortement enracinée dans l'âme américaine" (Portrait des USA. Chapitre 10." L'Amérique et les arts" (Service d'information du Département d'État américain).
Dans son essai La désobéissance civile ( Civil Desobedience, 1849) Thoreau proclame son hostilité au gouvernement américain, qui tolère l’esclavagisme et mène une guerre de conquête au Mexique. « Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave. (…) Je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d’autant plus impérieux que ce n’est pas notre pays qui est envahi, mais que c’est nous l’envahisseur. » L’essai eut une grande influence sur le Mahatma Gandhi et sur Martin Luther King.

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31/10/2007

Petite leçon basique d'anatomie par Ballouhey...

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19/07/2007

Coordination des éditeurs indépendants

Chers amis,
vous avez été plus de 7 000 à signer la pétition initiée par l'Atelier du Gué éditeur en faveur des tarifs postaux et pour la libre circulation des idées, et nous vous remercions de votre confiance.

La presse a été alertée, et les réactions favorables se confirment.

La coordination responsable de la pétition va remettre la pétition aux ministères de la Culture, mais également à celui de l'Industrie, ministère tutélaire de La Poste.
De nombreux députés sont intervenus, de toutes sensibilités, par oral ou écrit, auprès du gouvernement précédent et de l'actuel.

En septembre prochain, au moment où la pétition sera remise aux ministères concernés, aura lieu la renégociation du Contrat de Plan entre La Poste et l'Etat, qui définit les missions de service public de l'entreprise.

Nous avons besoin de vous.

Vous disposez en pièce jointe d'un modèle de lettre type, qu'il vous suffit de recopier, signer et envoyer à votre député ou à vos élus locaux, afin de les sensibiliser à la question.
Pour trouver l’adresse et le nom du député de votre circonscription pour pouvez vous rendre sur : assemblée nationale en cliquant ici

Nous poursuivons auprès de la presse et des institutions, avec beaucoup de détermination le travail de sensibilisation, et nous vous remercions de votre action.

Bien à vous tous,

La coordination des indépendants du livre.

Pour tout renseignement complémentaire : laposte@lekti-ecriture.com




Modéle de lettre



Mr. Ou Mme
Adresse postale :


Tél.

Le 20 juillet 2007



Madame, Monsieur,

En février 2007, l’Atelier du Gué, éditeur, suivi bientôt d’une coordination, a initié une pétition en faveur de la mise en place de tarifs postaux spécifiques appliqués à l’objet livre, comme il en existe dans la plupart des pays européens.

En effet, les tarifs postaux actuels par leur coût excessif remettent en question la diffusion des éditeurs, et par voie de conséquence, la pérennité de l’édition indépendante, entravent le droit à l’expression, réduisent l’économie du livre et affaiblissent la démocratie.

La pétition a été signée par plus de 7000 citoyens et acteurs du livre, démontrant ainsi la prégnance des inquiétudes exprimées par les éditeurs indépendants et leurs lecteurs.

Nous vous demandons par la présente lettre, et au vu des documents ci-joints, de bien vouloir agir, en tant qu’élu, comme certains de vos collègues qui l’ont déjà, et de relayer auprès du gouvernement, par une question écrite ou orale, cette pétition et les revendications qu’elle porte.

Dans l’attente d’une réponse favorable de votre part, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

(signature)

Ci joint le texte de la pétition



Soutien aux éditeurs indépendants et aux revues littéraires - Pour la libre circulation des idées

Pétition de l’Atelier du Gué



La Poste est un des outils privilégiés de diffusion des livres et revues littéraires des éditeurs indépendants, auprès des libraires, des bibliothèques et du public.
Or, les transformations de La Poste, l'abandon des tarifs particuliers ou intermédiaires, la libéralisation des services, les fermetures de bureaux, mettent aujourd'hui leur existence en danger. Ceci porte préjudice aux écrivains, à la création littéraire, aux éditeurs, aux libraires, aux lecteurs, comme à toute la chaîne du livre (graphiste, photographe, imprimeur...).
Des tarifs postaux abusifs, la réduction programmée à l'accès des tarifs "presse" par de nouvelles contraintes administratives, l'abandon des tarifs réduits ("coliéco" "sacs postaux de librairies"... le refus de La Poste d'appliquer le tarif "livres et brochures" sur le territoire national), etc... remettent en question la pérennité de l'édition indépendante, et par voie de conséquence, entravent le droit d'expression, réduisent l'économie du livre et affaiblissent la démocratie.

Des centaines de petites structures éditoriales sont aujourd'hui contraintes à réduire ou à cesser leur activité.

Les soussignés s'inquiètent de cette situation et demandent à l'Etat, aux ministères concernés et à la direction de l'entreprise publique La Poste de créer un tarif préférentiel pour les livres et les revues (indépendamment, pour celles-ci, de l'attribution, ou non, d'un numéro de commission paritaire), afin de garantir pour demain la diversité culturelle et la libre circulation des idées.

21/03/2007

Aide aux artistes dans le besoin

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03/03/2007

Du monde littéraire

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Collage: Maryvonne Lequellec

Ce texte est extrait de Putain d'Etoile paru en 2003.

J’ai écrit par dépit, pour me servir une meilleure part de gâteau, avec un casting choisi, des éclairages et un script maîtrisés. Dans la réalité, tout fout le camp, en tous sens, sans prise sur le cours des jours. J’ai gaspillé mon temps à chercher un sens, perdu souvent la raison, noyé mes illusions, pour m'apercevoir que tout ça est dérisoirement inutile.
En contemplatif j’ai cru pouvoir m'inventer une emprise sur la réalité, voire la supplanter avec un stylo. Arrive le moment de trouver un éditeur pour ce paquet d’inepties et c’est à ce moment quelle revient au galop ; la grande réalité...
Je le confirme, je suis bon à rien, mais prêt à sortir le grand jeu pour réussir. Mettre des talons aiguilles, des collants résilles, une perruque. Faire la folle, accepter toutes les fantaisies, les vices, les coups tordus, le knout, la cravache et j'en passe. J'étais prêt à tout. Tout. Tout. Pourvu qu'on me publie. Malheureusement, j'ignorais avec qui je devais passer mes week-ends. Personne ne m'a jamais présenté l'ogresse des auteurs. Je ne suis pas regardant, ni dégoûté, pourvu qu'on m’imprime. Il faut déjà avoir des relations pour s'en faire d’autres. Je me serais contenté d'une simple place de treizième couteau, dans une boucherie de quartier.
Si j'avais eu l’embryon d’une réponse positive d'un éditeur, j'aurais au moins eu une raison de m'entêter, de me bastonner avec ce roman. Mais là, rien… Quelques lettres, que j'ai soupçonnées être des modèles du genre, me sont parvenues. Je résume: entre deux genres, propos justes, force dans la description, saura toucher le lecteur, mais, vu la conjoncture, nous ne pouvons pas vous publier.
Ecrire pour empiler des feuilles ne sert à rien. Alors on balance son manuscrit en désespoir de cause, au petit bonheur la chance, à un éditeur dont on croit que c'est le métier, le sacerdoce, la profession de foi, « Le Livre ». À les écouter, du livre en voici, du livre en voilà, mais ils s'en tamponnent le coquillard. Du blé par-ci, de la fraîche par-là, passez la monnaie, de l'oseille en paquet. Pas vu je t'embrouille. Je m'énerve, c'est plus fort que moi ! Quand je parle de ces gens, je deviens atrabileux, désagréable, et il ne faut pas me chauffer longtemps.
En attendant, il faut bien survivre. Deux éléments essentiels à sauvegarder, manger et écrire. Le reste n'est que luxe, voire même luxure. Avoir un travail à côté m'a toujours sauvé la mise. Une saleté de boulot de pue-la-sueur, qui m'a rempli la bedaine, en attendant la gloire ou une autre fadaise…
Quand disparaît la magie de l'écriture, arrive l'ennui, terrible et mélancolique, qui rend atone toute journée, indépendamment des événements. Pas le moindre goût à baguenauder, pas même pour la bagatelle. Ça ressemble à un électroencéphalogramme plat. On sent se liquéfier l'intérieur. Les quelques neurones disponibles sont victimes de tétanie. Dans un état indéfinissable, on se momifie vivant. Traîner du lit au frigo, ouvrir un yaourt, fumer une cigarette, siroter une canette pour essayer de dissiper ce brouillard intense qui persiste devant les yeux. Rien n'attire l'attention. Rien n'est acceptable. On se croirait sur le Chemin des dames, en plein hiver, quand le vent descendu de Russie fouaille les rares arbres. Le ciel résonne du coassement des corbeaux, seuls êtres vivants en ces lieux. Ils attendent qu'une rafale de shrapnels vienne vous arracher la tripaille pour festoyer.
Si vous n'avez jamais mis les pieds dans ces endroits qui portent encore des traces abominables de l'histoire, un jour de frimas en janvier… Allez-y, vous comprendrez mon allusion. Il faut avoir vécu là-bas, pour appréhender le moral d'un type qui n’a plus de prise sur rien et ne travaille pas à l'inspiration. Évidemment, une âme bien pensante dira que la lecture peut compenser ce mal à vivre. Certes... Mais l'ersatz est médiocre. J’ai plus souvent trouvé de littérature dans la rubrique des faits divers de La Dépêche Libérée que dans une ambiance décrite par un plumitif pré-pubère. Le quotidien, il faut se le coltiner, au ras des fraises, quand on a décidé de s’attaquer au naturalisme. C’est la seule école pour ce genre-là. Dans ce jeu-là il faut souvent passer par la case prison, et surtout ne pas avoir la prétention de pondre des pages pour la postérité. Peu m’en chaut d’avoir des lecteurs quand je ne respirerais plus cet oxygène. Ici et maintenant, vite et bien. Désolé si l’image du poète romantique prend un coup de manche de pioche derrière la nuque…
Avec le froid, la vie quitte le corps en commençant par le bout des doigts. Les membres se recroquevillent et deviennent des appendices superflus, du bois mort… La tête se rétrécit à la taille d'un œuf et s'alourdit au point de vouloir exploser. Tout est indécent. Les mots prononcés contre cette malédiction n'y font rien. On reste persuadé qu'on aurait dû en finir au moment où tout s'écroulait. Il ne faudrait pas survivre aux instants de bonheur et en profiter pour partir aux fraises la paix dans l'âme. Devenir transparent lorsqu’on atteint la perfection... Un soulagement envahit. Enfin il n'y a plus rien à perdre, ou à prouver. Le cerveau saturé se déconnecte. Le corps ressent une douleur irradiante qui confisque les poumons, le cœur, la gorge, le bas du dos, excite les tripes et coupe en deux. À quoi bon faire le niais et donner dans la grimace ? J'aurais voulu que tout s'arrête là. Que la boule m’échappe et dégringole en bas de la colline.
J'ai eu l'adresse de la maison d'édition au hasard d'une revue de poésie imprimée en ronéo baveuse sur du papier qui peluchait, avec une couverture en kraft et des agrafes rouillées. J'ai encore envoyé le manuscrit, comme on jette un coup de pied dans la première poubelle qui passe à portée. Et alors que je n'y croyais plus, une lettre m'est arrivée. Le directeur littéraire m'accusait d'avoir commis un crime de jeunesse. Il m'en voulait de n'avoir pas réussi à dégager la substantifique moelle. Selon lui, toute la matière était là, mais empesée, engluée, mal fagotée. Je devais dégraisser et jeter des chapitres entiers muscler tout ça en soulevant le poids des mots. J'ai bien été obligé de convenir de la précipitation, par manque d’expérience. Je m'étais contenté du minimum, alors que je prétendais frapper la cible au cœur. Ma fierté en a été écornée. Il avait raison le bougre. Pour atteindre mon objectif j’avais besoin d’un minimum de recul et de lucidité.
Je pouvais consentir à quelques sacrifices sans que le sujet n'en soit dénaturé. Une matière dense, on ne peut pas l'altérer, même en supprimant des phrases, des paragraphes, des chapitres. Ils sont tous contenus en un seul. Le noyau dur, au fond de l'abîme.
Rien à dire, le zouave avait foutrement raison. Je ne sais pas pourquoi mais je me sentais en confiance avec lui. Sans fioriture, à la hussarde, sans circonvolution, il était allé droit au but... Probablement les salamalecs manquaient, mais cela avait le mérite d'être clair, précis, net et sans bavure. Trop mou là! Trop direct là! Virer les deux tiers! Ça irait bien mieux ainsi. Emploi catastrophique des virgules, accord des temps déplorable. Recomposer les trois quarts ! Il sentait que l’électricité passait, malgré tous les défauts de branchement. Au final, il me publierait.
Le dernier mot méritait que je m'y arrête. Puisqu’il allait me publier, j’étais prêt à subir tous ses vices… Je courberais l’échine j’obéirais au doigt et à la botte, je lui lécherais les mains, les pieds, j’en ferais des tonnes… Car personne d'autre avant lui n'avait daigné jeter un seul regard sur mon prurit verbeux...
Si je me méfiais des états d'âme de tous les banquiers de l'encre, lui m'inspirait le respect. Il ne tirait de son travail que son rachitique salaire. Pas comme ces bouffeurs de papier. Il payait de sa personne, lui. En vrai assistant il aidait les parturientes de mon genre condamnées à accoucher leurs textes en beuglant et ça l’amusait. Ce type avare de sourire, au regard franc et pas trop patibulaire, en connaissait un rayon sur le métier. Je n'étais pas le premier dans le genre ni le dernier qu'il avait publié. À l'en croire, j'avais de la chance. Je n'étais pas en train de pourrir au fond d'une geôle pour de sombres raisons politiques. De quoi je me plaignais ? Il m'énervait avec sa critique cinglante et sa dent dure. Mais je savais qu'il avait raison, entièrement raison, totalement raison.
Il fallait simplifier pour dominer parfaitement le sujet. Devenir un acrobate de la phrase, un trapéziste de la formule et ne pas s'engluer dans des figures absconses. Je pensais avoir dompté la façon, mais il m'infirmait et il me fallait l'accepter. J’avais l'impression que la proie allait m'échapper sans que j’en ai goûté la saveur. Pas assez fine, la mouture ne dégageait pas totalement son parfum dans le breuvage. À l'aveugle, dans le vide et sans les mains, je devais me jeter à l'eau. Avec lui, j'en ai bavé. J'ai dit souvent, amen. Et comme un vicieux j'en ai redemandé. Et ça l'amusait. Et j'en aurais accepté encore plus, parce que c'était ça ou crever.
Ma théorie sur l’intemporalité n'avait pas produit l'admiration, loin de là. Trop alambiquée à son goût mon concept de chronologie à l'orientale, de scénario à tiroirs. Pas assez maîtrisé. Je devais le comprendre de moi-même ou à l'usure.
Je me suis vissé au bureau, qu'il fasse soleil ou que la montagne soit recouverte de neige. Rien dans l'existence n'avait autant d'intérêt que ces feuilles. Ma vie dépendait d'elles. J'ai ramassé toutes mes forces dans le seul but d’attraper au moins une érection dans ce grand lupanar littéraire et pouvoir miser une seconde fois. Je devais acquérir la rigueur qui me faisait défaut. Quelle foutaise… J'étais jeune, pas bien démoulé, pas assez tordu et je me déroulais le grand cinéma.
En jardinier, je taillais d'un petit coup sec la phrase encombrée. Elle se redressait. Les adjectifs intempestifs, les répétitions inutiles allaient choir dans la sciure. Poussé par le seul désir d’être publier, couper dans la matière devenait un acte rituel. Cela a pris du temps. Pendant des semaines, des mois, essorer chaque phrase, la soupeser, la tâter, la comparer. Je lui ai retourné le manuscrit langé, pouponné, sans cataplasme inutile, ni branli-branla de poète mal inspiré, comme il me l’avait demandé...
Couvert de ratures, des bouts de feuilles recollées, le paquet de feuilles ressemblait à une copie de film muet qui aurait séjourné dans une malle humide. Seul un masochiste se serait esquinté les yeux sur un tel torchon. Il m'a obligé à tout retaper et je l’ai fait...
Il pensait, qu'en resserrant encore quelques boulons on obtiendrait un résultat plus probant. Il suffisait de s'y remettre. Cela en valait la peine. Pour la énième fois j’ai encore trifouillé dans le capot. J'avais, à mon insu, gagné en densité. Un peu comme si j’avais réduit des confitures en pâte de fruits
J'avais toute la vie pour moi. J'écrivais pour ne plus avoir l'impression d'une existence inutile. À qui d'autre raconter mes salades? Avec deux doigts et la régularité d'un métronome, le tic-tac des touches emplissait mes journées libres. Page à page j'avançais. La ramette diminuait. Il l'a relu. Il restait encore quelques broutilles, mais le ravalement avait eu lieu. Il en convenait enfin.
Seulement il n'avait plus la fonction qui lui aurait permis de me publier, éjecté de son poste pour de sombres raisons financières. Triste époque. Il me publierait c'est sûr: mais quand? Chez qui? Il cherchait une autre crêmerie. Il me donnerait des tuyaux. Il ne fallait pas désespérer et soumettre à d'autres le manuscrit. Il n'était pas le seul éditeur dans ce foutu pays. Je n'en doutais pas un instant. Aussi, plutôt que de perdre mon temps à écrire des fadaises que personne ne lirait jamais, j'ai rangé hors de ma vue le tas de feuilles dans un placard, pour en être définitivement débarrassé.
Faute de mieux, j'ai décidé de pratiquer l’onanisme et de me faire si possible sévèrement plaisir. Écrire pour écrire. Balancer toute la sauce. Faire gicler les contraintes. Culbuter ces bigoteries du langage prononcées avec coquetterie, la lèvre en cul de poule. Le bon mot où s'épanouit la beauté de l'esprit. À la tronçonneuse et à la dynamite, oui… Du viol de langue, en iconoclaste voyou. Pourquoi se retenir?
Défroquer le verbe, empaler la phrase, cracher la formule, éructer l’adjectif, roter à l’aise et se promener avec les roubignolles à l’air. Puisque c’est râpé pour la gloire et mal barré pour l’Académie, que le casse-croûte est plus qu’aléatoire, pourquoi se compromettre avec ces tyrannies?
N’attendre rien de personne procure une certaine liberté. Se foutre de la contrainte grammairienne, des lois de la syntaxe, de celles du marché et de ses margoulins. Le jus de quotidien est bien plus truculent que tous ces styles qui reniflent le « à la manière de »… Niaiseries et fadaises cousues de fil blanc pour pisse copie et bas bleus. Du jazz, du blues, de l’acide, mais pas de la littérature, encore moins de poésie. Regardez comme j’écris bien ! Alors elles arrivent ces médailles ? Comme ils sont intelligents les beaux premiers des meilleures ventes… Je préfère l’honnêteté du cirque. Une seule pirouette ratée et le trapéziste va avec ses côtes tâter la sciure. Pas comme ces gigolos qui s’en sortent en étalant leur culture…
Pas étonnant que le brave directeur littéraire ne comprenne rien au bruit des ateliers, à la monotonie du travail sur machine, aux odeurs de solvants, d’encre, de colle, de papier, à la fatigue, à la sueur. Le brave homme a-t-il déjà ressenti l’excitation quand démarrent les rotatives et le plaisir d’avoir fini un travail. Retranché dans son bureau, il n’a jamais roulé que sur la voie royale et pense que son intellect va lui permettre d’éclairer son jugement. Sérieux, notre homme croit aux valeurs du système, comme à une assurance qui le protégerait du néant de l’existence. Il se raccroche comme il peut au bastingage par peur des requins. Pitoyable Pierrot nyctalope, juste bon à finir cloué sur une porte. Cet homme n’est qu’un pioupiou, un simple dé pipé, dans ce grand business. Les lettres de refus qu’il écrit sont dictées uniquement par le banquier de service au blaser impeccable, avec rangers au pieds et parabellum à la ceinture. Le galonné du commerce, c’est lui le grand clown à la chemise brune, le prescripteur de la soupe, l’Auguste qui dicte tout le tintouin.
Notre directeur littéraire avec ses lunettes en écailles, ses vestes en cachemire, tweed, ou laine de vigogne n’est là que pour la façade. Les auteurs sont des êtres si sensibles qu’ils ne peuvent entendre le discours de la raison économique supérieure. Il tient la méthode des camps d’extermination où on diffusait la musique aux victimes pour les rassurer sur leur avenir. Dans ces bouges, les charmantes potiches à l’entrée assurent le décorum, car chez les éditeurs il n’y a pas encore de gorilles comme dans les grandes surfaces. Un magasin sans pitbulls à l’entrée ne peut pas être sérieux. Rien à tirer. Quel illuminé attenterait au dernier manuscrit du philosophe à la mode. Même la concurrence ne s’y intéresse pas, et malgré ça l’Auguste de ce grand cirque se fait du pognon. L’apparence est sauve. Nous sommes entre gens qui savent lire, n’est-ce pas ?

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18/01/2007

Le primitivogonopénien

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Ainsi appelé il se développe chez le sujet borgne. L’infection se loge dans la cavité orbitale vide et atteint rapidement le cerveau. On a vu chez certains sujets souffrant de cette infection que le cerveau secrète une matière qui dégage une odeur pestilencielle et présente un aspect proche de la soupe de potiron fermentée. Ce virus à tendance à faire voir le monde en noir et blanc au sujet, lequel organise dans la partie de son cerveau encore saine ses relations en deux parties bien distinctes et dispose d’un côté les bons et de l’autre les méchants -représentée par l'inconnu ou toutes différences qui deviennent alors incompréhensibles au sujet .
Le sujet vocifère, éructe et prétend avoir des solutions efficaces pour toutes choses. Il ne supporte que la musique cadencée, la couleur vert-de-gris et les chants simples. On remarque chez le patient une tendance à utiliser plus que chez tout autre sujet la forme du plus que parfais du subjonctif. Nous avons constaté que pour dire il aurait fallu que je le sache, une autres tournure de phrase qui peut donner à croire que l’individu à de l’humour, ce qui n’est pas le cas…
Ce virus sous son aspect terminal pousse le patient à vouloir découper ses voisins à la machette, car ce virus est un dérivé de la branche rwandaise déjà identifiée sur les grands gorilles.
Nous conseillons comme prophylaxie de ne pas fréquenter les patients atteints de cette infection.

La rédaction tient à remercier Léonardo pour le prêt de ses dessins.
Ecouter un morceau de Erik Satie

14/01/2007

Le Cervicanévulgus

Ainsi nommé, car il porte sur sa face antérieure une protubérance qui à cette particularité de ressembler à des cornes de cervidés.
Ce patient présente les symptomes suivants: il bave, se replie sur lui et prétend être le dernier des cocus. Dans ses accès de crise que la démence s'apparente à ce qu'on nomme la monoxyde de gamie inférieure.
Ce patient présente la particularité d'avoir eu durant toute sa vie le même trajet pour se rendre d'un point à un autre à heure fixe et cela matin midi et soir, d'avoir entretenu des relations sexuelles normales et non excessivement prolifique avec une patiente femelle de son choix et cela durant toute sa vie.
Pendant ces crises de conscience suraiguë, laps de temps très court où les neurones ne sont pas soumis à la pression hiérarchique, l'homme en général s'arrache les cheveux et se lamente. Puis il maudit le monde entier et se mord forcément les avant-bras. Cette forme avancée se retrouve le plus souvent chez le sujet âgé qui a travaillé toute sa carrière dans l'administration.
Il faut choisir ce moment pour lui asséner un coup de manche de pioche derrière le crâne juste sur le niveau de l'occiput. Pour l'occire n'hésitez à frapper très fort. Un seul coup devrait suffir.
Chez les patients atteints par la forme chronique il faut frapper à plusieurs reprises pour bien s’assurer que mort s'ensuive. Certains confrères n’hésitent pas à utiliser la barre à mine. Ce que je préconise pour être sûr de parvenir à ses fins dès le premier coup si on veut éradiquer cette maladie.
Il faut se débarrasser des pansements, de tout le matériel médical ainsi que du patient dans les bennes prévues à cet effet.


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Léonardo a bien voulu me prêter un de ses dessins, qu'il en soit ici remercié....