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05/01/2007

Les enfants de la balle

Cette année-là, en début de semaine, sans cahiers ni cartables, les cheveux longs et sales, trois bohémiens sont arrivés à l'école. Personne n'avait voulu se mettre à côté d'eux. N'ayant pas de voisin puisque je dissipais tout le monde, j'en avais récupéré un. Les deux autres étaient restés ensemble dans mon dos, près du poêle. Le maître aurait aimé que les grands leur fassent une place, mais ils ne voulaient pas attraper de maladies. Les gosses du cirque connaissaient par cœur tous les animaux du chocolat Poulain. Les tablettes renfermaient une photo surprise d'un animal qu'il fallait coller sur une carte dans un livre. En dehors des ouvrages scolaires je ne possédais que ce livre. Chocolat, mon copain, me l'avait donné en échange d'un lance-pierres taillé dans une vieille chambre à air de bicyclette. Il n'avait jamais vu de fronde si grosse. Il était tout noir. Le premier jour, on refusait de croire que c'était réellement sa couleur. Le maître nous a donné un cours sur les étrangers parce qu’il ne passait pas beaucoup de monde par ici. Les gens qui s'y installaient étaient encore plus rares. Toute la population de ce trou était pâle, ou violette, alors un Noir!
Les trois gosses ne sont restés qu'une semaine. Le dimanche, la place de l'église à la sortie de la messe était nette. Ils avaient enfoncé les piquets du chapiteau dans le goudron. En échange d'un lapin prêt à cuire, il m'ont donné des bons de réduction pour le spectacle. D'autres leur avaient apporté du bois de chauffage qu'ils avaient entassé sous la roulotte, là où leur chien dormait et aboyait à notre approche. D'autres encore avaient échangé des légumes, des œufs, du lait.
Mon voisin de classe causait peu, il avait un accent de Marseille très prononcé et il donnait un numéro d'écuyer. La représentation a eu lieu le vendredi. Depuis le début de la semaine, le village était divisé entre pro et anti-cirque. L'épicière prétendait que c'était un scandale d'avoir laissé les gitans, comme elle les appelait, esquinter le goudron tout neuf avec leurs piquets. Elle se méfiait de ces gens-là qui volent les enfants pour les vendre dans des cirques qui partent à l'étranger. Elle me prévenait que, s'il arrivait malheur, elle tenait la Mère pour responsable de mon destin. Je rêvais de me faire enlever. Je désirais devenir clown ou trapéziste. Le spectacle a eu lieu sans incident. Je m'étais tellement bien débrouillé, que j'ai eu droit à plusieurs coupons de réduction. Même si le Père n'avait pas voulu y aller, il ne pouvait prétendre nous en empêcher. Cet argent, je l'avais gagné. J'ai échangé ma poignée de coupons contre trois places gratuites.
Le lundi, l'école sans mon copain m'a semblé encore plus triste. J'imaginais des endroits fantastiques où la troupe s'était arrêtée.

Ce texte est extrait de: Un enfant de coeur éditions EDDIF