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10/03/2007

La vie d'artiste...

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collage de Maryvonne Lequellec

C’est à l’aune de la hauteur du tas de manuscrits refusés que l’on voit l’auteur enragé. Dès les premiers refus, les prétentieux rentrent à la niche et stoppent toute velléité de plumitif. Seuls les plus teigneux continuent d’étaler leurs production pendant cinq, dix, quinze ans. Recousus, rafistolés sur toutes les coutures, de leurs manuscrits plus une seule phrase n’est identique au texte du départ. Qu’importe ils s’accrochent, s’acharnent, en espérant qu’un seigneur de la cellulose daignera leur accorder un peu d’attention.
Mon travail était remis en cause par des gens dont je soupçonne l’existence suffisamment terne pour ne pas être racontable même par un génie. Leur histoire ne réussirait pas à remplir un chapitre. À peine trois pages lâches, pas même une trame de mauvaise nouvelle. Ces types n'auront connu de la vie que la voie royale, du berceau au bac à sable, des études brillantes au poste confortable de directeur littéraire. Pas foutu de pondre un articulet qui ne soit un summum de poncifs. Pas capable d'écrire une lettre personnelle pour répondre par la négative, trop faux derche, taux de testostérone pas assez élevé. J'ai récolté suffisamment de leurs correspondances au style insipide pour en tapisser un mur. Ils sont vissés à leur siège éjectable et le savent bien, alors ils publient du consensuel mais pas de l'original. Ils veulent des noms vendus d'avance, pas du talent inconnu trop difficile à fourguer. De l'histoire facile et joliment écrite qui ne dérange pas dans les chaumières. De l'académique, mais pas du sanguinaire quartier de bœuf, à la manière de Soutine. Comme si la façon dont je raconte la chaîne pouvait être trop monotone. Le brave homme n’y est jamais allé à l’usine. Il n’a pas connu la monotonie de la chaîne. Il l’a ressenti jusque dans le cœur du texte et il me dit : c’est monotone. Comment ne pas perdre son sang froid, ai je essayé de me justifier ? Il faut se contenter d'une apparition sur scène contrôlée et dosée à l'infinitésimal. La nuance, le pastel, le non dit, le entre les lignes. Mais surtout ne pas déranger l’estomac du lecteur qu’il est. Il leur faut aussi du convenu, de la référence, pour notre brave directeur littéraire.
Il n’y a que madame Germaine. La très gentille, madame Germaine. Ce n'était pas encore mûr, qu’elle me disait. Je devais passer à autre chose. Elle reconnaissait le talent, bien que ce ne soit pas son genre. Madame Germaine, m’a toujours répondu par une lettre gentille avec beaucoup de compassion et plein de gentils encouragements. Une vraie grande dame charitable avec tout plein de charmants sentiments, madame Germaine. Et elle me répétait toujours la même chose. Cette femme devait être bonne comme du bon pain blanc ou de la miche de Noël, ce n’est pas possible autrement. Aujourd’hui on s’écrirait encore, si ça se trouve. Elle m'a encouragé mais ne m’a pas publié : elle a eu la mauvaise idée de mourir entre temps, madame Germaine.
C’est sûr, j’étais fait pour l’écriture. Mais ce n’était pas assez bien écrit pour elle. Je n’ai jamais su si madame Germaine préférait des gaufrettes ou des boudoirs avec son Darjeeling. Bien gentille, quand même. Je ne lui en veux de m’avoir laissé là, au milieu du gué alors que je ne savais pas encore où aller. Beaucoup de politesses, de délicatesses, de bonnes intentions pour rien.
Elle n’est pas la seule qui m’ait refusé et qui ne soit plus de cette galaxie. Combien d’éditeurs qui ont eu ce manuscrit entre les mains en faillite ? De directeurs littéraires à la rue ? C’est une compensation minime qui n’est pas rassurante pour autant.

Commentaires

J'applaudis des deux mains.
Franchement. C'est à la fois parfaitement révolté, impeccablement écrit et succulent.
Franchement, je... enfin franchement, j'applaudis. Et puis je m'éclipse, en me promettant d'y repasser.
Amicalement,
F.

Écrit par : Franswa P. | 12/03/2007

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