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21/07/2007

Tous les Hommes naissent libres et égaux, sauf eux....

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Appellons-le Ahmed... Non, Mamadou !
Ce pourrait être aussi Angeline... Ils ont des voix magnifiques, ce sont des artistes connus ou inconnus, et respectés dans leur pays.
L'organisateur d'un festival en Bretagne? ou en Lorraine? l'a invité(e) pour une fête du printemps de ce côté-ci du globe.Un producteur a organise pour lui(elle), une tournee en Europe.

Tout est prêt : toutes les pièces administratives ont été fournies: permis et contrats de travail, les billets d'avion achetés .
Mais Mamadou ? ou Angeline ? ne viennent pas. Nous ne les entendrons pas. On ne leur a pas délivré de visa. Pourquoi ? Parce que le droit du travail, le Ministère de la Culture, l'ambassadeur, la police des frontières même - ne comptent pas devant le pouvoir des Ministères de l'Intérieur./ Immigration/Identite Nationale
Il faut savoir en effet que dans chaque consulat un fonctionnaire de ces Ministères a le dernier mot sur toute entrée en France et en Europe.
Or ces incidents sont de plus en plus fréquents. Ils pèsent sur toutes les programmations qui impliquent un ou des artistes venus de pays non européens.

Nous, professionnels et publics, nous subissons de plus en plus souvent l'arbitraire de décisions non motivées, contraires aux engagements professionnels, aux politiques d'échange culturel des collectivités territoriales, aux décisions de différents services de l'état (subventions des Ministères de la Culture, des Affaires Etrangères...).
Nous avons le devoir de faire connaître au plus grand nombre cette situation : les refus de visa, les blocages administratifs de dernière minute, les retenues en centre de rétention et les retours manu militari dans leur pays que subissent, comme leurs compatriotes, un nombre de plus en plus grand d'artistes des pays non-UE.

Nous aimons les musiques du monde entier, nous aimerions entendre la voix d'un poète du sud, nous voudrions offrir l'hospitalité, quelques semaines, à une troupe de théâtre, à des plasticiens, à des danseurs venus d'Asie, d'Afrique, d'Europe de l'est, d'Amérique latine, nous désirons travailler avec eux...
Et nous croyons que nous pouvons les entendre, les voir : quelques-uns d'entre eux sont à l'affiche. Mais cette diversité est illusoire.
Nous constatons que ces pratiques policières, discriminatoires, illogiques, polluent la mise en oeuvre des projets artistiques et aboutissent à une forme de censure insidieuse car intégrée par les programmateurs, artistes, tutelles...
Et nous sommes alarmés par l'annonce d'une politique d'immigration sélective, uniquement inscrite dans une logique d'exploitation des pauvres par les riches, bien loin de l'aide au développement (y compris culturel) que de nombreux pays réclament à juste titre.

C'est pourquoi nous nous sommes solidairement et délibérément réunis au sein du collectif "Schengen Opéra" pour faire connaître ces faits et appeler toutes les personnes et tous les collectifs qui se sentent concernés à signer notre appel.

Nous appelons toutes les personnes, les partis politiques, les institutions internationales, les représentations professionnelles, les organisations non gouvernementales, les médias, tous concernés, à demander avec nous :

- le respect par l'administration des règles existantes ;
- la clarification et l'harmonisation à l'échelle européenne des règles d'attribution des visas aux artistes non-U.E. ;
- l'arrêt immédiat des "reconduites à la frontière" instantanées pour des artistes non-UE qui sont pourtant porteurs de contrats d'engagement avec un employeur culturel de notre continent ;
- la mise en place d'urgence, avec tous les services des États concernés, de plates-formes de discussion ouvertes, visant à la soumission aux parlements nationaux et européen de réglementations transparentes, négociées, démocratiques.

La liberté de circuler des artistes est une liberté fondamentale

signer la petition SCHENGEN OPERA en cliquant ici


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L'illustration est de Yves Budin qui vient de publier aux carnets du dessert de lune Visions of Miles

19/07/2007

Coordination des éditeurs indépendants

Chers amis,
vous avez été plus de 7 000 à signer la pétition initiée par l'Atelier du Gué éditeur en faveur des tarifs postaux et pour la libre circulation des idées, et nous vous remercions de votre confiance.

La presse a été alertée, et les réactions favorables se confirment.

La coordination responsable de la pétition va remettre la pétition aux ministères de la Culture, mais également à celui de l'Industrie, ministère tutélaire de La Poste.
De nombreux députés sont intervenus, de toutes sensibilités, par oral ou écrit, auprès du gouvernement précédent et de l'actuel.

En septembre prochain, au moment où la pétition sera remise aux ministères concernés, aura lieu la renégociation du Contrat de Plan entre La Poste et l'Etat, qui définit les missions de service public de l'entreprise.

Nous avons besoin de vous.

Vous disposez en pièce jointe d'un modèle de lettre type, qu'il vous suffit de recopier, signer et envoyer à votre député ou à vos élus locaux, afin de les sensibiliser à la question.
Pour trouver l’adresse et le nom du député de votre circonscription pour pouvez vous rendre sur : assemblée nationale en cliquant ici

Nous poursuivons auprès de la presse et des institutions, avec beaucoup de détermination le travail de sensibilisation, et nous vous remercions de votre action.

Bien à vous tous,

La coordination des indépendants du livre.

Pour tout renseignement complémentaire : laposte@lekti-ecriture.com




Modéle de lettre



Mr. Ou Mme
Adresse postale :


Tél.

Le 20 juillet 2007



Madame, Monsieur,

En février 2007, l’Atelier du Gué, éditeur, suivi bientôt d’une coordination, a initié une pétition en faveur de la mise en place de tarifs postaux spécifiques appliqués à l’objet livre, comme il en existe dans la plupart des pays européens.

En effet, les tarifs postaux actuels par leur coût excessif remettent en question la diffusion des éditeurs, et par voie de conséquence, la pérennité de l’édition indépendante, entravent le droit à l’expression, réduisent l’économie du livre et affaiblissent la démocratie.

La pétition a été signée par plus de 7000 citoyens et acteurs du livre, démontrant ainsi la prégnance des inquiétudes exprimées par les éditeurs indépendants et leurs lecteurs.

Nous vous demandons par la présente lettre, et au vu des documents ci-joints, de bien vouloir agir, en tant qu’élu, comme certains de vos collègues qui l’ont déjà, et de relayer auprès du gouvernement, par une question écrite ou orale, cette pétition et les revendications qu’elle porte.

Dans l’attente d’une réponse favorable de votre part, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

(signature)

Ci joint le texte de la pétition



Soutien aux éditeurs indépendants et aux revues littéraires - Pour la libre circulation des idées

Pétition de l’Atelier du Gué



La Poste est un des outils privilégiés de diffusion des livres et revues littéraires des éditeurs indépendants, auprès des libraires, des bibliothèques et du public.
Or, les transformations de La Poste, l'abandon des tarifs particuliers ou intermédiaires, la libéralisation des services, les fermetures de bureaux, mettent aujourd'hui leur existence en danger. Ceci porte préjudice aux écrivains, à la création littéraire, aux éditeurs, aux libraires, aux lecteurs, comme à toute la chaîne du livre (graphiste, photographe, imprimeur...).
Des tarifs postaux abusifs, la réduction programmée à l'accès des tarifs "presse" par de nouvelles contraintes administratives, l'abandon des tarifs réduits ("coliéco" "sacs postaux de librairies"... le refus de La Poste d'appliquer le tarif "livres et brochures" sur le territoire national), etc... remettent en question la pérennité de l'édition indépendante, et par voie de conséquence, entravent le droit d'expression, réduisent l'économie du livre et affaiblissent la démocratie.

Des centaines de petites structures éditoriales sont aujourd'hui contraintes à réduire ou à cesser leur activité.

Les soussignés s'inquiètent de cette situation et demandent à l'Etat, aux ministères concernés et à la direction de l'entreprise publique La Poste de créer un tarif préférentiel pour les livres et les revues (indépendamment, pour celles-ci, de l'attribution, ou non, d'un numéro de commission paritaire), afin de garantir pour demain la diversité culturelle et la libre circulation des idées.

Les Crobards de Malnuit (2)

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L'illustration est de Yves Budin qui vient de publier aux carnets du dessert de lune Visions of Miles



Mèze Malnuit

Un soir on se baladait à Montparnasse – la nuit était claire et froide, on se les gelait un peu, les terrasses couvertes étaient noires de monde, et on était partis à discuter, pas question de poursuivre sous des cloches pareilles sauf en gueulant comme des abrutis, pas l’envie – Chaf me dit :
- Je t’emmène au Falstaff
- C’est quoi ?
- Un bistrot tu verras. Rien d’extraordinaire mais on est tranquille, c’est un peu fermé.
C’était juste à deux pas , au début d’une petite rue grimpante.
En effet, on était assis douillettement à gauche de l’entrée. Je me souviens que c’était assez chaleureux, comme le décor – ou plutôt je voyais le décor à travers la discussion et il y avait une chaleur amicale qu’il n’avait pas forcément -. On buvait des alcools pleureurs – c’est à dire que les verres pleuraient, sans doute d’avoir trouvé l’âme sœur... C’est merveilleux deux âmes sœurs qui se rencontrent. Si je me sentais bavard je pondrais bien quelques pages là-dessus, peut-être même sur un alcool content aux larmes du verre où on l’a mis. – au bout d’un moment j’aperçois – merde c’est pas vrai, mais si c’est bien lui – et alors – t’occupe pas c’est rien – c’est vite dit ! – chuis pas sûr de bien voir, je dois être un peu rond – t’excuse pas, accouche –
Beckett, j’te l’donne en mille !
Ça te fait peut-être rien mais moi ça me... j’en suis gaga...
Chaf comprenait quedale, tout d’un coup j’étais blême, ou rose, et les tempes me battaient comme des peaux de zèbre. Un effort intense pour ne pas exulter, mais vraiment – Peut-être même que ça ne se voyait pas tellement, je ne sais pas pourquoi, je voulais garder ça secret. Je ne pouvais pas oublier Chaf, je n’avais pas le droit, et en même temps je ne devais pas me priver. De quoi ? De l’occasion qui se présentait ?
Est-ce que j’osais aller vers lui ? Non... Faire quoi... Pourtant j’y étais projeté, aspiré, un appel d’air formidable qui me décollait du siège où je n’étais plus pour personne sans en bouger d’un poil. Cloué, figé, et muet, tout en continuant de parler pour dire à Chaf que c’était Beckett qui est là-bas ce vieux tout gris et sec comme une trique là-bas au fond, tu le vois ?
Je lui expliquais que c’était un type extraordinaire, peut-être le plus grand écrivain vivant, oui y a pas de doute, incontestablement bordel, un type sensationnel, un mort vivant, au sens qu’il est au plus près du point limite où la vie a encore le dessus, la preuve l’homme existe bel et bien il est là devant nos yeux – point à partir duquel toute vie cesse et on se décompose, en témoigner encore, à ce point-là écrire, c’est phénoménal, inconcevable, affolant...
Je ne sais pas ce que je dirais, peu de choses en fait, mais intérieurement j’étais bouleversé et les mots me venaient en masse, tels qu’ils sortaient de la bouche d’ombre, ce trou sans lèvres qu’on a dans l’esprit... qui est l’esprit ? c’était même pas des mots c’était de la sensation pure, fallait à tout prix que ça cesse sinon je ne répondais plus de rien...
J’exagère ? Je me le demande honnêtement...
Bien sûr il ne s’est rien passé ; je suis resté là et j’ai vu.
La vieille l’appelait « ce vieux Sam ». Le vieux opinait souvent de la tête. Et lui, Beckett, il se la prenait à deux mains la tête, et la pétrissait comme glaise, la malaxait, doigts à moitié repliés pour que les ongles grattent grattent grattent grattent cette écorce emmerdante le crâne, ce récipient fêlé, CE TROU qui veut passer pour autre chose il y tient, à se demander pourquoi vraiment je ne fais que ça depuis deux mille ans, me gratter la tête, creuser ce trou, je crois savoir mais je n’ose pas dire, pourquoi, alors j’écris, c’est pour ça que j’écris, et – tiens je n’ai pas fini mon verre

Pour la prose c’était mon chouchou, je parle d’un maître à écrire.
Kierkegaard m’impressionnait terrible... Un type fabuleux. Mais un esprit, pas un modèle.
Beckett et Michaux.
Mais je ne veux pas laisser entendre qu’écrire c’était une activité séparée ! C’était une façon de faire, ou d’être, comme boire des pots, causer, faire l’amour. Une façon de faire l’amour. Une autre façon de penser, de dire aussi, et de voir le soleil se lever, monter, puis décliner, la nuit descendre et s’installer, jusqu’à ce que le soleil se lève... Une façon de vivre, sans que ça soit autrement estimable.
Beckett se servait des cailloux (Molloy) et autres babioles pour y coller plus fort, à la vie ; la vie impossible ; l’esprit écrabouillé par la pesanteur de l’absence (quelle absence ?) ; le vide et les tonnes, à supporter jour après jour ; on se décompose, on croule, on fait du sable, du sable d’os...
(J’avais torché Ou bien Ou bien quand j’ai eu cette série d’angines. J’avais gratté mon premier texte en prose, ça se voulait un bouquin, 200 pages, 17 jours d’écriture en pyjama, un bon souvenir). (Mais non, j’étais encore au bahut, puisqu’un prof l’avait su, celui qui nous lisait Michaux, Le grand combat, en postillonnant sur les premiers rangs – Il avait dit « Bravo, mais un bouquin ne signifie pas grand chose, c’est au deuxième que tout commence » - Je l’avais revu une fois dans le train que je prenais pour aller aux Arts, et on avait parlé du Château de Kafka. Postillonnait toujours autant, et cette fois j’étais à portée, hou là !)
y a toutes les choses à dire : afin qu’on les oublie ! Je traîne avec moi une ménagerie d’étrangers qu’un temps chacun j’ai pris pour mon reflet : peintres, auteurs et poètes, hommes de pratiques et d’idéal, et d’autres : personnes connues, sans œuvres que leur comportement, leurs phrases aussi, et toujours des passions, plus ou moins admirables, plus faciles qu’admirables, et finalement encombrantes. Un tas de merde.
Je sens qu’on écrit pour faire le vide, et on l’atteint rarement. Prédestination ?...Beckett écrit pour trouver l’os sous la barbaque, le sel au cœur de la matière. L’âme ?... Une grande brasserie de rien – comme si rien était quelque chose de vivant, plus vivant que tout le reste et comme auteur de ce reste...
Je m’entends penser que j’aimerais dire ce qui se passe (voulais dire se pense) sans aucun souci de la suite. Du pied, le mien, qui fait du pied au pied de la table où je suis assis pour écrire, pour fermer les yeux au décor (toujours le traverser, bêtise. Et illusion) on fait le symbole facile d’une inépuisable et épuisante solitude (Et pourtant j’écris à quelqu’un. On n’est jamais seul).
Je pensais que « mon visage, mon vrai visage, est celui que tu vois quand je ne suis pas là ».
Et la petite qui me disait : « Mèze, si je peux parler 5 minutes avec toi, je boufferai un champ de luzerne, après ». j’ai pris ma verge entre les dents et je l’ai avalée. C’est trop simple.

18/07/2007

Les Crobards de Malnuit

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Les illustrations sont de Yves Budin qui vient de publier aux carnets du dessert de lune Visions of Miles


La seule montre que j’ai jamais eue, je l’ai portée quinze jours. Cadeau qu’on m’avait fait pour mes 20 ans. Le temps était venu d’y faire attention, au temps. Mais on dirait qu’à ce temps montré j’accordais un coup d’œil méfiant, et que je lui préférais de toujours un temps caché plus véridique.
Si j’avais un talent de scribe proportionné au temps que j’ai passé à l’introspection, je pourrais raconter toute ma vie à partir de cette montre, comme si son absence à mon poignet en donnait le sens – différent des aiguilles d’icelle.
Est-ce qu’une montre a jamais empêché quelqu’un d’être étonné qu’il soit si tard, ou qu’il fasse encore jour, ou qu’il soit l’heure de manger et qu’il n’ait pas faim ?
Les montres c’est tic tac et toc. Pas comme le temps dont elles ont le souci, qui lui n’a guère souci d’elles ! S’il se laisse enfermer dans ces niaises petites boîtes, c’est pour mieux filer du coton à l’anglaise avec ses amoureux transitoires et gloire à Dieu au plus haut des cieux qui a su épater tout son monde en créant la Terre en 6 jours seulement !
Dans sa prodigalité il songeait avant tout à ces grise mines de théologiens à qui fallait bien donner de quoi passer le temps sans être obligé de se reconvertir. Time is money c’est américain, et les américains c’était pas prévu. Ils se vengeront : ils ont mis les premiers le pied sur la lune - Armstrong. (Son homonyme l’avait déjà mis, et au-delà, depuis belle lurette, mais il est vrai que c’était un nègre, comme qui dirait que ça comptait pas. Il vient de mourir, en laissant derrière lui une flopée de soucoupes volantes que ceux qui ont des yeux pour ne pas entendre croient voir flotter dans le ciel en ces jours bien sombres quand la nuit est claire) – en attendant de Lui mettre leur poing dans la gueule peut-être !... Alors, ils entendrons soudain la trompette de Louis, leur surdité cessant et leur cécité c’est sûr ils en verront l’or, ouf !
Quand je dis les ricains, on a compris que je parle d’une mentalité dont les ravages dans l’espace-temps qu’elle exploite n’ont d’égal que sa nullité. (C’est ce que pense grossièrement l’ermite Albéric Troducq, que je vais consulter épisodiquement parce qu’il a la vue basse et l’humour pesant – pas confondre avec Albert Ducrocq, que j’ai pas besoin de consulter pour connaître ses pensées, lesquelles m’affligent aussi profondément que sa vue est élevée, pouah.)
Donc je disais que j’ai le poignet aussi nu qu’un ver. De montre point, ni par conséquent d’horaires, pas de risques d’être en retard à mes rendez-vous, et quand la vie en société m’impose d’être exact, je m’arrange : j’entre dans le premier bistrot boire un coup et j’en profite pour jeter un œil à l’inévitable cadran.
D’ailleurs je saurais pas dire comment je m’y prends, ça m’est naturel. Je chie quand j’ai besoin et j’évite comme je peux d’être puni pour ça. Non mais si j’ai parlé de cette montre c’est que ça pourrait être amusant de démontrer ce qui en découle, rapport aux formations et déformations de mon caractère...*
Le temps et moi on fait ça sans mouchards. Si les flics me suspectent un jour, à la question rituelle « Que faisiez-vous dans la nuit du 17 au 18 ? » je me mettrai à cafouiller et je donnerai ma langue au chat. Faut pas.
Quand une époque ou une date s’inscrit en chiffre dans ma mémoire, c’est qu’elle a sa raison, tant mieux tant pis : tant mieux si je peux m’en servir, tant pis si elle me dessert. Quand je pense que le mec Rimbaud pondait ses trucs illuminés à 16 ans ? 18 ans ? (vérifier) et qu’au même âge je pataugeais dans les mots comme c’est pas possible – et pas n’importe lesquels attention, plus c’était abscons et plus je croyais ça bon et pas con et profond.
Mais Rimbaud, ce porc d’ Arthur, ce n’était pas mon modèle, mon modèle c’était Renoir, l’Auguste – Non Renoir c’était fini, c’était Vlaminck – Pas à 18 ans non, à 16 ans, oui c’est ça, à 18 ans c’était personne. J’aimais des peintres parce que je me voulais peintre, la poésie c’était pour rire. J’écrivais tout plein de trucs et de machins, des poèmes quoi, et aussi un journal, tiens où est ce qu’il est passé, ah oui, je l’ai brûlé dans le petit poêle en fonte que j’avais dans ma piaule. Je me souviens que mon père avait eu l’air fâché quand il a su la chose. Tu parles, ça dégageait, on se serait cru chez Vulcain ! – Il m’a dit « Pourquoi t’as fait ça ? » et ses yeux étaient durs, oh pas longtemps, mais ça m’est resté là dans le buffet avec un gros point d’interrogation , parce que vraiment je comprends pas, lui qui ne m’avait jamais paru se soucier de ça, que j’écrivais. – Pour rire et parce que je souffrais ?
Est-ce que je sais maintenant pourquoi j’écris ? – Pourquoi j’écris, c’était pour moi soit disant la question qu’il fallait que je me pose, et aussi « pour qui » et aussi « comment »... Pas moyen d’y échapper ; on ne pouvait pas écrire sans avoir la triple réponse, qui constituait en quelque sorte le « passeport pour l’écriture », m’avait dit monsieur Chépaqui des éditions Julliard. Il était bien intentionné et je l’en remercie, même si à l’époque ça m’avait fait de la peine, ouais, parce que je ne savais pas, déjà, et que je ne voyais dans ces trois questions qu’une sombre hérésie. Ceci dit ce n’était pas bon et fallait peut-être que je travaille un peu la matière avant de prétendre à la publication.
Une idée comme ça qui me vient à l’instant : Et si je ne montrais pas mes textes par peur qu’on me dise « C’est mauvais » ? Outre que je jugeais inaptes à les lire les gens autour de moi, je ne voulais surtout pas risquer de rougir et m’enfuir la queue entre les jambes et mes pages sous le bras. Je m’adressais directement aux éditeurs, qui, eux, étaient censément de bons juges ; s’ils n’aimaient pas, il y avait entre leur dire et moi l’épaisseur du papier où je pouvais à mon tour répondre, me défendre si le cœur m’en disait. J’étais lâche, timide et vaniteux je crois. Je suis resté lâche, faut dire ce qui est, bien que j’aie acquis un certain courage, mais qui n’en a pas pour ce qui lui plaît ? Je suis resté timide, on n’en guérit pas, mais j’ai diversifié mes masques. Enfin je suis plus vaniteux que jamais – au point de désirer ressembler à personne et que chacun me ressemble, afin que je ressemble à tout le monde, tralala –
Je ne voyais vraiment pas comment ce que j’écrivais aurait pu être différent une fois noir sur blanc. Ce qui est écrit était écrit, parole d’évangile. Aussi bien ce que je disais n’avait d’importance que parce que c’était ce que je cherchais à dire, c’est mal dit. Les tâtonnements de la parole, les multiples façons de parler m’intéressaient seules, et non pas les sentences ; une phrase maladroite avait plus de charme et de sens qu’une phrase bien faite, comme en ont les mots d’enfants plutôt que ceux des orateurs – mes tentatives étaient sincères et pleines de tripes et dénuées de ce savoir-faire qu’on me prônait ; faire des progrès c’était mon affaire, et si je ne savais que piétiner c’est que j’étais un piétineur – progrès dans quel sens hé ho hein ?
J’avais sûrement un peu ce désir largement répandu qu’on s’incline sur mon passage, et de préférence admiratif ; mais pas d’étiquette, pas de sceptre, et telle qu’en elle-même ma nature était nue, un désert où le soleil craquait, un rogaton d’êtrumin dans le nœud du Verbe.
Écrire fut sans doute une recette pour me replier, me défaire. Ou plutôt ça l’est devenu, dès que les rimes au bout des phrases sont devenues des machins factices, des casseroles pour faire du bruit. Que j’en savais des choses à cet âge et que c’est long de désapprendre !
Et le jeune dingo téméraire qui s’allonge le cou à ronger ses liens, ça le mène à quoi ? À en chercher d’autres. À croire qu’il lui faut répéter le schéma d’origine. Allez va, téter sa mère y a que ça de vrai.
Laisser les nœuds se faire et se défaire et les eaux stagner ou couler et le soleil envahir la cave, qu’est-ce que ça veut dire et LA PAROLE PARLER !

*Quand j’étais merdeux j’ai passé pas mal de vacances en Suisse où la montre est une industrie nationale et où mes parents sont nés – Ils y ont même vécu toute leur enfance. – Ça a rien à voir ?

17/07/2007

La vie aux indes (3)

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Photos: Bénédicte Mercier

Les trains qui rentrent en gare sont tellement bondés qu’il paraît bien impossible qu’autant de monde puisse tenir dans un espace aussi restreint. Pourtant le miracle à lieu chaque fois que retentit le sifflet, l’ensemble s’ébranle lentement d’abord, puis prend de la vitesse.
Ce qui n’empêche pas les derniers retardataires, de courir en dératé pour réussir à saisir au vol une poignée, un morceaux de grille où s’agripper fortement pour tenter de monter dans le convoi, bien que les portes soient fermées. Si les grilles aux fenêtres interdisent aux resquilleurs de pénétrer dans les wagons, elles interdisent aussi de sortir en cas d’accident. La fenêtre qui n’en possède pas, c’est l’issue de secours. D’agiles jeunes gens ont trouvé refuge sur les toits des wagons. Juchés ainsi ils voyagent. Ayant pour eux la résistance de leur âge, ni La pluie ni le vent ne semblent les déranger.
Celui-là voyagera en plein vent, se tenant comme il le pourra, un seul pied sur le marchepied, car d’autres étaient déjà là avant lui. Il tiendra tant qu’il pourra avant de valdinguer sur le ballast ou de passer sous les roues du convoi. Car il doit bien de temps à autre en tomber quelques-uns pendant le voyage. Mais qu’importe, sur le nombre, cela ne se verra sûrement pas et le train ne s’arrêtera pas. Les corbeaux et autres charognards n’ont qu’à attendre leur pitance le long des voies. C’est bien miracle, si à chaque voyage ils n’ont pas de quoi faire bombance.
Les gares sont le lieu de toutes les transactions. Des caisses des marchandises diverses s’entassent sur les quais. Des sacs en toiles de jute sont empilés. Thé, café, épices ? Une dérisoire bâche plastique bleue les recouvre pour les protéger de la mousson. Un homme une aiguille recourbée à la main en rafistole un, dont la panse menace de répandre le contenu sur le quai. Comment vont-t-il réussir à rentrer toutes ces marchandises dans les seuls wagons destinés à cela dans ce train de voyageurs? Des hommes portent sur leur tête des charges si lourdes qu’elles ont de quoi écraser n’importe qui, sauf eux. Maigres noueux comme des roseaux aux articulations ces portefaix semblent d’une résistance à toute épreuve.

Des vaches qui déambulent entre les humains tentent de manger ce qu’elles peuvent. Elles chapardent dans les provisions des voyageurs et inspectent le contenu des sacs d’une langue pendante. Au passage, elles lâchent quelques bouses qui vont s’éclater sur le ciment du quai. Les vaches vivent là aussi dans cet incroyable enchevêtrement. Ses yeux d’européen ébahis admirent ce capharnaüm si étrange et totalement déroutant. Ailleurs cela serait signe d’anarchie, voire d’émeute, ici tout semble si paisible. Presque bucolique est le tableau de ces vaches au milieu d’une gare et de ses centaines de milliers de passagers... Plus rien n’étonne, ne doit étonner. Si c’est ainsi que cela est, c’est ainsi que cela doit être...
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16/07/2007

la vie aux indes (2)

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Suspendue hors du temps, une vieille maharani vit recluse dans une aile du palais.
Une jeune femme dont la prestance indique la lignée princière, probablement la future héritière des lieux, tient la caisse des entrées. Le touriste est généreusement invité à laisser, en plus du montant de son entrée, une obole pour soutenir la restauration du patrimoine royal. Les voilà devenus à leur tour mendiants pour maintenir en état les ors d’antan. Cruelle revanche de l’histoire. Dans les vitrines, des photos du siècle écoulé partageant l’intimité des têtes couronnées, lors de chasses au tigre à dos d’éléphants. Empaillés des animaux en tous genres: gavial, tigres, lions, sont exposés dans des vitrines poussiéreuses dans un état plus proche du carton pâte dans laquelle se serait logé toute la vermine que de l’état de bête sauvage. Alignés sur les murs des dagues, des épées, des fusils à éléphants de plusieurs pieds de longueur portés sur l’épaule de plusieurs hommes, plus proches du canon que du fusil. Les fastes d’antan réduits à de simples souvenirs, tel est le destin de ces mortels que l’histoire a laissé sur le carreau totalement déplumés. Ces lieux sont hantés, et cela sent terriblement fort les déjections de chauves-souris. Des hordes de singes se sont installées dans les anciennes étables à éléphants et les parties inhabités, ce qui accentue plus encore l’aspect désolant de l’ensemble. Grimpés dans les branches d’un banyan ils narguent et menacent de leurs puissants crocs celui qui tenterait de s’aventurer sur leur territoire. Ils sont ici chez eux et le font bruyamment savoir.


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15/07/2007

Ici Même (4)

Les peintures sont de Dorothy Napangardi pour retrouver son travail Cliquez ici

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Gitane, regarde au creux de la main,
La valse des volutes bleues où se joue le destin
Et prédis-moi, des tempêtes, des soifs de rocs
En attendant des horizons nouveaux, au bout du quai.

J'ai cherché le vent en essayant de garder le cap,
Le sexe tendu en direction des néons somnambules.
Dans ce marigot où la nuit donne ses concerts
De sirènes faméliques, ses bagarres entre ivrognes.

Dans les éléments contraires, sur ce radeau,
Certains sont devenus fous, d'autres ont péri,
Quelques-uns ont survécu, aucun n'a prétendu y être
Lorsque est revenu l’apaisement.

Cigarette pour survivre au romantisme des visages
Avides de ces presque rien inventés pour continuer.
Cernés par l'existence trop lourde et la faim de vivre,
où l’on se consume sans remords aucun.

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Depuis l'âge de la nuit nous venions ici.
Sur les pierres tendres, des noms, des formes.
Dans un coin, l’empreinte des corps.

A même le sol s'y retrouvaient les amants.
Terre luisante dûe à la sueur et aux frottements des peaux
Au plaisir marqué par la semence qui a coulé sur le sol.

Dans cette grotte, nous avons découvert
L’émotion pure des corps emmêlés et sans l'avoir su,
Compris que nous n'appartiendrons plus à ce monde.

Sans retour possible plus rien ne fait peur.
Des plaisirs, des liens secrets,
Là où les autres enfants jouaient.

Te savoir vivante sans la souillure du possible me suffit.
J'imagine ces instants couronnés d'étoiles et de parfums.
Dans nos festins imperturbables, vivons apaisés
Quand l'amour s'éteint, atteint par tant de heurts.

Malgré confusion et silence,
Pareil à un poisson rouge dans un bocal
Hissons avec légèreté le drapeau de l’ignorance
Puisque les savoirs ne se laissent pas apprivoiser.

Glissons dans cette peau, d'un bout à l'autre du monde,
Avec l’empreinte d'éternité des vieux vêtements.
Nos morts veillent ensemble pour nous donner sens.
Retournés dans leurs croyances ils inventent l'inconnu.

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Bouleverser l'enchevêtrement des poutres par une métaphore du rien.
Vivre d'arrogance et avoir comme secours au passé, la désobéissance et un grain amer de café.
Nostalgie de ces années d'enfance incroyable, de voyages dans le possible.
Comment entrevoir la nudité des pénitents sans le romantisme du danger et les bourrelets violets des cicatrices sous les doigts.

La laideur épuise autant que la légèreté.

Traverser des ports, aimer les fleurs, le chant des oiseaux, saluer des poissons rouges.
Rien n'est moins fier que le lierre des anges sur les arbres.
Un matin d'été un cargo glisse au milieu des champs parmi les vaches noires et blanches.
Des quidams ébahis applaudissent un cortège qui glisse sur l'asphalte toutes sirènes affolées.


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Un basque qui joue de la musique aborigène


Si vous avez le goût pour les choses étranges, comme un mélange de flamenco/musique aborigène, voila une bonne adresse.
Quand je l'ai entendu jouer sa musique, face à l'océan sur le port de San Sébastian, j'ai tout de suite pensé à Gaston Lagaffe. Je ne sais pas pourquoi....
NIKOLA IBAN seul ou avec son groupe Samar le morceau Cuatro a déguster seul ou accompagné le morceau Maroko assez étonnant aussi. du ragga/reggae/aborigène c'est pas mal non plus à condition d'être totalement iconoclaste. Et pour ceux qui doutent encore, le petit dernier pour la route Totem

Si vous désirez vous procurer son CD: Cliquez ici

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02/07/2007

Et dire que je voulais devenir écrivain...

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Cette photo provient du site du photographe Cara Barer cliquez sur son nom pour voir son travail...


Quand je pense que j’ai même publié des plaquettes à compte d’auteur. Bien sûr à force de ténacité et d’abnégation, j’ai aussi réussi à trouver un éditeur pour mes romans qui n’ont pas marché. J’aurais tout vu et beaucoup entendu. Enfin…
On m’a aussi répondu : « On ne va pas faire d'argent avec la misère du monde. Il faut écrire des choses lisibles par le lecteur lambda. »
Dame, ces gens là ne sont pas là pour rire. Ils ont des coefficients multiplicateurs à la place du cerveau.
— Ce n'est pas un texte de cette mouture là qu'on attend de vous, m’avait habilement glissé à l’oreille un directeur commercial comme une bonne fée.
Alors il ne s’est plus senti si laideron le petit auteur. Le commercial n’avait pas encore crié au génie, que le petit prétentieux que j’étais déjà écoutait.
— Vous savez, mon ami, pour survivre il faut accepter de passer sous les fourches caudines du Marché. Pour que votre littérature se retrouve sur l’étal du supermarché, comme n’importe quel objet. Pour être visible, il faut avoir été vu. Par des gens dont c'est le métier de voir, a-t-il continué. Vous devez comprendre ça, si vous voulez prétendre devenir écrivain. Vous devez plaire aux gens du métier car ce sont eux qui décernent les points. Vous avez un peu de talent, du moins suffisamment pour que je perde mon temps avec vous et que je vous réponde au téléphone mais, de grâce, arrêtez de geindre et de faire pleurer. Dans les chaumières, les gens recherchent de la littérature qui les réconfortera et leur fera oublier le quotidien, mais pas une littérature de gémissements à longueur de pages. Vous savez, les gens qui lisent des manuscrits qu'ils n'ont pas écrits sont persuadés que, s'ils en écrivaient, ils feraient de la bonne littérature. Alors faites leur croire que c’est eux qui l’ont écrit. Utilisez leur langue, leurs références, mais ne leur imposez pas votre vision du monde, aussi talentueuse soit elle. Elle ne se vendra pas. Votre petite histoire sur l’échelle de Richter des catastrophes humaines ne vaut rien. Un immeuble qui s’effondre intéresse bien plus la ménagère.
— Il y a du style dans ces textes, je vous jure, avais-je tenté d’articuler en avocat du diable.
— Y a t il une maladie incurable en jeu? Un marathon de la solidarité qui est prévu? Une perversion sexuelle quelconque? quelque chose qui permettrait à un très large public de s’identifier?
— Non, rien de tout ça !
— Vous voyez bien que ça ne sert à rien le style, si on ne peut pas le vendre. Il faut être sérieux. Le style mon ami c’est un épiphénomène, une demande marginale du marché ! Qui s’intéresse au style à part vous et quelques esthètes ? Personne ! Vous avez du talent, alors ne le gâchez pas avec une histoire qui va rebuter le lecteur moyen. Non, racontez en nous une qui fasse rêver et dans laquelle il y ait une pincée d’aventure, une autre d’érotisme, du suspens, des bons, des méchants. Vous me saupoudrez tout ça avec du soleil, de l’exotisme. Voilà ! Vendez moi ça dans un très bon décor. Mais ne parlez pas de la misère, aussi juste soit votre vision. Les gens veulent qu’on les fasse rêver. Pas qu’on leur mette le nez dans le caca. Nous, on s’efforce de leur faire oublier le quotidien, alors que vous voulez le changer. C’est courageux et totalement inconscient. Vous êtes encore dans le romantisme rimbaldien, c’est beau, c’est noble, c’est généreux mais épuisant. Que voulez vous exactement ? Vivre de votre plume ou écrire pour le plaisir au risque de n’être ni publié, ni lu ? Faites le tri dans vos sentiments et vos désirs. Si vous pensez vouloir gagner votre vie, changez de registre. Sinon personne ne vous suivra sur un coup pareil. Vous croyez encore à l’intelligence du lecteur, au bouche-à-oreille. Mon pauvre, il faut atterrir. Si vous ne passez pas à la télé dans plusieurs émissions en peu de temps et que votre bouquin ne tourne pas dès la première semaine, c’est foutu. Ça, mon ami, c’est la réalité et vous devez composer avec. Je vous dis ça parce que vous m’êtes bien sympathique. Vous me plaisez bien avec votre fougue. Votre histoire est très intéressante en soi. Mais ne la gâchez pas, je vous en prie. Revenez me voir quand vous serez dans ce créneau, je suis sûr qu’on fera de très bonnes affaires ensemble, dans trois, dans cinq, dans dix ans peu importe. J’attends l’auteur que je saurais vendre et on me paye pour ça.

Et le petit auteur que j’étais à l’époque tout penaud comme un jeune chiot qui vient de s’être fait réprimander par son maître parce qu’il s’est laissé aller dans un coin de la pièce marchait le long des quais de la Seine avec une furieuse envie de se foutre à l’eau.
— Non, tout n’est pas perdu. Ce type a sûrement raison. Il faut utiliser ce qu’il m’a dit pour m’adapter au marché. Oui, tout ce qu’il raconte est vrai, mais je ferais mieux encore. Je vais sortir le grand jeu.

Car le petit auteur qui se trouve dans chaque écrivain est prêt à entendre ça. Il en ferait des montagnes pour trouver un éditeur. Il rampe en bon petit gars. Il obéit à l’œil, le doigt sur la couture. Prêt à toutes les bassesses pour admirer son nom imprimé sur la jaquette. Brave bougre. Il ne discute pas les pourcentages, les droits d’adaptation, les éditions étrangères. Il signe tout, sans regarder, sans lire, sans comprendre. Même s’il le lit, il sait qu’il peut toujours essayer de décrypter les termes d’un contrat d’édition. Sans maîtrise de droit, il n’a aucune chance de s’en sortir.
Il en tortille du popotin comme une roulure, le petit auteur. Dans les bassesses les plus minables, il est capable de se fourvoyer le tout à l’égo de l’auteur. Si l’artisan de la phrase lui laisse prendre les commandes il a tort cent fois. Si la bourrique d’auteur tient les rênes, le tailleur de phrase perd tout libre arbitre. Flanqué de l’enflure d’auteur et de son maquignon d’éditeur, il ne peut que s’attendre au pire. Car pour l’éditeur, tout est bon, pour plumer le velléitaire pisse copie. Les corrections, il les refuse en cas de réimpression, à cause de la mise en page, des films et des plaques. Ou alors, il faut les défalquer des droits. C’était écrit dans une ligne d’un paragraphe du contrat qu’il n’avait pas pris le temps de se faire expliquer.
Quant à l’auteur, il va sur les salons avec sa voiture, paie l’essence du déplacement, parfois son repas froid. Et il pousse le vice jusqu’à accepter de loger dans un mi-pucier, mi hôtel, en face de la gare ou en périphérie de la ville, pour ne pas faire trop de frais à l’éditeur. Voire même il partage sa chambre avec un commercial qui ronfle. Il accepte de rester figé à son siège pendant des jours entiers, sous un chapiteau étouffant, un gymnase bruyant, une salle des fêtes frigorifique, ou un hall déserté pour cause de championnat de foot, pour tenter de vendre quelques exemplaires. Si ses livres ne sont pas égarés dans la nature et sont bien arrivés sur le stand en heure et date, il s’estimera miraculé. Pendant tout ce temps, une pythie éructera dans un haut parleur la liste des auteurs présents sur le salon, ainsi que celui du petit Jonathan, qui attend son papa au bar. Là où il était quasi sûr de le retrouver. Ces annonces lui déchireront les tympans. Il se farcira la présence de ses collègues célèbres qui dédicaceront à tour de bras. Il sourira aux inepties d’un critique littéraire stalino dépressif pour faire semblant d’être poli et ne le sera pas de toute façon.
L’auteur est comme les autres humains, un individu avec varices, hémorroïdes, calvitie, embonpoint, arthrose et autres avaries. Mais plus putassier que lui, cela ne doit pas exister. Quand il peut lire son nom sur le programme, il prend une décharge d’adrénaline pure. Cela lui semble tellement incroyable. Enfin la gloire. Qu’importe si l’entrefilet, de deux lignes en corps six qui parlera de lui, aura pompé l’argumentaire fourni par l’attachée de presse, aussi excité qu’un pygmée atteint par la mouche tsé tsé. L’auteur se sent récompensé de tant d’efforts. Soldat de toutes les guerres, sur tous les fronts, il pense que son sort est enviable. Il aurait l’impression d’être mesquin en demandant l’application de la convention de Genève qui sied à son cas. Le droit à un minimum de traitement humain et l’accès aux soins vitaux, au cas où il survivrait à cet abattoir. Car il y a bien peu de chances pour qu’il remonte à l’assaut lors de la prochaine offensive.
Ce n’est pas le tout d’avoir son nom sur la couverture. Il préfère être payé comme nègre et qu’un autre profite d’une gloire si aléatoire. Aux manettes, notre homme se sent pousser des ailes et il soupèse, découpe, taille, tranche, traite et traficote. Le comportement est putassier mais il n’a pas pu s’en empêcher. Il en a fait son affaire du procédé. Il a du métier et il prend la phrase en main. Maintenir l'assistance en haleine en attendant la chute justifie tout ce qu’il peut raconter tout le long de ces pages. Parce que sans elles il n’est plus rien. De l'effet fluet à la répugnance, il importe que le tableau final plaise.
Avec le temps, j’ai fini par me demander si ma femme n’avait pas raison de me quitter à cause de cette manie d’écrire. Cette foutue littérature ne m’a rien rapporté. Je me suis fâché avec beaucoup de gens. Je suis toujours aussi fauché. J’ai brocardé tous les plans sérieux de carrière qui m’ont été proposés pour me consacrer entièrement à ce vice. Les jours de doute, je me ressasse qu’elle avait raison. Les autres, moins nombreux, je pense qu’il vaut mieux crever dans une ultime extase que vivre comme un eunuque passif auprès de sa ménagère de plus de cinquante ans, car le feulement des charentaises est aussi terrible que le bruit des bottes.

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