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28/11/2006

Cambodge, je me souviens

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C’est après l'avoir rencontré au salon du livre d’Alençon que Méas Pech Métral est devenue une amie. Elle venait de publier son premier livre Cambodge je me souviens aux éditions HB, avec une préface de Mireille Lemaresquier.

Je vous en donne quelques passages.


« Aujourd’hui, nous nous sommes réveillées à trois heures du matin pour aller travailler. Deux heures de marche pour aller à la rizière, et toute la matinée à patauger dans cette boue infecte, répugnante… Ma vie a complètement changé ; comme tous les autres ici, je suis jeune, à peine dix ans, fragile. J’ai encore besoin de tout ; de l’école pour apprendre, de bons repas pour grandir, et simplement d’un peu d’affection… Rien de tout cela ne nous est offert, rien d’autre à attendre que le travail jour et nuit. Je ne sais ni lire, ni écrire. Je me sens aveugle, perdue dans une nuit sans fin. Sortirais-je un jour de cette vie inhumaine ?
Après avoir pris un mauvais repas, j’ai vomi, puis je me suis endormie. Cette horreur de nourriture, pas même bonne pour les cochons, a fini par me rendre malade. Et avec le travail si dur, la fatigue s’est accumulée…
Est-ce que j’échapperai à la mort dans ces maudites rizières ? »


Pour ceux qui ont vu le film « La Déchirure »

Nous quittons aujourd’hui le village de Som-Lauth. Nous sommes plus nombreux maintenant. En préparant mes affaires, j’entends des cris et des hurlements à travers les murs de bambou que j’essaye d’écarter pour voir ce qui se passe. Il y a des dizaines de prisonniers, tous maigres, en train de supplier les soldats de ne pas leur faire de mal. Ils sont enchaînés, sans doute depuis longtemps, et ce jour là, c’est le jour de l’exécution. Je tremble comme une feuille. Un soldat tient un couteau taché de sang. Je ne sais pas s’il m’a vue en train d’observer la scène, car pendant un moment j’ai fermé les yeux en serrant les dents. J’ai beaucoup de pitié pour ces prisonniers innocents. Ils sont grands,maigres, ils ont les yeux cernés. Je ne sais pas depuis combien de temps on les as privé de nourriture. En ouvrant les yeux, je ne vois plus le tueur. Il est derrière moi
-Tu peux venir voir de plus près, si tu veux.
Je sursaute, je fais une grimace en voyant son couteau plein de sang.
-N’aies pas peur ! Viens voir ! me dit encore le sauvage. Je secoue la tête. Impossible de faire quoi que ce soit. J’ai très peur qu’il m’assassine à mon tour. Maman n’est pas là, elle est allée à la cuisine demander un peu de provisions. Kim, Sam et Visal sont avec elle. Je ne sais que faire. Je reste là, et je pleure pour ces hommes prisonniers que je ne connaissais même pas. Quant au jeune soldat, il n’a pas l’air du tout d’un assassin. Il est jeune et beau garçon. Il ne dit plus rien quand il me voit pleurer. Il retourne à son devoir et fait déshabiller trois prisonniers pour les envoyer en enfer…
Je n’oublierai jamais ce massacre. C’est la pire chose que j’aie jamais vue. J’ai des douleurs qui me lancent dans les veines. J’ai très mal, et pourtant on ne m’a rien fait. Mais pourquoi ai-je si mal ?


La fuite et l’arrivée en Thaïlande.

« Pourrons nous, une fois en Thaïlande être en sécurité ? J’aimerais pouvoir le croire, mais j’ai peur que ce ne soit pas le cas. Ce que j’attends c’est la paix, je me dis qu’à partir de maintenant, à la seconde même où je respire ce parfum précieux et mystérieux que j’ai cherché toute ma vie, mon cœur est soulagé de tous els dangers de l’existence. Malgré la fatigue et la fièvre qui envahit tout mon corps, je suis heureuse.
-Est-ce qu’on peut continuer ? nous demande oncle Chao après une petite pause.
Tout le monde fait signe que oui, et se met debout pour partir. Mais à ce moment précis, le monde change de couleur. Six Khmers rouges armés jusqu’aux dents sortent de la forêt et braquent leurs canons sur nous. Ils avancent sur nous en silence, prêts à tirer si nous bougeons. Ils sont armés de M79 et d’AK47 chinois. Le chef nous demande à voix basse :
-Où allez-vous comme ça ?
Nous tremblons. Personne n’ose briser le silence. Nous restons immobiles, encerclés par les six fantômes Khmers rouges qui nous fixent avec mépris. Le désespoir a ouvert ses portes sur nous. Tout le contraire de ce que j’avais espéré… Le chef Khmers rouge sort son pistolet et caresse la joue de tante Soeun avec son arme…
Oncle Chao est rouge de colère, mais il ne peut rien faire. C’est maman qui prend la parole :
J’ai une fille qui est gravement malade, elle aa besoin de se faire soigner…
-Venez avec nous ! lui répond le Khmer rouge. Nous avons tout ce Qu’il faut à Beau-Pailin. Un grand hôpital, des médecins et des infirmiers très doués… »


« …A ce moment précis, un autre groupe de soldats surgit de nulle part. nous sommes encerclés, aucune chance d’avancer… mais bizarrement, les Khmers rouges se retirent dans la forêt et les autres militaires nous appellent :
« Mani, mani ! », ce qui signifie : Venez, venez !
de grandes lumières d’espoir brillent dans les yeux de l’oncle Chao. Un sourire de vraie joie se dessine sur ses lèvres. Il articule seulement :
-Venez, nous sommes sauvés !
nous les suivons. Les Khmers rouges ont disparu sans bruit. Nous approchons de nos amis inconnus. Derrière nous, aucun coup de feu. Oncle Chao dit que ce sont des soldats thaïlandais et qu’ils vont prendre soin de nous… Je leur souris. L’un d’eux vient vers moi ;
-Tu as mal à la tête ? me demande-t-il en cambodgien.
Maman lui explique que je suis malade et que je n’arrête pas de délirer . il me prend alors par la taille et m’aide à marcher vers la liberté…



À la lecture de ce livre, il m’est apparu une évidence que j’avais déjà perçu chez d’autres survivants, tous dégage une énergie qui vous remplit d’une puissante force de vie.
Il émane de ce petit bout de femme une volonté à ébranler n’importe quelle certitude et un instinct de survie monumental. On ne larmoie pas sur soi-même en ces circonstances, sinon on est déjà est mort. La morale n’existe plus, c’est l’instinct à l’état brut, lui seul dicte ce qu’il faut faire. Sur le moment on ne sait pas pourquoi on a choisi cette voie plutôt que l’autre. Au résultat, ils se rendent compte qu’ils sont encore de ce monde parce que c’était le seul choix possible. Comment ont-ils fait ? Ils l’ignorent mais ils l’ont fait.
Il ne faut que quelques heures à Méas pour vous donner l’impression que vous l’avez toujours connu. Nous sommes plusieurs à avoir constaté cette sensation à son contact. Merci Méas...

Prix 15 euros
ISBN 2-914-581-15-7

27/11/2006

Ironie du sort

Le Ballouhey dit "Bacase" c'est le même sur la photo que dans l'article "Malnuit c'est le contraire de bonjour" mais 4O balais après... Toujours aussi rigolo... Un peu seul quand même sans l'autre zigotto de Michel Malnuit dit "Mazio"... Drôle de zozio aussi...

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Malnuit ça l'aurait bien fait rigoler une rue à son nom...
Les drôles ont oublié la date du décés... Vous noterez l'humour local... Peintre local... à balais ou à Ballouhey? aurait ajouté Pierre Dac... De la moelle ils n'en manquent pas ... Faut dire que tomber sur un manche pareil c'est un os....

Justement le grand Pierre ballouhey dit Bacase nous a envoyé son petit crobard de la semaine...
ça vous apprendra a venir sur le blog de ressacs...

Au fait si vous trouvez une définition pour ressacs... Réseau d'Exfiltrés Soviétiques... C'est pas mal comme début mais me manque la suite... Si vous avez des idées...

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14:30 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

20/11/2006

Ballouhey dit Bacase...

Pour l'heure voila un dessin de Pierre Ballouey dit Bacase qu'on retrouve sur son site et qui vient de publier au Editions l'Arganier un recueil de dessins forts cochons, ma foi...

Nouveau :
"Rêves de Cochons"
(le livre)
chez L'Arganier
22 x 22 cm, 72 pages, 16 €.
ISBN 2-912728-50-9
70 dessins beaux, cons et anti-cons.
Prix Anti-Mal-Bouffe à Saint Just le Martel
dans toutes les librairies
et sur Amazon.fr, Alapage.fr et Fnac.fr



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par ailleurs sur son site vous retrouverez tous ses crobards et petits dessins...

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17/11/2006

Poétes vos papiers...

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photo: Bénédicte Mercier, carnaval de Pau


Mes papiers ont toujours intrigué l'administration qui n’a jamais cessé de me regarder de travers. Peut-être que je ne conviens pas. Je n’ai jamais rien demandé et ce n'est pas moi qui les ai imprimés, ces papiers….
Pourtant l'administration m'a obligé à avoir une carte. Avant, quand je présentais le bout de papier qui me servait de carte d’identité d’apatride, c'était déjà pareil, on me regardait de travers. À force d'être suspecté, on finit par se penser en suspect. Rien de défini, mais une appréhension persistante.
En passant au poste-frontière, je me voyais déjà au fond d'un bagne, charcuté par des experts en aveux. La trouille ne se raisonne pas. On passe du blanc au verdâtre, les joues s'affaissent, les yeux se creusent, deviennent vitreux. L'air manque. On pense que rien, plus jamais, ne sera comme avant. L'adrénaline, pistonne en jets continus au fond des veines. Même en s’arrangeant pour paraître calme, on ne le reste pas. Les sbires au trois quarts bourreaux ont reniflé quelque chose de louche. Ils subodorent un avion détourné, un navire coulé, une ambassade plastiquée, un général dessoudé.
Vous avez la tête de l'emploi, vous en êtes convaincus. Les cerbères de la sécurité deviennent nerveux. La contagion gagne la fourmilière. Les gâchettes sensibles ont flairé le gros poisson. L'avancement plane dans l'air. C’est tout simplement votre nom… Un homonyme pas sympathique du tout… À ce rythme, vos abattis ne valent plus grand-chose. La bavure n'est pas loin. Un siècle, d'un seul coup, vous tombe sur les épaules. Et vous vous emmêlez les pédales dans les explications. À force d'être suspecté, vous finissez par vous persuader d'être un type dangereux.
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photo: Bénédicte Mercier, carnaval de Pau

16/11/2006

En vallée de Soulor

La journée n'était pas au beau fixe, quelques nuages de-ci de-là passaient, mais rien n'interdisait une sortie en montagne. Un pull et un K-way pour tout équipement. On savait que la course ne serait pas longue et on ne s'était pas chargé. Pour une randonnée, une bonne paire de chaussures suffit. Quand on a enfilé les vêtements de promenade il a trépigné d'impatience, sauté en tous sens et s'est mis à aboyer. Heureux à l'idée de courir sur les prairies de ses ancêtres.

Flanqué du chien, un énorme patou, on s'était attaqué à la ballade en pensant ramasser quelques myrtilles. Il en restait encore après le passage des touristes, dans des coins reculés. On a mis le peigne à baies dans le sac à dos. La chaleur est descendue dès que les nuages ont caché le soleil. Au loin résonnaient les clochettes des vaches, des moutons. Des chevaux aussi paissaient en liberté dans cette estive totalement déserte et mystérieuse. Au milieu de l'immense prairie, quelques cahutes servaient à traire les animaux sur place avant la tombée de la nuit. Les bergers redescendaient au village distant d'une dizaine de kilomètres, les coffres de leurs deux chevaux chargés de bidons de lait. On a continué à grimper. On n'aurait aucun mal à revenir, même si le brouillard s'épaississait encore. Il nous suffisait pour cela de suivre la pente naturelle et l’on retournerait à notre point de départ. Une silhouette furtive de renard est passée non loin. Le chien s'est élancé à sa poursuite. On l'a entendu gueuler après le goupil qui l'a distancé. Il a couru comme un dératé croyant qu'il pourrait le rattraper. Ce chien m'apparaissait chaque jour plus idiot. On ne s'est pas inquiété de lui, sachant bien que cet imbécile retrouverait son chemin. Continuant le nôtre, on est arrivé sur le plateau couvert de myrtilles protégé du pillage des touristes. Le gisement était quasiment intact. À chaque coup de peigne, on en ramenait une poignée. En moins d'une heure, on en a récolté plusieurs kilos.
-Le chien n'est pas de retour!
-Il nous attendra près de la route, s'il s'est perdu, ai-je dit à Lola.
Le brouillard était devenu trop dense pour qu'on envisage sérieusement de s'aventurer plus dans cette Balade. On a continué à cueillir profitant de l'aubaine. Quand on s'est décidé à partir, glacé par le brouillard, le chien n'avait toujours pas donné signe de vie. On l'a sifflé en vain. Puis on a décidé de le laisser tomber et de retourner à la voiture. La température descendait rapidement. Le brouillard emmaillotait tout d'une humeur blanchâtre. Des gouttes d'eau se formaient sur les toiles d'araignées. On ne reconnaissait plus aucun des points de repère.
-Par quel chemin, on est venu, j'ai demandé à Lola?
-Par là!
-Tu es sûr?
-Je pense!
-Où est le pierrier?
-Je ne le vois plus!
La vision s'était réduite à quelques mètres. On s'était laissé prendre de vitesse et piéger en néophyte. Je jetais un oeil à ma montre. Il nous restait une bonne paire d'heure avant la nuit. Je ne me suis pas inquiété outre mesure. On a avancé précautionneusement pour ne pas dévaler en contrebas. S'engager dans le bois nous donnait l'assurance de se perdre.
-Nous, ne sommes pas passé dans les arbres, lui ai-je fait remarquer!
J'ai enfilé mon pull de réserve, et j'ai tendu le sien à Lola. Des touffes de fougères, des myrtilles, mais pas le moindre son de clochettes.
-Je ne sais plus comment sortir de ce foutoir!
-Si au moins on entendait les vaches!
-Ouais on pourrait passer la nuit prés d'elle, on aurait du lait et de la chaleur, ai-je dit pour détendre l'atmosphère.
Un épais silence répondait à l'angoisse de plus en plus palpable.
-Mais où est parti ce connard de clebs?
On s'époumonait à hurler son nom. Face à ce mur blanc compact un écho atténué nous renvoyait désespérément au vide. Il ne fallait pas s'aventurer mais rester sur place. Risquer de se perdre était stupide. Je posais mon sac et j'ai tenté de réfléchir
-Ce n'est pas la période des grands froids, on ne risque rien!
-Si on passe la nuit sous la pluie, ça ne sera pas la première fois a répliqué Lola!
-En plus on ne peut pas faire du feu, je n'ai pas d'allumettes!
Me revenait en mémoire la technique apprise chez les scouts pour démarrer un feu avec des brindilles mortes. Mais pas la peine d'y penser un instant de plus.
-D'abord garder son calme...
Il nous a semblé apercevoir un point plus blanc que le brouillard, puis une tache noire et des oreilles marron. Ce crétin battait de la queue. Nul doute, il était revenu nous chercher. Il avait compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il a aboyé, nous a léché les mains puis a marché devant. Il se retournait souvent pour vérifier qu'on le suivait bien. À cet instant, il m'est apparu d'une intelligence extraordinaire. Joyeux de se sentir utile il se trémoussait. Il nous attendait. On lui faisait entièrement confiance. On n'avait guère le choix. On a entendu à nouveau les clochettes bien qu'on ne distinguait rien dans la brume. On était sur la bonne voie. Il la connaissait la nature, bien mieux que quiconque. J'ai compris pourquoi les bergers s'aidaient dans leur tâche de ces gouffres à bouffe. On a buté sur la voiture aussi blanche que le reste du ciel.
-Bon dieu! Ce taré de chien n’est pas si débile!
Il n'a pas voulu monter dans le coffre et a couru devant la voiture pour nous montrer la route. On était vraiment heureux de l'avoir rencontré au fond d'une étable, ce clébard.

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15/11/2006

Pyrénées

Les autochtones de ces contrées sont des aristocrates de l'existence ayant conscience de leurs privilèges. Ils n'ignorent pas que d'autres s'entassent dans des cages de béton et ne respirent que du pot d'échappement à longueur d'année. Ils les voient débarquer l'été venir s'empiffrer d'oxygène. Si les indigènes mettent les pieds en ville, ils s'enfuient dès que possible. Pour eux le nord commence au-delà des gaves. Ils regardent vers le sud pour prédire la météo, un peu à l'est et à l'ouest sur la ligne de la Méditerranée à l'Atlantique. En Deçà ce ne sont que contrées étrangères. Pays du calme, du paisible carillon des vaches, du souffle du vent dans les arbres, des aboiements de chiens. Parfois le bruit d'une tronçonneuse rompt cette harmonie.

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08/11/2006

Une petite toile d'Anto

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07/11/2006

Miettes de Ghetto

Par MOULOUD AKKOUCHE

Mouloud, que j'ai connu à Toulouse et recroisé au hasard des pérégrinations fait partie de ces gens qu'on à l'impression d'avoir toujours eu comme ami. Tout en simplicité est en rire contagieux.



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Pour Alain Rey qui connaît la valeur des mots.
À la mémoire de Coluche qui n’avait rien promis... et continue de distribuer des millions de repas.

Récemment sur le petit écran, Éric Orsenna, académicien, vantait les mérites des textos et MSN très en vogue chez les jeunes. L’écrivain démontrait avec brio et bonhomie l’apport non négligeable de ce nouveau langage. Puis son raisonnement fut relayé et étayé par l’auteur tout aussi intéressant d’un dictionnaire d’argot. Diams, chanteuse rap parmi les invités, écoutait avec une grande attention cet échange fructueux entre érudits. Un régal pour les téléspectateurs. Diams, visiblement amusée, était sensible à cet éloge du mot-issage. Comment ne pas acquiescer à l’évolution de la langue française ? Éric Orsenna, pour illustrer son argument linguistique, dragua gentiment la rappeuse avec les mots des jeunes des cités et d’ailleurs. Un jeu de séduction plutôt marrant. Pas courant de voir un membre de l’Académie sympathique et vert même sans sa panoplie...

Mais aurait-il eu le même comportement avec la fille d’un de ses collègues du Quai Conti ou une jeune chanteuse d’opéra ? Se lâche-t-il autant aux réceptions du Conseil d’État ? Ses enfants communiquent-ils uniquement avec des textos et MSN truffés de fautes d’orthographe ? Et n’écoutent-ils que du rap ou de la techno ? Cette scène de télé en apparence banale révélait cette posture récurrente à l’égard des jeunes de banlieue : une fausse empathie teintée d’irrespect. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, pratique souvent la démagogie du parler « djeune ». Rien à voir avec Éric Orsenna plutôt animé de bons sentiments... En tout cas, l’attitude de l’académicien primesautier me fit penser, toutes proportions gardées, aux éructations indignes d’un ministre de l’Intérieur lors de ses descentes en banlieue. Pourquoi cette étrange mise en parallèle ? À cause de leurs comportements et propos qu’ils ne se seraient pas autorisés dans leur univers très policé : milieu feutré avec plan de table et conversation calibrée. Et tous deux soucieux de la bonne éducation de leur progéniture, attentifs à l’orthographe et aux leçons de solfège. L’un menaçait de karchériser une cité entière tandis que l’autre, beaucoup plus ouvert, affichait un sourire affable dans une émission culturelle. Mais chacun, dans des registres opposés, ne laissant in fine aux jeunes des quartiers « sensibles » que les miettes du gâteau. Chacun son ghetto et les dictionnaires seront bien gardés...

Et aujourd’hui encore, à quelques mois d’un important scrutin, les habitants des banlieues redeviennent les figurants d’une mise en scène politicienne : intermittents réquisitionnés aux services d’ambitions étalées de Voici à TF1. Ségolène Royal propose de geler les prestations familiales des plus démunis et, pendant ce temps, même si ce n’est évidemment pas à mettre sur le même niveau, Nicolas Sarkozy traque les gosses sans papiers dans les écoles primaires pour les expulser. Chacun maniant tour à tour carotte et bâton devant les caméras, un numéro de surenchère pour apparaître plus intransigeant que son adversaire. Plus sécuritaire. Tactique et jeux d’ego classiques pour la quête du pouvoir... Un jeu où des millions de gens sont pris en étau par la gauche cafard et la droite nerf de boeuf exhibant sa caution éphémère : un rappeur à bonnet blanc et sans cervelle. Coincés entre une démagauche people, une droite Flash-Ball et quelques jeunes cons aux pieds de leurs immeubles, ces millions de citoyens n’ont même plus le droit de vivre dans des départements comme les autres mais dans le 9-3 ou 9-5. Quel commentateur a situé l’affaire Clearstream dans le 7-5 ?

Que dire de constructif sur les banlieues ? Tant d’encre a coulé et coulera encore sur ce sujet. Que rajouter à ce flot ? Fonds de commerce électoral, ces barres HLM sont absorbées et recyclées au gré des faits divers par la machine médiatique avant de retomber dans l’oubli. Et de redevenir des coquilles de béton échouées le plus loin possible des centres-villes, coquilles ouvertes juste pour nourrir les JT. Que sont réellement ces banlieues ? Difficile de répondre à cette question. Ce terme recouvre tellement d’éléments disparates. Dans le centre de Paris, les habitants ne sont pas tous identiques ; parmi eux se trouve la même proportion de gens sympathiques et d’abrutis qu’à Bobigny et sur tout le reste de la planète. Mais personne ne pensera à coller tous les Parisiens dans le même panier. Alors qu’on occultera les individualités de l’autre côté des périfs et rocades. Pour ne conserver que les images des jeunes cagoulés brisant des pare-brise. Images plus simples à véhiculer.

À l’heure où j’écris ces lignes, les RG annoncent une probable « nouvelle flambée des banlieues ». Et plus d’exploits de Zidane pour anesthésier... À qui peut profiter une France en flammes ? Qui réussira à tirer profit de ce grand incendie programmé ?

Nicolas Sarkozy, très habile, parle sans rien dire mais s’adresse à chacun. Et partout.

Pas un jour sans qu’il n’intervienne ou fasse monter au créneau l’un de ses lieutenants. Sur tous les fronts... Surtout national.

Un catalogue de promesses sous le bras, il slalome allégrement de la dame patronnesse du 7e arrondissement qui tremble pour les stock-options de son époux, au érémiste au fin fond du Lot, en passant par le banlieusard à la bagnole cramée. Il joue sur du velours : qui n’a pas une raison valable de se plaindre de son existence à un moment ou un autre ? Fort de cette certitude, le patron de l’UMP peut promettre que le soleil se lèvera plusieurs fois par jour et le bonheur régnera de Barbès à Tarascon. L’ancien avocat a bien appris les leçons de Pasqua, son mentor, qui clamait : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Chaque tape sur l’épaule ne lui coûte que les frais de déplacement, réglés par le contribuable. Même les beaux quartiers se rallient à son panache de furet populiste. Lorgnent-ils d’hypothétiques places ? Aveuglés par l’opportunisme, ils en oublient que les mauvais mélanges causent immanquablement gueule de bois et crise de foie. Si Nicolas Sarkozy gagne en avril prochain, Marianne risque de rester longtemps à genoux au-dessus de la cuvette des chiottes...

Et les banlieues sous pression lui servent tour à tour de paillasson et de marchepied pour l’Élysée. Son intérêt n’est pas du tout de régler les tourments réels des grands ensembles. Au contraire. Chaque voiture brûlée lui rapporte plus de voix qu’une campagne publicitaire. Et les émeutiers, ses meilleurs agents électoraux, roulent pour lui. Pourquoi n’emploierait-il pas ces jeunes bénévoles pressés de passer à la télé ? Enfoncées dans la précarité, des familles entières de l’Hexagone, certaines à bout de nerf aux premières loges du désastre, finissent par lui tomber dans les bras ou dans ceux des barbus. Triste alternative. Surtout pour ceux qui, comme moi, sont athées et encartés dans aucun parti...

Un an après la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur EDF et les émeutes qui suivirent, rien n’a vraiment changé sur le fond. Les saisons et les caméras passent, les difficultés restent ancrées. J’ai l’impression de me répéter, répéter ce qui s’écrit et se dit depuis des années. Une bouillie indigeste des mêmes maux toujours au menu. Et, bien à l’abri derrière mon écran, je me sens impuissant et donneur de leçons. Peut-être juste bon à alimenter le brouillard déjà épais au-dessus des banlieues ?

Que faire ?

Quand on m’a proposé d’écrire sur ce sujet, j’ai hésité car je ne vis plus en banlieue depuis cinq ans. Mais une partie de ma famille y réside encore et beaucoup d’amis. Chaque fois que je monte à Montreuil, ma ville natale, je me rends compte que le fossé se creuse entre les diverses populations. La mixité sociale de plus en plus compliquée à maintenir. Nombreux gosses de « bobos » (souvent militants Verts et ardents défenseurs des sans-papiers) et de « nouveaux prolos » ne fréquentent pas les mêmes écoles. Mais quels parents auraient envie d’envoyer leurs gamins dans un collège cumulant les handicaps ? Et les récentes propositions de Ségolène Royal pour l’abrogation de la carte scolaire ne feront qu’accentuer ce déficit. Sans dédouaner certains jeunes, responsables d’incivilités dans les établissements scolaires, je ne crois pas que les enfants Hollande ressentiront un jour une profonde humiliation face aux institutions. Ni mes gosses d’ailleurs. Mais force est de constater que l’école est de plus en plus taillée sur mesure pour une minorité. Même si quelques-uns parmi la majorité réussiront à trouver un vêtement en solde... « Si tu es sage dans ton bahut de banlieue, tu pourras entrer à Henri-IV. Sinon deviens champion du monde de foot, comique, rappeur... Leader... ou dealer. Ou vigile. » Petit message à la candidate socialiste qui refuse d’avoir « peur du peuple » : les prestations familiales remplissent aussi un frigo ou règlent une note de chauffage en hiver. Les allocs ne sont pas de l’argent de poche, surtout quand les poches sont trouées.

Depuis une vingtaine d’années, les banlieues sont autant de petits volcans qui se réveillent séparément ou, pour la première fois en novembre 2005 : ensemble. Comme une fatalité. Pourtant, ici et là, des mains anonymes (Jean Acamas et son Chiffon rouge...) continuent inlassablement de tisser et retisser du lien social, réparant les dégâts de la nuit avant d’attaquer la journée. Loin des dorures de la République et des effets d’annonce. En réalité, ces émeutes de l’automne dernier dépassent les frontières des banlieues ; elles sont le reflet d’une société abandonnée en grande partie aux publicitaires et financiers adeptes du court terme. Et sans morale : un mot pas très tendance. Dans toutes les corporations (idem pour la culture), le critère essentiel est la rentabilité ; de nombreux cadres et employés finissent par commettre des incivilités invisibles pour ne pas se faire virer. Mais qui n’a jamais fait des concessions et eu des lâchetés ? Voilà pourquoi chacun, moi compris, ne doit se complaire dans la victimisation et se défausser exclusivement sur la société génératrice de tous les maux. Pareil pour chaque jeune qui ne peut s’exonérer de sa part de responsabilité individuelle. Surtout quand il crame un bus à Marseille ou ailleurs.

Tous ces constats établis : quelles solutions efficaces pour enrayer cette spirale infernale ? Comment agir face à ce gâchis, cette autodestruction d’une partie de la jeunesse ? Critiquer ceux qui fournissent les briquets en haut lieu ne suffit pas... Quoi qu’il en soit, les auteurs, artistes en général, ne sont que des questionneurs du monde. Place maintenant à ceux qui doivent apporter des réponses concrètes : les responsables politiques. Pas ceux axés uniquement sur leurs intérêts, mais des citoyens n'oubliant pas en cours de mandat qu’ils ont été élus par et pour des citoyens. Citoyens usés par les promesses non tenues. Et de plus en plus sceptiques sur le rôle de la politique.

Aujourd’hui, le temps n’a plus le temps.

Et les élections approchent. De gauche ou de droite, nanti ou au RMI, rappelez-vous avant de glisser votre bulletin dans l’urne que le vrai ennemi de la démocratie n’est pas le jeune de banlieue. Ni l’insoumise de cité et le sans-papiers. Ni un écrivain condamné à la cavale...

Et surtout n’oubliez pas au second tour de l’élection du prochain(e) président(e) de la République que les mots Liberté, Égalité, Fraternité peuvent aussi s’effacer au Karcher.


Ce texte a été publié dans l’Humanité du 2 novembre 2006.


Mouloud Akkouche vient de publier

Rue des absents
, Atelier In 8 In Octavo.



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06/11/2006

Vient de paraître

Maryvonne

Le Quellec

vient encore

de sévir

aux éditions

du Jasmin



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Maryvonne amie de longue date, a déjà illustré des articles de ce blog.
Pour rentrer en contact avec son éditeur et découvrir son travail :éditions du jasmin