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22/12/2006

Du GASTON FLOQUET dans le texte

Si vous tombez de haut,

essayez de remonter.

---

Si vous tombez de haut,

visez plus bas.

---

Si vous tombez de cheval,

évitez que le cheval

vous tombe dessus.

---

Si vous tombez dans l’indigence,

Essuyez-vous.

15/12/2006

Bruits d'humains

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Photo: Bénédicte Mercier

15 mai 1975
Barcelone barrio Chino.


Habituellement quand il descendait dans le Barrio Chino il passait la nuit dans une pension familiale où il prenait ses aises. La patronne une grosse femme dont les bourrelets graisseux du fessier débordaient de chaque coté de la chaise en assurait l’accueil. Elle appartenait à la race des déesses mères, sortes de vierges des temps primitifs dont les poignées adipeuses dégoulinaient les unes sur les autres, comme une bougie à moitié consumée dont le suif aurait beaucoup suinté. Elle n’en bougeait guère de sa chaise qui avait fini par sembler devenir un appendice de son gros-cul et elle dormait probablement sur place. Il ne se serait pas aventuré à affirmer le contraire.
La première fois, il avait choisi cet hôtel pour son aspect anonyme. Les suivantes parce que la patronne lui rappelait cette maîtresse maquerelle, dont il avait gardé un souvenir ému. Depuis il avait eu accès à d’autres initiations plus tordues, mais rien ne pouvait effacer le souvenir de la première fois.

La matrone assise sur sa chaise ne comprenait pas la signification du sourire si sympathique qu’il lui adressait, mais il s’en foutait. L’odeur du lieu aussi était identique, un mélange de naphtaline, de livarot, d’encens et de créosote. Il ne manquait que le bidet au milieu du patio.
-Le romantisme ça vous fait crever un homme debout, pensa-t-il en constatant un début d’érection.
Il avait choisi aussi cet hôtel parce qu’il se trouvait prés des Ramblas, et il aimait s’en approcher pour sentir battre le cœur de cette ville. C’est là qu’il rentrait en contact avec son agent. Jamais le même. Parfois il devait attendre plusieurs longues journées, enfermé dans sa chambre.
-Vous dites ?
-Oh, rien. Ce sont des souvenirs qu’on aurait pu avoir en commun c’est tout. Il arrêta là son monologue craignant d’être pris pour un dingue ou de devenir un type vraiment suspect.

Il décida de passer son temps en restant le plus possible enfermé dans cet hôtel. Déambuler dans les bars aurait pu attirer l'attention ou favoriser une malencontreuse rencontre. Trente ans s’étaient écoulées, mais il avait été trop connu ici pour se permettre ce genre de fantaisie et sa tête malgré les années n’avait guère changé. Toujours aussi mat de peau, un visage osseux, une gueule qui les faisait toutes se pâmer de la catin à la bourgeoise. Il avait toujours été étonné qu’on s’intéresse autant à sa sale gueule.
Il était peu probable qu'il verrait son contact pendant ce Week-end pascal et cela lui augurait de longs jours d'ennui.
-L’Espagne est toujours aussi catho… Putain, ça ne changera jamais, ça.
Il régnait une chaleur lourde comme seul il peut en exister à Barcelone, et un taux d’humidité à coller les enveloppes entre-elles. Il aurait juré que s’il avait laissé ses chaussures dans un coin, il les aurait retrouvées couvertes de champignons avant la fin de la semaine. Tout aurait moisi. Les perroquets verts qui voletaient de palmiers en palmiers jactaient autant que des pies. Impossible de fermer l’œil pendant la sieste.
Allongé sur le dos dans l’air irrespirable de sa chambre, il regardait les volutes de ses Fortuna s’envoler au plafond. Il pensa qu’il n’aurait jamais dû arriver si tôt. Mais les correspondances des vols ne lui avait pas permis de partir plus tard. Il ne put s’empêcher de repenser à cette femme. Elle le hantait encore, trente ans après. Des parties de jambes en l’air comme celles-la, il n’en avait jamais revécu de semblables. Il tâta son membre à travers l’étoffe légère de son pantalon et senti une raideur.
-Putain de pays de merde… J’ai le feu au cul et pas moyen d’aller voir une petite femme. Qu’est ce qu’elle a bien pu devenir depuis tout ce temps ?
Lorsqu'il avait quitté le pays, plongé dans l'obscure dictature du généralissime, elle travaillait pour les renseignements de la police et exerçait aussi son métier à domicile, source inépuisable d'informations.
Elle avait probablement bien mal tourné et, couverte de bijoux elle devait régner sur tous les bordels de la ville, et toucher de l’argent de tous ses bourgeois qui voulaient encore s’accorder un coït dominical entre hostie et billet de loterie. Il lui savait gré de l'avoir tiré du pétrin quand il avait été si recherché par la police. Elle l’avait hébergé sans rien lui demandé d’autre que de la baiser et tant d’années avaient passé...
Bravant l’interdiction qu’il s’était fixé et taraudé par la curiosité il pensa rendre visite à cette vieille amie à qui il devait d’être encore en vie.

Le heurtoir de la lourde porte n'était plus en place, un digicode l'avait remplacé. C'est à ce genre de détail, que l'on s'aperçoit qu'un pays change. Il attendit que quelqu'un rentre et s'engouffra à sa suite, la femme le regarda avec suspicion, comme pour prévenir les questions il amorça la discussion.
-"Je vais chez madame Esmeralda au troisième!"
La dame le regarda interloqué et lui répondit:
-Je crois que vous faites erreur monsieur. Il n'y a personne de ce nom ici!
-Mais, si, voyons, une cinquantaine un peu forte, elle habite au troisième!
-Impossible
-Pourquoi donc,
-C'est nous qui y habitons!
-Depuis longtemps?
-Une dizaine d'années!
-Je suis à la recherche de cette dame, sa fille qui vit en Argentine est décédée. Peut-être pourrez-vous m’aider à la retrouver!
La dame parue très embarrassée. Elle réfléchit un instant avant de répondre.
-Ecoutez, venez à la maison, quelques instants, mon mari inspecteur de police, vous renseignera.
A la photo du caudillo dans le couloir; au crucifix au-dessus de la porte du salon, il savait que la moindre information qui pourrait lui être transmise ne lui serait qu'après un méticuleux interrogatoire.
-Je suis le père de son gendre, nous vivions en Argentine. Nous n'avons plus de nouvelles d'elle depuis si longtemps!
Le flic paraissait terriblement embarrassé.
-C'est que, Madame est décédée depuis si longtemps que, l'appartement a été réquisitionné par décret et l'argent des loyers placé chez notaire!
C'était donc ça le nœud du problème.
-Vous avez l'adresse du maître?.
Ils se jetèrent des regards inquiets, les deux du petit couple.
-Je ne pense pas que vous le trouverez à son cabinet aujourd'hui. Comme tout le monde, il a déserté Barcelone pour le Week-end pascal.
Par tout le monde, il entendait certainement les gens de sa caste. Les autres continuaient à vaquer à leurs occupations quotidiennes.
-Ce n'est pas grave, j'ai le temps!
-D'ailleurs ma femme et moi allions quitter la maison!
Rien ne semblait pourtant l'indiquer, ni panier à pique-nique, ni valise dans le couloir. Sentant le regard inquisiteur, il précisa.
-Nous aimons nous rendre à l'hôtel!
-Bien sûr on y est tellement plus à l'aise, leur dit t-il, comme pour les réconforter et estomper le soupçon qu'il sentit dans le regard de l’homme.

Il le photographia de mémoire. Oui, c’était bien lui. Ce ne pouvait être que lui. Cette cicatrice sur la joue gauche… Obtenue lors d’un combat au sabre à l’école de police… Oui, pas de doute à avoir…
Il plia le papier et le glissa dans son portefeuille. Il se rendit à l'adresse. A son niveau une voiture s'arrêta, trois types en descendirent deux l'alpaguèrent et le troisième le poussa sur le siége arrière où deux autres sbires l'entourèrent.
-Alors garçon, on est en visite au pays?
Il ne pu les reconnaître. Mais leurs voix, il s'en souvenait… Il les entendait à travers la serviette mouillée qu'on lui avait mis sur le visage et sur laquelle on versait de l'eau. Il s’était juré qu’un jour ces enfants de putains et leur chef, allait payer pour toutes ces souffrances quand il se réveilla le dos trempé de sueur. Tremblant de peur. Maintenant il savait qu’il ne reviendrait plus jamais sereinement à Barcelone. Il attendit son contact, claquemuré dans son hôtel, son billet de train en poche.
Il souleva l'oreiller et retira de dessous son parabellum, il enleva le cran de sécurité et recompta les diamants. Il s'assura qu'on ne le suivait pas et ne retourna pas de suite à l'hôtel. Dans la poche de son pantalon, il tâtait les pierres à travers le tissus.
-Encore heureux que j'ai pris mon calibre, pensa-t-il. En tout cas je ne construirais pas un château en Espagne.!
Dans son travail, on ne mélangeait pas les affaires et les sentiments, et il venait de faillir à cette règle.
Les pales du ventilateur découpaient l'air au plafond. Allongé sur le dos, il fuma un paquet de Ducados. Il pensait qu’il n'aurait pas dû essayer de renouer le contact avec Esmeralda. Sa libido lui avait joué un sale tour. Elle avait dû l’aimer vraiment pour prendre autant de risques et le protéger aussi longtemps. Mais elle détestait ces types du renseignement et leur méthode. Elle avait fini par tomber comme tant d’autres.
En refermant la porte il pensa que ce nouveau modèle de silencieux pour son P38 était d'une redoutable efficacité. Il a allumé sa cigarette en se jurant que ce serait la dernière. Depuis le temps qu’il s'était promis d'arrêter de fumer et qu’il avait sans cesse reporté sa décision. Il savait bien qu'il se mentait. Malgré les risques encourus pour sa santé, il continuait. N'ayant jamais put résister à la tentation, il avait accepté cette faiblesse comme toutes les autres. On s'habitue à tout, avec un peu de résignation. Il pensait vite, par à coups. Des images se superposaient sur des ralentis. Tout revenait comme une aigreur, après un repas trop lourd. La vie est difficile à digérer. Il savait bien qu'il n'avait pas choisi d'arrêter de fumer, cela il l'avait compris, probablement c'était la seule chose qu'il avait accepté. Il lui semblait faire ce geste pour la dernière fois comme lorsqu'il avait tourné la clef dans la serrure de sa chambre en interrogeant son chek list. Tout était parfaitement en ordre, comme il l'avait prévu. Il ne lui restait plus qu'à laisser la clef en bas, avant de se rendre à l'aéroport...
Il se revoyait sur le tarmac de kinchassa avec son bagage à main. Il était un autre, barbe rasée, cheveux coupés très courts. Il se sentait léger dans ce costume. Bien qu'il sache qu’en Argentine ce soit l'hiver, il s'en fichait. L’escale prévue était à Barcelone. Il ne savait pas qui serait son contact. Il ne l’avait jamais vu ne le reverrait jamais. Il recevait un coup de téléphone, il se rendait à un autre hôtel, de grande classe celui-là. Il attendait encore, puis recevait un autre coup de téléphone. On lui apportait l’argent, il laissait les diamants et il retournait à son hôtel.
Les liasses de coupure dans sa mallette, il héla un taxi, mais avant de se rendre à la gare, il demanda au chauffeur de faire un léger détour. Il lui laissa un billet et lui demanda de l’attendre. Sa valise à la main, il s'engouffra dans le porche à la suite de la jeune fille. Il sonna au troisième étage. Quand le couple apparu dans l'encadrement du couloir, ils s'affaissèrent l’un après l’autre, dans un bruit mat.
- De la part d’une amie, dit-il!
Et il referma la porte.

12/12/2006

du 11 septembre 1973..... à la postérité.....

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19:49 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

11/12/2006

Malnuit, vous avez dit Malnuit...

Quand dans sa vie on a eu la chance de cotoyer de tels personnages, aprés tous les autres vous semblent mornes, fades, sans réelle envergure.
Les autres, ils ne brûlent pas la chandelle par les deux bouts, ils s'économisent.
Ils vont lentement et sûrement, mais pour aller où?
Tous ceux qui l'ont cconnu se souviennent de ses crises de folie quand il avait trop bu. Sa carcasse n'encaissait pas beaucoup non plus. Il ne croulait jamais sous la table et ne buvait que de la bière.
Jamais de vin, breuvage trop puissant pour son humble constitution.
Cet espèce d'ange avait les ailes engluées dans un quotidien cruel qui n'était pas fait pour lui.

Bref, sans jouer les anciens combattants, je reste persuadé du style de l'écrivain Malnuit, comme si celui de peintre ne lui avait pas suffit à mi-chemin entre celui d'un Bukowski, d'une Duras, d'un Céline, d'un Djian.
Un peu tous ceux-là à la fois, mais tellement lui, forcément lui...
Ce texte: Stop sur papier jauni, jamais publié, jamais présenté non plus à un éditeur, écrit pour le plaisir, comme beaucoup d'autres textes; c'est BALLOUHEY dit Bacaze, le filochard de l'expédition qui m'a scanné les pages du manuscrit...
En voici quelques pages pour vous mettre l'eau à la bouche...
Un jour, je vais me remettre à l'édition et ce sera lui mon premier et ancien auteur publié...
Et il y en a bien d'autres que j'aimerai republier, Morin, Longchamp, Amina Saïd , Baglin...
Le temps passe trop vite....

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06/12/2006

Le dernier vol

par MOULOUD AKKOUCHE


Petits repères bibliographiques

Mouloud Akkouche habite la région de Toulouse.
Il a déjà publié
Causse toujours - édition Baleine - 1997
Avis déchéance - édition Gallimard-Série Noire - 1998
Les Ardoises de la mémoire - édition Gallimard-Série Noire- 1999
Sur la route de Bauliac - édition Baleine - 2000
Cayenne, mon tombeau - éditions Flammarion - 2002
Il est auteur dramatique mais aussi scénariste.
Il écrit depuis 1998 de nombreuses pièces radiophoniques pour France Inter, France Culture… et élabore des scénarii pour le cinéma : (L'Extra ; Qu'est-ce que tu deviens? ; L'amour rend Flou).
Il écrit également des nouvelles publiées dans : Brèves ; Le Sabord ; L'Autre Journal ; Libération ; Drunk ; Encres vagabondes, collectif Fleuve Noir, Nouvel Obs…. et des Textes pour des Catalogues d'art contemporain.

Gérad Gautier est naturaliste.
Il habite la baie du mont St Michel.
Il n'a rien publié en dehors de ses travaux scientifiques.
Vous pouvez retrouver sur ce blog l'article le concernant.
"Juste quelqu'un de bien"
Si vous désirez entrer en contact avec lui pour ses photos,
laissez lui un message sur ce blog.
La série présentée ici concerne les Fous de bassan.


- Tu veux vraiment le faire ?
Elle se retourna et esquissa un sourire.
- Oui.
- C’est de la folie.
- Je ne changerai pas d’avis.
Elle secoua la tête et ajouta :
- Même seule, je le ferai.
Puis elle reprit sa position. Plusieurs semaines qu’elle restait immobile, recroquevillée, l’œil scrutant l’horizon. Mais ce jour là, elle était beaucoup moins tendue. Sans doute grâce au départ prévu le lendemain. Elle avait fini par le convaincre. Mais il appréhendait ce voyage.
Un voyage sans retour.
Pourtant ils avaient parcouru des milliers de kms ensemble. Elle aimait partir, revenir, partir… Infatigable. Elle n’arrivait pas à tenir très longtemps en place. Toujours impatiente de s’envoler pour n’importe quelle destination.
Cette fois, ils partiraient avant les autres. Et sans les prévenir. Elle ne voulait pas de leur présence. Il aurait préféré partir avec eux. Bourlinguer en groupe était plus agréable et plus rassurant. Surtout avec une voyageuse gravement malade.
- Bon je vais faire des courses.
A son retour, elle dormait. Il déposa son repas près d’elle et l’observa. Elle avait maigri, ses joues de plus en plus creusées. Sa respiration, haletante, emplissait l’air. Mais le sommeil semblait l’apaiser, comme une liberté provisoire.
La maladie lui était tombée dessus d’un coup. En quelques jours, elle eut des problèmes pour se déplacer, le moindre mouvement la faisait souffrir. Elle chutait fréquemment. Elle, très volubile et enjouée, s’enferma dans un profond mutisme. A la moindre contrariété, elle se défendait bec et ongles. Plus personne ne pouvait l’approcher, à part lui. Deux ou trois fois, elle était redevenue gaie. Et lui convaincu qu’elle s’en sortirait. Mais les répits furent de courte durée.
Souvent, paupières closes, elle murmurait : « Emmène-moi là-bas. Je veux y retourner ». La première fois, il avait refusé fermement. Tous les autres étaient d’accord avec lui : elle ne pouvait accomplir un si long trajet. Une folie dans son état. Elle s’était mise en rogne comme jamais auparavant, ne lui adressant plus la parole. Et elle avait décidé de ne plus se nourrir.
Et une nuit, elle n’était pas rentrée. Rongé d’inquiétude, il avait écumé tous les lieux où il pensait la trouver. Sans résultats. Le cœur gros, il avait fixé le ciel… Puis il avait tourné des heures durant avant de la découvrir à l’aube : sur le pont d’une autoroute. Il avait eu le ventre noué. Incapable du moindre geste.
- Rentre avec moi.
Sans se retourner, elle avait murmuré :
- Autant en finir maintenant.
Elle tremblait.
-…
Il avait retenu de justesse une parole réconfortante. A quoi bon ? Elle ne désirait qu’une chose. Une chose enfouie au plus profond de son être.
Et à l’horizon.
- D’accord, on part demain.

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Photo: Gérard Gautier

Le jour se levait à peine lorsqu’ils atterrirent. De nombreuses odeurs mêlées flottaient dans l’air. Elle sourit, heureuse de cet instant braconné à la douleur. Ils gagnèrent leur pied à terre, le même à chaque halte dans cette ville.
Il ne tarda pas à s’endormir. Si longtemps qu’elle ne l’avait regardé dormir… Des années qu’ils vivaient côte à côte. Pourtant beaucoup avaient parié que leur couple ne tiendrait pas la route : trop différents. Pas du même coin, ni du même milieu. Mais, contre vents et marées, ils avaient résisté. Leurs gosses volaient de leurs propres ailes, sous d’autres cieux. Et eux deux continuaient leur chemin ensemble.
Malgré la fatigue, elle n’avait pas envie de dormir. Elle sortit sur l’espèce d’avancée.
- Tu vas où ? Faut pas te fatiguer.
- Ne t’inquiète pas, je n’use que mes yeux.
- Tu devrais essayer de te reposer.
- Je me sens bien aujourd’hui.
Rassuré, il se rendormit.
La lumière du soleil, très forte, lui fit plisser les yeux. Elle inclina la tête et contempla la grande place. Voitures, camions, taxis et mulets circulaient sans ordre apparent. Un flic, sifflet à la bouche, faisait de grands gestes. Derrière leurs étals, les vendeurs de jus d’oranges pressées hélaient chaque passant. Un singe sur l’épaule, un ado se précipita sur deux touristes sortant d’un taxi.
Elle poussa un soupir. D’habitude, elle sillonnait la ville, quartier par quartier. Désormais, elle ne pouvait quitter son poste d’observation. Trop épuisée pour bouger.
Les virées à l’océan lui manquaient plus que le reste. En très peu de temps, ils passaient de la folie urbaine au calme de l’océan. Au lever du jour, ils traînaient sur les remparts du village fortifié puis descendaient vers les plages désertes. Et à l’heure de la criée, ils allaient manger au milieu d’une cohue piaillant. Repas inoubliables face aux flots…
- Tu te souviens ?
Elle poussa un nouveau soupir.
- Je ne peux plus faire que ça.
Il promena son regard sur la ville puis, peu à peu, le laissa couler loin, très loin derrière les montagnes.
- Tu peux y aller.
- Non, je…
Un crissement de pneus l’interrompit.
- Tu n’es pas obligé de rester avec moi.
- Arrête. J’ai pas envie d’y aller.
- Je te connais.
-…
- Je sens bien que tu as très envie d’aller à la criée. Vas-y… Je ne t’en voudrais pas.
Il fit la moue.
- Tu sais bien que je m’en fous. D’ailleurs, j’aime pas ce qu’on mange là-bas.
Menteur, faillit-elle répondre. Il adorait le poisson. Elle eut soudain la gorge serrée à l’idée que, un jour, il se retrouverait là-bas avec une autre. Au même endroit, à la même heure. Jamais elle n’avait ressenti auparavant un sentiment de jalousie.
- Tu veux faire quoi alors aujourd’hui ?
Il eut un silence.
- Ce que tu veux, répondit-il.
- J’aimerais bien…
Elle ferma les paupières.
A son réveil, elle mit un long moment à se rappeler où elle se trouvais. Avait-elle dormi une heure ou une semaine ? Son cou avait encore gonflé.
- Tu es là ?
Pas de réponse.
- Tu es là ? insista-t-elle d’une voix moins faible.
Toujours rien.
Etait-il sorti ? Il ne la quittait jamais quand elle s’endormait, la prévenant de chacun de ses déplacements. Elle fit quelques pas et s’arrêta.
Il se lavait en chantonnant. À part un léger embonpoint, il n’avait pas beaucoup changé. Si longtemps qu’elle n’avait senti son corps sur le mien…
Quand il croisa son regard, il se renfrogna comme un gosse pris en faute.
- Excuse-moi. J’arrive.
- Ne te presse pas.
- Faut qu’on décide de notre prochaine étape.
- Je voulais te dire…
Elle baissa les yeux.
- Quoi ?
Elle laissa passer un instant.
- Continue de chanter.
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Photo: Gérard Gautier

Au-dessus de l’océan, il se tourna vers elle. « Comment te sens-tu ? ». Elle ne l’entendit pas, absorbée par l’immense nappe bleue. Une étrange lueur dans le regard.
- Tu m’entends ?
Ses yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites. On dirait qu’elle a le vertige, s’inquiéta-t-il. Mais il balaya aussitôt cette impression stupide. « Je suis si contente de survoler l’océan » lui avait-elle confié avant le départ.
- J’ai mal aux oreilles.
Elle était exténuée. Jamais, depuis le début de sa maladie, elle n’avait eu de telles difficultés à respirer, les traits aussi tirés. Et autant envie de décrocher.
- On va bientôt arriver.
- J’ai froid.
Elle se plia en deux, le souffle coupé.
- Ne parle plus.
Sa poitrine se leva et s’abaissa plusieurs fois. Peu à peu, sa respiration retrouva son rythme. Un rythme imposé par le mal qui la rongeait.
- C’est mon dernier vol.
Elle ferma les paupières. Il paniqua et la secoua : elle rouvrit les yeux.
- On est pas loin.
- J’en peux plus.
- Encore un effort.
Et pendant le reste du vol, il n’arrêta pas de lui parler pour la tenir éveillée. Fallait qu’elle tienne au moins jusqu’à l’autre rive. Elle rêvait tant d’y revenir…
- Je vais tout lâcher.
- Accroche-toi.
Ils atterrirent vers midi.
- J’ai réussi finalement à le traverser vivante, sourit-elle avec une imperceptible fierté.
- On va dormir où ?
- Comme d’habitude.
- J’espère qu’il y aura de la place.
Leur point de chute habituel était entouré d’une palissade. Plusieurs pelleteuses déblayaient le sol. Un camion-benne vide entra, croisant un autre chargé de terre. Une centaine de mètres en contrebas, une grue tournoyait au-dessus d’un immeuble en construction. Cette colline, ponctuée de pins et de vieilles bâtisses, deviendrait un complexe hôtelier. Plus pour eux.
Gorge nouée, elle regardait leur nid douillet de printemps rasé à jamais.
- Quel gâchis, grommela-t-elle.
Il l’entraîna plus loin.
- Tu m’attends-là, je reviens.
Après une bonne heure de recherche, il réussit à trouver un endroit pour dormir. Mais moins confortable. Elle se fichait du confort, seule la vue l’intéressait.
- J’ai un p’tit creux.
Il sourit.
- Moi un gros. Je vais chercher à manger.
- Non.
- Tu veux que je reste avec toi ?
- Je viens.
Ils gagnèrent le bord de l’eau. Le soleil cognait fort. Elle était trempée de sueur.
- Ca te va ici ?
- Je préfère en haut.
Il avançait très lentement pour ne pas l’obliger à accélérer. Mais elle s’en rendit compte. Deux fois, elle piqua une colère. Et il dût se résigner à la laisser derrière.
- Ici, ça a l’air bien.
Installés à l’ombre, ils mangèrent du poisson. Elle se força à avaler quelques bouchées, pour lui faire plaisir. Chaque geste, même grignoter ou boire, lui coûtait. Elle bougeait le moins possible, tout entière concentrée dans son regard.
La plage se remplit très vite malgré le vent qui s’était levé d’un seul coup. Des cris de gamins se mêlaient au bourdonnement des voitures longeant la côte. Une dizaine de surfeurs s’échinaient à apprivoiser les vagues.
- Je n’ai pas peur de mourir.
- Mais tu…
Elle le remercia d’un regard de lui éviter sa tirade faussement optimiste.
- Maintenant que je le sais, ça…
Elle déglutit et ajouta :
- Si j’ai peur.
Puis elle se plongea dans le silence. Il essaya de relancer la conversation. En vain. Elle se contentait de répondre par de petits hochements de tête.
- Si tu veux, je peux continuer toute seule.
- Dis-pas n’importe quoi.
Avait-elle perçu son agacement ? Il s’en voulait de ne pas s’être contenu.
- Tu n’en as pas marre de me traîner comme un boulet ?
Il ne répondit pas.
- Quel est l’endroit que tu as préféré de tous nos voyages ?
Sa question le prit de cours.
- Ben, je… J’en sais rien, moi. Mais pourquoi tu me poses cette question ?
- Je me demande s’il vaut mieux mourir dans un lieu qu’on préfère ou… Ou n’importe où.
- Tu crois que les autres sont partis eux aussi ?
- Ils te manquent ?
Il hésita avant de lâcher :
- Un peu.
- Moi pas du tout… J’en avais plus qu’ assez de leurs regards bourrés de pitié.
- Ils t’aimaient… ils t’aiment beaucoup.
- Tu peux employer le passé ; je ne les verrai plus. Et au fond, je m’en contrefous. J’avais rien à leur dire et eux n’ont plus d’ailleurs. Je les vomis ces cons.
Et elle se mit à les insulter, un par un, comme s’ils se trouvaient en face d’elle.
- Calme toi.
- Toujours ça de moins dans mes bagages, ricana-t-elle à bout de souffle.
Elle grelottait.
- Tu veux rentrer ?
- Non, pas tout de suite.
- Tu devrais te mettre à l’abri du vent.
Ils se déplacèrent de trois-quatre mètres. Elle ferma les paupières et laissa choir sa tête. J’espère qu’elle va dormir, espéra-t-il. Mais elle rouvrit les yeux.
- Ramène-moi.
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Photo: Gérard Gautier
Elle pestait contre la pluie qui coulait depuis leur arrivée dans la région. Impossible de contempler le paysage. Derrière le rideau opaque tombé du ciel, une impressionnante forêt de pins s’étendait sur des dizaines de kms. Seule un chemin cahoteux la traversait. Rares ceux qui s’aventuraient aussi loin.
Il n’avait pas envie de s’y arrêter. Elle avait insisté. Elle voulait tant retrouver ce silence. Un silence unique.
Il rentra tard, le corps entièrement trempé.
- Quel merdier. Je t’ai pas trouvé grand chose à manger.
- T’occupe pas de mon estomac s’il te plait.
Il encaissa sans ciller.
- Bon, je vais me sécher
Elle le regarda avec un sentiment de culpabilité. Des semaines qu’il supportait ses caprices. Quelle patience ! Mais parfois il devait espérer que ça finisse au plus vite.
Elle aussi.
La pluie s’arrêta en fin de journée.
- On sort.
- Si tu veux.
Une agréable odeur exhalait de la terre humide. Elle s’engagea sur le sentier en pente très glissant. Il avançait à côté d’elle, prêt à la rattraper.
- T’inquiète pas, je tiens encore un peu sur mes pattes.
Les rives de l’étang étaient boueuses. Pas d’autres traces que les leurs.
Et celles du silence.

- Nous, on a eu de la chance quand même..
- La chance de quoi ?
Fatiguée par la promenade, elle s’arrêta et aspira une grande goulée d’air.
- On est bien ici.
Un clapotis dans l’eau brisa le silence.
- De quelle chance parlais-tu ?
Elle reprit la marche.
- … De se trouver ici. Regarde autour de nous… C’est magnifique. Ce silence, je ne m’en lasse pas.
- Ouais, souffla-t-il, mais je sais pas si ce sera pareil pour nos gosses. J’ai vraiment l’impression que tout ça ne va pas tarder à disparaître.
- Toujours aussi pessimiste.
- Non, réaliste.
Il ramassa une brindille.
- Tu exagères.
- C’est la triste vérité. Tout se dégrade. Bientôt plus personne ne trouvera à becqueter. Cette planète est de plus en plus en mauvais état. Tu te rappelles ce qu’on a vu hier au bord de la rivière… Des carcasses de bagnoles.
Il souffla et continua :
- La nourriture devient dégueulasse. Et maintenant, dans certains endroits, on peut plus dormir tant l’air est irrespirable. Les océans et les fleuves, je t’en parle pas… Ils sont devenus pires que des égouts. J’ai plus du tout envie de pêcher dedans tellement ça me dégoûte
- C’est pas comme ça partout.
- Bien sûr que si. Même dans les lieux les plus reculés, soi-disant protégés. Plus rien n’arrêtera la progression des 4X4 et des braconniers.
- Qu’est-ce qu’on peut faire ?
- J’en sais rien mais il faut le faire. Et vite. Si on veut pas perdre tout ça.
- Moi je crois que c’est foutu.
Il se crispa.
- Pourquoi ?
- On y peut rien.
- Si !
Il sentit la colère monter en lui. Ce genre de sujet lui tenait très à cœur.
- Calme-toi.
Il balança les brindilles.
- C’est toi qui part perdante.
Un silence gênant succéda.
- Pourquoi tu t’énerves ?
Gêné, il bredouilla :
- Je suis désolé de t’emmerder avec tout ça. C’est vraiment pas le moment.
Il fixa le sol.
- J’ai froid, réchauffe-moi.
- Je vais réussir cette fois.
Malgré son acharnement, elle n’arrivait pas à tenir debout. Déjà plusieurs fois qu’elle avançait, deux ou trois pas, trébuchait et s’affalait.
Il l’aida encore à se relever.
- Faut que tu te reposes.
- Non, refusa-t-elle d’une voix éraillée, je ne veux pas rester ici. Emmène-moi ailleurs.
Lui aussi n’avait pas envie de rester. Mais, son état ayant empiré, elle ne pouvait continuer le voyage. Et ils avaient dû s’arrêter près d’une zone industrielle.
Perchés au dernière étage, ils suivaient la ronde des voitures sur le périphérique. L’autre côté donnait sur un parc. Des joggeurs couraient chaque matin autour de l’étang.
- Dès que tu iras mieux, on repartira.
- Ça fait déjà trois jours que nous sommes là. Je ne veux pas mourir ici.
- Je sais, je sais.
- Tu ne peux pas me faire ça.
- Viens, on va rentrer.
Elle lui montra les barres d’immeubles.
- Je ne veux pas que tu me laisses ici. Je veux mourir en regardant. l’horizon.
- On va repartir…
Ses yeux humides le suppliaient.
- Essayons encore.
- Avance lentement.
- Lâche-moi, je vais y arriver…
Grimaçant de douleur, elle fit un pas, puis deux autres… et s’effondra sur la pelouse.
- Je vais te remonter là-haut, tu seras mieux.
- Je n’en peux plus.
Il se pencha.
- Tu as besoin de dormir.
- Oui c’est vrai, bafouilla-t-elle. J’ai… J’ai besoin de…
Et son regard se vida.
Toute la nuit, il la veilla. Le silence ponctué de ses sanglots et des bruits de la ville.
Il finit par s’endormir contre elle.

Au matin, des pas le firent sursauter. Plusieurs camionnettes et des motos étaient garées devant l’entrée du parc. Deux hommes vêtus comme des cosmonautes se dirigeaient vers lui. Le plus gros portait un sac plastique.
Il essaya de les empêcher de passer. « Dégage sale bestiole ! » aboya le gros en lui filant un coup de pied. Il l’évita de justesse et se mit à voleter autour d’eux.
Accroupi, l’autre homme ramassa le cadavre. Soudain, il lui fondit dessus et referma son bec sur la main. L’homme tenta de se libérer. Il serra encore plus fort, déchirant la combinaison.
Le gros l’aspergea avec une bombe paralysante. Il lâcha prise, battit des ailes et s’affala
- Le salaud, y m’a bouffé la main. Je vais le…
- Laisse tomber, on a pas le temps.
Ils la balancèrent dans le sac.
- Tu crois que c’te cigogne a vraiment la grippe aviaire ?
- On verra bien.
Il entrouvrit les yeux et les vit s’éloigner.
Précédés de deux motards sirènes hurlantes, la camionnette roulait très vite. Encore étourdi, il suivait leur véhicule. Il volait le plus bas possible pour ne pas les perdre de vue. Trois autres motos avec des caméramans fermaient le convoi.
La camionnette franchit le portail de l’Ecole Vétérinaire et s’engouffra dans un souterrain.
Il se posa sur le toit de l’un des trois immeubles de verre. Puis, peu après, il fit le tour de toutes les façades, examinant chaque salle. Aucune trace d’elle. Résigné, il s’apprêta à abandonner quand une porte s’ouvrit au huitième étage.
Ils l’allongèrent sur une table de labo. Deux écrans d’ordinateurs clignotaient sur les côtés. Une dizaine d’hommes et femmes, masques sur le nez et gantés, s’agglutinèrent autour d’elle. Ils parlèrent longuement. Puis tous se turent et s’immobilisèrent. Sauf un qui se pencha sur elle, un scalpel à la main…
Fou de douleur, il cogna son bec contre la vitre.
Un an plus tard, il s’arrêta manger au bord de l’océan : à l’heure de la criée.
Elle lui souriait.

Copyright: Mouloud Akkouche

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Photo: Gérard Gautier

03/12/2006

MALNUIT à Fleur de Peau

Ce texte Fleur de Peau de Michel Malnuit a été publié par le passé aux éditions Ressacs. Je vous en redonne aujourd'hui le début.
Faudra ressaisir toute l'oeuvre de Malnuit, cela prendra du temps, de l'énergie. plus de 5000 pages pour le journal sans compter tous les romans, publiés et les inéditss, comme: Corbu's book, Fromage de tête, Totem.
C'est qu'il était prolixe le Sapiens... Autant pour la peintuure...
Ausssi sans attendre je vous donne dés à présent des extraits de Fleur de Peau...



1



Tu te moquais des enfants. Un petit garçon était là, flanqué d’une nounou aride et visiblement idiote. Tu prédis qu’il ne vivrait pas longtemps, qu’il mourrait bientôt. Et je riais. Chaque passant avait droit à tes injures. Tu n’épargnais personne. Et je riais. À ton tour tu te ridiculisais d’un mot. Et je riais.
Une idée cherchait un mot où se couler, mais aucune en convenait. Tu disais n’importe quoi, et au bon moment, un mot particulier suscitait une idée, que tu développais. Ainsi tu éloignais les silences. Peut-être y avait-il une raison à cela, je ne sais trop laquelle.
Je ne peux pas me défendre d’un sentiment morbide. Et m’en accuser le prolonge. Tant pis pour moi, je ne tiens pas assez à me taire… J’ai bien le droit de croire que je te parle encore, que nous pouvons encore nous moquer des gens. Tu ne m’as rien ôté.

2

Je ne suis pas résolue à n’attendre plus rien de toi. Tu ne m’offrais rien, mais j’ai beaucoup reçu. C’est ainsi. Les rares élans qui savaient t’échapper ne m’étaient pas destinés, non plus qu’à personne. Tu les disais gratuits, " comme ça ". Insolent. Ne rien donner, jamais. N’obliger personne. Oh je n’ai pas d’amertume. Celui qui donne un peu m’assoiffe. Mais tu ne me donnais pas, que pouvait-on attendre ? Je me perds en mots creux ( un terme à toi, non ?)


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Gouache de Malnuit Format 80 x 120 cm