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28/11/2006

Cambodge, je me souviens

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C’est après l'avoir rencontré au salon du livre d’Alençon que Méas Pech Métral est devenue une amie. Elle venait de publier son premier livre Cambodge je me souviens aux éditions HB, avec une préface de Mireille Lemaresquier.

Je vous en donne quelques passages.


« Aujourd’hui, nous nous sommes réveillées à trois heures du matin pour aller travailler. Deux heures de marche pour aller à la rizière, et toute la matinée à patauger dans cette boue infecte, répugnante… Ma vie a complètement changé ; comme tous les autres ici, je suis jeune, à peine dix ans, fragile. J’ai encore besoin de tout ; de l’école pour apprendre, de bons repas pour grandir, et simplement d’un peu d’affection… Rien de tout cela ne nous est offert, rien d’autre à attendre que le travail jour et nuit. Je ne sais ni lire, ni écrire. Je me sens aveugle, perdue dans une nuit sans fin. Sortirais-je un jour de cette vie inhumaine ?
Après avoir pris un mauvais repas, j’ai vomi, puis je me suis endormie. Cette horreur de nourriture, pas même bonne pour les cochons, a fini par me rendre malade. Et avec le travail si dur, la fatigue s’est accumulée…
Est-ce que j’échapperai à la mort dans ces maudites rizières ? »


Pour ceux qui ont vu le film « La Déchirure »

Nous quittons aujourd’hui le village de Som-Lauth. Nous sommes plus nombreux maintenant. En préparant mes affaires, j’entends des cris et des hurlements à travers les murs de bambou que j’essaye d’écarter pour voir ce qui se passe. Il y a des dizaines de prisonniers, tous maigres, en train de supplier les soldats de ne pas leur faire de mal. Ils sont enchaînés, sans doute depuis longtemps, et ce jour là, c’est le jour de l’exécution. Je tremble comme une feuille. Un soldat tient un couteau taché de sang. Je ne sais pas s’il m’a vue en train d’observer la scène, car pendant un moment j’ai fermé les yeux en serrant les dents. J’ai beaucoup de pitié pour ces prisonniers innocents. Ils sont grands,maigres, ils ont les yeux cernés. Je ne sais pas depuis combien de temps on les as privé de nourriture. En ouvrant les yeux, je ne vois plus le tueur. Il est derrière moi
-Tu peux venir voir de plus près, si tu veux.
Je sursaute, je fais une grimace en voyant son couteau plein de sang.
-N’aies pas peur ! Viens voir ! me dit encore le sauvage. Je secoue la tête. Impossible de faire quoi que ce soit. J’ai très peur qu’il m’assassine à mon tour. Maman n’est pas là, elle est allée à la cuisine demander un peu de provisions. Kim, Sam et Visal sont avec elle. Je ne sais que faire. Je reste là, et je pleure pour ces hommes prisonniers que je ne connaissais même pas. Quant au jeune soldat, il n’a pas l’air du tout d’un assassin. Il est jeune et beau garçon. Il ne dit plus rien quand il me voit pleurer. Il retourne à son devoir et fait déshabiller trois prisonniers pour les envoyer en enfer…
Je n’oublierai jamais ce massacre. C’est la pire chose que j’aie jamais vue. J’ai des douleurs qui me lancent dans les veines. J’ai très mal, et pourtant on ne m’a rien fait. Mais pourquoi ai-je si mal ?


La fuite et l’arrivée en Thaïlande.

« Pourrons nous, une fois en Thaïlande être en sécurité ? J’aimerais pouvoir le croire, mais j’ai peur que ce ne soit pas le cas. Ce que j’attends c’est la paix, je me dis qu’à partir de maintenant, à la seconde même où je respire ce parfum précieux et mystérieux que j’ai cherché toute ma vie, mon cœur est soulagé de tous els dangers de l’existence. Malgré la fatigue et la fièvre qui envahit tout mon corps, je suis heureuse.
-Est-ce qu’on peut continuer ? nous demande oncle Chao après une petite pause.
Tout le monde fait signe que oui, et se met debout pour partir. Mais à ce moment précis, le monde change de couleur. Six Khmers rouges armés jusqu’aux dents sortent de la forêt et braquent leurs canons sur nous. Ils avancent sur nous en silence, prêts à tirer si nous bougeons. Ils sont armés de M79 et d’AK47 chinois. Le chef nous demande à voix basse :
-Où allez-vous comme ça ?
Nous tremblons. Personne n’ose briser le silence. Nous restons immobiles, encerclés par les six fantômes Khmers rouges qui nous fixent avec mépris. Le désespoir a ouvert ses portes sur nous. Tout le contraire de ce que j’avais espéré… Le chef Khmers rouge sort son pistolet et caresse la joue de tante Soeun avec son arme…
Oncle Chao est rouge de colère, mais il ne peut rien faire. C’est maman qui prend la parole :
J’ai une fille qui est gravement malade, elle aa besoin de se faire soigner…
-Venez avec nous ! lui répond le Khmer rouge. Nous avons tout ce Qu’il faut à Beau-Pailin. Un grand hôpital, des médecins et des infirmiers très doués… »


« …A ce moment précis, un autre groupe de soldats surgit de nulle part. nous sommes encerclés, aucune chance d’avancer… mais bizarrement, les Khmers rouges se retirent dans la forêt et les autres militaires nous appellent :
« Mani, mani ! », ce qui signifie : Venez, venez !
de grandes lumières d’espoir brillent dans les yeux de l’oncle Chao. Un sourire de vraie joie se dessine sur ses lèvres. Il articule seulement :
-Venez, nous sommes sauvés !
nous les suivons. Les Khmers rouges ont disparu sans bruit. Nous approchons de nos amis inconnus. Derrière nous, aucun coup de feu. Oncle Chao dit que ce sont des soldats thaïlandais et qu’ils vont prendre soin de nous… Je leur souris. L’un d’eux vient vers moi ;
-Tu as mal à la tête ? me demande-t-il en cambodgien.
Maman lui explique que je suis malade et que je n’arrête pas de délirer . il me prend alors par la taille et m’aide à marcher vers la liberté…



À la lecture de ce livre, il m’est apparu une évidence que j’avais déjà perçu chez d’autres survivants, tous dégage une énergie qui vous remplit d’une puissante force de vie.
Il émane de ce petit bout de femme une volonté à ébranler n’importe quelle certitude et un instinct de survie monumental. On ne larmoie pas sur soi-même en ces circonstances, sinon on est déjà est mort. La morale n’existe plus, c’est l’instinct à l’état brut, lui seul dicte ce qu’il faut faire. Sur le moment on ne sait pas pourquoi on a choisi cette voie plutôt que l’autre. Au résultat, ils se rendent compte qu’ils sont encore de ce monde parce que c’était le seul choix possible. Comment ont-ils fait ? Ils l’ignorent mais ils l’ont fait.
Il ne faut que quelques heures à Méas pour vous donner l’impression que vous l’avez toujours connu. Nous sommes plusieurs à avoir constaté cette sensation à son contact. Merci Méas...

Prix 15 euros
ISBN 2-914-581-15-7

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