Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/11/2006

Miettes de Ghetto

Par MOULOUD AKKOUCHE

Mouloud, que j'ai connu à Toulouse et recroisé au hasard des pérégrinations fait partie de ces gens qu'on à l'impression d'avoir toujours eu comme ami. Tout en simplicité est en rire contagieux.



medium_MONTJOIE-_.jpg


Pour Alain Rey qui connaît la valeur des mots.
À la mémoire de Coluche qui n’avait rien promis... et continue de distribuer des millions de repas.

Récemment sur le petit écran, Éric Orsenna, académicien, vantait les mérites des textos et MSN très en vogue chez les jeunes. L’écrivain démontrait avec brio et bonhomie l’apport non négligeable de ce nouveau langage. Puis son raisonnement fut relayé et étayé par l’auteur tout aussi intéressant d’un dictionnaire d’argot. Diams, chanteuse rap parmi les invités, écoutait avec une grande attention cet échange fructueux entre érudits. Un régal pour les téléspectateurs. Diams, visiblement amusée, était sensible à cet éloge du mot-issage. Comment ne pas acquiescer à l’évolution de la langue française ? Éric Orsenna, pour illustrer son argument linguistique, dragua gentiment la rappeuse avec les mots des jeunes des cités et d’ailleurs. Un jeu de séduction plutôt marrant. Pas courant de voir un membre de l’Académie sympathique et vert même sans sa panoplie...

Mais aurait-il eu le même comportement avec la fille d’un de ses collègues du Quai Conti ou une jeune chanteuse d’opéra ? Se lâche-t-il autant aux réceptions du Conseil d’État ? Ses enfants communiquent-ils uniquement avec des textos et MSN truffés de fautes d’orthographe ? Et n’écoutent-ils que du rap ou de la techno ? Cette scène de télé en apparence banale révélait cette posture récurrente à l’égard des jeunes de banlieue : une fausse empathie teintée d’irrespect. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, pratique souvent la démagogie du parler « djeune ». Rien à voir avec Éric Orsenna plutôt animé de bons sentiments... En tout cas, l’attitude de l’académicien primesautier me fit penser, toutes proportions gardées, aux éructations indignes d’un ministre de l’Intérieur lors de ses descentes en banlieue. Pourquoi cette étrange mise en parallèle ? À cause de leurs comportements et propos qu’ils ne se seraient pas autorisés dans leur univers très policé : milieu feutré avec plan de table et conversation calibrée. Et tous deux soucieux de la bonne éducation de leur progéniture, attentifs à l’orthographe et aux leçons de solfège. L’un menaçait de karchériser une cité entière tandis que l’autre, beaucoup plus ouvert, affichait un sourire affable dans une émission culturelle. Mais chacun, dans des registres opposés, ne laissant in fine aux jeunes des quartiers « sensibles » que les miettes du gâteau. Chacun son ghetto et les dictionnaires seront bien gardés...

Et aujourd’hui encore, à quelques mois d’un important scrutin, les habitants des banlieues redeviennent les figurants d’une mise en scène politicienne : intermittents réquisitionnés aux services d’ambitions étalées de Voici à TF1. Ségolène Royal propose de geler les prestations familiales des plus démunis et, pendant ce temps, même si ce n’est évidemment pas à mettre sur le même niveau, Nicolas Sarkozy traque les gosses sans papiers dans les écoles primaires pour les expulser. Chacun maniant tour à tour carotte et bâton devant les caméras, un numéro de surenchère pour apparaître plus intransigeant que son adversaire. Plus sécuritaire. Tactique et jeux d’ego classiques pour la quête du pouvoir... Un jeu où des millions de gens sont pris en étau par la gauche cafard et la droite nerf de boeuf exhibant sa caution éphémère : un rappeur à bonnet blanc et sans cervelle. Coincés entre une démagauche people, une droite Flash-Ball et quelques jeunes cons aux pieds de leurs immeubles, ces millions de citoyens n’ont même plus le droit de vivre dans des départements comme les autres mais dans le 9-3 ou 9-5. Quel commentateur a situé l’affaire Clearstream dans le 7-5 ?

Que dire de constructif sur les banlieues ? Tant d’encre a coulé et coulera encore sur ce sujet. Que rajouter à ce flot ? Fonds de commerce électoral, ces barres HLM sont absorbées et recyclées au gré des faits divers par la machine médiatique avant de retomber dans l’oubli. Et de redevenir des coquilles de béton échouées le plus loin possible des centres-villes, coquilles ouvertes juste pour nourrir les JT. Que sont réellement ces banlieues ? Difficile de répondre à cette question. Ce terme recouvre tellement d’éléments disparates. Dans le centre de Paris, les habitants ne sont pas tous identiques ; parmi eux se trouve la même proportion de gens sympathiques et d’abrutis qu’à Bobigny et sur tout le reste de la planète. Mais personne ne pensera à coller tous les Parisiens dans le même panier. Alors qu’on occultera les individualités de l’autre côté des périfs et rocades. Pour ne conserver que les images des jeunes cagoulés brisant des pare-brise. Images plus simples à véhiculer.

À l’heure où j’écris ces lignes, les RG annoncent une probable « nouvelle flambée des banlieues ». Et plus d’exploits de Zidane pour anesthésier... À qui peut profiter une France en flammes ? Qui réussira à tirer profit de ce grand incendie programmé ?

Nicolas Sarkozy, très habile, parle sans rien dire mais s’adresse à chacun. Et partout.

Pas un jour sans qu’il n’intervienne ou fasse monter au créneau l’un de ses lieutenants. Sur tous les fronts... Surtout national.

Un catalogue de promesses sous le bras, il slalome allégrement de la dame patronnesse du 7e arrondissement qui tremble pour les stock-options de son époux, au érémiste au fin fond du Lot, en passant par le banlieusard à la bagnole cramée. Il joue sur du velours : qui n’a pas une raison valable de se plaindre de son existence à un moment ou un autre ? Fort de cette certitude, le patron de l’UMP peut promettre que le soleil se lèvera plusieurs fois par jour et le bonheur régnera de Barbès à Tarascon. L’ancien avocat a bien appris les leçons de Pasqua, son mentor, qui clamait : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Chaque tape sur l’épaule ne lui coûte que les frais de déplacement, réglés par le contribuable. Même les beaux quartiers se rallient à son panache de furet populiste. Lorgnent-ils d’hypothétiques places ? Aveuglés par l’opportunisme, ils en oublient que les mauvais mélanges causent immanquablement gueule de bois et crise de foie. Si Nicolas Sarkozy gagne en avril prochain, Marianne risque de rester longtemps à genoux au-dessus de la cuvette des chiottes...

Et les banlieues sous pression lui servent tour à tour de paillasson et de marchepied pour l’Élysée. Son intérêt n’est pas du tout de régler les tourments réels des grands ensembles. Au contraire. Chaque voiture brûlée lui rapporte plus de voix qu’une campagne publicitaire. Et les émeutiers, ses meilleurs agents électoraux, roulent pour lui. Pourquoi n’emploierait-il pas ces jeunes bénévoles pressés de passer à la télé ? Enfoncées dans la précarité, des familles entières de l’Hexagone, certaines à bout de nerf aux premières loges du désastre, finissent par lui tomber dans les bras ou dans ceux des barbus. Triste alternative. Surtout pour ceux qui, comme moi, sont athées et encartés dans aucun parti...

Un an après la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur EDF et les émeutes qui suivirent, rien n’a vraiment changé sur le fond. Les saisons et les caméras passent, les difficultés restent ancrées. J’ai l’impression de me répéter, répéter ce qui s’écrit et se dit depuis des années. Une bouillie indigeste des mêmes maux toujours au menu. Et, bien à l’abri derrière mon écran, je me sens impuissant et donneur de leçons. Peut-être juste bon à alimenter le brouillard déjà épais au-dessus des banlieues ?

Que faire ?

Quand on m’a proposé d’écrire sur ce sujet, j’ai hésité car je ne vis plus en banlieue depuis cinq ans. Mais une partie de ma famille y réside encore et beaucoup d’amis. Chaque fois que je monte à Montreuil, ma ville natale, je me rends compte que le fossé se creuse entre les diverses populations. La mixité sociale de plus en plus compliquée à maintenir. Nombreux gosses de « bobos » (souvent militants Verts et ardents défenseurs des sans-papiers) et de « nouveaux prolos » ne fréquentent pas les mêmes écoles. Mais quels parents auraient envie d’envoyer leurs gamins dans un collège cumulant les handicaps ? Et les récentes propositions de Ségolène Royal pour l’abrogation de la carte scolaire ne feront qu’accentuer ce déficit. Sans dédouaner certains jeunes, responsables d’incivilités dans les établissements scolaires, je ne crois pas que les enfants Hollande ressentiront un jour une profonde humiliation face aux institutions. Ni mes gosses d’ailleurs. Mais force est de constater que l’école est de plus en plus taillée sur mesure pour une minorité. Même si quelques-uns parmi la majorité réussiront à trouver un vêtement en solde... « Si tu es sage dans ton bahut de banlieue, tu pourras entrer à Henri-IV. Sinon deviens champion du monde de foot, comique, rappeur... Leader... ou dealer. Ou vigile. » Petit message à la candidate socialiste qui refuse d’avoir « peur du peuple » : les prestations familiales remplissent aussi un frigo ou règlent une note de chauffage en hiver. Les allocs ne sont pas de l’argent de poche, surtout quand les poches sont trouées.

Depuis une vingtaine d’années, les banlieues sont autant de petits volcans qui se réveillent séparément ou, pour la première fois en novembre 2005 : ensemble. Comme une fatalité. Pourtant, ici et là, des mains anonymes (Jean Acamas et son Chiffon rouge...) continuent inlassablement de tisser et retisser du lien social, réparant les dégâts de la nuit avant d’attaquer la journée. Loin des dorures de la République et des effets d’annonce. En réalité, ces émeutes de l’automne dernier dépassent les frontières des banlieues ; elles sont le reflet d’une société abandonnée en grande partie aux publicitaires et financiers adeptes du court terme. Et sans morale : un mot pas très tendance. Dans toutes les corporations (idem pour la culture), le critère essentiel est la rentabilité ; de nombreux cadres et employés finissent par commettre des incivilités invisibles pour ne pas se faire virer. Mais qui n’a jamais fait des concessions et eu des lâchetés ? Voilà pourquoi chacun, moi compris, ne doit se complaire dans la victimisation et se défausser exclusivement sur la société génératrice de tous les maux. Pareil pour chaque jeune qui ne peut s’exonérer de sa part de responsabilité individuelle. Surtout quand il crame un bus à Marseille ou ailleurs.

Tous ces constats établis : quelles solutions efficaces pour enrayer cette spirale infernale ? Comment agir face à ce gâchis, cette autodestruction d’une partie de la jeunesse ? Critiquer ceux qui fournissent les briquets en haut lieu ne suffit pas... Quoi qu’il en soit, les auteurs, artistes en général, ne sont que des questionneurs du monde. Place maintenant à ceux qui doivent apporter des réponses concrètes : les responsables politiques. Pas ceux axés uniquement sur leurs intérêts, mais des citoyens n'oubliant pas en cours de mandat qu’ils ont été élus par et pour des citoyens. Citoyens usés par les promesses non tenues. Et de plus en plus sceptiques sur le rôle de la politique.

Aujourd’hui, le temps n’a plus le temps.

Et les élections approchent. De gauche ou de droite, nanti ou au RMI, rappelez-vous avant de glisser votre bulletin dans l’urne que le vrai ennemi de la démocratie n’est pas le jeune de banlieue. Ni l’insoumise de cité et le sans-papiers. Ni un écrivain condamné à la cavale...

Et surtout n’oubliez pas au second tour de l’élection du prochain(e) président(e) de la République que les mots Liberté, Égalité, Fraternité peuvent aussi s’effacer au Karcher.


Ce texte a été publié dans l’Humanité du 2 novembre 2006.


Mouloud Akkouche vient de publier

Rue des absents
, Atelier In 8 In Octavo.



medium_urbanisation-1.3.jpg

Les commentaires sont fermés.