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28/12/2012

l'éponge des mots lu par Cathy Garcia

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Une critique de Cathy Garcia pour l'éponge des mots sur son blog: delitdepoesie.hautetfort.com


L’éponge des mots est un livre sans commencement, ni fin, dans lequel on entre, puis on s’assoit et on écoute. On écoute un compagnon qui nous passerait la bouteille, on boirait à même le goulot, sans faire de manières, avant de la repasser à un autre, qui serait là aussi, quelque part au bord du monde, parce que toutes les routes ont déjà été arpentées, tout a été dit, et pourtant nul n’a encore trouvé le remède au mal de vivre.

 

L’éponge des mots éponge le trop plein.

 

Pas de gloire à se combler d’alcool

Pour s‘inventer des cataplasmes.

 

Boire encore et tordre le cou aux sortilèges.

 

Capitaine au long cours veillant sur l’histoire du hasard.

 

Taillader son chemin dans l’aventure des rues lisses.

 

 

Tel un Ulysse qui ne retrouvera jamais son port. Les mots eux-mêmes deviennent éponge pour absorber le trop plein d’amertume, de vanités, de désillusions, de chagrins rouillés. Un trop plein qui n’a d’équivalent que la béance du manque d’amour.

 

Revenir sur ton ventre noyer ma détresse à l’hôtel des carnages

en soudoyant le gardien de nuit

après une errance de bar en bar

pour resquiller la lumière

 

Lorsqu’on va chercher très loin ce que l’on ne trouvera jamais, le voyage devient errance, parce que depuis longtemps nous sommes perdus à nous-mêmes.

 

Dans cette nuit espagnole, tu pointes un doigt vers le ciel

et désignes l’aube avec sa rivière

roulant des perles noires.

 

(…)

Je jure de ne plus savoir retourner chez moi.

 

Car vivre c’est Être au monde avec ses pertes de lumière, des voiles trouées et ces haubans qui sifflent au moindre vent.

 

Dans L’éponge des mots, Saïd Mohamed nous livre son désenchantement, et à chaque page pourtant, on trébuche sur des pépites. Si les larmes sèchent vite aux vents des quatre coins du monde, les mots eux, n’ont pas fini de couler.

 

nous ne sommes pas devenus fou subitement,

cela a demandé du temps.

 

D’abord, on a vu l’étrange plaie

qu’est la joie dans les yeux des autres.

 

(…)

 

Pris dans la tourmente des loups dépouillés

qui guettent l’étrange et le dérisoire.

 

Partout avec ces mots de pauvre, aller

dans la perception des miroirs

en traversant sur les passages cloutés.

 

 

Les mots vomissent leur impuissance à changer le monde.

 

Il n’est de sommeil plus puissant

Que notre intelligence à ne pas vivre

 

(…)

L’idiot va à ses ratages comme à une science exacte,

Seule raison valable pour achever cette bouteille.

 

Quelle autre sagesse peut évoquer un tel carnage ?

 

 

Le voyageur va chercher ailleurs quelque chose qui lui ferait croire qu’il vit plus intensément.

 

La dentelle des jours nous pousse à faire escale

dans les ports aux romances inachevées,

à chercher dans la multitude des petits riens

ces choses de peu qui manquent le plus.

 

 

Plus c’est loin et plus on espère trouver cet autre chose qui nous ferait nous-mêmes autre.

 

J’ai connu les ventres outragés et le rire des singes,

L’ombre du feu avec dans la bouche

Les cendres des morts comme seule preuve de vie

Et combien de corbeaux, de singes, de najas,

D’étranges banyans et d’immenses

Oiseaux de nuit.

 

Mais il y a quelque chose de définitivement voué à l’échec dans cette quête, des courants contraires aux chercheurs d’intensité, des trésors éphémères qui fondent comme goutte d’eau au soleil.

 

Des éclats de possibles,

des bribes de rien dans le silence résorbé des villes

et des hommes de papier mâché

au bar des illusionnistes.

 

(…)

Partout être à contretemps,

à contre-emploi, à contresens du flux

dans le décalage permanent,

fuir quand tout converge.

 

Grande est la désillusion, quand on découvre les coulisses de ce qui n’apparait au final, comme rien d‘autre qu’un grand cirque pathétique.

 

Qu’auront nous dit vraiment ?

 

Le silence est préférable à ces babils,

ces faux-savoirs,

ces mensonges appris comme une leçon.

 

Ces bribes de rien, de tout, d’abject aussi, récitées par cœur

quand le plus grand dénominateur commun ouvre sa gueule

dans l’immonde barnum du tube cathodique,

ce rectum de la pensée qui souille

tout ce qu’il touche.

 

Saïd Mohamed sait ce qui pousse à Parcourir le monde comme le sang bat les veines à la recherche de l’instant qui rend caduc tous les autres. (…) et la promesse toujours la promesse d’autres choses encore.

 

Le voyage, la fuite, la solitude et l’oubli impossible.

 

Accolé aux murs des villes, ton visage, ton sourire obsédant, ton ventre au mien accroché, où dedans le vent s’engouffre, dans le salpêtre, la crasse, l’odeur des poubelles, je t’ai cherchée.

Dans le repli de l’indifférence j’ai appris à regarder avec cette habitude à qui rien n’échappe, en tous lieux j’erre seul, heurté à la raison qui maintient les êtres dans leur camisole. Partout où tu as posé les pieds, je retourne la terre. J’hésite à te nommer, pour laisser en friches ces souvenirs qui me reviennent, m’accablent et me jettent dans les bras d’hier.

 

Saïd Mohamed sait qu’il est difficile de vivre en ignorant son ombre, elle se tord et crie si on marche dessus.

 

Tout au long de son livre on sent peser cette ombre qu’aucune destination, si lointaine fut-elle, aucun alcool, ne sauraient dissiper.

 

Tous ces arbres morts qui s’évertuent à lancer au ciel des branches pour s’y pendre…

 

Et pourtant, nous confie t-il, ma raison demeure dans l’agitation du monde, de ces villes juchées les unes sur les autres, où dans l’ennui les hommes se laminent, se chevauchent.

 

Dans la troisième partie du livre, il nous ramène à un « Ici et maintenant ». Une sagesse que connaissent tous ceux qui savent qu’il est vain de tenter d’être ailleurs, que dans ce laps de temps présent. Et si les souvenirs sont toujours là, en filigrane, il est temps de tirer un trait et Saïd Mohamed est sans doute un de ces êtres brûlés au feu de la passion comme de la lucidité, cette lucidité féroce qui pousse à n’importe quel extrême pour lui échapper, en vain.

 

Nous n’avons pas grandi malgré le poids sur nos épaules.

Prisonnier de l’enfance, on croit être devenu un autre

en refusant l’idée que seul le corps change.

 

L’éponge des mots est comme un fleuve qui s’écoule, qui déborde parfois, puis se calme à nouveau, qui remonte le temps aussi bien qu’il file vers une hypothétique embouchure.

 

On relit ce qu’on a écrit sans le reconnaître.

Ivresse de la prière païenne qui se nourrit d’elle-même

À laquelle aucun parler n’est comparable.

Ce mystère ne nous appartient pas.

En bouche vient le fleuve,

Message jamais interrompu ni commencé.

 

Il y a l’ombre, mais aussi un flot de lumière, au sein même de ce qui peut sembler comme un constat désespéré.

 

Dire l’instant émerveillé devient insolence

Aux hommes obscurcis par trop de misère.

 

L’auteur sait qu’avec les mots on peut tout inventer et il a gardé Des affamés (…) les vertus de l’illumination, les tenailles du silence et la tyrannie de l’aube.

 

En d’autres termes, le chant et la soif du poète, mais il s’interroge sans cesse, il nous interroge.

 

Comment apprécier l’insolence des moineaux et convaincre l’ombre du bien-fondé de la lumière

Survivre aux ratages de l’existence et à cette nostalgie qui éreinte.

 

Il faut avoir touché le fond pour en connaître la texture réelle et savoir si bien en rendre compte.

 

Le mal de vivre n’a pas de nom, inquiétude rebelle, cœur sans raison.

 

Le voyageur a vu la face périmée du rêve et le poète l’a bue jusqu’à la lie.

 

L‘insulte nous a cueillis au cœur de la joie. Déplumé l’oiseau aux sept couleurs. Sidaïque l’oncle Jo des Amériques. La petite Jeanne s’injecte de l’héroïne.

Comme des orphelins, efflanqués nous ne croyons plus en rien. Nous avons vu tant de désastres, de boue ruisseler des montagnes, de louves pleines les flancs ronds, de vagabonds pointer sur la carte du ciel une étoile rouge.

 

Et comme ces marins condamnés à errer d’île en île, lui comme nous sommes étrangement ballotés entre l’histoire d’un monde aux urgences de grisaille et l’impatience de vivre.

 

Saïd Mohamed n’a certainement pas fini d’essorer, encore et encore, L’éponge des mots, et c’est tant mieux !


Cathy Garcia

24/12/2012

Passage des Indes...


 

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Passage des Indes est publié chez Artisans Voyageurs.

Pour toute commande : http://www.artisans-voyageurs.com/mohamed.htm

Dans ces rues, de jeunes femmes vont avec dans les cheveux des tresses faites de fleurs de jasmin en bouton. Le parfum embaume leur sillage. Drapées dans des saris, bleus, roses ou orange, indifférentes à tout, comme des princesses au regard ardent, elles passent dans cette ruelle des forgerons où ne devraient pas s’aventurer de telles grâces. Sur le sol une pastèque ou une courge ronde écrasée couverte d’un colorant rouge sang a été jetée en sacrifice à une divinité pour éloigner la malédiction. Mais rien n’y a fait. Elle s’est abattue définitivement dans ce qui ressemble à une rue mal empierrée. Des cahutes en palmes habitées par des familles d’intouchables sort une âcre fumée de mauvais charbon.

De chaque côté, une rigole fangeuse d’eau usée et noire stagne. Plus loin, un emplacement sans construction, et au milieu de ce nulle part des coqs, des corbeaux, des vaches disputent des ordures aux humains. Dans ce monticule se mélangent bouts de cartons, débris ménagers, étrons, fientes, bouses, morceaux de noix de coco et feuilles de bananiers ayant servi d’assiettes à la minable gargote au coin de la rue, près du temple. En ces temps d’élection et de démagogie, une soupe populaire y est offerte par un parti populiste ou par des adeptes du dieu local.

Les vaches se repaissent de ces feuilles déjà léchées jusqu’à la moindre, trace de festin – grains de riz et sauces pimentées – par ces pauvres hères. Des cochons gris dorment là aussi. De cet endroit émane un puissant remugle de merde. Ces parias font leurs besoins là, au vu et au su de tous.

 

Ici habitent des femmes, des hommes et de rares vieillards. Des gosses vont nus avec une cordelette rouge à la taille en guise de ceinture, ils jouent avec la poussière du sol et en font des petits tas de hauteur égale et ils s’imaginent probablement commerçants en matériaux de construction. Là survivent des gens qui ont dû être des humains. Ils n’en n’ont plus que la forme. Comment vivre en des lieux si abjects ? Il est des paysages superbes dans les sierras sauvages qui retiennent à la terre les êtres comme des aimants, et les laissent sans force face au temps qui passe et les amenuise petit à petit. Ils en oublient leur humanité, et chaque jour les transforme un peu plus en anachorètes, car l’ensorcelante beauté des lieux a fini par ravir leur âme. Mais en cet endroit-là, nulle beauté. Seules l’horreur et l’abjection de la pauvreté clouent ces dalits au pilori, dans la puanteur de l’air mauvais. Aucune révolte dans leur regard, aucune méchanceté non plus pour l’étranger. Ailleurs peut-être, dans une de ces banlieues, à Bombay ou Delhi, on m’aurait déjà dépecé et ma carcasse aurait nourri leurs cochons. Aucune animosité dans cette auscultation. Certains font un large sourire et adressent un « hello » sonore en interrogeant d’un: « Where are you come from? » Et en ponctuant immanquablement par un: « Welcome in India! »

Je ne pouvais espérer meilleur accueil.


En cadeau: Slow Joe le petit gars de Goa





Annkrist

Depuis longtemps j'avais envie de vous parler de cette époque devenue lointaine maintenant... Les années soixante dix. J'étais adolescent et déjà la poésie me taraudait... Nous vivions une époque terriblement excitante. Etait-ce la période de vie, ou la période historique... Tout semblait encore possible. Tout l'était sûrement, comme losrqu'on n'a pas encore atteint ses vingt ans. 

Neve Noé: c'était une coopérative de chanteurs, musiciens, poétes bretons qui regroupait des gens comme Yvon le Men, Patrick Ewen, Gérard Delahaye, Annkrist, Kristen Nogues, Melaine Favennec....

Bref tous ceux qui ont un nom dans la chanson encore maintenant. 

Une voix s'est tue, une seule: Annkrist et pourtant sa voix encore aujourd'hui quand je l'écoute me colle la chair de poule. Sensibilité, grain, duende... Oui c'est bien une flamenca bretonne... Une gnawa de Morlaix, une Frehel intellectuelle...

Mais qu'est-elle devenue?

Le mystère sur son existence même, entoure d'une puissante aura le timbre de sa voix qui semble parvenue d'outre tombe, comme on dit d'outre Meuse à Liège. Sirène sortie des eaux de l'océan venue envouter les marins pour les entraîner dans son chant. Elle était avec Léo Ferré mes deux piliers de poésie dans ces remous océaniques. Elle n'est pas morte, non, elle a préférée, le silence qui ne la trahit pas, lui... Ce silence fracassant...  Sa vie va sur d'autres chemins et sa voix aussi. Dommage pour nous.

 

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Annkrist : "La Rue mauve" par orelienada

 

 

 


Annkrist : Les prisons du monde par orelienada

 

Les journées passant sans erreur
vont aligner nos bonheurs
ailleurs on ne sait pas trop
d'où te vient ce regard d'adulte
un jour quand tu les consultes
tes yeux on pris le métro
Les secondes sur nos saisons
ont cerné leurs possessions
par des légions de bataille
Les secondes sont par millions
Les journées de nos vies font
trois p'tits tours et puis... s'en vont...
Les multicolores d'antan
plombent nos têtes de grands
et on rince un rêve rance
Les parvis blancs sous le soleil
couchés parmi ces merveilles
je ne sais pas pourquoi j'y pense
Les secondes sur nos bonheurs
se sont déclarées preneur
de nos rêves qu'elles entaillent
Les secondes sont par millions
Les journées de nos vies font
trois p'tits tours et puis... s'en vont...
Je n'en reviens pas : on croyait
Oh ce n'est pas vrai, on croyait
même à l'Amour qu'on compose
on ne peut pas nier nos mémoires
On trouve partout sans vouloir
le squelette de ces choses
Les secondes sur nos courages
ont installé le carnage
d'insectes ouvriers de failles
Les secondes sont par millions
Les journées de nos vies font
trois p'tits tours et puis... s'en vont...
Je n'ignore pas le troupeau
plutôt que de lui laisser ma peau
je lui fabriquerais du miel
Le temps qu'il goûte à ce mélange
j'ai le temps de chercher mon ange
Quartier de l'amour éternel
Les secondes sur mon courage
ne pourront aucun dommage
juste une légère encoche
- parce que je tiens à la folie
d'avoir installé mon lit
sur l'angle de ma joue gauche -
Et elles sont là dans la ruelle
je serai longtemps rebelle -
Toujours - que je leur ai dit
- Passez derrière - c'est entendu -
vous verrez je suis attendue
dans le Quartier du Paradis

20/12/2012

C'était la fin du monde déjà en 1966....


 

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Texte extrait de un enfant de coeur paru aux éditions Non lieu.

L’histoire s’était répandue. On arrivait à la fin du monde! Lui était resté dormir car le travail, le lendemain, l’attendait. Tous, même les plus sceptiques, avaient fini par y croire et ils scrutaient le ciel. On ne passerait sûrement pas minuit. Il valait mieux et, de loin, rester dehors que de recevoir la maison sur la tête. Les tremblements de terre, à côté de la fin du monde, sont de la rigolade. Le soleil disparu à tout jamais, le ciel s’écroule sur lui-même, on tombe dans le vide et il fait froid. Les fins du monde se passent toujours ainsi. Personne ne doutait plus que le grand chambardement serait pour cette nuit-là. On ne savait pas ce que l’avenir nous réserverait. Certains avaient fait leurs prières. Le Père était parti se coucher en riant.

Tous les gens, même ceux qui ne se causaient pas d’habitude attendaient que les heures passent, que la place du village s’ouvre en deux et crache des langues de feu, qu’on soit engouffrés dans les entrailles de la terre et que le diable emporte les incroyants qui ont le péché en eux. Deux heures du matin ont sonné. Puisque la fin du monde n’avait pas eu lieu, à minuit comme prévu, on n’avait plus de soucis à se faire. Mais les gens ont continué à interroger les étoiles. Un peu rassurés, ils ont regagné leurs fermes, les paniers encore pleins de victuailles sous le bras. C’était la nuit du 6 juin 1966 et elle devait porter malheur à cause des chiffres qui composaient le nombre 666, celui de l’antéchrist.

08/12/2012

l'ordre des lettres

L’ordre des letrtes

 


Sleon une étude de l’Uvernitisé de Cmabridge, l’odrre des ltetres dans un mot n’a pas d’ipmrotnace, le suele ccoshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soeint à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlbème. C’est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe, mais le mot cmome un tuot. La peruve…
Alors ne veenz puls m’intropuner aevc les corerticons ottrahhggropqiues.

 

koi ki dit wiki sur le réalisme magique?

L'expression « réalisme magique » a été définie pour la première fois en 1925 par le critique d’art allemand Franz Roh, dans son livre Nach-expressionismus, magischer Realismus : Probleme der neuesten europäischen Malerei1, pour décrire quatre parmi les sept nouveaux courants qu’il distinguait dans la production picturale européenne desannées 1920, en plus des styles encore dominants de l’impressionnisme et de l’expressionnisme. Parmi les peintres que Roh estime concernés par ce réalisme magique post-expressionniste qui plaque sur la représentation d’une certaine réalité historique (assez liée aux traumatismes de la Grande Guerre) une imagerie fantastique, hallucinatoire ou cauchemardesque, se trouvent entre autres CarráDe ChiricoGeorg SchrimpfMenseDerainOthon CoubineMetzingerHerbinMiróGroszDix... Ce courant pictural sera officialisé en 1943 par l’exposition « American Realists and Magic Realists2 » du musée d'art moderne de New York, mais les critiques d’art européens avaient déjà adopté l'expression « neue Sachlichkeit » (« nouvelle objectivité ») au détriment de celle proposée par Roh. L’appellation de « réalisme magique » allait cependant être retenue en référence à certains écrivains allemands, flamands ou italiens, dont Jean RayErnst JüngerJohan DaisneHubert Lampo et Massimo Bontempelli qui s’en réclamaient.

Les voyages en Europe d'écrivains nord ou sud-américains et l’érudition de certains autres (comme Jorge Luis Borges) vont permettre l’importation du concept outre-Atlantique. Grâce à la traduction espagnole en 1928 du livre de Roh, l’appellation « realismo mágico » devient progressivement populaire d’abord dans les cercles littéraires latino-américains (en association au prix Nobel 1967 Miguel Ángel Asturias qui employait ce terme pour définir son œuvre, puis à Arturo Uslar PietriJulio Cortázar...) et, à partir de 1955, parmi les professeurs de littérature hispanique dans les universités américaines. Entretemps, le lancement de la notion concurrente de « real maravilloso » dès 1948 par l’écrivain cubain Alejo Carpentier dans le prologue de son roman Le Royaume de ce monde a introduit une confusion qui alimente encore aujourd’hui le discours critique hispanophone et qui a suscité la création du terme de « réalisme merveilleux » dans les milieux littéraires antillais et brésiliens.

Si la tendance à mêler réel et merveilleux est présente de longue date et en tout lieu en peinture (Jérôme BoschLe GrecoRubensGoya) comme en littérature (Rabelais,VoltaireSterne ou, plus récemment, Vladimir NabokovMikhaïl Boulgakov et Günter Grass), c’est dans la production narrative et poétique sud-américaine des années 1960 et1970 que le réalisme magique va trouver un rayonnement planétaire.

Les réalismes merveilleux ou magique ont généralement pour but de saisir une réalité avérée à travers la peinture quotidienne de populations latino-américaines ou caribéennes pour en révéler toute la substance fabuleuse, irrationnelle, parfois étirée jusqu’au rang de mythe. La notion traditionnelle de « réalisme » est dépassée par l’intervention du fantastique dans l’œuvre sans que le statut de celui-ci ne pose problème ou ne soit mis en doute par la fiction et les personnages. La question qui n’a en revanche cessé de diviser les esprits dans les débats autour du réalisme magique et du « réel » ou « réalisme merveilleux » est celle de la nature et du rôle des éléments magiques, merveilleux et mythologiques recensés dans les textes ou œuvres d’art concernés. Pour les uns, ces éléments sont des caractéristiques authentiques de la culture dont est issue l’œuvre comme la mystique autochtone, la foi dans la magie et le miracle chez les populations indigènes par opposition au rationalisme attribué à la civilisation occidentale : une démarche littéraire dont le « réalisme » inclut le témoignage de la croyance au surnaturel comme mode de vie quotidien des tribus ou des peuples dépeints. Pour les autres, il s’agit d’aspects esthétiques particuliers, inhérents au style et à la psyché d’un auteur qui interroge, à la manière des modernistes ou des postmodernes, les concepts de « fiction », de « sens » et de « vérité » pour se jouer des codes et des artifices du roman dont l’autorité paraît minée.

On retrouve chez les réalistes magiques et merveilleux, au delà des spécificités culturelles, l’influence majeure de certains auteurs occidentaux à l’instar de Nicolas Gogol,Fiodor DostoïevskiFranz Kafka et William Faulkner.

En Occident, dans les années 1960, un nouveau courant d’origine scientifique vient s’ajouter aux termes de « réalisme magique » et « merveilleux » : le « réalisme fantastique » voit le jour. Mais celui-ci, lié à l’ésotérisme, au mysticisme ainsi qu’à l’étude plausible de phénomènes paranormaux, ne semble pas outrepasser le cadre de la science-fiction et son incidence reste limitée dans la littérature mondiale, même si l’on note quelques exceptions, notamment certains textes de Borges.

Au début du xxie siècle l’utilisation des expressions respectives « réalisme magique » et « réalisme merveilleux » est complexe. La première a bénéficié de la formidable caisse de résonance des universités nord-américaines où littérature latino-américaine et world literature anglophone se rencontrent, notamment au sein des cultural studies, alors que la seconde se cantonne aux milieux francophones antillais et canadiens. Il y a là, manifestement, un terrain d’étude fertile pour la littérature générale et comparée.

En Europe on a associé certaines œuvres d'auteurs comme Ernst JüngerJohan DaisneHubert LampoDino BuzzatiJulien GracqItalo Calvino ou encore Milan Kundera, au réalisme magique tel qu'il avait été théorisé dès 1925 par Roh et dès 1926 par Massimo Bontempelli (realismo magico ou realismo metafisico). Mais ces œuvres n'illustrent pas la définition du réalisme magique comme mode narratif à part entière, intégrant des manifestations surnaturelles dans un contexte réaliste, de la manière ludique popularisée par García Márquez dans son roman Cent ans de solitude (1967) et dans ses nouvelles telles que L'Incroyable et Triste Histoire de la candide Eréndira et de sa grand-mère diabolique (1972). Par contre, ce réalisme magique-là était déjà évident dans La Métamorphose de Franz Kafka (1915) comme dans une grande partie de la production narrative de Marcel Aymé (notamment La Jument verte, 1933, Le Passe-muraille, recueil de nouvelles de 1943 ou La Vouivre, 1941) et dans Le Tambour de Günter Grass (1959). C'est aussi dans cette veine que s'inscrivent Les Enfants de minuit (1981) et Les Versets sataniques (1988) de Salman Rushdie.

 

07/12/2012

ça me va tout de go....

 

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Une critique de L’éponge des mots par Jacmo. 

Quelques années que Saïd Mohamed n’avait rien donné. Si on récapitule un peu, je l’ai publié en Polders en 1990 et 95, après deux coéditions au dé bleu. (Lui-même m’avait édité en 1983 à ses éditions Ressacs). Il a été chroniqueur dans la revue un moment. Puis il a publié d’autres recueils de poèmes et plusieurs romans. Il fait partie de mes 33 auteurs dans le volet anthologie de « La poésie de A à Z selon Jacmo »… On l’avait un peu perdu de lecture depuis six ans, et il revient comme une fleur chez son dernier éditeur (Jean-Louis Massot). Livre-bilan dit le préfacier Jean-Claude Martin et sa structure en trois parties avec des titres bien dans sa manière confirme cette analyse.

D’abord les impressions du voyageur (« les chardons bleus »), New-York, Marrakech, Istanbul… C’était Alexandrie et son odeur d’iode rance et l’Inde qu’il a longtemps fréquentée, entre autres étapes de son tour du monde. Et chaque fois, c’est un peu le tour de lui-même chez les autres, mais ailleurs et tout le temps. Avec des versets pleins comme des aphorismes, cette faconde personnelle et cette volubilité reconnaissable entre toutes, ses positionnements comme des coordonnées géographiques Un quai de gare la nuit à New Delhi grouillant de rats entre les corps endormis au sol. Mais la situation lointaine n’enlève rien à la parole qui semble avant tout rivée au poète qui se plaint de l’absence de celle à qui il écrit désespérément.

Saïd Mohamed mélange toujours deux ingrédients qui ne sont pas forcément compatibles : un enthousiasme où l’énergie vitale déborde et un devoir de vérité à la fois cruelle et acerbe, ce qu’il résume  ainsi : Un destin acculé à un rêve permanent. L’auteur de « Femme d’eau » possède une tonalité lyrique et même épique par moment dans un cadre prolétarien. Sa connaissance du monde n’est pas passée au crible d’une écriture politique ou philosophique, elle reste enracinée à sa sensibilité viscéralement et nulle sagesse avec l’âge n’en est extraite. Il sait croiser une certaine humilité à un orgueil de bon aloi. De l’errant le haillon et du lépreux le regard. Lorsqu’il fait appel à ses références poétiques, trois noms apparaissent qui ne parleront qu’aux initiés : Malherbe, Dien et Criel. La seconde partie « Mots d’absence », reprise d’un titre de 1982, renoue avec le Saïd Mohamed amoureux, entre bonheur et mal-être. La femme aimée est-elle perdue, disparue, morte ?

La trivialité de la réalité est toujours amortie par cet esprit de légende et d’invention, et la fiction ensorcelle les choses, tant et si bien qu’on est en droit de douter de ce qui relève du domaine du réel et de celui de l’onirique. Sa poésie est certainement nichée dans ce no man’s land bien à lui. Le dernier volet intitulé « Ici et maintenant » sonne en effet comme un bilan. Cependant, il n’y a guère de leçon, encore moins de morale à en tirer. Le poète tente toujours de relier les extrêmes, de résoudre les contradictions Un monde nouveau bordé de misère obscène et d’absolu. Il n’a pas son pareil pour débusquer la merveille à côté de la vilenie. Des affamés j’ai gardé les vertus de l’illumination… « L’éponge des mots » se lit comme une reconnaissance de lettres d’un auteur qu’on connaît et qu’on aime depuis longtemps. La lucidité l’emporte sur la nostalgie, et surtout la sincérité des sentiments gagne le pari de l’écriture. On ne revient pas innocent du feu.

© Jacmo, à paraître in Décharge n° 157.