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21/10/2008

Bernard Hugues (Le Refus)

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Le Refus

Ce texte devenu introuvable; il doit rester un ou deux exemplaires chez des libraires de livres anciens, publié par mes soins en 1983, va être republié dans son intégralité pour la rétrospective de l'oeuvre peinte de Bernard Hugues qui aura lieu en mai 2009 dans les Cévennes...
Les toiles et dessins qui illustrent sont de Bernard Hugues

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Je ne parlais pas, je ne disais rien. Lui me racontait que c’était agréable. Que c’était très bien. Que je serais content. Que j’étais bien tombé.
Moi je le regardais quelquefois comme ça, vaguement, sans trop lui répondre. J’étais dans la voiture et j’attendais. Je savais qu’il fallait y aller mais je n’imaginais pas plus.
On a suivi une route qui m’a semblé pareille à toutes les routes de plaine, avec ses platanes, ses grandes lignes droites et ses champs ; mais je ne faisais pas vraiment attention au paysage, je ne pensais pas que c’était la première fois que je voyais la Crau, ni même que cette plaine sous le vent, en début d’hiver, était assez triste.
Je me souviens d’un tronçon de route plate et parfaitement rectiligne sur plus d’un kilomètre avec trois dos d’âne successifs qui semblaient être là sans raison, comme si ceux qui avaient construit la route avaient voulu en rompre la monotonie.
On a croisé quelques militaires avec des sacs et de grands manteaux bleus, puis on est arrivé.

Je m’étais déjà fait une idée de ce que ce serait, je crois que je ne m’étais pas tellement trompé. C’était comme ça. Je suis sorti de la voiture, j’ai payé le chauffeur qui m’a dit : « A bientôt », il a ajouté : « Vous aurez l’occasion de la revoir, cette route. » Je lui ai simplement répondu d’un signe de tête, j’ai fermé la portière et j’ai regardé.

Devant moi il y avait deux grands bâtiments jaunes. Sur la droite et sur la gauche, de hauts murs qui s’en allaient assez loin, surmontés de barbelés, et dont la crête était ornée de débris de verre pris dans le ciment. Je me souviens que le soleil levant jouait avec. Entre les deux bâtiments, l’entrée. Un grand portail ouvert mais de suite après barré par une barrière qu’un militaire en faction montait et abaissait chaque fois qu’un véhicule se présentait. De part et d’autre du portail, deux grandes portes ouvertes et que rien n’obstruait.
Un drapeau claquait sec sous le mistral. Je n’ai pas attendu plus longtemps, j’y suis allé carrément.

Je suis passé à côté du grand bâton rouge et blanc et je me suis assis à l’intérieur de la caserne, sous un porche, à côté d’une porte.

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ACTE PREMIER :
chez les militaires.


Il y avait du vent. J’étais entré avec mes papiers à la main ; dès que je me suis assis sur le sol, je les ai posés à côté de moi, j’ai mis un doigt dessus pour que le vent ne les emporte pas, et j’ai commencé à attendre.
Les voitures passaient devant moi, des voitures de militaires, des voitures de gradés, des camions. Le militaire au grand bâton rouge et blanc m’a regardé, étonné, je le comprends. IL était étonné – moi aussi – pourtant pas tout à fait, j’étais là assis par terre à l’entrée de la caserne, c’était normal pour moi et surtout c’était simple. C’est simple de s’asseoir et de ne rien dire.
J’ai attendu quelques minutes. Toujours le militaire devant, intrigué. Ceux qui passaient ne me regardaient pas. Deux militaires avec de grands sacs, qui partaient en permission peut-être, sont passés tout près de moi. Ils ne m’ont pas vu.
J’avais toujours le doigt sur les papiers, j’attendais toujours, et le vent soufflait toujours. Mes cheveux voltigeaient dans tous les sens, je n’avais que ma main à soulever pour les mettre en place. Le soleil passa l’angle du bâtiment et vint sur moi. J’avais un peu envie de rire mais pas trop. Ça allait. J’étais décontracté, j’étais là, tout seul, je savais qu’on allait arriver, j’attendais.

Un militaire est sorti de la porte près de laquelle j’étais assis. J’ai vu ses pieds qui s’approchaient de moi. « Qu’est-ce que tu as ? » Je n’ai rien dis. Je suis resté là, toujours assis, je l’ai regardé une fois puis je n’ai plus fait attention à lui. Il n’a pas compris, pas du tout compris. Il est rentré et d’est là que tout a commencé.
J’ai entendu des bruits de téléphone, des gens qui parlaient. J’ai vu le militaire qui faisait bouger son bâton rouge et blanc aller dans sa petite guérite et prendre le téléphone. Il parlait derrière ses vitres et en même temps il me regardait. Il semblait assez perplexe, ou embarrassé peut-être, comme si aux questions qu’on lui posait il ne pouvait pas trouver de réponse satisfaisante ou raisonnable. J’avais envie de lui sourire, de lui faire un petit signe… mais non, il était là, j’étais de l’autre côté.
Et toujours les voitures passaient, les voitures de civils, les voitures de militaires. Je m’étais aperçu, depuis un moment, que les gros bruits qui venaient des bâtiments en face étaient ceux de moteurs d’avions. Des bruits monstrueux qui, avec le vent, vous donnaient l’impression d’être près de quelque chose d’extraordinaire, quelque chose qui faisait tout vibrer et qui en même temps aurait produit ce grand vent. Ça ne me dérangeait pas outre mesure.

Quelques minutes s’écoulèrent encore – elles me paraissaient longues parce que je m’attendais à ce que tout de suite on me prenne et m’emmène – avant qu’un autre militaire ne sorte et ne me dise : « Qu’est-ce que tu as ? qu’est-ce que tu as ? » Je ne lui répondis pas, je ne le regardai lui aussi qu’une fois, sans avoir même la peine de lever la tête car il s’était accroupi près de moi et me dévisageait. Il me mit la main sur l’épaule : « Qu’est que tu as ? qu’est-ce que tu veux ? » il vit mes papiers, il les prit, les feuilleta. Pendant ce temps deux autres militaires étaient sortis par la même porte et étaient venus le rejoindre. Ils s’étaient mis entre le soleil et moi. Je ne voyais que leurs pieds. Ils sont rentrés tous les trois avec les papiers et j’ai attendu encore.
Mais cette fois-ci ils sont revenus plus rapidement. Le même militaire m’a dit : « Il faut rentrer, il ne faut pas rester là. Tu t’appelles Guesnard ? » Je n’ai rien dit, je n’ai pas bougé. Je savais qu’ils se regardaient. Ils m’ont dit : « Il faut rentrer. » Aucune réaction. Il y en a alors un qui m’a pris par le coude et fait comme pour m’aider à me mettre debout. Je me suis relevé. Il m’a guidé, je me suis laissé guider. Il a ouvert la porte, celle d’où ils étaient sortis, et m’a fait entrer.


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C’était une pièce petite et sale. Un bureau, deux tables, un téléphone, des papiers, trois ou quatre chaises, un poêle. Et des militaires, bien sûr. Au mur, dans un râtelier, enchaînées, des armes.
Il m’a guidé jusqu’à une chaise près du poêle et m’a fait asseoir. Mais la chaise n’était pas pour moi, j’étais mieux par terre et je m’y suis remis.
Je voyais des chaussures de militaires, de gros souliers qui montaient jusqu’au-dessus des mollets, étroitement lacés de bas en haut cirés impeccable. Personne ne parlait, du moins à haute voix. Ils s’étaient tous regroupés dans le coin opposé de la pièce et je les entendais chuchoter sans comprendre ce qu’ils disaient – mais de quoi pouvaient-ils parler sinon… Un noir se tenait à l’écart. Assis sur une table, il balançait ses pieds croisés. Il ne parlait pas avec les autres, il me regardait et je crois même qu’il m’a souri.
Des militaires et des civils entraient et sortaient. Tous semblaient un peu gênés par ma présence. Il y avait d’imperceptibles temps morts, des regards interrogateurs et, en réponse, de curieuses mimiques esquissées mais vite défaites. C’est que ce n’est pas tous les jours que dans la salle de garde, à l’entrée de la caserne, on se trouve en compagnie d’un mec barbu, chevelu, assis par terre les jambes croisées, et qui ne dit pas un mot.
A un moment, je me souviens, deux femmes sont entrées. L’une, en robe assez courte, avait de belles jambes. Elle s’est assise sur la chaise près de moi, elle ne semblait pas étonnée – moi j’étais un peu gêné maintenant. L’autre portait des pantalons. Elles parlaient de voitures. Ce devait être des femmes de militaires, de gradés même – pas à cause de leur sujet de conversation mais parce qu’elles semblaient à l’aise dans cette salle et en même temps assez hautaines envers tous les militaires qui se trouvaient dans la pièce et qui étaient certainement pour la plupart des appelés. Quelqu’un leur offrit des cigarettes ; je vis qu’il allait m’en offrit une aussi, je sortis mon tabac pour le lui montrer et le rentrai aussitôt. Je n’avais pas envie de fumer.
On téléphonait sans arrêt à l’adjudant de service, qui restait introuvable. On avait envoyé plusieurs fois des militaires dans tous les coins de la caserne, en vain. Enfin, on réussit à le joindre au téléphone et je compris qu’il n’allait pas tarder à arriver. Le poêle ronflait et refoulait de temps en temps, lâchant de gros pets de fumée qui firent tousser deux ou trois fois la femme en pantalon. C’était un poêle à charbon, la fumée était rousse et âcre.

Quand j’ai vu que les pieds s’arrêtaient de bouger, que toute conversation cessait, que même la femme assise se levait et que l’autre venait près d’elle, j’ai compris que l’adjudant arrivait. Il n’y avait que moi qui était resté assis, qui n’avait pas bougé de place, changé d’attitude. Il est entré, il avait des chaussures bien cirées. Je ne l’ai pas regardé parce que je n’avais pas envie de le voir, parce que je le connaissais déjà, parce qu’on les connaît tous, à quelque chose près. J’ai entendu :
- Ah, je vois ce que c’est ! un non-violent ! Il faut évacuer la pièce. Allons sortez. Il a ajouté gentiment – à l’intention des dames sans doute – excusez, je vous prie.
Tous sont sortis, l’adjudant compris. J’ai entendu quelqu’un dehors qui disait : « Il ne faut pas le laisser là… on ne peut pas le questionner ici. » La porte s’est refermée. Par la fenêtre, j’ai vu l’adjudant pénétrer dans le bâtiment en face, et, à nouveau, j’ai attendu.

Les bruits d’avion se sont us d’un coup. Le silence soudain a envahi la pièce. Le ronflement du poêle a redoublé d’intensité. Mes oreilles bourdonnaient. Dans la pièce à côté j’entendis grincer des lits, le silence subit dérangeait les dormeurs. J’ai d’abord été étonné que des militaires puissent dormir à côté, à neuf heures du matin… faire la grasse matinée ! puis j’ai pensé que ce devait être ceux qui avaient monté la garde pendant la nuit. Déjà les bruits d’avion reprenaient, encore plus agressifs semblait-il. Et, au même instant, comme si on avait attendu volontairement que les moteurs se remettent en marche, la porte s’est ouverte violemment, la poignée est allée buter contre le mur et le battant est revenu sur l’adjudant, qui l’a repoussé d’un coup de coude. Il s’est approché de moi, m’a pris le bras et m’a soulevé à moitié en disant : « Allez viens, sous-moi. » Sa voix n’était guère engageante.
Il m’a fait passer la porte et m’a mené vers le bâtiment en face de celui-ci, de l’autre côté de l’entrée de la caserne et dans lequel je l’avais vu pénétrer quelques instants plus tôt. Il y avait toujours du vent, toujours le militaire qui soulevait et abaissait son bâton rouge et blanc, et toujours ces bruits de moteur qui ne semblaient gêner personne.
L’adjudant m’a dit : « Je temmène à la police, à la gendarmerie. » il me disait cela avec l’intention manifeste de me faire peur, mais c’était raté. Je l’ai suivi dans les escaliers, il n’a pas eu à me prendre par le bras mais je marchais à mon pas, sans me presser, et lui devait m’attendre. Il montait quelques marches puis s’arrêtait, le temps que je le rejoigne – mais nous n’allions qu’au premier étage.
Dans les escaliers on voyait une raie de crasse contre le mur, à hauteur du coude, et de la crasse aussi dans les angles de chaque marche. Visiblement la serpillière n’allait pas dans les coins, elle devait au contraire y repousser la saleté. De la crasse de plusieurs années. Les murs étaient nus et d’un jaune pisseux.
Une fois au premier étage il m’a mené devant la porte et m’a dit : « Tu vois. » il y avait écrit : gendarmerie. Je ne disais rien, lui devait penser : on va mettre le paquet, on va l’impressionner avec ça, gendarmerie ça devrait lui foutre les jetons, lui rappeler la prison… Il me mena devant une seconde porte : bureau du capitaine de gendarmerie, avec le nom en dessous, un nom corse je crois, avec plein de i. Il m’a fait entrer ; visiblement j’étais attendu. (à suivre....)

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18/10/2008

Pas pour toi....

Une nouvelle de Mouloud Akkouche
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Elle ôta sa robe et monta sur le pèse-personne. Des chiffres lumineux défilèrent. Elle les suivit des yeux, tendue. Quarante neuf kilos et cent vingt grammes s’afficha sur le petit écran. Elle sourit et regagna sa chambre, robe à la main. Elle la posa sur une chaise, se glissa dans le lit et envoya un SMS. La réponse en écho : « Fonce! » la fit sourire. Elle se leva et ouvrit un sac à dos.
Casque à la main, elle poussa le scooter et démarra au bout de la rue. Ses parents dormaient encore. « Tu iras pas à ce truc ! C’est pas pour toi ! ». Son père avait refusé mais, têtue, elle imita sa signature et renvoya le formulaire d’inscription. Tout le monde lui avait déconseillé d’y participer. Sauf une de ses tantes. Ils me verront à la télé, se réjouit-elle d’avance. Prête à partir pour Paris.
Elle roulait vite. Le froid vif lui brûlait le visage. Elle connaissait le trajet par cœur.
A peine arrivée, une femme la prit en charge dans un hall très éclairé. Un sapin décoré clignotait. Elles traversèrent un long couloir jusqu’à une porte.
_ Les autres se préparent.
_ J’y vais.
_ Faut d’abord que je vérifie votre dossier.
Elle lui tendit une chemise. La femme, lunettes au bord du nez, commença à éplucher les documents. L’adolescente détourna les yeux, ventre noué. Pourvu qu’elle ne se rende compte de rien. Elle retint son souffle.
_ C’est bon. Tenez votre badge avec votre numéro.
_ Un badge ?
_ Seul l’huissier connaît les noms des candidates.
Des parfums mêlés flottaient dans les vestiaires. La plupart des filles déjà prêtes, vêtues et maquillées. Les sourires de connivence camouflaient mal les tensions ; elles se fouillaient du regard, évaluant les chances des unes et des autres. Elle aussi les détailla, surtout leurs poitrines. Comptant beaucoup sur ses seins, elle avait choisi un large décolleté et, devant le miroir, s’était entraînée des heures durant à adopter une démarche pour les faire déborder discrètement du tissu. Sa mère, rentrée plus tôt un soir, avait éteint la chaîne en hurlant : « Retire ces fringues de pute ! ». L’examen des concurrentes la rassura. Elle enleva basket, jean et T.shirt. Sa robe était légèrement froissée. Elle l’enfila et la repassa du plat de la main.
Une hôtesse ouvrit la porte.
_ On vous attend.
Le vestiaire se vida d’un seul coup. Elle se chaussa et s’apprêta à sortir.
« Merde ! »
Elle versa le contenu de son sac sur le sol et vérifia une à une chacune des poches. En vain. Elle se laissa tomber sur le banc. Une voix dans le haut-parleur invitait le public à rejoindre les gradins. C’est foutu, se résigna-t-elle, incapable du moindre geste. Une larme roula le long de sa joue. Première fois qu’elle perdait confiance.
Soudain, elle se rua sur un sac et le fouilla. Rien. Elle en ouvrit un autre et tomba sur une trousse de toilette rebondie. Cette nana doit mettre tout son fric là-dedans, ironisa-t-elle. Un petit sourire au miroir avant la séance de maquillage.
« Vous pouvez applaudir ces jeunes filles ! ».
Essoufflée, elle rejoignit les autres participantes. Une trentaine debout côte à côté sur une scène improvisé dans un gymnase. Au-dessus de leurs têtes, un panier de basket relevé. Et face à elles, le jury : trois femmes et deux hommes derrière des tables en bois. Chacun portait une oreillette et avait un portable devant lui. Sur le côté, un caméraman filmait.
Les gradins, bourrés à craquer, grinçaient au moindre mouvement. De part et d’autre s’étalaient les banderoles des sponsors, une banque, le quotidien régional et plusieurs commerçants. Des mains s’agitaient en direction des adolescentes. Beaucoup de mères, certaines vêtues et percés comme leurs filles. Les rares hommes se faisaient très petits.
L’un des jurés se leva, micro à la main :
_ Bienvenues à toutes et à tous. Je suis donc le président de cette 11ème concours régional de beauté de notre région. Comme vous pouvez le constater, notre région, outre les beaux paysages, possèdent aussi d’autres genres de paysages.
Un éclat de rire l’interrompit.
_ Mesdemoiselles, reprit-il, nous déclarons le concours de miss région ouvert. Place au rêve et à la beauté !
Il attendit la fin des applaudissements pour appeler la première de la liste.
La lumière déclina progressivement tandis qu’une brune dans une robe moulante rouge gagnait le devant de la scène. Une hôtesse lui désigna une croix au sol. Les pieds rivés dessus, elle se dandina avec un sourire gêné. Elle promena les yeux sur l’assistante comme à la recherche d’un regard familier. Le gymnase plongé dans l’obscurité, les haut parleurs déversèrent de la techno. Et la lumière d’un projecteur balaya la scène avant de se poser sur l’adolescente. Elle ne bougea pas, figée comme un animal aveuglé par des phares. L’hôtesse lui demanda d’un signe de commencer.
Elle défila, le corps très raide. A un moment, l’un de ses talons se tordit et elle faillit glisser. L’inquiétude se lisait sur son visage. A chaque pas, elle hésitait. La musique s’arrêta. Elle reprit sa place, apparemment soulagée d’en finir. L’hôtesse lui fit descendre les quelques marches et, sous les applaudissements, la guida jusqu’ à la rangée de gradins réservés.
Les jurés pianotèrent. Toussotement et bruit des doigts sur le clavier se partagèrent le silence. Le président susurra à l’oreille de sa voisine et appela la deuxième candidate. Plus à l’aise que la précédente, elle salua le public avant d’attaquer sa prestation. Une prestation très applaudie.
Quand ce fut son tour, elle rajusta sa robe et avança. Elle se répétait : « T’ es la plus belle ! T’es la meilleure ! ».Dès la première note, elle se redressa. D’un geste étudié, elle ramena ses cheveux en arrière, adressa un sourire aux jurés puis, poitrine en avant, elle marcha lentement, très près du bord. A quelques centimètres des jurés. Elle ondulait des hanches, imitant les poses aguicheuses des marionnettes de clips. Pas le moindre regard sur la salle. Concentrée sur ce moment qu’elle aimerait tant étirer, étirer jusqu’à l’infini. Rester dans la lumière et le son.
« C’est pas pour toi ! ».
Elle s’affala sur le siège, dégoulinante de sueur. Vidée. Les applaudissements encore dans les oreilles. Elle ne bougeait plus, sourire béat. Son seul regret : l’absence de sa tante. C’était elle qui lui avait offert la robe.
Après le dernier passage, les jurés se déplacèrent dans une pièce pour délibérer. Les organisateurs projetèrent deux courts métrages. Une vague de bavardages envahit la salle. Deux hôtesses encadraient les adolescentes, les empêchant de rejoindre les membres de leurs familles qui ne cessaient de les appeler. Les ados, impatientes, ne cessaient de parler. Certaines se rongeaient les ongles, d’autres rajustaient leur robe, la plupart trituraient leurs mobiles muselés pour la cérémonie. Elle aussi était tendue.
Quand le jury revint, tous se turent. Les yeux tous dirigés sur le bureau. Le président grimpa sur la scène et, après un bref historique des votes, annonça la troisième place.
Elle esquissa un sourire, soulagée de ne pas se retrouver au pied du podium.
A l’annonce de la deuxième place, une rousse se leva d’un bond et pleura de joie. Elle bredouilla une phrase incompréhensible en agitant les bras. Une femme cria « Bravo ! » et applaudit. D’autres l’imitèrent. Elle rejoignit la troisième sur scène. Le président l’embrassa et lui offrit un bouquet de fleurs.
_ Dans quelques instant, reprit-il après avoir attendu le silence, j’appellerai la gagnante que notre aimable hôtesse ira chercher. Mais, avant ce moment tant attendu, je tiens, au nom de toute l’organisation, à remercier….
Il cita un à un les partenaires publics et privés. Elle se mit à le haïr, déversant d’un seul coup sur lui toute la tension accumulée. Pourquoi ne crache-t-il pas le morceau ? Elle avait la tête au bord de l’implosion. Il s’arrêta. Enfin, souffla-t-elle.
La salle à nouveau plongée dans le noir.
_ Je rappelle donc à tout le monde que l’heureuse gagnante de ce soir sera sélectionnée pour aller à la capitale et… Elle sera prise en mains par une agence de mannequins international. En attendant que commencent les rêves, j’ai le plaisir…
Il toussota.
Des chuchotements dans la travée. Une hôtesse, lampe de poche à la main, se frayait un passage parmi les candidates. Soupirs et larmes étouffés dans son sillage.
Doigts croisés, elle ferma les yeux.
_ La gagnante porte le badge numéro 19.
Elle fondit en larmes.




Quelques titres de Mouloud Akkouche
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07/10/2008

Ani Difranco

Ani Difranco



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koa ki di wiki sur Ani?


Eléments biographiques

Elle naît le 23 septembre 1970 à Buffalo, New York. Sa carrière musicale débute avec ses premières apparitions dans des concerts alors qu'elle est âgée de neuf ans. En 1989, à dix-huit ans, elle lance sa maison de disques, Righteous Babe Records, avec seulement 50$US, et enregistre son premier album qui porte son nom. Elle déménage ensuite à New York et entame de là une longue tournée.
Sans le soutien des medias grands public, sa notoriété se développe dans le milieu des années 1990 essentiellement grâce au bouche-à-oreille, ce qui crée un esprit communautaire entre ses fans. Elle est particulièrement populaire dans les milieux étudiants militants, particulièrement sensibles à son engagement politique.
Ouvertement bisexuelle, elle se marie en 1998 avec Andrew Gilchrist, ingénieur du son. Ils se séparent cinq ans plus tard.
En juillet 2005, on lui diagnostique une tendinite. Elle est obligée de s'arrêter de tourner pour quelque temps, ce qu'elle n'avait fait jusqu'ici que le temps d'enregistrer ses albums studios. Elle n'a repris la scène que fin avril 2006.
Le 20 janvier 2007, elle a donné naissance à une petite fille, Petah Lucia. Le père de l'enfant est le compagnon d'Ani, Mike Napolitano, co-producteur de son album Reprieve.
Style

La musique d'Ani Difranco est habituellement rattachée aux catégories folk rock et rock indépendant. Les textes y occupent une place prépondérante.

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Inspiration

Ses compositions sont généralement d'inspiration auto-biographique et ont une forte coloration politique et sociale. Elle y aborde en particulier le racisme, le sexisme et les abus sexuels, l'homophobie, l'avortement, la pauvreté ou la guerre. Elle mêle avec ironie des composantes personnelles et politiques au sein des mêmes chansons. Ses textes sont très travaillés : elle utilise allitérations et métaphores et les jeux de mots sont très présents. Elle chante avec un phrasé rapide, souvent de manière « parlée », variant ainsi les rythmes.
Son engagement politique dépasse les frontières de son art et elle s'implique dans le débat politique américain comme en 2000 où elle a soutenu la candidature de Ralph Nader ou en 2004 et 2008 où elle a soutenu le candidat démocrate Dennis Kucinich lors des primaires.

Musique

Ani Difranco est aussi une guitariste virtuose comme en témoigne le morceau Out of Range (sur l'album Ani Difranco).
Bien que d'influence folk rock, elle s'efforce depuis ses premiers albums de ne pas se laisser enfermer dans un genre. Elle a ainsi collaboré avec de nombreux artistes de style différents tels que l'artiste pop Prince, le musicien folk rock Utah Phillips, ou le rappeur Corey Parker. Elle soigne aussi ses arrangements en utilisant une grande variété de styles ou d'instruments tels que les cuivres (mis à l'honneur sur l'album Little Plastic Castle) ou les cordes (très utilisée sur l'enregistrement en public Living in Clip ou sur Knuckle down).
Selon les albums, elle a pu collaborer avec de nombreux musiciens (tel le batteur Andy Stochansky ou plus recemment Julie Wolf, Andrew Bird ou Todd Sickafoose) ou au contraire travailler avec une équipe très limitée (comme sur ses premiers albums ou sur Educated Guess).

Righteous Babe Records

Ani Difranco est aussi largement reconnue pour le succès de son label, Righteous Babe Records (RBR).
Le fait qu'elle en ait la direction lui permet une grande liberté artistique, y compris celle de sortir des disques aussi souvent qu'elle le souhaite ou celle de s'affranchir de la censure, sur les sujets qu'elle aborde ou sur le vocabulaire qu'elle utilise. Bien plus que la réussite financière de son entreprise (qui emploie de nombreuses personnes à Buffalo, sa ville natale) c'est l'indépendance artistique qu'elle lui procure qui a le plus d'importance à ses yeux. Elle le rappelle en 1997 dans une lettre ouverte adressée au magazine Ms. [1].
Elle fait régulièrement référence à son indépendance vis-à-vis des majors dans ces chansons. Ainsi, dans The million you never made, elle disserte sur le fait de refuser un contrat lucratif. Dans Napoleon (sur l'album Dilate), elle plaint un ami ayant signé avec une major (certains ont cru reconnaître Suzanne Vega). Dans The next big thing (sur l'album Not so soft) elle imagine une rencontre avec un chasseur de têtes de l'industrie musicale qui évalue un artiste sur sa seule apparence.
Ani Difranco s'associe occasionnellement à Prince pour communiquer sur les problèmes engendrés par les grandes maisons de disques.

06/10/2008

Bernard Hugues (2)

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Conte du quotidien mêlé d’actualité.

Sur le chant de l’oiseau là posé sur la branche, le bruit de l’avion là-haut dans le ciel clair.
Chaque fois je me disais si de cet avion tombait maintenant des bombes ?
C’est pourtant ce qui se passe ailleurs, sur d’autres terres si semblables à celles ci, d’autres terres où les hommes ont sans doute le même goût de jardins fertiles, de prés fleurissant et de vergers.
Hier au soir sur la scène le clown m’a fait rire aux éclats, m’a fait rire aux larmes, hier matin sur un lointain continent un pays a envahi un autre pays, bruits de chars et coups de canons. Hier toute la journée j’ai rebâti les murs éboulés pierre sèche sur pierre sèche.
Ce matin les armées des deux pays en guerre poursuivent les combats, ici je continue à poser pierre sur pierre, si patiemment, si attentivement, si obstinément. Les morts là-bas s’alignent et s’entassent comme ici les pierres, et plus vont les morts plus je remonte de murs solides et droits. Combien d’hectares en murettes aux deux tiers éboulées et combien de pays en guerre ? D’hommes et de femmes meurtris, abattus ? de petits enfants tremblants et apeurés ?
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Peinture Bernard Hugues
Les voyez-vous pleurant dans le fracas des bombes ces tout petits enfants aux yeux démesurés qui ne comprennent pas l’effroyable hécatombe ? Et toujours plus de pays entrent en guerre, alliés de ceux-ci, alliés de ceux là. Ici les murs s’ajoutent aux murs, un jour toutes les murettes seront debout pour longtemps et chaque terrasse parfaitement cultivable. Mais là-bas et partout combien d’hommes, combien de femmes, combien d’enfants auront été couché pour toujours ?

Un jour ici la terre resplendira, alors que peut-être tous les pays seront en guerre, un jour ici la terre couverte de prés en fleurs, de vergers et de culture chantera sous le soleil, alors que peut-être une bombe viendra creuser un grand trou dans tout cela.
Ces crêtes qui nous entourent, nous projetant si loin du reste du monde, quel écran fragile et tissé d’illusions !


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peinture Bernard Hugues


Les textes courts de Bernard Hugues sont pour la plupart inédits, à part quelques uns que j'avais publié à l'époque dans le revue Ressacs.

03/10/2008

Bernard Hugues

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Son manuscrit était arrivé au courrier en service de presse. Il l'avait tapé à la machine, ronéoté agrafé et encollé cahier par cahier à la main. Du travail d'artisan, avec peu de moyens, mais bien fait, propre net. On avait décidé de lui racheter le stock restant. Il était venu nous l’apporter dans les Pyrénées. Le train était déjà reparti, ses deux cartons bourrés de papier à ses pieds, en paysan cévenol solide. Il nous attendait sur le quai de la gare de Coarraze. Il avait ficelé ses paquets et souriait heureux d'être arrivé après un si long voyage.

Dans sa montagne, il habitait un hameau relié au monde par une simple piste qui se tortillait dans le chant des cigales. Au bout, quelques habitants affrontaient la solitude des grands châtaigniers, la sécheresse de l'été et la neige de l'hiver. Il vivait là au rythme des saisons partageait son temps entre son atelier d'artiste peintre et son jardin. Dans ce paradis d'arbres et de vallées.
Il avait aménagé sa maison, de ses mains remonté des pans de murs, consolidé des toitures. Il parlait peu et abattait son travail avec la constance d'une machine. De la journée, il ne s'accordait un instant de répit que pour se rouler une cigarette de tabac gris.
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Ils n'étaient plus que six habitants dans ce coin perdu, deux couples de jeunes nouvellement arrivés et des autochtones nés là, ayant vécus là, sans intention d'aller ailleurs. Leur seul paysage étant ces dômes de montagnes et la vallée qui s'enfonce devant eux. Ils s'y sentaient en sécurité cachés dans un pli de la terre, loin de ces étendues à perte de vue où l'oeil ne peut pas se reposer que sur des points fixes.

Tout autour de la maison, il avait débroussaillé, et jusque loin sous les arbres, car il redoutait l’ennemi sournois qui ne prévient pas ; le feu. Parfois les Canadairs passaient au-dessus de la colline si prés tête, qu'ils apercevait les pilotes dans leur combinaison jaune aux commandes de leur arroseur céleste.

Dans son livre, il parlait si bien de ces gens qui savent qu'ils ne sont pas faits pour être soldats et qui se refusent à rentrer dans le rang quoi qu’il leur en coûte. Il avait écrit cette histoire que lui avait raconté son ami, ce témoignage d'un simple ouvrier agricole qui avait décidé de se suicider plutôt que de courber l'échine. La grande muette n’était pas parvenue à faire obéir ce simple paysan, pensant faire plier celui-là comme les autres. C'était faire peu de cas de l'entêtement cévenol, car, pour vivre dans ces conditions de rudesse, têtu il faut l'être.
Mais cela en vaut la peine et la récompense est là quand on se lève le matin sur cet étang de brume qui recouvre la vallée. Ce spectacle qui vaut bien tous les sacrifices. Dans ce pays vidé de travail, ne reste que des retraités, car comment vivre avec ces revenus que veut bien accorder la terre. Les arpents abandonnés tout autour partaient en friches.
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Il vivait hors du temps et s'employait à peindre, à écrire et à planter des châtaigniers sur ses terres. Roc face à la mer. Rien semble-t-il n'aurait pu l'entamer. Il dégageait une telle énergie paisible et offrait ses sourires si naturellement. Occupé par ses passions, il semblait indéracinable dans sa veste de velours. Il a préparé le repas sur le feu de cheminée, et s'en est allé chercher à la cave un grand bocal de sa récolte de cèpes, et les a accompagnés d'un confit et d’un vin local.


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Bernard Hugues était peintre et écrivain. Il est décédé en 2003.

Le Refus publié en 1982 aux éditions Ressacs, va reparaître aux éditions l'Arganier dans la collection ressacs. Une rétrospective de l'oeuvre peinte de Bernard Hugues aura lieu en mai 2009 dans les Cévennes.
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01/10/2008

La Crevaille de Claude Pélieu


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quand on pense

que G. Bush était sur

la liste des candidats

au prix Nobel de la Paix !

où sommes-nous

pèlerins de l’espace ?!?>Plieu8bis.jpg



NEWS FROM PELIEU'S GALAXY



Le numéro collectif est à la correction. Il va sortir comme prévu dans la deuxième quinzaine de novembre.

La maquette de la Crevaille dernier manuscrit de Claude Pélieu est en bonne voie de réalisation, maquette quasi bouclée...
Reste la 4ème de couverture à faire....

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