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18/10/2008

Pas pour toi....

Une nouvelle de Mouloud Akkouche
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Elle ôta sa robe et monta sur le pèse-personne. Des chiffres lumineux défilèrent. Elle les suivit des yeux, tendue. Quarante neuf kilos et cent vingt grammes s’afficha sur le petit écran. Elle sourit et regagna sa chambre, robe à la main. Elle la posa sur une chaise, se glissa dans le lit et envoya un SMS. La réponse en écho : « Fonce! » la fit sourire. Elle se leva et ouvrit un sac à dos.
Casque à la main, elle poussa le scooter et démarra au bout de la rue. Ses parents dormaient encore. « Tu iras pas à ce truc ! C’est pas pour toi ! ». Son père avait refusé mais, têtue, elle imita sa signature et renvoya le formulaire d’inscription. Tout le monde lui avait déconseillé d’y participer. Sauf une de ses tantes. Ils me verront à la télé, se réjouit-elle d’avance. Prête à partir pour Paris.
Elle roulait vite. Le froid vif lui brûlait le visage. Elle connaissait le trajet par cœur.
A peine arrivée, une femme la prit en charge dans un hall très éclairé. Un sapin décoré clignotait. Elles traversèrent un long couloir jusqu’à une porte.
_ Les autres se préparent.
_ J’y vais.
_ Faut d’abord que je vérifie votre dossier.
Elle lui tendit une chemise. La femme, lunettes au bord du nez, commença à éplucher les documents. L’adolescente détourna les yeux, ventre noué. Pourvu qu’elle ne se rende compte de rien. Elle retint son souffle.
_ C’est bon. Tenez votre badge avec votre numéro.
_ Un badge ?
_ Seul l’huissier connaît les noms des candidates.
Des parfums mêlés flottaient dans les vestiaires. La plupart des filles déjà prêtes, vêtues et maquillées. Les sourires de connivence camouflaient mal les tensions ; elles se fouillaient du regard, évaluant les chances des unes et des autres. Elle aussi les détailla, surtout leurs poitrines. Comptant beaucoup sur ses seins, elle avait choisi un large décolleté et, devant le miroir, s’était entraînée des heures durant à adopter une démarche pour les faire déborder discrètement du tissu. Sa mère, rentrée plus tôt un soir, avait éteint la chaîne en hurlant : « Retire ces fringues de pute ! ». L’examen des concurrentes la rassura. Elle enleva basket, jean et T.shirt. Sa robe était légèrement froissée. Elle l’enfila et la repassa du plat de la main.
Une hôtesse ouvrit la porte.
_ On vous attend.
Le vestiaire se vida d’un seul coup. Elle se chaussa et s’apprêta à sortir.
« Merde ! »
Elle versa le contenu de son sac sur le sol et vérifia une à une chacune des poches. En vain. Elle se laissa tomber sur le banc. Une voix dans le haut-parleur invitait le public à rejoindre les gradins. C’est foutu, se résigna-t-elle, incapable du moindre geste. Une larme roula le long de sa joue. Première fois qu’elle perdait confiance.
Soudain, elle se rua sur un sac et le fouilla. Rien. Elle en ouvrit un autre et tomba sur une trousse de toilette rebondie. Cette nana doit mettre tout son fric là-dedans, ironisa-t-elle. Un petit sourire au miroir avant la séance de maquillage.
« Vous pouvez applaudir ces jeunes filles ! ».
Essoufflée, elle rejoignit les autres participantes. Une trentaine debout côte à côté sur une scène improvisé dans un gymnase. Au-dessus de leurs têtes, un panier de basket relevé. Et face à elles, le jury : trois femmes et deux hommes derrière des tables en bois. Chacun portait une oreillette et avait un portable devant lui. Sur le côté, un caméraman filmait.
Les gradins, bourrés à craquer, grinçaient au moindre mouvement. De part et d’autre s’étalaient les banderoles des sponsors, une banque, le quotidien régional et plusieurs commerçants. Des mains s’agitaient en direction des adolescentes. Beaucoup de mères, certaines vêtues et percés comme leurs filles. Les rares hommes se faisaient très petits.
L’un des jurés se leva, micro à la main :
_ Bienvenues à toutes et à tous. Je suis donc le président de cette 11ème concours régional de beauté de notre région. Comme vous pouvez le constater, notre région, outre les beaux paysages, possèdent aussi d’autres genres de paysages.
Un éclat de rire l’interrompit.
_ Mesdemoiselles, reprit-il, nous déclarons le concours de miss région ouvert. Place au rêve et à la beauté !
Il attendit la fin des applaudissements pour appeler la première de la liste.
La lumière déclina progressivement tandis qu’une brune dans une robe moulante rouge gagnait le devant de la scène. Une hôtesse lui désigna une croix au sol. Les pieds rivés dessus, elle se dandina avec un sourire gêné. Elle promena les yeux sur l’assistante comme à la recherche d’un regard familier. Le gymnase plongé dans l’obscurité, les haut parleurs déversèrent de la techno. Et la lumière d’un projecteur balaya la scène avant de se poser sur l’adolescente. Elle ne bougea pas, figée comme un animal aveuglé par des phares. L’hôtesse lui demanda d’un signe de commencer.
Elle défila, le corps très raide. A un moment, l’un de ses talons se tordit et elle faillit glisser. L’inquiétude se lisait sur son visage. A chaque pas, elle hésitait. La musique s’arrêta. Elle reprit sa place, apparemment soulagée d’en finir. L’hôtesse lui fit descendre les quelques marches et, sous les applaudissements, la guida jusqu’ à la rangée de gradins réservés.
Les jurés pianotèrent. Toussotement et bruit des doigts sur le clavier se partagèrent le silence. Le président susurra à l’oreille de sa voisine et appela la deuxième candidate. Plus à l’aise que la précédente, elle salua le public avant d’attaquer sa prestation. Une prestation très applaudie.
Quand ce fut son tour, elle rajusta sa robe et avança. Elle se répétait : « T’ es la plus belle ! T’es la meilleure ! ».Dès la première note, elle se redressa. D’un geste étudié, elle ramena ses cheveux en arrière, adressa un sourire aux jurés puis, poitrine en avant, elle marcha lentement, très près du bord. A quelques centimètres des jurés. Elle ondulait des hanches, imitant les poses aguicheuses des marionnettes de clips. Pas le moindre regard sur la salle. Concentrée sur ce moment qu’elle aimerait tant étirer, étirer jusqu’à l’infini. Rester dans la lumière et le son.
« C’est pas pour toi ! ».
Elle s’affala sur le siège, dégoulinante de sueur. Vidée. Les applaudissements encore dans les oreilles. Elle ne bougeait plus, sourire béat. Son seul regret : l’absence de sa tante. C’était elle qui lui avait offert la robe.
Après le dernier passage, les jurés se déplacèrent dans une pièce pour délibérer. Les organisateurs projetèrent deux courts métrages. Une vague de bavardages envahit la salle. Deux hôtesses encadraient les adolescentes, les empêchant de rejoindre les membres de leurs familles qui ne cessaient de les appeler. Les ados, impatientes, ne cessaient de parler. Certaines se rongeaient les ongles, d’autres rajustaient leur robe, la plupart trituraient leurs mobiles muselés pour la cérémonie. Elle aussi était tendue.
Quand le jury revint, tous se turent. Les yeux tous dirigés sur le bureau. Le président grimpa sur la scène et, après un bref historique des votes, annonça la troisième place.
Elle esquissa un sourire, soulagée de ne pas se retrouver au pied du podium.
A l’annonce de la deuxième place, une rousse se leva d’un bond et pleura de joie. Elle bredouilla une phrase incompréhensible en agitant les bras. Une femme cria « Bravo ! » et applaudit. D’autres l’imitèrent. Elle rejoignit la troisième sur scène. Le président l’embrassa et lui offrit un bouquet de fleurs.
_ Dans quelques instant, reprit-il après avoir attendu le silence, j’appellerai la gagnante que notre aimable hôtesse ira chercher. Mais, avant ce moment tant attendu, je tiens, au nom de toute l’organisation, à remercier….
Il cita un à un les partenaires publics et privés. Elle se mit à le haïr, déversant d’un seul coup sur lui toute la tension accumulée. Pourquoi ne crache-t-il pas le morceau ? Elle avait la tête au bord de l’implosion. Il s’arrêta. Enfin, souffla-t-elle.
La salle à nouveau plongée dans le noir.
_ Je rappelle donc à tout le monde que l’heureuse gagnante de ce soir sera sélectionnée pour aller à la capitale et… Elle sera prise en mains par une agence de mannequins international. En attendant que commencent les rêves, j’ai le plaisir…
Il toussota.
Des chuchotements dans la travée. Une hôtesse, lampe de poche à la main, se frayait un passage parmi les candidates. Soupirs et larmes étouffés dans son sillage.
Doigts croisés, elle ferma les yeux.
_ La gagnante porte le badge numéro 19.
Elle fondit en larmes.




Quelques titres de Mouloud Akkouche
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Commentaires

Bonjour,

J'ai fini ma journée en extérieur d'hier avec Mouloud Akkouche, je démarre mon dimanche avec un texte de lui, différent de celui de la veille mais pareillement tout en tension, derrière la tendresse. merci !

Jojo

Écrit par : Joelle Cuvilliez | 19/10/2008

Ce n'est pas moi qu'il faut dire merci mais à l'ami Mouloud qui me fait l'honneur de publier des nouvelles sur mon blog....

Écrit par : admin | 19/10/2008

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