Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/12/2007

La très belle histoire du vigneron bourguignon candide et de son ouvrier sans-papiers aux prises avec la diabolique administration...

05edb8424ffcddaf5d144b6260165dc3.jpg

collage Maryvonne Le Quellec

Source: Libération
Alice Géraud

C’est un «vieil homme de la vieille droite», comme il dit, qui semble avoir subitement égaré ses certitudes. Un notable bourguignon qui porte beau la casquette Sherlock Holmes, vouvoie son épouse, mais se met à dire des jurons la voix gonflée de colère. Un employeur qui ne comprend pas pourquoi on lui a «enlevé» son salarié. Un monsieur qui pleure un ami. Michel Millet, riche propriétaire de vignes sur la côte chalonnaise, avait rencontré Benali Sahnoune en 2005, via une de ses connaissances parmi la communauté harki.
Millet est un ancien officier de l’armée française en Algérie. Il en a conservé un vocable suranné aux accents plus paternalistes que colonialistes à l’égard de la communauté arabe. Benali Sahnoune, algérien, était alors clandestin en France, il n’avait pas de boulot. Millet l’a fait embaucher sur le domaine viticole de sa fille. Petit à petit, le travailleur clandestin a appris le métier de la vigne. Il a commencé par trier les sarments, puis se familiarisant, il a appris à les attacher, à ébourgeonner, à tailler… «C’est un bon vigneron», dit Michel Millet. Mais, la semaine dernière, alors qu’il se rendait sur le domaine de Châtenoy-le-Royal (Saône-et-Loire), Benali Sahnoune a été arrêté sur la route par les gendarmes et emmené au centre de rétention administrative de Lyon. Il doit être expulsé d’un jour à l’autre vers l’Algérie. Michel Millet a d’abord été en colère. Puis il a pleuré. L’histoire de Benali Sahnoune se confond avec celle des milliers de clandestins expulsés chaque année. En 2002, il a fui le nord-ouest d’Alger, région sinistrée par la guerre civile, laissant sur place femme et enfants, pour espérer trouver un travail en France. Il a rejoint Chalon-sur-Saône, où son père est installé depuis 1962, sa mère et ses frères et sœurs (français, eux) depuis une quinzaine d’années. Il s’est vu refuser, comme la plupart des Algériens, le statut de réfugié. A quand même trouvé du boulot. Déclaré. Il pensait que cela plaiderait pour sa régularisation. Il s’est trompé.

Lors de son arrestation, il a montré ses feuilles de paie, ses cotisations à la Mutuelle sociale agricole… «Ils m’ont dit que ça ne servait à rien.» Benali Sahnoune est résigné. Michel Millet, son employeur, n’y arrive pas. Benali Sahnoune sait que «c’est comme ça». Michel Millet ne le savait pas. Cet homme de 73 ans vient de découvrir une France qu’il ne connaissait pas. Celle «des humiliations» et «du mépris». Comme sa fille, il a été convoqué chez les gendarmes. Il lui a été signifié qu’il pouvait être poursuivi pour «aide à l’entrée, au séjour et à la circulation d’un étranger en situation irrégulière». Le procureur n’a pas voulu donner suite. Mais Michel Millet n’est pas dupe : «On est une famille de notables convenables, cela explique.»

Quelques jours après l’arrestation de Benali Sahnoune, il s’est rendu avec Zerka et Amoulkeir, les deux sœurs de Benali, au centre de rétention administrative de l’aéroport de Lyon. Après deux heures de route, ils ont sonné au centre de rétention. On leur a demandé d’attendre sous le vague Abribus qui fait office de salle d’attente. Au bout de trois quarts d’heure dans le froid, croyant avoir été oubliés, ils ont resonné. Les policiers sont sortis, leur ont fait comprendre que leur impatience était de mauvais aloi. Ils ont été sanctionnés d’une privation de visite et sont repartis à Chalon. La colère au ventre. Avec un accent bourguignon comme on n’en entend plus, le «r» roulant et traînant, Michel Millet peste contre «cette droite de cons».

L’ancien président local de la CGPME (le très droitiste syndicat des petits et moyens patrons), qui fréquente le ban et l’arrière-ban des notables chalonnais, a des gros mots pleins la bouche contre la politique d’immigration de la France, la politique tout court et ses représentants. A sa femme qui s’inquiète de le voir sortir de ses gonds face à la presse, il répond : «Ne vous inquiétez pas Geneviève, je sais que je parle à un journal de gauche, je prends toutes les précautions d’usage.» Les sœurs de Benali sourient. Parfois le taclent sans ménagement.

Curieux trio que ce monsieur aux allures de gentleman-farmer version bourguignonne de la IIIe République et ces deux jeunes femmes portant le voile et le verbe haut. Ils sont retournés ensemble mercredi au centre de rétention pour un dernier au revoir à Benali. Cette fois-ci, ils ont pu entrer. Ils lui ont apporté sa valise et quelques cadeaux pour la famille au bled. Ils ont droit à vingt minutes d’entretien. Dans la salle aux murs blafards, personne n’arrive vraiment à parler. Michel Millet répète : «C’est ridicule tout ça.»


QUOTIDIEN : samedi 15 décembre 2007

15/12/2007

Le chant des gnaouas

ABDELJALIL KODSSI

06072f0a9d834e5f5221967e893f6915.jpg


l'étrange destin du barbier de la place Jemma el Fnaa


Sur le net je cherchais des informations sur Geoffrey Oryema, je suis tombé en arrêt devant la photo d'Abdeljalil dont j'avais perdu la trace. Il n'était plus coiffeur sur la place Jemma el Fnaa et je n'avais pas retrouvé son adresse, car il avait quitté Marrakech pour Barcelone. C'est grâce à feu Jean Michel Zangronitz, alors directeur du centre culturel français de Marrakech que je l'avais rencontré et nous avions sympathisé. J'avais lu des textes avec lui en accompagnement et son groupe Mluk el Hawa, lors d'une soirée dans le théâtre de plein air du centre route de la Targa, noir de monde. Lui et son groupe on déchaîné l'auditoire. C'est là que j'ai vu pour la première fois des gens en transe. A l'époque le groupe Mlouk el Hawa répétait dans la maison que Juan Goytissolo leur prêtait en son absence. La voix d'Abdeljalil était déjà puissante, envoutante, chaleureuse.

J'avais écrit ce texte, publié dans la revue propos de campagne, en pensant à lui...


Assis chez le barbier, j'ai contemplé le bruit furieux de la place rouge. Offert la gorge tendue je regardais dans la glace cet homme qui affûtait une lame luisante. Et s'il lui venait l'idée de me trancher la gorge ?
J'ai eu un moment de panique. D'une main le coiffeur me tendait la peau, de l'autre tenait le rasoir. La caresse du métal me rongeait les poils. J'ai fermé les yeux pour ne pas montrer mon désarroi. La lame en grattant lentement glissait sur mes veines.
Le bruit de l'acier se répercutait dans les mâchoires. Aucune expression sur le visage du barbier ne laissait présager un tel dessin. J'avais choisi d'accepter et je pensais que quoi qu'il advienne, en me soumettant à la mort, je renaîtrais à mon destin.
Quelqu'un décidait à ma place et me laissait la possibilité de vivre. Je n'avais plus à choisir. Peut-être ne me tuerait-il pas, mais prendrait-il le soin de me balafrer affreusement. Mon sang giclerait sur les flacons de parfums, le fauteuil, le miroir, la céramique blanche. Sur le visage il m'a passé de l'eau chaude, puis froide après m'avoir massé avec un onguent. Il m'a détaché la serviette du cou. Je payais et sortais heureux d'être encore vivant. La cigarette du barbier au parfum gras de haschich achevait de se consumer dans le cendrier.


au devenir d'un Maalem gnaoua



Fils d’une famille gnawa de la région de Marrakech, le chanteur et multi-instrumentiste Abdeljalil Kodssi a officié depuis son enfance au sein de nombreuses formations gnawa, ce « blues du maghreb ». Co-fondateur des mythiques Nass Marrakech, il a joué et enregistré avec des pointures aussi diverses que Al Tall, Jorge Pardo ou Don Cherry.
Après sa carrière avec le groupe Nass Marrakech, et un premier projet solo, Mimoun, produit par Omar Sosa, Abdeljalil Kodssi revient avec Oulad Fulani Ganga, un album enregistré avec Javier Mas.
Riche de ses expériences musicales et humaines, il a édité son album intitulé Mimoun (la chance). Il a facilement convaincu Omar Sosa de jouer avec lui, tellement convaincu que le cubain a décidé de produire l’album !


05e148aa1c98afd8c323f81c321b742b.jpg


KODSSI est comme une figure hybride entre les grandes figures du rock, du jazz, du flamenco et de la musique gnawa, avec son adoption de l'art comme mode de vie. Il résiste à toutes formes de réduction de son art de jouer et de chanter, qui est sa forme d'être. Kodssi se maintient contre vent et marées comme un homme de la rue qui ne conçoit pas la vie sans musique, la musique sans vie : la vie sans vie.

Musicien, barbier, acteur, économiste, bricoleur et médium, dans chaque geste et dans chaque sourire de cet homme, se matérialise un instinct de fraternité. Balsamique, invincible, mythique, ce tendre grand frère de tous, Abdeljalil Kodssi, est le patriarche en fonction d'un clan imparable. Le prénom et le nom d'une certaine compréhension de la musique qui donne du sens à la vie."

VÍCTOR ANDRESCO Extraits de l'article portrait El Gran Hermano

à la reconnaissance internationale



1977: Abdeljalil Kodssi s'expatrie de son Maroc natal pour se dédier à la musique. Sur la place de Marrakech, dans son propre salon de coiffure, il régnait jusqu'à lors comme le meilleur barbier de la ville.

1980: Abdeljalil édite son premier album avec sa formation Mlouk El Hawa, s'en suit quatre autres avec une sortie annuelle et des tournées dans les pays arabes.

1984: Rencontre avec Juan Goytisolo qui va marquer un tournant décisif dans sa carrière artistique puisque c'est grâce à l'écrivain qu'Abdeljalil et son groupe sorte pour la première fois en Espagne à l'occasion de la présentation au public de l'une des oeuvres de l'écrivain. La rencontre a lieu dans le salon de coiffure d'Abdeljalil où les passants ont pour coutume de venir s'asseoir et prendre le thé. Juan Goytisolo découvre la musique de Jalil et decide de le présenter à son ami et plus grand rockeur espagnol Miguel Ríos, qui croit également au talent d'Abdeljalil.

1985: Les multiples apparitions d'Abdeljalil sur les scènes et dans les médias espagnols résultent très fructueux pour l'artiste: il joue avec son groupe dans les villes comme Madrid, Barcelone, Salamanque, Valence ... et entre en contact avec le groupe Al Tall qui leur facilite l'accès à la scène Française avec un premier concert à Marseille.

1986: Kodssi continue à jouer avec Mlouk El Hawa et sont invités pour la seconde année consécutive au Festival Troubadour de Valence. La collaboration artistique de Mlouk El Hawa avec le groupe Al Tall remporte un tel succès auprès du public, qu'ils décident d'enregistrer un album ensemble: Chirk El Andalus. C'est l'année où ils sortent également un nouvel album : Gemah El Frek. Abdeljalil continue son ascension en Espagne et au Maroc.

1987: Rencontre avec Hassan Hakmoun, musicien marocain vivant aux Etats Unis et qui collabore avec des musiciens tels Don Cherry et Peter Gabriel. A Berlin, Hassan présente Abdeljalil à Don Cherry, et Abdeljalil Kodssi est invité à jouer avec eux et Adam Ordorf à Berlin. S'en suit une tournée européenne en Autriche, en Allemagne, en Belgique, en Italie et en Suisse. Abdeljalil est invité aux tournées américaines et sa collaboration avec Hassan Hakmoun, Don Sherry et Adam Ordorf se maintiennent jusqu'en 1995, année de la mort de Don Cherry à Málaga.

1990: Kodssi rencontre Aziz et Sherif, les musiciens actuels de Nass Marrakech, au centre culturel français de Marrakech. L'entente artistique entre les trois musiciens est tellement fusionnelle, qu'ils décident d'enregistrer un album ensemble avec l'appui toujours de Juan Goytisolo.

1991: Nass Marrakech participe au prestigieux Festival GREC de Barcelone et le groupe s'établit définitivement dans la capitale catalane.

1995/1997: Années pendant lesquelles Abdeljalil Kodssi est sollicité par le groupe Ektal et Javier Mas, grâce aux multiples apparitions et succès remporté par Nass Marrakech sur la scène espagnole.

2000: Abdeljalil enregistre avec Javier Mas et Jordi Rallo, Tamiz, album de musique Arabo andalouse .La même année, il rencontre Omar Sosa au Womex de Berlin qui lui tombe dans les bras.

2001: Le second album de Nass Marrakech sort sous le titre de Bounderbala. Avec la colaboration artistique d'Omar Sosa, au piano, et Jorge Pardo, au saxophone.Elu meilleur album de l'année 2001 par l'Association Nord-americaine de Musique Indépendante.

2002: Publication du premier album Mimoun d'Abdeljalil Kodssi en solo, grâce à la réalisation et production artistique d'Omar Sosa pour Ventilador Music.

On trouve ses productions chez son éditeur espagnol Ventilador

IL est diffusé en france par Mosaic Music
d1d097970cbb5eb1f6c5751dceba27e8.jpg


koi ki di wikipédia sur les ganouas?



Selon de vieux et rares érudits Gnaouis, la musique et les rituels Gnawas, tirreraient leurs origines du Vaudou. Ces pratiques ont du se métamorphoser pour survivre et adopter l'islam comme religion afin d'assurer leur continuité (de même pour leurs cousins qui ont dû adopter le christianisme en Amérique).

Les Gnaouas ou Gnawas sont les descendants d'anciens esclaves issus de populations d'origines d'Afrique Noire (Sénégal, Soudan, Ghana...) Il furent amenés par les anciennes dynasties qui ont traversé l'histoire du Maroc et en partie celles de l'Algérie et de la Tunisie, en commençant par l'empire Almohade pour les travaux et les bâtiments des palais et le renforcement des armées. La constitution en confréries des gnaouas à travers le Maroc s'articule autour de maîtres musiciens (les mâallems), des joueurs d'instrument (quasi exclusivement les qraqech - sorte de crotales - et le gambri), des voyantes (chouaafa), des médiums et des simples adeptes. Ils pratiquent ensemble un rite de possession syncrétique (appelé Lila au Maroc, Diwan en Algérie) et où se mêlent à la fois des apports africains et arabo-berbères pendant lequel des adeptes s'adonnent à la pratique des danses de possession et à la Transe.
Le festival d'Essaouira au Maroc est un haut lieu de rassemblement annuel de cette confrérie.


14/12/2007

Preuves à l'appui...

756b59ee55e2cf6223b2bf88b9d1251e.jpg


Ai reçu ce mail qui m'a beaucoup fait rire...
Y a pas de raisons que je sois le seul à en profiter...

Cette chaîne a été commencée en 1625 par un moine capétien moldave éleveur de morues dans le but de sauver Thérèse, une petite fille gravement malade !
Aujourd'hui cette petite fille a 379 ans et elle est atteinte d'une hypertrophie des testicules et d'une fièvre affreuse de la grande thyroïde contractée lors d'un viol par un cerf en période de brame en forêt de Ramonville, à proximité d'une marre souillée par des déchets de matière fécale venue des égoûts du Chemin de Pécette.
De plus, lors d'un séjour au Zimbabwe, elle s'est fait bouffer une jambe par un ours blanc africain, espèce extrêmement rare qui a la particularité de sodomiser ensuite ses victimes.
Alors renvoyez s'il vous plaît ce message à tout votre entourage ! Et cela vous portera chance.
La preuve : En 1912, un jeune Irlandais fit suivre ce message par SMS. Dans la semaine, il se vit offrir une place pour la croisière inaugurale du plus prestigieux transatlantique britannique (titinac ou un truc de ce genre) direction New York. Lors de ce voyage il découvrit l'amour, les sorbets, et les bienfaits de la natation.
Ne gardez pas ce message sur votre ordinateur plus de 16 minutes sans quoi le mal sera porté sur vous à jamais.
La preuve : Il y a un peu plus de 2000 ans, un homme reçut ce message sur son ordinateur portable. Comme sa batterie était vide et qu'il ne pouvait pas la recharger vu qu'il n'y avait pas encore d'électricité à cette époque, il fut crucifié avec des clous rouillés et on lui mit sur la tête une casquette épineuse.

Ça fait tout de même réfléchir.
Alors n'hésitez plus ! Renvoyez ce message à tous vos amis. Cela leur portera chance :
Chaque fois qu'ils iront aux toilettes, il y aura du papier.
Chaque fois qu'ils achèteront des knackis à la volaille, y'aura 20 euro cents de réduction immédiate à la caisse.
Chaque fois qu'ils mangeront des moules, il n'y aura pas de petits crabes dedans (sauf pour ceux qui aiment bien).
Céline Dion deviendra aphone à vie.
Si vous le faites, en plus, vous recevrez prochainement un bon de réduction de 15 % valable dans tout le catalogue des 3 Cuisses (surtout à la page 69) et moi, je recevrai un bon de cuissage.
Ce message a fait le tour du monde 759 874 236 587 fois, ne brisez pas la chaîne !
Pour Thérèse, pour vous, pour moi, pour tous vos amis, ne brisez pas cette chaîne. Merci..."

Je chanterai pour toi

1960 :Le Mali indépendant se réveille chaque matin au son des chansons de Karkar (Boubacar Traoré), diffusées par la radio nationale. Il a tout juste 18 ans. « L’Elvis Presley Malien », au rythme de ses succès (« Mali twist », « Kayes-Bas » …), exhorte le pays tout entier à la reconstruction.
55661b98bda8903113142ff141c2de6c.jpg


Dès son jeune âge, Boubacar Traoré se passionne pour le football. Mais c’est en chapardant la guitare de son grand frère musicien qu’il se met à la musique, en autodidacte.

Dans les années soixante, dans un Mali devenu indépendant il multiplie les concerts et la radio diffuse ses chansons qui deviennent de véritables hymnes à ce pays en pleine reconstruction, plein d’espoir et de promesses.
Le succès est fulgurant ; Karkar est le chantre de ce nouvel élan. Il se souvient de cette époque de bohême : « Le peuple malien m’aimait. J’étais son Johnny Hallyday, son James Brown, mais je n’avais pas de quoi me payer des cigarettes. »

Dès la fin des années soixante, l’euphorie des commencements retombée, le Mali se fossilise dans une « révolution culturelle » de plus en plus rigide.
Le soir, les rues se vident, les cafés ferment, les guitares se taisent, la bohême s’achève et les contingences naturelles contraignent Boubacar Traoré à laisser de côté sa musique. Il travaille alors comme tailleur ou comme ouvrier agricole. « Si tu es marié et si tu as des enfants, tu ne peux pas faire de la musique, parce que tu ne gagnes pas d’argent avec. Alors je ne joue pas. » Ce silence durera plus de 20 ans.


3134f1293d20ed2b1b2cfb28aeea0571.jpg


En 1981, la mort de son frère fait renaître le mythe : Le Mali tout entier dans la confusion, pense avoir perdu celui dont les chansons avait accompagné l’indépendance. Quelques années plus tard, des journalistes de la télévision malienne retrouvent par le grand des hasards Karkar bien vivant, derrière une table au marché de Kayes où il vendait des babioles. Ressuscité, il fait exploser le standard téléphonique de la chaîne à qui il donne une interview en direct.

Mais la confusion perdure : Le Mali ne fait pas le lien entre le mythe Karkar et le chanteur Boubacar Traoré.

En 1988, Pierrette, sa femme adorée, décède lors d’un accouchement. Anéanti, Karkar confie ses enfants à une vieille tante et, sur les conseils d’un ami, part en France pour refaire sa vie. Il erre alors pendant des années dans les foyers Sonacotra de la région parisienne et travaille comme maçon.
C’est un producteur de disques anglais qui, avec l’aide du directeur du Centre Culturel Français à Bamako, parvient à le convaincre de reprendre une guitare dont il ne voulait plus entendre parler : ils le décident à enregistrer son premier album : « Mariama ». Karkar revient alors s’installer à Bamako avec sa famille.


77f5e4c38136c61368ba00fb287ab698.jpg

11/12/2007

A compromis, choses dues...

On peut dire que la visite de Khadafi est un succés TOTAL...

111b59856715017779083a11c78b7b97.jpg

09/12/2007

Les Crobards de Malnuit

medium_g2.2.jpg


Peinture de Malnuit


Tiens, un coup avec Chomé j’me rappelle… j’sais plus s’il habitait Grenoble ou s’il était venu exprès… ç’avait été la grande ballade. C’était toujours la grande ballade avec lui. Enfin la grande ballade… je veux dire qu’on écumait le royaume à grandes foulées, à toute vapeur… via Vladivostok par Tombouctou et Vancouver, n’importe quoi n’importe comment pourvu qu’ça bombe, et les courants d’air faut pas y craindre, ni le phylloxera, et ça tombait du plafond à chaque minute, toutes qu’on les a nettoyées bel et bien ces putains d’araignées, slarp avec la langue pendant des heures ; la fiesta ; ce lour-là ou un autre, j’dis bien c’était toujours la fête. Sûrement qu’ça tenait à ce qu’on était comme qui dirait 2 doigts de la main… Y’a des années qu’on se connaissait déjà, depuis le bahut au commencement ; on avait 10-12 ans ; c’était au quart de poil – et j’y pense, c’est ça le vrai dialogue, quand tu parles et t’as pas besoin de faire le détail on se comprend, pas de ficelles et pas de pièges à con et pas besoin de tâter le terrain, tu connais, c’est les yeux fermés, à l’aveugle, lui c’est le paralytique, une paire royale… et une paix royale ; parce que ça se passe dans la paix, et la confiance et l’abandon… Y’a rien à dire, c’est pas du racontable –
Ce jour-là on avait pas débandé. De bar en bistrot on a pt’être bien écumé la ville en égrenant nos chapelets – Parce que c’est comme la religion, causer, c’est comme la prière quand y’a la foi – et la foi… Au juste c’est pas qu’on l’avait… j’en sais rien ; mais ce qui est sûr c’est qu’on avait besoin de rien d’autre, tant qu’on était en train. On parlait de l’amour ; de la vie ; de la mort. On parlait de rien et de tout ; on assassinait et on accouchait en même temps ; c’était la vie parallèle, la vie ramassée, précipitée, et passée au tamis, des tonnes de graines à calibrer – ça c’est bon ça c’est pas bon – des kilomètres de rails avalés à 200 à l’heure, et le temps c’était du bidon, un épouvantail pour les oiseaux peureux, on s’en tapait on se perchait dessus les ailes en action et on se compissait, volupté et Cie, en attendant l’apocalypse… On dansait le calypso des vieilles nippes et on criaillait HOULA HOULAAAA pour faire crouler la charpente du bon Dieu ; c’te farce !… Qu’est-ce que c’était la vie ? Un point dans l’espace mental ; une chiure séchée sur la vitre de l’éternité ; pas ce qu’on en dit de par le monde des hommes en tous cas. Les hommes ? ce qu’on était nous-mêmes, là, à parler devant une bière, une saucisse dans le buffet et un abcès sous la dernière molaire inférieure : de la chair à pâté pour la poudre à canons ou du polystyrène à fabriquer des pions que les anges déplacent sur les fesses des élues-martyres en se curant les dents… Les mots avaient des ailes, et de la grâce, et du plomb dans les ailes et la mort aux trousses ; à volonté ; feu sur le monde à volonté, et sauve qui peut… La grande cavalcade, le jour où l’on dérouille, où l’on ouvre les portes et on en ferme d’autres, le jour du grand décompte, de la re-création, le ménage en grand et la vidange énorme, à toi, à moi, à toi, je tire , tu pares, on pousse, tiens aide-moi on va soulever ça, regarde cette couche, au panier, ouvre la fenêtre, fous-moi ça en l’air, t’as vu la lune elle pleure, t’entends – c’est quoi ? – je sais pas – tu vois rien ? – fait nuit totale – attends t’affole pas – file-moi une clope – écoute – ça bouge là-dessous – j’ai mal aux chailles – commande un sec ça étouffe la douleur – elle avait un petit sourire tu peux pas savoir – pas dègue cette allemande – c’est d’la Kronenbourg – j’te parle de cette fille là – et si Dieu existait qu’est-ce ça changerait ? – t’irais au trou, dans la trappe, crac – passe devant j’te suis – raison majeure : trop familier avec moi – suis flatté – et l’cul au rouge pendant 1000 ans – rigole pas ça m’lance – j’vais l’inviter à faire l’amour – je m’sens vieux mon vieux – ça vous passera avant qu’ça me prenne elle t’a dit ? – ouais – conne – de près pas si chouette que ça – tout à la fois – fait un billard ? – change de décor – la mer – mézigue c’est pareil – dans le ventre et dans la tête – avec des vagues comme ça – autre chose – depuis l’temps – cré salaud – savait pas à quoi s’en tenir – tait pourtant clair enfin – te mets jamais à la place des autres tu peux pas savoir – fff – t’aime bien comme ça vieux – des fois qu’ça voudrait – pas la différence – c’est qu’on va loin – tu crois qu’ça va péter un jour ? – pas – c’que tu veux – rien c’est extra – un trottoir, une ville, des lumières – une chance qu’on s’connaisse bien des fois – pareil tu crois pas ? – d’être ensemble – pareil aussi, rien, rien à part ! – vie de dormir, moi non plus non – la vie est pas c’qu’elle devrait être et elle l’est, obligé – ch’ment dans l’coup – pas assez à – parlais des femmes – pas en sortir – justement le hic on en sort ! – remettre ça – où ça ? – comme tu veux tu t’retrouves toujours le bec dans l’eau – pine en l’air et l’drapeau blanc au bout – terrible à dire – comme si c’était vrai ! – à bouffer du foin – parle plus – c’est ouvert – comme en 14 ! – va s’écouter un pe-tit-blouzz – l’endroit ? – sur bandes – j’en bande – bandons – fatigué ? – comme si c’était t’à l’heure – une paire de fesses que j’y foutrais la langue – tu vas t’échauffer les glandouilles, c’est pas bon pour toi – tièrement d’accord mais qu’est-ce – sais plus c’qu’on disait –
… Deux jours que ça a duré. On collait nos tripes au plafond et on faisait l’autopsie… Ce qu’on devenait, ce qu’on restait, ce qu’on perdait, avec le temps… Pile ou face, tu coules ou tu flottes, si tu flottes c’est guère mieux… Couler pour couler tu perds rien tu verras, au fond c’est mieux même, personne s’en doute ; perdre son temps pour perdre son temps j’aime autant qu’ça soit du ciné… On a dû voir un film je sais plus (à propos j’me suis toujours demandé pourquoi les cinés ferment après minuit…) Sortis de la salle on retrouvait la nôtre et la séance continuait, la vraie, et le film avait rien de fabriqué, pas fait pour les foules, entrée libre et personne s’en doutait, et c’était la plongée dans le noir ultramarin et intestinal, un noir d’âme plus noir que l’encre, et fallait faire gaffe aux faux-pas, du polar avec des décors qu’étaient pas – si, qu’étaient, du sang frais, du cœur en lé, et des jardins et des allées et des luias et des cantiques au diable et à ses complexes parce que le diable est plus près de l’homme, plus saignant dans le genre steak et plus compréhensif. Des injures et des coups de gueule pour rien, et si Dieu existait, il devrait sortir de son trou – depuis le temps qu’il désertait les rues ! – Le besoin d’amour devenait mystique, c’est-à-dire carnassier, comme il était toujours dans l’attente qu’on lui prête garde – un besoin qui, satisfait, eût bouché tous les chiottes de la ville… N’importe quoi tout est bon, tout y passe… Raconter ça ? J’aurais mieux fait de le coller d’abord à l’œil-de-bœuf, mon œil ! Sans blague, t’as vu çui-là ? – qu’est-ce que j’peux dire ? Y’en a déjà qui croient que j’suis rond, ou dingue. – Et si j’l’étais, qu’est-ce que ça changerait… Je dis que les mots sont drogués, bulles de savon bulles de salive, complètement loufs, et 1000 fois dingue l’homme s’en sert, 1000 fois louf à fouler aux pieds, fou à lier… Vouais, ça me revient maintenant : il avait une piaule en ville Chomé… mais on avait couché dans un studio dont j’avais la clé – c’est Servole qui me l’avait filée pour un temps, il était en passe de le balancer sans y avoir jamais habité – vivait chez ses parents je suppose. Un studio duplex à la sortie de la ville… Chomé lisait « l’Adoration » et moi je soliloquais au ralenti – le friselis des pages me rappelait qu’il était là, ce grand jonc, et je lui demandais s’il était bon ce bouquin – « J’sais pas j’ai pas mes lunettes » - Bien sûr il les avait sur le nez ; même que ça lui faisait un drôle d’air docte drôlderdoct drôlderdoct…

02/12/2007

Rétrospective Malnuit

ff33372e8ed51107ecb3d4b86e6b8427.jpg


et Réédition des Crobards



Si Kerouac avait été peintre et cycliste, il se serait appelé Malnuit. C’étaient bien-là leurs seules différences, à ces deux-là, pour le reste, ils buvaient autant l’un que l’autre et tous deux sont morts de leur éthylisme. Si l’ivresse n’a jamais fait le talent, Malnuit, aussi bien comme peintre que comme écrivain était bourré de talent.
Publié aux éditions Gallimard par Lambrisch dans la revue Le Chemin. La Grande Maison n’a ensuite plus accepté un seul de ses manuscrits. Pas assez ou trop... Allez savoir les impératifs de la mode littéraire et du business... Enfin, je ne vais pas cracher dans la soupe, sauf pour lui donner plus de goût, puisque grâce à cette défaillance, j’ai le plaisir aujourd’hui de le publier. Malnuit, c’est tout simplement le contraire de bonjour... Etrange karma lui aurait dit Michaux alors qu’il était allé lui rendre visite en vélo...
Il n’est pas né non plus, le bon jour, faut croire.
Malnuit, je l’ai côtoyé alors que l’alcool n’avait pas encore accomplie son oeuvre. C’était dans une autre vie, dans un autre siècle, lorsqu’il n’était pas complètement ringard de croire en une utopie de vie meilleure. Le temps nous a prouvé qu’on s’était fourvoyé. Les paysages de banlieues ont remplacé ceux des collines béarnaises d’alors.
Ses Crobards donnent déjà à entendre les craquements de son âme qui n’ont jamais cessé. Il désirait connaître la vie tout d'un bloc. Qu'elle lui rentre dans les veines comme un shoot maximum, une envolée de cheval blanc. Rien ne lui suffisait. Guère plus haut qu'un adolescent, mince et frêle, il se dégageait de lui une énergie fabuleuse. Il ne donnait pas l'impression d'être rachitique, mais solidement enraciné dans l'existence...
Ses discussions étaient des pugilats où chacun apprenait à palper ses limites. Tout était prétexte à parler, et parler donne soif. Pissant sur le pas de la porte, le regard perdu dans les montagnes, il continuait à éplucher la vie. Rien n'aurait pu tarir le flot des idées qui venaient se heurter dans son crâne. Angoissé par la mort et les années terribles qui s'avancent et serrent en tenaille dans leurs bras jusqu'à étouffer, il interrogeait tout et tout le monde sur le sens de la vie. Il continuait à chercher, sachant l'absence d'issue.
Il ne faisait que cela, survivre, chaque instant chassé par l'autre. Il tenait ses armes, un pinceau et un stylo. Le seul but à atteindre était de boucler chaque jour, en même temps que le soleil se couche, en ayant vécu debout et non à genoux. Il invectivait les morts et les imbéciles, tous les deux pareils. Il se savait vivant, en doutait quand même, mais ne se voyait pas vieillir. Il n’a pas vieilli non plus.
Son talent de parleur m'a toujours impressionné. Il pouvait monopoliser l'attention et boire toute la nuit sans sombrer dans un coma éthylique ou dans des propos ridicules et tenir son auditoire en haleine. Il me décapait la cervelle, bouleversait mon univers et en reculait les limites.
Et tant pis s’il s’en est allé prématurément, bien que ça laisse à ceux qui l’ont connu un arrière goût d’inachevé, dans cette nuit de novembre, ironie du sort, le même jour qu’Ytzac Rabin.. Aujourd’hui en le publiant je veux rendre hommage à ce qu’il a été, à ce qu’il m’a apporté alors que je rentrais juste dans le monde des adultes.
Malnuit n’est pas mort, puisqu’il publie encore...


Les Crobards



Crobards, de Michel « Mèze » Malnuit, pourrait n’être, de prime abord, que la chronique titubante d’un groupe de jeunes gens fréquentant les Beaux-Arts de Grenoble, au milieu des années soixante. Toutefois, près de cinquante ans plus tard, le texte révèle une essence bien plus riche : le texte, débridé, grave, cocasse, est en quelque sorte le testament d’une génération qui s’amenait, avec ses gros sabots, dans la révolte de Mai 68, foulant aux pieds à la fois une vie d’adolescent et les années dociles de Papa de Gaulle. Crobards révèle en fait, de l’intérieur, cet insatiable et subversif appétit de mots, d’ivresses, de questionnements et surtout de créations.
Il s’agit ici d’une première édition véritablement critique, plus de trente ans après sa parution confidentielle. À l’époque, le texte fut imprimé avec les moyens du bord, sans autre discernement que l’urgence, dans la facilité de l’ébullition post-soixante-huitarde, et surtout aucun travail éditorial n’avait été fait…
« Bédé », celle qui fut si longtemps la compagne de Malnuit, a saisi mot à mot le texte originel, et nous avons fait ensemble ce travail de relecture indispensable, celui que l’on demande à n’importe quel auteur avant publication. Malgré les pépites que le texte recélait, la veine n’était pas travaillée et le minerai brut : digressions oiseuses, délires éthyliques, logorrhées de peu de sens, ponctuation fantaisiste… Ce travail de galibot a été long et délicat : il fallait respecter la verve de Malnuit, mais la débarrasser de ces scories pour la livrer la plus pure possible à de nouveaux lecteurs. Ne reste maintenant, à notre sens, que la substance inaltérable de son récit, celle qui peut s’offrir à un plus vaste cercle que celui des copains d’alors.
Il s’agit donc de la remise à flots d’un navire trop longtemps échoué, mais donc le temps n’a pas altéré la véritable structure. Tout juste en a-t-il patiné le bois, pour lui donner plus de noblesse.
2eec162b38f765a2a37deaa76b03f1d8.gif


Pour commencer juste un petit morceau pour le plaisir, comme on lèche les plats...



Crobard : n.m. Dessin à main levée qui ne fait qu’esquisser l’image d’un être ou d’une chose. (Petit Larousse – voir : croquis)

Au commencement y’avait le Chaix, tour à tour et en des temps reculés plate-forme de contrebandiers, bordel, relais de poste, rebordel… C’est là que Mandrin le globe-trotter aurait fait sa dernière halte et Jeanjack Rousseau y aurait chopé la chaude pisse fameuse qui le rendit bègue. Enfin soupe populaire, ce qu’il est resté jusqu’à sa mort glorieuse, le Chaix, notre fréquentation assidue ayant notablement assis sa renommée jusqu’à valoir à son blason une étoile, puis deux, puis trente-six chandelles et la faillite. Crucifié qu’il fut le Chaix pour avoir vulgarisé le tour de passe-passe de la Multiplication des pains – brevet déposé.
Heureux les affamés qui ont bouffé au Chaix car il n’y boufferont plus !

Dégueulasse mais pas cher. A midi c’était la flopée, et les coudes dans les côtes, et les haleines et les odeurs et la fumée et la couenne grillée, et les émanations plus ou moins audibles d’origine pas douteuse ; pot-pourri, art total, cour des miracles, messe rabelaisienne, symphonie fantastique pour mandibules en chaleur et grelots coincés et fourchettes à trois dents et à quatre dents, bouillon de culture et bouillon gras, synopsis crado-ubuesque, syzygie des sans-qualités, des sans-familles et des sans pécule, syndicat des sans intérêts, symbiose du bozart sans sous et du sous smicards sous le signe de l’omelette baveuse et dans la reconnaissance du ventre, foire aux tics, kermesse du bœuf, mode, en morceaux, aux carottes, aux lentilles, au jus, à l’eskimo, à la mau-mau, à la mauritanienne et à la dauphinoise, mais surtout à la chaixière qu’on appelait ça (recette : vous prenez les abats inutilisables de l’animal, vous les découpez en cubes anodins et vous faites bouillir deux jours durant dans une sauce vitrioleuse à la salive de syphilitique allongée de colle à bois ayant pour rôle d’intervenir au moment où l’esprit de corps menace de manquer au tout). Pendant que j’y suis, quelques autres spécialités de la maison : le chou farci, l’omelette aux fines herbes, l’omelette au jambon, l’omelette aux champignons, les tomates farcies, le gratin dauphinois, la salade niçoise etc. j’y renonce car sorti du chou farci, du bœuf aux carottes, de la verte, de l’omelette fines herbes et du fromage blanc, il fallait passer commande la veille et le Chaix ignorait la formule, non mais sans blague, qu’est-ce que vous croyez !
La Chaixière, une maîtresse femme s’il en fut, même si depuis l’exode elle avait oublié ce que c’est qu’être femme. Mais soyons juste : quand y’avait plus de bouillon et qu’elle montait sur la table pour rectifier le tableau noir, le génie du sexe, et bien malgré elle, révélait une grâce oubliée derrière les rotules, pas de la meilleure, ô non, mais une grâce, un reflet, un rien, là, à la saignée, à côté de la grosse veine bleue et méandreuse comme un affluent du Doubs. J’en connais qui jouaient aux fléchettes dans ce qui avait été sa paire de fesses, qui n’était plus bien sûr que larges crêpes retombées – Elle tournait pas souvent le dos à l’adversaire la vieille carne ; les dix secondes que durait la pirouette c’était feu à volonté ; les vieux vicelards se retrouvaient à la primaire…
- Tu le fais exprès de mettre ta fourchette sous mes pieds ? Attends un peu que je t’savonne.
Le pauvre bougre se ratatinait comme une figue sèche :
- C’est pas vrai, c’est pas moi
- Quoi tu rouspètes ? Allez et t’avises pas de rev’nir demain !
Mais dès qu’elle avait atterri sur le plancher des vaches la sanction passait au panier, à moins que l’autre ait une tête qui lui revenait pas – ce qui arrivait l’un dans l’autre une fois par jour.
Des copains se sont ainsi fait jeter et n’ont jamais osé y remettre les pieds, au Chaix, preuve que c’était des délicats et qu’ils s’étaient trompés d’adresse (exemple : un ancien qui se sentait béni parce qu’il seyait à côté du chef-cochon – c’était le cartel d’esbroufe chargé de contrarier notre mastication par sa présence intimidatoire – La vieille : « On t’a versé un pot de peinture sur la tête ? Ça fait plus yéyé p’t’être ?
Dommage que j’soye pas ta mère, tu l’aurais ta fessée. Non mais qu’est-ce que c’est qu’ces allures, tu crois que j’te reconnais pas pac’que t’as changé la couleur du poil ? C’est pas l’Moulin Rouge ici, allez, finis ta portion et que j’te r’voie pas avant d’êt’ passé au dégraissage ! » - Le gars revint jamais au Chaix).
Quant aux calottes, si la vieille en menaçait un ou deux, je ne lui ai jamais vu en mettre une. Sauf à MOI. C’était mon lot, mon privilège, personnel et exclusif. La première m’échut un soir au 9ème coup de 9 h. Sèche, précise, du plat de la main sur l’occiput. Le lendemain ou le surlendemain, quand elle remit ça, c’était déjà routine. Pour sûr, j’ai senti plus d’une fois que ces taloches portaient un message : c’était sa façon à la vieille de dire qu’elle nous aimait bien les copains et moi.

medium_g1.jpg

Peinture de Malnuit

Malnuit c'est le contraire de bonjour

Bon, par où commencer à raconter l'histoire...
Par Malnuit, poéte, peintre originaire de St Marcellin, météore, ange de la nuit qui a brûlé ses ailes et ses cordes vocales à la kronenbourg jusqu'à ce soir fatal où il s'est mis au whisky.
Malnuit dit "Méze" est devenu un des personnges qui compose Mollet de Coq, qu'il me pardonne.
Mollet de coq est ce personnage qu'on retrouve tout au long des quatre romans déjà publiés.
Personnage composite s'il en est, puisqu'il est issue de la compilation de quatre portraits: deux peintres tous deux décédés, un louche aventurier et un gosse de la Dass.

Mazio a fait son envolée lyrique, le même jour que Ytzac Rabbin.
Ce qui fait un sacré repère aux orphelins.
Je l'avais publié du temps où j'étais jeune éditeur quand je voulais gagner beaucoup d'argent en publiant de la poésie...
medium_St-Trop-64.gif

Photo de Bacase -le grand avec la chemise claire- et de Mazio -le petit avec le polo noir- à St Tropez en 1964.
A l'époque ils vivaient à la belle étoile et faisaient des portraits pour gagner leur pitance; un peu à la Nicolas Bouvier à la seule différence qu'eux partaient pour une aventure de trois cent kilométres et pas de trente mille.
Il avait aussi toute la vie devant eux et pas mal d'illusions à brûler...

Malnuit c'est le contraire de bonjour...
Malherbes (Alain) lui aussi poète de son vivant, avait un nom qui était le contraire de bonne graine...
Tous deux sont décédés de la même façon, noyés dans leur vomi.
Tous deux me téléphonaient à pas d'heure quand la nuit les étreignait.
Des appels au secours pathétiques, une loghomachie incompréhensible, car ivres au bout du fil.
Je travaillais le matin.
Je compatissais à leur éta, mais je ne pouvais plus rien pour eux.
Il m'est reste l'écriture pour honorer leur mémoire.
C'est ma rencontre avec Ballouhey dit "Bacase" au salon du livre de Roman(s) à Romans qui a ramené tout ça en surface.
C'était un week-end de novembre 2006.
Un desinateur originaire du coin raconte à notre table son adolescence.
Il glisse qu'il a fait ses études aux beaux arts de Grenoble dans les années soixante.
La suite c'est lui qui raconte:

" Au repas du Salon du Livre de Romans, je bavardais :
- J'ai fait une première catastrophique et délirante ici chez les curés et puis les profs m'ont pris par le col en me disant d'aller aux Beaux Arts, ce que j'ai fait je suis allé aux Arts de Grenoble. C'était en 64.
- T'étais aux Arts de Grenoble ? T'as du connaître Malnuit ? me dit un arabe à lunettes, chauve et rigolard.
- Ben ouais et même mieux que ça. Il regarde mon badge, me parle de Mazio.
- Mais Ballouhey , t'as pas un autre nom ?
- Ben ouais, chui Bacaze.
- T'ES BACAZE !!??
- Ben ouais,
- Hé ! les gars, je viens de rencontrer un personnage de roman !
- Et puis et toi t'es qui ?
- Said.
- SAID !!! ??
Cul et chemise, bras dessus, bras dessous. Nostalge et maspouineries.
On s'est pas quitté pendant deux jours.
Hé! Hé ! Lui c'est Bacaze, c'est un personnage de roman ! Il a dit ça vingt fois dans la journée.
"Crobards" n'a jamais eu autant de fans.



Ma première rencontre avec Malnuit et sa compagne Françoise dit Bédé illustratrice des livres de Jacques Salomé remonte en 1978 à Lys dans les Pyrénées Atlantiques.
A l'époque, Les Malnuit habitaient Maison Gracie à Asson.
Une sacré époque, et les illusion de mes vingt ans.
Mazio en avait déjà trente six de chandelles sur son gateaux d'anniversaire.
Je raconte ça dans Le Soleil des fous Cliquez ici si vous désirez en savoir plus sur le livre
medium_408918030_L.jpg



Il habitait non loin de chez nous, dans une sorte de château. Une bâtisse début de siècle construite par un illuminé ayant fait fortune. Les corps de bâtiment étaient plantés au bout d'un chemin qui descendait en serpentant depuis le dôme d'une colline. Eloignée de plusieurs kilomètres de toute habitation, la maison était là, massive, posée face aux sommets qui se découpaient dans l'encadrement de la porte. Entre elle et la montagne rien qu'un jet de pierre, un vol de moineau. Sur les pics si étrangement près la veille des jours de pluie, les points blancs ou marron des animaux en pâture dans les estives se distinguaient nettement. Les masses sombres des collines entraient dans la cuisine. Le carillon permanent des cloches résonnait dans la vallée. Quand nous ne les voyions pas nous entendions le bruit de leurs cloches auquel répondait le souffle du vent dans les cimes et le chant des oiseaux.
medium_IMG_3102web.gif


Mollets-de-coq payait une misère le loyer de ce château, qui, sur deux étages, se composait de quatre immenses pièces, chacune de la taille d'un grand appartement. Dans la salle du bas, un évier en marbre des Pyrénées et une gigantesque cheminée où aurait pu rôtir un veau et trois moutons. Des placards et des vaisseliers en merisier teintés au sang de bœuf occupaient un pan entier de mur. Des poutres énormes et noircies par le temps donnaient à la maison l'impression qu'elle était posée là pour l'éternité. Le constructeur avait eu de l'ambition. Un large escalier desservait les pièces de l'étage et le grenier. Au rez-de-chaussée, face à la cuisine, la souillarde servait de débarras en même temps que de garde-manger. Dans cette pièce, sorte de cuisine supplémentaire, les anciens propriétaires apprêtaient les confits, le pèle-porc, suspendaient au plafond dans des sacs, les oignons, les châtaignes, le maïs ainsi que des jambons.
Dans cette pièce le linge tentait de sécher alors qu'il pleuvait depuis des semaines, et que l'eau remontait entre les dalles. Sous l'escalier, une porte où l'on pouvait tenir debout y prenait place la barrique de vin, indispensable dans toute maison respectable. A l'étage, les portes du palier s'ouvraient sur trois battants. Le propriétaire au retour des chasses, y avait donné des banquets d'une centaine de couverts. Quelques très vieux dans le pays se souvenaient encore étant enfant avoir participé comme rabatteurs à ces chasses et festins. Le patron était un homme d'avant l'exode de la première guerre, quand toutes les fermes étaient encore habitées et que le village résonnait de l'enclume du maréchal-ferrant et des cris des gamins dans la cour de l'école, quand la vie pour ces gens-là ressemblait à autre chose qu'à une course. Difficile d'imaginer une centaine de personnes assises autour de cette table, allant d'une pièce à l'autre, traversant le palier et se rabattant en forme de fer à cheval. Le maître trônait au milieu de son monde, en pacha amateur de grande bouffe, de vin et de femmes, braillant, riant, bâfrant, buvant, rotant, saoul de vin, ronflant d'aise après avoir copieusement arrosé le giron d'une femme ou d'une servante de sa semence. Tel était l'ancien propriétaire de la maison.
Mollets-de-coq ne lui ressemblait en rien, ou alors il aurait été son ectoplasme torturé qui errait entre ces murs. Menu, maigre, presque insignifiant il n'avait rien de gigantesque encore moins de rabelaisien,. Ses toiles s'entassaient dans la pièce au-dessus de la souillarde. Là, il avait installé son atelier. L'étage jouissait d'un éclairage intense, comparé au rez-de-chaussée où il fallait quelques temps avant de s'adapter à la pénombre lorsqu'on y pénétrait, abruti de lumière. Des tableaux étaient accrochées aux murs ou sur la cloison en chêne massif de l'escalier, d'autres empilées. L'une, non achevée, posée à plat à même la table, une autre coincée dans un chevalet. Il travaillait plusieurs grands formats simultanément, comme si la maison l'influençait.
Dans la salle du bas, sur le côté de l'âtre, la famille entière pouvait tenir au chaud sur des bancelles appuyées au mur, à la veillée au coin du feu quand les ancêtres épluchaient des châtaignes en se racontant des sornettes, des histoires de sorcellerie, des saloperies entre voisins, de vieilles haines accumulées au fil du temps, de rancœurs dont les origines avaient disparu mais qui persistaient. Nous aussi y prenions place quand les dernières flammes n'avaient pas encore achevé la combustion du bois. Alors dans le craquement des morceaux de châtaignier se consumant nous convoquions les fantômes de Giono, Thoreau, Kerouac, Cendrars, pour éterniser l'instant. Les montagnes justifiaient notre raison de penser ainsi et couronnaient de leur majestueuse présence nos réflexions sur le monde. Tout semblait encore possible dans ces contrées presque intactes. La civilisation avait oublié de pénétrer ce cul-de-judas, sis face aux splendeurs des monts ensorcelants de beauté.
Je me trouvais catapulté dans un nouvel univers. On parlait de littérature comme on se tartine une biscotte au petit déjeuner. J'écoutais, je m'abreuvais de connaissances. On ne pouvait pas se tromper c'était la bonne voie, le chemin à suivre pour s'épanouir. Une force me soulevait de terre, je me sentais invincible, du moins je le croyais. On avait banni "l'american way of live" et on le troquait contre notre vision de la voie naturelle de la vie. On se sentait bien autour de sa cheminée.
Mollets de coq vivait un peu de sa peinture. Bien qu'ayant fui rapidement les cours académiques, il avait un coup de pinceau classique. Il avait été viré des arts. Dès la première année; il en savait plus que le prof. La deuxième il l'a passée au bistrot avec les copains. Pas la peine qu'il retourne en cours, il connaissait déjà les glacis, la pénombre, copiait Turner, De la Tour. Il pensait que Rembrandt était mort nombre de fois avant de réussir à peindre ainsi. De l'impressionnisme au surréalisme via l'hyperréalisme, il avait tout emmagasiné à une vitesse vertigineuse et tapait son souk au fond de la classe où il écrivait déjà ses mémoires.
Son talent de parleur m'a toujours impressionné. Il pouvait monopoliser l'attention et boire toute la nuit sans sombrer dans un coma éthylique ou dans des propos ridicules et tenir son auditoire en haleine. Il me décapait la cervelle, bouleversait mon univers et en reculait les limites. Il m'accouchait au monde de la douleur métaphysique. Je me sentais si proche de lui. On parlait le même langage. Nos chemins s'étaient tant de fois croisés. Jamais auparavant je n'avais rencontré un être qui rentrait aussi profondément en lui. Il piochait, creusait, décortiquait et voulait comprendre le pourquoi du comment. L'apparence, autant que les effets de style, le répugnaient. Il haïssait la littérature, et pensait qu'il fallait la broyer. Décroûter l'écriture de son carcan et de sa forme pour découvrir un nouvel univers. Sa maison se transformait en chaire où se partage la parole lorsque des auteurs débarquaient. Moments intenses de palabres.
Ce soir là une auteure est venue nous voir. On est allés la chercher au train. Elle a passé le week-end avec nous. Elle était devenue un mythe depuis le temps que j'en avais entendu parler. D'elle comme de ses écrits émanait le soufre. Ses poèmes avaient la violence des banlieues, mordaient les chairs, secouaient les tabous, décapaient la bienséance au vitriol. Elle a débarqué dans sa robe mauve. Une immense chevelure blonde lui couvrait les épaules. Elle a fait le tour de la propriété. Contraste saisissant: la nature était là, puissante, avec ses masses mille fois plus énormes que les blocs de béton des banlieues. On lui rééditerait son ouvrage épuisé puis on lui en publierait un autre. Elle n'y croyait pas et resplendissait. Elle nous amenait un premier roman dans une chemise. Sa voix de gauloise, son air affranchi, son apparente désinvolture a fait tourner la tête à Mollets de Coq. Il aurait aimé connaître au moins autant sa chair que son âme et voir dans quelle encre elle trempait sa plume. Elle dégageait une puissante attirance qui imprégnait l'air. Elle aimait ça et le criait dans ses poèmes. Peut-être que de l'avoir lue, avant de l'avoir vue, excitait plus encore son imagination. Elle sentait la femme désirable et désirante.
medium_août-78.gif


On a causé de littérature et les Céline, Miller, Dostoïevski et Duras étaient là parmi nous, de sexe aussi. Mollets de coq voulait savoir quel type d'homme elle pouvait bien aimer. Elle était libre et cherchait un fiancé. Mollets de coq, électrique, ne se tenait plus. Il lui aurait bien proposé une partie de jambes en l'air, si elle n'avait été sous le même toit que sa légitime. Il ne comprenait pas que son rêve ne soit pas réalisable. Il se voyait dorloté et cajolé au milieu de deux petites femmes. Il aurait fallu que l'occasion se présente dans d'autres circonstances. Il n'arrivait pas à admettre ce décalage entre l'écriture et la vie de tous les jours. Tel quel, avec ce qu'il avait lu d'elle, il lui aurait sauté dessus derechef. A peine lui aurait-il laissé le temps d'enlever sa culotte de dentelle en soie noire. Elle savait se faire admirer, et naturellement des paires d'yeux se posaient sur sa gorge, sur sa poitrine, sur ses fesses. Elle se sentait désirée et aimait l'être. Mollets de coq aurait voulu qu'elle demeure à portée de ses pinceaux, muse pour peintre. sa démarche était presque dansante. Il la voyait drapée ou déshabillée tel un modèle de Goya, des cheveux blonds, des dentelles et des chairs.
Bien qu'il soit tard il restait de la bière suffisamment pour continuer la nuit. Mollets de coq voulait tout savoir sur ce qui la motivait dans la vie, l'amour, le désespoir, l'attente, la solitude. Il désirait la connaître tout d'un bloc. Qu'elle lui rentre dans les veines comme un shoot maximum, une envolée de cheval blanc. Rien ne lui suffisait. Guère plus haut qu'un adolescent, mince et frêle, il se dégageait de lui une énergie fabuleuse. Il ne donnait pas l'impression d'être rachitique, mais solidement enraciné dans l'existence...

Ses discussions étaient des pugilats où chacun apprenait à palper ses limites. Tout était prétexte à parler, et parler donne soif. Pissant sur le pas de la porte, le regard perdu dans les montagnes, il continuait à éplucher la vie. Rien n'aurait pu tarir le flot des idées qui venaient se heurter dans son crâne. Angoissé par la mort et les années terribles qui s'avancent et serrent en tenaille dans leurs bras jusqu'à étouffer, il interrogeait tout et tout le monde sur le sens de la vie. Il continuait à chercher, sachant l'absence d'issue.
-Avoir besoin de certitudes n'est qu'une preuve d'immaturité. La vie ressemble à un charnier où chacun dévore le voisin pour survivre, a t'il dit.
Il ne faisait que cela, survivre, chaque instant chassé par l'autre. Il tenait ses armes, un pinceau et un stylo. Le seul but à atteindre était de boucler chaque jour, en même temps que le soleil se couche, en ayant vécu debout et non à genoux. Il invectivait les morts et les imbéciles, tous les deux pareils. Il se savait vivant, en doutait quand même, mais ne se voyait pas vieillir.
-Tous ces vieillards fripés sont laids à vomir par manque d'intelligence. Ces vieux flapis qui n'ont jamais su qu'avaler les couleuvres du cauchemar qu'est la vie. Je ne veux pas leur ressembler! J'ai peur de rentrer dans le rang par habitude, par angoisse du lendemain. De faire comme tout le monde. Attendre la trouille au ventre que le temps passe et que les rêves foutent le camp!
D'un seul coup d'un seul il s'est mis à hurler et s'est roulé dans l'herbe. Personne n'avait compris ce qui lui arrivait, sauf moi. Ca ressemblait à un délirium. Il gueulait sa rage face à la douleur qui lui tenaillait le ventre. Dantesque, la crise le cisaillait en deux. Il maudissait le monde et se lamentait sur son génie méconnu. Il avait cru pouvoir réussir sans l'aide de la providence. Il vomissait ses échecs successifs alors que l'horloge continuait à tourner. Il n'y croyait plus, plongé dans le gouffre de son angoisse. Soumis à une séance de torture dont les bourreaux invisibles le charcutaient avec des décharges de cinq mille volts. Il a fini par se calmer tard dans la nuit. Sa copine est restée près de lui pour le cajoler.


La mort de Malnuit, sur un banc public est un fait réel, mais je l'ai imaginé dans un beau jardin, (le jardin Massey à Tarbes) comme un paradis perdu. Parce que c'est à Tarbes que je l'ai vu pour la dernière fois. Je lui avais organisé une exposition à la "Galerie Restaurant". Qui a été pendant la seconde guerre un haut lieu de la résistance, bien qu'étant un bordel. Nos retrouvailles: je les ai déjà publié dans Putain d'étoile aux éditions Paris Méditerranée.
272d92e34c3d95c2ef080b11292e2d27.gif



En voici le texte:

Comme un ennui n’arrive jamais seul, ça évite la monotonie, mon vieux pote Mollets de coq qui errait depuis que sa femme l'avait viré, a rappliqué. Je ne pouvais que la comprendre. Personne ne peut supporter un type arsouillé à la bière du matin au soir. Si par chance il rentrait le soir. Ses bringues duraient tant qu'il avait de l'argent. Il finissait par retrouver le bercail, péteux, lamentable, les yeux pochés, la tignasse en bataille, du sang séché sur le visage, avec une côte fêlée, le nez cassé, une arcade sourcilière explosée. Il se prenait des gamelles tout seul, ou se ramassait des toises par d’autres pochetrons.
Il était revenu chez sa femme mal en point, son affaire de tourisme ayant tourné à la déconfiture, avant qu’elle ne le vire. Ce n'est pas un hasard s’il a rappliqué. Il savait bien, lui aussi, que j’allais le recueillir.
Il fallait lui trouver du fric, et vite. Il possédait un stock de nouvelles toiles et de dessins que personne n'avait jamais vus, ou si peu. Il peignait beaucoup et depuis longtemps mais ne montrait jamais rien. Je lui ai arrangé une exposition dans le restaurant de Tonton Alain.

De la journée, je ne savais pas ce que faisait Mollets de coq. Le midi, je le retrouvais au café, devant un demi, son stylo à la main, une Gauloise au bec. Il s'arrachait les boyaux de la tête pour noircir des pages. Il les empilait sur ses étagères avec dix mille autres déjà écrites. Pour quoi? Pour qui? Illisible par un lecteur lambda. Une vie hachée de doutes et de cauchemars, de refus d'éditeurs, d'échecs commerciaux. Il traînait son naufrage. Pourtant sa peinture se vendait bien, mais se séparer de ses petits ne le rassurait pas sur son œuvre. Il se savait génial. Je ne doutais pas qu’aux pinceaux il le fût. En revanche pour lire sa prose, il fallait un mode d'emploi du personnage ou l'avoir fréquenté pour décrypter. Un béotien n’y aurait rien compris. Mais qu’y avait-il à comprendre ?
Au déjeuner il m'attendait, pour manger une salade ou un sandwich, sur le pouce. Peu d'appétit et vite rassasié. Il avait pourtant du mal à entretenir une carcasse de quarante kilos habillée et trempée car il devait absorber beaucoup de liquide. Bourré, il cherchait des noises. Il s'était mis en tête de faire le portrait d'une cliente, qui visiblement attendait quelqu'un. Rien de mal à profiter d’un modèle anonyme. Son carnet à dessin posé entre la table et son estomac, il clignait de l'œil, prenait ses repères. Et la ligne, nette, précise, sans bavure, se déposait toute seule sur le papier. Du maître, il avait la rapidité et l’aisance. Malheureusement, il n’a pas voulu se contenter du seul cadeau qu'une femme fait en se laissant admirer. Pour tenter sa chance, il s'est installé à sa table. Va savoir! Le refus il ne connaissait pas. Il s'est incrusté. La dame attendait un militaire qui ne tarderait pas à venir. Lui n'en démordait pas. Hussard ou général, une muse pareille n'avait rien à faire avec des gens d'armes. Elle devait, sur-le-champ, tout quitter pour le suivre parce qu'il lui avait crayonné le portrait sur un coin de table, en gage d'amour éternel. Elle a jeté un œil dehors, a réglé et s'est empressée de sortir. Il voulait la suivre. Je l'ai retenu. Elle s'est engouffrée dans une voiture de sport rouge, conduite par un officier des commandos parachutistes qui venait de s'arrêter devant le café.
-T'es dingue ou quoi ? Imagine que son type soit descendu !
-Et alors, où est le problème ? Cette femme était trop bien pour ce con !
-Peut-être qu’elle aussi était très conne ! Tu donnes tes dessins à n'importe qui !
-C'était pas n'importe qui !
-La preuve que si. L'art, elle s'en tape ! Que veux-tu qu'elle fasse d'un déplumé comme toi ! Il faut que tu te trouves une fiancée dans ton univers.
-Elles préfèrent les cons !
-Ouais, finalement tu as raison !
Je ne voulais pas le contrarier. Je l'ai laissé à son demi et suis reparti à ma machine, en sachant qu'à la fin de la journée je le retrouverai au même endroit. Peut-être à une table différente, au cas où il aurait fait une autre tentative d'approche infructueuse. Mais je savais devoir le récupérer dans un état de décomposition avancée. Je lui ai trouvé des acheteurs, qui n'ont pas hésité un seul instant à payer le prix demandé. Il entassait dans son portefeuille tout pouilleux des billets de cinq cents francs. Un total de dix mille francs qu’il comptait bien boire.
Pour lui faire la morale, je lui ai dit :
-Tu devrais t'acheter des fournitures.
-Ouais, faudrait que j'y aille !
La galerie où il exposait, faisait aussi restaurant. C'est là que j'avais dragué Inès. Une salle au rez-de-chaussée, une autre à l'étage, et au second des petites chambres. L’endroit avait jadis été un bordel qui avaient caché des maquisards, parfois d'anciens clients revenaient sur le lieu de leur initiation amoureuse. La maison semblait décalée, comme hors du temps. Une moustache de mafieux, un accent du Sud-Ouest à couper au couteau, Tonton Alain avant de devenir restaurateur et accrocheur de tableaux, avait été routier international. Communiste convaincu depuis toujours, il l'était devenu beaucoup moins après ses voyages.
- Con ! Je roulais pour la Russie. Un merdier pas pensable. Les stations, à essence à des kilomètres, on les sent. Je roulais à l'odeur. Les tuyaux étaient percés et personne pour réparer. Tout le monde s'en foutait. Et moi donc. On en mettait autant dans le réservoir qu'à côté, Putain. Un bordel pas croyable ces routes. Défoncées, verglacées. Des paysages à vous congeler le sang. Un ciel noir. Même la neige était sombre ! Des corbeaux en meutes dans le ciel ! De la taille des aigles d'ici. Ils s'abattent sur vous avant que vous ayez pu imaginer ce qui se passe. La fin du monde c'est en Russie. Qu'est ce que ce couillon de Napoléon est allé foutre là-bas ? C'était évident qu'il s’y serait fait bouffer les couilles. N'importe quel crétin comprend ça. À Moscou, j'avais un bon copain. Avec lui je me soûlais à la vodka et je bouffais le caviar à la louche. Putain, c'était le bon temps ! Je ne déboursais pas un rond. Je lui échangeais tout ça contre des blue-jeans que je récupérais au Secours populaire. Je suis pour l'amitié entre les peuples. Je te refile mes vieux futales et tu me balances la vodka et le caviar ! Putain ! Ça m'a guéri du communisme, du stalinisme, des ismes. Parce que figures toi que je suis l’arrière petit-fils du roi des Tchoutchis. Ouais, monsieur ! Du roi des Tchoutchis. C’est un peuple qui habite le détroit de Bering... C’est Staline qui nous a déporté dans le Caucasse. Et moi, je suis arrivé en France je sais pas trop comment…En tout cas dans les couilles de mon père. Ah, la Russie ! J'aimerais bien y retourner pour pêcher le gros. Les bélugas dans le delta de la Volga. Putain, ça c'est du poisson! Ici, même à la pêche, on peut pas être tranquille. Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai pris trois truites au gave! Bon, d'accord, elles faisaient pas toutes la taille réglementaire. Mais, pas de beaucoup! À part une, qui dépassait et de pas mal! Personne à la ronde! Que des arbres! Ça faisait pas une demi-heure que j'étais là, que les gardes me sont tombés dessus. D'où ils sortaient, j'en sais rien! Ils m'observaient à la jumelle, depuis le pont de chemin de fer! Tu parles que je les voyais pas! Ils les ont mesurées. Eh bien, figure-toi, que c'est avec la plus grosse qu'ils m'ont cherché des emmerdes. « Vous voyez pas elle est plus grosse que la taille réglementaire, je leur ai dit! », « C'est un saumon Atlantique ça monsieur, il m'a répondu! » J'en suis tombé sur le cul. Ils avaient fait un lâcher la semaine passée! Ils n'ont rien dit pour les truites, un demi centimètre! Ils m'ont plombé de mille balles pour le saumon. Alors, tu vois, si je peux aller pêcher dans la Volga, là je suis sûr que personne ne viendra me chauffer. Putain! Pas un coin où tu peux être peinard! Si ça continue, on va te mater dans la culotte, pour savoir si tu bandes au moment où il faut ou pas! Putain!
Ça l'énervait d'autant plus que, d'après lui, une heure de pêche en était une volée au paradis. Il empruntait à Fallet sans citer ses sources, mais comment lui en vouloir. Tonton Alain peut raconter des histoires pendant des heures et tant pis si l'auditeur ne sait plus où il en est. Il raconte, à la manière d'un griot et son œil s'allume de malice. Il ne ment pas. Il invente. La nuance est de taille. Un menteur ment, un conteur conte. Si le mensonge est vulgaire, une belle histoire est pleine de noblesse et de talent. Il était impossible de savoir quand il avait quitté le lit de l'anecdote, pour suivre son propre fleuve, emporté par sa verve. Aucune importance. La seule chose qui comptait, c'était de se retrouver autour d'une de ses recettes mitonnées de longues heures, avec un alcool de poire et un bon cigare en guise de pousse café.
-La vie est trop courte pour se faire chier ! À propos, tu ne connais pas des bons peintres pour exposer ? Des types avec un minimum de talent.
-À la pelle !
-Non, au couteau ou au pinceau ça suffira. Je voudrais pas forcément des types connus. Des nouveautés quoi …
-Quand tu veux ça ?
-Dès demain! Façon de causer !
-Tu prends quel pourcentage ?
-Rien. Con !
-Tu ne réussiras pas à faire des affaires avec moi…
-Je me souviens que je suis juif quand je rentre dans un magasin de vêtements ! Je dis : mon oncle c’est le rabbin. J'ai automatiquement une remise de dix pour cent. Tu vois des fois ça sert cette putain de religion. T’es pas le seul à avoir été baptisé au sécateur ! Putain !
Avec Tonton Alain tout devient loufoque, rien n'est sérieux, ni n'en vaut la peine.
-Et je suis devenu communiste à cause des putains de patrons qui m'en ont trop fait chier ! Pour les emmerder je leur montais un syndicat histoire de passer le temps, mais surtout pour me faire des copains. Tu pars du principe que la moitié de la population est à droite et l'autre moitié à gauche. D'entrée tu donnes la couleur du jeu ! Comme ça tu connais ton équipe et tu sais avec qui composer. On perd moins de temps ! Qui on retrouve à gauche ? Ceux qui n'ont pas un rond ! J'arrive pas à comprendre qu'un type fauché soit de droite. Moi, si j'avais eu du pognon, j'aurais été aussi con que n'importe quel type avec du pognon. C'est simple, à gauche, ceux qui n'ont pas de fric et qui en veulent. À droite ceux qui ont la monnaie et qui ne veulent pas en lâcher. La politique c'est tout ce qu'il y a de plus simple. Bon, il y a des exceptions ! Personnellement j'en connais pas !
Il tirait sur son Cohiba et éclatait de rire.
-Du vrai de chez Fidel ! Quel con celui-là ! Il a transformé son île en Center Park avec interdiction de sortir. Il garde les vêtements dans la penderie et si tu veux te barrer c'est en slip, et les maîtres-nageurs sont des requins. Quel con ! Quand je pense qu'il y a toutes ces petites nanas avec des popotins d'enfer. Nom de dieu… Rien que ça, ça vaut le coup d’être communiste!
Et il pouffait de plus belle.
-Quand j'étais routier, chaque semaine je photocopiais mon mouchard que je faisais certifier conforme à la gendarmerie avant de le rendre au patron. Et s’il m’emmerdait en cas de besoin, au moment où il me virait je réclamais mon dû. Les heures supplémentaires, crois-moi que ça fait un sacré pactole. Une moyenne de deux à trois heures par jour, sur quatre ou cinq ans, le tout à trente-trois pour cent. Là-dessus tu ajoutes les intérêts à cinq voir six pour cent. Un sou c'est un sou, con !
-Finalement, t’es vachement caricatural !
-Et toi putain de raton, je vais aller te dénoncer pour gagner encore plus de fric !
Et en concert, de rire.
-Les youpins ce sont les frères ennemis des crouilles, mais ce sont des frères, avant tout ! À quoi que tu crois que le maigrichon cloué sur ses bouts de bois il ressemblait, à Yasser Arafat ou à Claude François ? Rien n'est sérieux quand tu prévois le pire. Te reste plus qu’à assister au spectacle. Mon père a survécu à la Seconde Guerre en tant que juif. Il s'est caché à Vichy où il jouait comme musicien. Personne ne lui a rien demandé. On n'est jamais mieux caché que dans la tanière du loup, con !
Je lui ai montré quelques photos des pastels de Mollets de coq que j'avais en ma possession. Tous deux sont tombés en sympathie après plusieurs bouteilles mises à mal. Mollets de coq a pris pension dans une des chambres inoccupées de cet ancien bordel où il rentrait aux aurores.
Il atteignait des sommets avec sa façon de peindre à la Rembrandt en une heure un portrait avec un coup de patte à faire pâlir d'envie les plus talentueux. Il s'en souvenait en plongeant les yeux au fond de son verre pour y regarder, nostalgique, son image qui se déformait. La réalité enfonce la tête dans l’infamie. Je m'accrochais à mes rêves, seule bouée de sauvetage. Si lui réussissait à vivre en peignant, pourquoi ne vivrais-je pas de l'écriture. Je n'ai jamais eu de gros besoins, un Lévis, un tee-shirt et des sandales pour l'été. Une chemise, un pull et des godillots pour l'hiver. Je ne me plains pas de mon sort. La plus grande des richesses c'est de pouvoir envisager une autre réalité. Si je ne vis pas de mon rêve, je ne peux pas vivre sans rêver. Seule raison de batailler pour avoir la force de relever la tête et de prendre encore une bouffée d'air pour se maintenir en vie. Un soir, Mollets de coq n'est pas rentré à la galerie-restaurant. Je ne me suis pas inquiété. Il reviendrait le lendemain matin, ou dans la journée, la gueule de travers, la bouche pâteuse, les cheveux en pétard. J'ai appelé Tonton Alain. Lui non plus ne l'avait pas vu de la journée.
-Il a juste pris ses papiers et son fric. Il ne doit pas être loin !
-Hier soir tous les deux on s'est mis une cuite ! Après il devait passer chez toi !
-Bon, écoute, si tu le vois dis lui de m'appeler au boulot ou de me laisser un mot ! Je lui ai trouvé un acheteur pour deux pastels ! Du cash et en liquide, l'affaire est convenue !
J'étais en passe de pouvoir me recycler en marchand de tableaux.
-J'ai un certain talent commercial que je devrais mettre à profit pour me sortir de cette impasse, me suis-je pris à rêver. Mollets de Coq peint et moi je lui écoule sa marchandise. Trente pour cent au passage, à deux on pouvait royalement vivre sur sa production !
Les flics ont ramassé Mollets de Coq sur un banc du jardin public. Un coma éthylique bien profond, avec six grammes d'alcool dans le sang. Trop soûl pour tourner la tête sur le côté. Ça ne pardonne pas. Il s'est noyé dans son vomi. Les flics ont trouvé ses papiers, et une affiche de l’exposition pliée dans sa poche. Ils ont téléphoné à la galerie, pour savoir a qui appartenait le cadavre. Personne n'était plus responsable de lui et depuis longtemps, son cerveau encore moins.
Il avait bien choisi le décor pour tirer le rideau. Un de ces jardins botaniques sublime du XVIIIe siècle. Où, à foison, arbres, plantes vertes, fleurs, volatiles, poissons exotiques ont été concentrés en un seul point. L'idée avait été de reproduire une sorte de nirvana. Des paons y faisaient la roue. Des énormes carpes bleues nageaient sous la surface lisse de l'eau où se reflétait un ciel profond au vertige. Dans cette scène d’olympe, parmi les roses odoriférantes, le chant des oiseaux, l'ondoiement des feuilles de palmier et l'ombre des immenses cyprès, il avait choisi de rester.
Il regrettait le ventre de sa mère, alors il est venu dire ses adieux dans un paradis perdu imaginé par un doux rêveur. Un poète qui devait aussi y croire. Mais lui avait eu les moyens d'ébaucher le début de son rêve. Dans ce lieu, quelqu'un avait pensé tout haut et il l'avait senti. On branche ses antennes pour capter, ou alors il faut rester au garage. S'il est un endroit où se rendre en premier dans une ville qu'on s'apprête à découvrir, c'est au jardin public. S’il est pouilleux, désespérément minable, il faut s'empresser de fuir ce bled ventre à terre. Vous n'y croiserez que de sombres abrutis directement débarqués du bouillon primitif. Si, au contraire, le jardin plaît, on peut envisager de s’y installer quelque temps. C'était une des théories de Mollets de Coq. Il s'y plaisait dans ce parc. À en crever.