16/12/2007
La très belle histoire du vigneron bourguignon candide et de son ouvrier sans-papiers aux prises avec la diabolique administration...
collage Maryvonne Le Quellec
Source: Libération
Alice Géraud
C’est un «vieil homme de la vieille droite», comme il dit, qui semble avoir subitement égaré ses certitudes. Un notable bourguignon qui porte beau la casquette Sherlock Holmes, vouvoie son épouse, mais se met à dire des jurons la voix gonflée de colère. Un employeur qui ne comprend pas pourquoi on lui a «enlevé» son salarié. Un monsieur qui pleure un ami. Michel Millet, riche propriétaire de vignes sur la côte chalonnaise, avait rencontré Benali Sahnoune en 2005, via une de ses connaissances parmi la communauté harki.
Millet est un ancien officier de l’armée française en Algérie. Il en a conservé un vocable suranné aux accents plus paternalistes que colonialistes à l’égard de la communauté arabe. Benali Sahnoune, algérien, était alors clandestin en France, il n’avait pas de boulot. Millet l’a fait embaucher sur le domaine viticole de sa fille. Petit à petit, le travailleur clandestin a appris le métier de la vigne. Il a commencé par trier les sarments, puis se familiarisant, il a appris à les attacher, à ébourgeonner, à tailler… «C’est un bon vigneron», dit Michel Millet. Mais, la semaine dernière, alors qu’il se rendait sur le domaine de Châtenoy-le-Royal (Saône-et-Loire), Benali Sahnoune a été arrêté sur la route par les gendarmes et emmené au centre de rétention administrative de Lyon. Il doit être expulsé d’un jour à l’autre vers l’Algérie. Michel Millet a d’abord été en colère. Puis il a pleuré. L’histoire de Benali Sahnoune se confond avec celle des milliers de clandestins expulsés chaque année. En 2002, il a fui le nord-ouest d’Alger, région sinistrée par la guerre civile, laissant sur place femme et enfants, pour espérer trouver un travail en France. Il a rejoint Chalon-sur-Saône, où son père est installé depuis 1962, sa mère et ses frères et sœurs (français, eux) depuis une quinzaine d’années. Il s’est vu refuser, comme la plupart des Algériens, le statut de réfugié. A quand même trouvé du boulot. Déclaré. Il pensait que cela plaiderait pour sa régularisation. Il s’est trompé.
Lors de son arrestation, il a montré ses feuilles de paie, ses cotisations à la Mutuelle sociale agricole… «Ils m’ont dit que ça ne servait à rien.» Benali Sahnoune est résigné. Michel Millet, son employeur, n’y arrive pas. Benali Sahnoune sait que «c’est comme ça». Michel Millet ne le savait pas. Cet homme de 73 ans vient de découvrir une France qu’il ne connaissait pas. Celle «des humiliations» et «du mépris». Comme sa fille, il a été convoqué chez les gendarmes. Il lui a été signifié qu’il pouvait être poursuivi pour «aide à l’entrée, au séjour et à la circulation d’un étranger en situation irrégulière». Le procureur n’a pas voulu donner suite. Mais Michel Millet n’est pas dupe : «On est une famille de notables convenables, cela explique.»
Quelques jours après l’arrestation de Benali Sahnoune, il s’est rendu avec Zerka et Amoulkeir, les deux sœurs de Benali, au centre de rétention administrative de l’aéroport de Lyon. Après deux heures de route, ils ont sonné au centre de rétention. On leur a demandé d’attendre sous le vague Abribus qui fait office de salle d’attente. Au bout de trois quarts d’heure dans le froid, croyant avoir été oubliés, ils ont resonné. Les policiers sont sortis, leur ont fait comprendre que leur impatience était de mauvais aloi. Ils ont été sanctionnés d’une privation de visite et sont repartis à Chalon. La colère au ventre. Avec un accent bourguignon comme on n’en entend plus, le «r» roulant et traînant, Michel Millet peste contre «cette droite de cons».
L’ancien président local de la CGPME (le très droitiste syndicat des petits et moyens patrons), qui fréquente le ban et l’arrière-ban des notables chalonnais, a des gros mots pleins la bouche contre la politique d’immigration de la France, la politique tout court et ses représentants. A sa femme qui s’inquiète de le voir sortir de ses gonds face à la presse, il répond : «Ne vous inquiétez pas Geneviève, je sais que je parle à un journal de gauche, je prends toutes les précautions d’usage.» Les sœurs de Benali sourient. Parfois le taclent sans ménagement.
Curieux trio que ce monsieur aux allures de gentleman-farmer version bourguignonne de la IIIe République et ces deux jeunes femmes portant le voile et le verbe haut. Ils sont retournés ensemble mercredi au centre de rétention pour un dernier au revoir à Benali. Cette fois-ci, ils ont pu entrer. Ils lui ont apporté sa valise et quelques cadeaux pour la famille au bled. Ils ont droit à vingt minutes d’entretien. Dans la salle aux murs blafards, personne n’arrive vraiment à parler. Michel Millet répète : «C’est ridicule tout ça.»
Millet est un ancien officier de l’armée française en Algérie. Il en a conservé un vocable suranné aux accents plus paternalistes que colonialistes à l’égard de la communauté arabe. Benali Sahnoune, algérien, était alors clandestin en France, il n’avait pas de boulot. Millet l’a fait embaucher sur le domaine viticole de sa fille. Petit à petit, le travailleur clandestin a appris le métier de la vigne. Il a commencé par trier les sarments, puis se familiarisant, il a appris à les attacher, à ébourgeonner, à tailler… «C’est un bon vigneron», dit Michel Millet. Mais, la semaine dernière, alors qu’il se rendait sur le domaine de Châtenoy-le-Royal (Saône-et-Loire), Benali Sahnoune a été arrêté sur la route par les gendarmes et emmené au centre de rétention administrative de Lyon. Il doit être expulsé d’un jour à l’autre vers l’Algérie. Michel Millet a d’abord été en colère. Puis il a pleuré. L’histoire de Benali Sahnoune se confond avec celle des milliers de clandestins expulsés chaque année. En 2002, il a fui le nord-ouest d’Alger, région sinistrée par la guerre civile, laissant sur place femme et enfants, pour espérer trouver un travail en France. Il a rejoint Chalon-sur-Saône, où son père est installé depuis 1962, sa mère et ses frères et sœurs (français, eux) depuis une quinzaine d’années. Il s’est vu refuser, comme la plupart des Algériens, le statut de réfugié. A quand même trouvé du boulot. Déclaré. Il pensait que cela plaiderait pour sa régularisation. Il s’est trompé.
Lors de son arrestation, il a montré ses feuilles de paie, ses cotisations à la Mutuelle sociale agricole… «Ils m’ont dit que ça ne servait à rien.» Benali Sahnoune est résigné. Michel Millet, son employeur, n’y arrive pas. Benali Sahnoune sait que «c’est comme ça». Michel Millet ne le savait pas. Cet homme de 73 ans vient de découvrir une France qu’il ne connaissait pas. Celle «des humiliations» et «du mépris». Comme sa fille, il a été convoqué chez les gendarmes. Il lui a été signifié qu’il pouvait être poursuivi pour «aide à l’entrée, au séjour et à la circulation d’un étranger en situation irrégulière». Le procureur n’a pas voulu donner suite. Mais Michel Millet n’est pas dupe : «On est une famille de notables convenables, cela explique.»
Quelques jours après l’arrestation de Benali Sahnoune, il s’est rendu avec Zerka et Amoulkeir, les deux sœurs de Benali, au centre de rétention administrative de l’aéroport de Lyon. Après deux heures de route, ils ont sonné au centre de rétention. On leur a demandé d’attendre sous le vague Abribus qui fait office de salle d’attente. Au bout de trois quarts d’heure dans le froid, croyant avoir été oubliés, ils ont resonné. Les policiers sont sortis, leur ont fait comprendre que leur impatience était de mauvais aloi. Ils ont été sanctionnés d’une privation de visite et sont repartis à Chalon. La colère au ventre. Avec un accent bourguignon comme on n’en entend plus, le «r» roulant et traînant, Michel Millet peste contre «cette droite de cons».
L’ancien président local de la CGPME (le très droitiste syndicat des petits et moyens patrons), qui fréquente le ban et l’arrière-ban des notables chalonnais, a des gros mots pleins la bouche contre la politique d’immigration de la France, la politique tout court et ses représentants. A sa femme qui s’inquiète de le voir sortir de ses gonds face à la presse, il répond : «Ne vous inquiétez pas Geneviève, je sais que je parle à un journal de gauche, je prends toutes les précautions d’usage.» Les sœurs de Benali sourient. Parfois le taclent sans ménagement.
Curieux trio que ce monsieur aux allures de gentleman-farmer version bourguignonne de la IIIe République et ces deux jeunes femmes portant le voile et le verbe haut. Ils sont retournés ensemble mercredi au centre de rétention pour un dernier au revoir à Benali. Cette fois-ci, ils ont pu entrer. Ils lui ont apporté sa valise et quelques cadeaux pour la famille au bled. Ils ont droit à vingt minutes d’entretien. Dans la salle aux murs blafards, personne n’arrive vraiment à parler. Michel Millet répète : «C’est ridicule tout ça.»
QUOTIDIEN : samedi 15 décembre 2007
07:15 Publié dans A hauteur d'homme | Lien permanent | Commentaires (0)
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