26/05/2007
Nocturne indien
Peinture Evaristo
Pour l’obtention de votre visa, on vous conduira à l’hôpital central qui ressemble à un hall de gare ou à un foirail avec des files où des gens attendent entre deux rangées de barreaux en fer comme des box à bestiaux. Des gens absents, les yeux hagards, attendent-là, leur tour à un guichet. Tassés, blasés. Il y règne une telle confusion que l’on se croirait sur un marché un samedi matin. Des centaines de gens, l’air las, certains soutenus par de proches parents, assis allongés, attendent à des files pour recevoir un ticket. Pour faire quoi ?
Attendre. Attendre.
Votre accompagnateur décide de s’adresser dans un de ces bureaux car vous n’avez pas le temps ni la raison de rester là. Devant vous cinquante ou cent personnes. Pourtant observer un tel lieu où s’entasse autant de souffrance et de douleurs ne peut être qu’instructif sur le sens de l’existence. Des hommes des femmes livrés à leur douleur attendent sans lamentation, ne pestent pas contre l’administration ou les dirigeants qui les maintiennent dans cet état. De l’abnégation dans leur regard, leur corps. Le peu de luminosité du lieu atténue les couleurs. Les saris deviennent plus ternes. Tout paraît si triste. Seules les pupilles noires des grands yeux blancs se détachent de cette masse humaine. Ils ont l’intensité de ceux d’acteurs de théâtre muet. Le lieu est ponctué de toux, de râles, de gémissements. Vous ne savez plus si vous êtes dans l’antichambre de la mort ou dans celle de l’enfer. De même vous ignorez si vous êtes au siècle dernier tant la vétusté retire toute temporalité au lieu. Ici des êtres sans âge, sans nom, vont et viennent. Des figurants d’une apocalypse lente. Que s’est-il passé pour que nous en soyons arrivés là ? Une suite d’événements qui les as plongé dans cet état d’atterrement.
La scène se répète aussi à l’extérieur de ce grand bâtiment chaulé en jaune qui ressemble à un gros pâté cubique dans lequel on aurait percé des fenêtres, puis fait sortir à chaque étage des dizaines de tuyaux en Vinyle par où descendent les eaux usées. Celles d’origine étant bouchés. Cela donne un air d’usine délabrée au bâtiment, comme s’il s’agissait d’un sinistre abattoir humain. Un lieu hanté, répugnant d’horreur. Dehors le même spectacle. Des gens attendent là depuis des jours la fin d’un proche. Et comme il n’existe pas d’autre lieu d’accueil, ils bivouaquent sous un grand hangar métallique qui ressemble à une gare routière dans laquelle les cars ne s’arrêteraient plus. Là, à même le sol, sur une natte jetée, ils dorment et vivent autour d’un brasier sur lequel ils cuisinent. Les gens urinent et caguent à une vingtaine de mètres de l’endroit où ils vivent. Et l’odeur insoutenable des défections humaines ne semble pas les déranger.
Un de ces hommes, accroupi au milieu du terrain vague pour uriner laissait voir une monstrueuse paire de testicules, atteinte d’éléphantiasis. Ses attributs de la taille de celles d’un taureau en bonne santé relèvent plus de la faculté de médecine que du phantasme inassouvi. Sa paire de testicules est une énigme. Comment pouvait-il encore avancer avec de telles protubérances entre les jambes ? Ce n’était pas le seul à porter les stigmates de cette maladie plusieurs personnes âgées croisées dans la rue avaient un de leurs membres atteint.
Et ils attendent, femmes, enfants, vieillards, mêlés sur le sol en un grand corps. Ils préparent le repas de leur être retenu dans ce lieu. Car la nourriture n’est pas prévue. Ceux qui n’ont aucune famille ne peuvent rien espérer. Ceux qui le peuvent encore achètent une boulette de riz à un marchand ambulant. Tenter de survivre dans ce lieu diabolique.
Depuis cet instant, chaque jour en passant devant, vous ne pourrez éviter la vision de cet homme allongé sur le trottoir la tête posée sur les genoux de sa femme. Les yeux cachés par un chiffon sale. Le visage maigre. Le corps osseux. Il portait une vilaine plaie purulente à la jambe. Il ne bougeait pas. Maigre comme peuvent l’être les mourants. Il était probablement déjà mort ou ne tarderait pas. Avec le trottoir pour ses derniers instants au milieu de cette foule que rien ne semble perturber. Personne ne voyait cet homme à l’agonie. Personne ne lui portait secours. Personne ne se penchait sur lui pour écouter ses dernières volontés. Il crevait là, ce chien d’humain, sous le seul regard de cette piétât portant sur sa cuisse le christ descendu de croix avec un bandeau sur les yeux et la bouche déjà ouverte. Humble parmi les siens que plus rien ne désole.
Hagards vous attendez encore et encore ne sachant plus trop pourquoi, ce que vous êtes venu foutre dans ce bazar ? Le temps n’a plus de prise sur vous et vous n’avez plus de prise sur rien. Que pouvez-vous comprendre de ce monde si fuyant ? Ce qu’un instant vous croyez avoir compris, s’avère inexact celui d’après. D’une caste à l’autre on ignore les codes la façon de penser, si cela était évident en Europe, cela le devient encore plus ici. Happé par l’étrangeté de la scène et la vacuité, l’esprit s’échappe dangereusement. La chaleur et la moiteur accentuent cet effet. Vous ne savez plus ce que vous faites là, oubliant la raison même de votre venue en ces lieux. Aucun autre hasard n’aurait pu vous conduire ici. Jamais il ne vous serait venu à l’idée de visiter un tel lieu.
Attendre. Attendre.
Votre accompagnateur décide de s’adresser dans un de ces bureaux car vous n’avez pas le temps ni la raison de rester là. Devant vous cinquante ou cent personnes. Pourtant observer un tel lieu où s’entasse autant de souffrance et de douleurs ne peut être qu’instructif sur le sens de l’existence. Des hommes des femmes livrés à leur douleur attendent sans lamentation, ne pestent pas contre l’administration ou les dirigeants qui les maintiennent dans cet état. De l’abnégation dans leur regard, leur corps. Le peu de luminosité du lieu atténue les couleurs. Les saris deviennent plus ternes. Tout paraît si triste. Seules les pupilles noires des grands yeux blancs se détachent de cette masse humaine. Ils ont l’intensité de ceux d’acteurs de théâtre muet. Le lieu est ponctué de toux, de râles, de gémissements. Vous ne savez plus si vous êtes dans l’antichambre de la mort ou dans celle de l’enfer. De même vous ignorez si vous êtes au siècle dernier tant la vétusté retire toute temporalité au lieu. Ici des êtres sans âge, sans nom, vont et viennent. Des figurants d’une apocalypse lente. Que s’est-il passé pour que nous en soyons arrivés là ? Une suite d’événements qui les as plongé dans cet état d’atterrement.
La scène se répète aussi à l’extérieur de ce grand bâtiment chaulé en jaune qui ressemble à un gros pâté cubique dans lequel on aurait percé des fenêtres, puis fait sortir à chaque étage des dizaines de tuyaux en Vinyle par où descendent les eaux usées. Celles d’origine étant bouchés. Cela donne un air d’usine délabrée au bâtiment, comme s’il s’agissait d’un sinistre abattoir humain. Un lieu hanté, répugnant d’horreur. Dehors le même spectacle. Des gens attendent là depuis des jours la fin d’un proche. Et comme il n’existe pas d’autre lieu d’accueil, ils bivouaquent sous un grand hangar métallique qui ressemble à une gare routière dans laquelle les cars ne s’arrêteraient plus. Là, à même le sol, sur une natte jetée, ils dorment et vivent autour d’un brasier sur lequel ils cuisinent. Les gens urinent et caguent à une vingtaine de mètres de l’endroit où ils vivent. Et l’odeur insoutenable des défections humaines ne semble pas les déranger.
Un de ces hommes, accroupi au milieu du terrain vague pour uriner laissait voir une monstrueuse paire de testicules, atteinte d’éléphantiasis. Ses attributs de la taille de celles d’un taureau en bonne santé relèvent plus de la faculté de médecine que du phantasme inassouvi. Sa paire de testicules est une énigme. Comment pouvait-il encore avancer avec de telles protubérances entre les jambes ? Ce n’était pas le seul à porter les stigmates de cette maladie plusieurs personnes âgées croisées dans la rue avaient un de leurs membres atteint.
Et ils attendent, femmes, enfants, vieillards, mêlés sur le sol en un grand corps. Ils préparent le repas de leur être retenu dans ce lieu. Car la nourriture n’est pas prévue. Ceux qui n’ont aucune famille ne peuvent rien espérer. Ceux qui le peuvent encore achètent une boulette de riz à un marchand ambulant. Tenter de survivre dans ce lieu diabolique.
Depuis cet instant, chaque jour en passant devant, vous ne pourrez éviter la vision de cet homme allongé sur le trottoir la tête posée sur les genoux de sa femme. Les yeux cachés par un chiffon sale. Le visage maigre. Le corps osseux. Il portait une vilaine plaie purulente à la jambe. Il ne bougeait pas. Maigre comme peuvent l’être les mourants. Il était probablement déjà mort ou ne tarderait pas. Avec le trottoir pour ses derniers instants au milieu de cette foule que rien ne semble perturber. Personne ne voyait cet homme à l’agonie. Personne ne lui portait secours. Personne ne se penchait sur lui pour écouter ses dernières volontés. Il crevait là, ce chien d’humain, sous le seul regard de cette piétât portant sur sa cuisse le christ descendu de croix avec un bandeau sur les yeux et la bouche déjà ouverte. Humble parmi les siens que plus rien ne désole.
Hagards vous attendez encore et encore ne sachant plus trop pourquoi, ce que vous êtes venu foutre dans ce bazar ? Le temps n’a plus de prise sur vous et vous n’avez plus de prise sur rien. Que pouvez-vous comprendre de ce monde si fuyant ? Ce qu’un instant vous croyez avoir compris, s’avère inexact celui d’après. D’une caste à l’autre on ignore les codes la façon de penser, si cela était évident en Europe, cela le devient encore plus ici. Happé par l’étrangeté de la scène et la vacuité, l’esprit s’échappe dangereusement. La chaleur et la moiteur accentuent cet effet. Vous ne savez plus ce que vous faites là, oubliant la raison même de votre venue en ces lieux. Aucun autre hasard n’aurait pu vous conduire ici. Jamais il ne vous serait venu à l’idée de visiter un tel lieu.
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