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25/05/2007

DEUX ANS D’ABSENCE

Par Mouloud Akkouche

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photo Bénédicte Mercier

Avant de monter dans l’avion, Monique Bertin se gara dans le parking souterrain et demeura un long moment assise, regard dans le vide. Son sac à la main, elle courut sur la passerelle et entra à 14H12 dans le Concorde.
-Dépêche-toi! râla une brune aux cheveux très courts. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Essoufflée, Monique pesta contre les embouteillages du périf et rajusta sa veste d’hôtesse de l’air.
Un quart d’heure plus tard, le commandant de bord annonça le départ pour New York.
Avec les autres hôtesses et stewards, Monique commença la distribution de sourires et de recommandations aux voyageurs. Une lumière brillait dans son regard. Elle était heureuse d’avoir repris le boulot 17 jours auparavant. Après une très grave dépression, elle était restée plusieurs mois en arrêt de maladie. Contrairement à l’avis de son médecin, elle avait décidé de reprendre son poste. A peine sa tenue de travail revêtue, elle s’était à nouveau senti rassurée, au sein d’une famille, et retrouva rapidement le goût de vivre. Persuadée d’être sortie complètement de sa nuit, elle avait abandonné sur-le-champ les antidépresseurs et les séances chez son psy. Excepté avec une hôtesse d’une autre compagnie, Monique ne parlait pas beaucoup d’elle, ses collègues ne connaissaient pas grand chose de sa vie privée.
-Je reviens Karine, dit Monique à la chef de cabine.
Dans les toilettes réservées au personnel, elle fouilla dans son sac et sortit une photo. Ses mains se mirent à trembloter. Les yeux sur le cliché, elle murmura plusieurs fois: << Fabrice, faut vraiment que tu me dises pourquoi… >>. La lumière disparut de son regard. Elle grimaça et rangea la photo.
Comme des centaines de fois, elle enfila le gilet de sauvetage puis, joignant les gestes à la parole, expliqua au passager les consignes de sécurité. Le seul moment qu’elle n’aimait pas du tout, elle se trouvait ridicule.
L’avion avait décollé depuis une demi-heure lorsqu’elle ouvrit la porte de la cabine de pilotage.
Jean-Marc, le commandant de bord, la salua d’un hochement de tête. C’était un type d’une quarantaine d’années plutôt agréable qui, cependant après quelques verres à l’hôtel, voulait souvent s’envoyer en l’air avec des hôtesses. Il avait aussi tenté sa chance avec elle… Face à une ancienne championne de boxe française, le dragueur avait compris qu’il valait mieux garer ses couilles.
- Jean-Marc?
Il se tourna vers elle.
- Qu’est-ce que tu veux ?
Elle braqua l’ arme sur sa nuque.
- Si tu m’écoutes, tout ira bien.
- Mais tu es folle ?
Le co-pilote ouvrit des yeux ronds.
- J’ai collé trois bombes dans les chiottes. Si tu passes pas ce message à la tour de contrôle, je fais tout sauter.
- Mais qu’est-ce qui…
- Ta gueule et lis !
Il entra en contact avec la tour de contrôle:
- Ici, le commandant de bord du vol AH 567, je dois faire une déclaration urgente. Me recevez-vous tour de contrôle ?
- 5 sur 5.
- Je….
- Nous vous recevons, vous pouvez parler.
Le papier dans les mains, il débuta sa lecture d’une voix tremblotante :
- Ceci est un message de Monique Bertin… Je suis hôtesse de l’air sur le vol AH 567 en direction de New York et… et je viens de prendre en otage cet avion. J’ai installé plusieurs explosifs. Ma demande est simple : je veux que vous contactiez mon mari Paul Bertin pour qu’il s’explique en direct avec moi… Je veux savoir pourquoi il m’a quittée. Je veux savoir. Quand je l’aurais eu en direct, je me rendrai… pas avant.
<< Allô ! Ici tour de contrôle… Vous arrêtez vos blagues : on n’est pas le premier Avril…>>
Elle vissa le canon sur la nuque du commandant.
- Dis-leur que c’est pas une blague. Dis-leur ou je commence par toi… Magne-toi !
- Ici le commandant Jean-Marc Lagrange… Je confirme la prise d’otage de notre vol par l’une de nos hôtesses de l’air.
- C’est une plaisanterie de mauvais goût et je…
Elle saisit le micro :
- Ici Monique Bertin, je vous donne une heure pour entendre mon mari sinon je fais tout sauter.
- Mais nous…
- Une heure, pas plus !
Elle coupa la liaison.
- Monique, intervint le commandant de bord, tu délires…tu… Ce n’est pas croyable que toi…
Elle dévisageait avec une grande satisfaction ce petit macho dégoulinant de trouille.
- Regarde au coin de ta cabine… Le petit truc que tu vois scotché est un explosif relié à cette poire dans ma main : un système très efficace. J’ai juste fait mon p’tit marché sur le net.
- Mais comment t’as fait pour passer tout ça en bas.
Elle sourit.
- Depuis le temps, je les connais bien les mecs de la sécurité. En plus, j’ai pas la gueule du terroriste moyen.
- Tu déconnes là, il faut que tu retrouves la raison. Tu sais, dans ce genre de boulot, on passe tous par des états de…
- Ferme-là ! Prie pour qu’ils me mettent en relation avec mon mari…
Le commandant de bord et son co-pilote ne prononcèrent plus un mot. De temps en temps, ils échangeaient des regards mêlés d’inquiétude et d’incrédulité.
Adossée à la paroi, Monique alluma une cigarette. Personne ne l’empêchera de fumer.
Un quart d’heure avant la fin de l’ultimatum, elle ordonna :
- Tu me passeras la communication dans le vestiaire. Je n’en bougerai plus jusqu’à ce que je l’ai. Ils ont encore jusqu’à et quart, pas plus. Salut chef.
- Tu es…
- Oui, givrée.
- Arrête de déconner maintenant !
- Pas de conneries toi Jean-Marc, ricana-t-elle, n’oublie pas cette petite poire dans ma main.
- On peut trouver une autre solution.
Le regard absent, elle lâcha :
- Il doit m’expliquer, c’est tout.
Elle sortit de la cabine.
- Comandant Jean-Marc Lagrange, ici la tour de contrôle. Vous me recevez ?
- Je vous… vous reçois, balbutia-t-il. Alors vous l’avez retrouvé son mari ? Elle est devenue complètement folle, elle a vraiment installé des explosifs.
- Nous avons effectivement retrouvé la trace de son mari.
Il poussa un ouf de soulagement.
- Passez-lui la communication, qu’on en finisse avec cette histoire.
Un toussotement succéda à ses propos.
- Il y a un disons… un problème.
- Mais quoi ? s’impatienta-t-il.
- Son mari… son mari s’est suicidé il y a 2 ans.

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