Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/01/2007

Vendredi Saint, Rouge à lèvre, Sucettes au citron vert

Carl Watson

Pour la seconde fois, ce jour-là, j’étais plongé dans quelque chose que je ne comprenais pas. À l’intérieur, mais sans en faire partie - rien à voir. À la télé, il y avait quantité de pubs pour du savon, des soutiens-gorge, des voitures de sport, des chaînes stéréos, et toutes sortes de trucs qui donnent envie de baiser. Tout ce qu’on voit est censé donner envie de baiser, ou au moins remplacer la baise par le shopping.

Après, ils ont diffusé une émission - un concours de play-back. Apparemment le monde, à l’extérieur, s’était mis au play-back comme à une forme d’expression créative. C’était assez triste, comme situation - emprunter les chants qui célèbrent l’accouplement à la culture de masse. Bon, tant pis. Allons-y. Ça et le reste. Du moment qu’on obtient ce qu’on veut.

Quelqu’un a zappé sur une émission où il y avait des camions aux pneus démesurés qui traversaient le feu, montaient sur des piles de bagnoles qu’ils écrasaient, j’en étais à ma troisième bière, j’ai jeté un coup d’œil autour de moi, et ils avaient tous l’air malades. Et pas seulement malades physiquement, mais dans la tête, aussi. Vous voyez. Les gens me disent qu’il y a trop de colère, en moi. Tant pis.

C’est vrai que je détestais les gens - ça continue, d’ailleurs. Ils ont des tronches graillonneuses et l’haleine chargée. Ils font trop de bruit et leurs halètements sifflants me gênent. Et je vais te dire, si t’as envie d’écouter des respirations sifflantes, des souffles rauques et sonores, c’est ici qu’il faut venir. Même l’horloge ahane comme une vieille bête anémique.

Je regardais l’horloge. Je tuais le temps. Je me disais qu’il fallait que quelque chose meure pour que quelque chose naisse. Je me mettais à philosopher. Il était à peu près trois heures, quand j’ai baissé les yeux et que j’ai vu une goutte de condensation rouler sur le bois brun du bar comme une larme. Et c’était un signe. Au bout du comptoir, un type a ouvert la bouche. À première vue, on aurait qu’il avait du cottage cheese dans la bouche, ou une infection aphteuse. Après, je me suis rendu compte qu’elle était pleine de trucs blancs, comme des vers. J’ai entendu alors un rire violent. Quelque chose a volé à travers la pièce et c’était pas un oiseau de paradis. C’était pas non plus une colombe. C’était petit, dur, brutal et amer. J’ai couru dehors. Il se passait quelque chose, et je ne savais pas quoi.

Le texte de Carl Watson, écrivain américain contemporain, reproduit ci-dessous, est extrait d’un receuil de récits, « Sous l’empire des oiseaux », édité en France par les éditions Vagabonde.

En savoir plus sur Carl Watson

Ecouter un morceau de Johnny Cash

18/01/2007

Le primitivogonopénien

medium_Cerveau_nerfs_craniens_appareil_urinaire.gif


Ainsi appelé il se développe chez le sujet borgne. L’infection se loge dans la cavité orbitale vide et atteint rapidement le cerveau. On a vu chez certains sujets souffrant de cette infection que le cerveau secrète une matière qui dégage une odeur pestilencielle et présente un aspect proche de la soupe de potiron fermentée. Ce virus à tendance à faire voir le monde en noir et blanc au sujet, lequel organise dans la partie de son cerveau encore saine ses relations en deux parties bien distinctes et dispose d’un côté les bons et de l’autre les méchants -représentée par l'inconnu ou toutes différences qui deviennent alors incompréhensibles au sujet .
Le sujet vocifère, éructe et prétend avoir des solutions efficaces pour toutes choses. Il ne supporte que la musique cadencée, la couleur vert-de-gris et les chants simples. On remarque chez le patient une tendance à utiliser plus que chez tout autre sujet la forme du plus que parfais du subjonctif. Nous avons constaté que pour dire il aurait fallu que je le sache, une autres tournure de phrase qui peut donner à croire que l’individu à de l’humour, ce qui n’est pas le cas…
Ce virus sous son aspect terminal pousse le patient à vouloir découper ses voisins à la machette, car ce virus est un dérivé de la branche rwandaise déjà identifiée sur les grands gorilles.
Nous conseillons comme prophylaxie de ne pas fréquenter les patients atteints de cette infection.

La rédaction tient à remercier Léonardo pour le prêt de ses dessins.
Ecouter un morceau de Erik Satie

14/01/2007

Le Cervicanévulgus

Ainsi nommé, car il porte sur sa face antérieure une protubérance qui à cette particularité de ressembler à des cornes de cervidés.
Ce patient présente les symptomes suivants: il bave, se replie sur lui et prétend être le dernier des cocus. Dans ses accès de crise que la démence s'apparente à ce qu'on nomme la monoxyde de gamie inférieure.
Ce patient présente la particularité d'avoir eu durant toute sa vie le même trajet pour se rendre d'un point à un autre à heure fixe et cela matin midi et soir, d'avoir entretenu des relations sexuelles normales et non excessivement prolifique avec une patiente femelle de son choix et cela durant toute sa vie.
Pendant ces crises de conscience suraiguë, laps de temps très court où les neurones ne sont pas soumis à la pression hiérarchique, l'homme en général s'arrache les cheveux et se lamente. Puis il maudit le monde entier et se mord forcément les avant-bras. Cette forme avancée se retrouve le plus souvent chez le sujet âgé qui a travaillé toute sa carrière dans l'administration.
Il faut choisir ce moment pour lui asséner un coup de manche de pioche derrière le crâne juste sur le niveau de l'occiput. Pour l'occire n'hésitez à frapper très fort. Un seul coup devrait suffir.
Chez les patients atteints par la forme chronique il faut frapper à plusieurs reprises pour bien s’assurer que mort s'ensuive. Certains confrères n’hésitent pas à utiliser la barre à mine. Ce que je préconise pour être sûr de parvenir à ses fins dès le premier coup si on veut éradiquer cette maladie.
Il faut se débarrasser des pansements, de tout le matériel médical ainsi que du patient dans les bennes prévues à cet effet.


medium_Leo180.gif


Léonardo a bien voulu me prêter un de ses dessins, qu'il en soit ici remercié....

13/01/2007

Les Poétes

Poète, mon ami, c’est un sacré métier, y croire il faut, pour se faire des vers élire le roi. Le floralie courir, le comité des fêtes, l’amicale des versificateurs, à la brosse à reluire recourir pour tenir son rang, faire savoir à qui de droit, autre de travers.
Et tout ça, de bons sentiments dégoulinants

Poète, c’est un sacré métier, y croire il faut, à son enseigne tenir salon, lever le coude, un rayon en connaître, sur la bagatelle,
Les ronds de jambe, les baises mains, pour bénéficier du bon frichti entre Fricotin des lettres. Contre sonnantes,
Quelles bassesses ne serions-nous prêts à commettre ?

Gavons nos panses tant que festoyer gratis on nous laisse, car le buffet des salons est bien la seule occase où la littérature nourrit
L’animal. Est ce hasard si on y décerne en ces heures douces,
Aux premiers de la classe récompenses et bourses.
Le flagorneur y a auditoire, tant qu’on lui verse à boire.

Avec le métier de poète, arrive l’œil torve, la lippe vioque, la répartie garce. Toutes ces canailles capables ânonnent leurs classiques, mais plus guère d’humanité dans leur tirade, que du Socrate, du Platon, du Cicéron. Et si c’est rond mon bon monsieur, ce n’est point carré, voyez-vous !

De tous ces faiseurs d’académies, pas un seul n’est foutu de donner son manteau à la gosse qui étale sa jeunesse perdue
aux regards des passants en grelottant sur le trottoir.
Tous, sont prêts à jouir des attraits de cette fille de joie
qui n’en a plus guère, en experts de bordels enfumés.

C’est bien connu, nos plumitifs travailleurs du chapeau
à trop réfléchir, doivent souvent amener de l’air frais à leurs gonades, afin que leur cerveau ne soit dans la panade.
Une plume dans le fion, un doigt dans l’encre semble être l’apanage de ces gens, à moins que le contraire ce ne soit.

Quand en Décharge un de ces poètes est mené,
La fratrie autour de la carcasse se réunit. Pour héritage,
Ils ne laissent qu’anecdotes sulfureuses parfois.
Lui, gosier en pente, hirsute chevelu, couvert de dettes,
évitait les typographes pour n’y perdre sa mâchoire.

Tel autre sodomite de son état voulait joyeusement
entreprendre le cercle de ses compagnons, untel
des oursins dans les poches jamais ne payait canon.
Ces bourriques à la mort lentement vont, en priant
que d’eux -qui ne furent bon qu’à trousser le vers
et par occasion la chemise,- pitié on prenne.

Fainéants au trois quart, mais tous prêts à l’occase
A monter en selle avec baron et ramassis d’emplumés,
Pour que la gloire inscrive leur nom en marbre.
Qu’ils se rassurent, d’eux, nul ne se souviendra.

Grand bien me fasse qu’ils crèvent, ces vils laquais
Du verbe. De leurs seuls vers, je me nourrirais.
Ceux, qui ne sont devenus pourriture et larves
Ne peuvent plus guère espérer le maroquin du ministre.
Vous ni sales, ni divin, juste laids, disons humains
Laissez moi, rire fort et beaucoup trinquer.

Vos amis qui restent vous ont trouvé si beaux
Si noble ; ces ridicules. Las, mort vous va comme un gant.
Vous n’êtes plus compagnons, car un ami, un vrai
point ainsi ne trahit et ingrat s’en va…

Mon verre du vôtre je détourne et prés d’autres esprits vivants ceux-ci, je vais chercher le bon mot, car trop de peine vous me faites d’avoir déserté le zinc où se retrouvaient les adeptes de la grappe.

Celui qu’en ce jour, au trou on coule, n’aura eu de remords
Que pour la gironde où il aimait aller dans les crus classieux
Goûter les nectars parfumés, petit blanc long en bouche
Rouge bordelais à la cuisse longue, à la charpente ronde,
Telle femme de harem lascive ou fleur de bordel pansue il n’aura eu de cesse, en son gosier assoiffé d’y faire couler la dive liqueur.

Non point je vous maudits, mais de vous vivants j’ai pitié
Car loyer, pitance idem, chaque mois il faut trouver.
Et l’instinct vous porte à vouloir encore tenter quand
impossible est l’issue. Il faut être idiot, confessons-le, mais
contre cela, rien n’y pouvons, car tellement humains en somme vous fûtes que ce dérisoire en devient presque sublime.

Ce foutu métier de poète voyez vous mon ami,
Je ne le souhaiterais pour rien à mon pire ennemi.

10/01/2007

Qu'est ce que la littérature

par Joseph Périgot

Je voulais parler de cette soirée (soirée, c'est peu dire, ça a duré jusqu'à 5 heures du mat) avec une éditrice d'une maison jugée importante... Ça me brûle de donner le nom, parce que, au fond, je n'ai pas grand chose à perdre, et un procès pourrait m'amuser à l'âge où j'arrive, mais la personne en question est une pauvre petite folle, dans le genre hystérique, qui n'a jamais maîtrisé sa vie. Appelons-la Françoise. C'est le prénom de tout le monde, et elle n'est rien de rare. Rien de rare, mais agrégée de lettres (il faut quand même travailler dur pendant au moins un an pour y arriver) et éditrice depuis sa prime jeunesse (le professorat, c'était trop dur) dans cette maison d'édition que je ne citerai pas, inutile d'insister !
Je l'aimais bien, Françoise. J'aime bien les chtarbés, les désespérés, je me sens proche d'eux, sans doute parce que je leur ressemble et que la vie est trop mal faite. Mais ce soir-là, Françoise m'a sérieusement gonflé en prétendant que Malcolm Lowry et Albert Cohen n'étaient pas des écrivains. On peut ne pas aimer un écrivain, mais ériger sans précaution ce sentiment personnel en loi universelle frise la connerie, surtout quand on affiche une qualité d'éditeur. Mais justement, on finit par se prendre au jeu du pouvoir. En langue vulgaire (j'allais dire courante), on ne se sent plus pisser.
Non, mais vous voyez un peu le topo : l'éditrice d'une importante maison d'édition française aurait jeté Malcolm Lowry et Albert Cohen ! Je rêve et c'est un cauchemar ! Mais je suis resté très calme. Je lui ai dit : Françoise, ma petite Françoise, explique-moi, c'est quoi, la littérature pour toi? Elle a réfléchi longuement, parce que l'éditrice d'une maison d'édition importante n'a pas le temps de se poser ces questions théoriques, elle croule sous le travail. Elle a fini par lâcher: foi, imagination et liberté. En abrégé : FIL. Elle était presque fière de sa conclusion qui entrait dans une formule : FIL.
L'écrivain serait animé par la foi. C'est vrai qu'il faut y croire, pour se lancer dans un roman. Des centaines d'heures de boulot et tout le monde s'en fout, pour, au bout du compte, livrer le paquet à une Françoise. Mais ce n'était pas ça. Elle veut croire à un principe esthétique supérieur, Françoise, à quelque chose qui plane au-dessus de nos têtes et qui le soir rentre dans sa caverne. Ni Roland Barthes, ni Maurice Blanchot n'étaient à son programme d'agreg.
Pour écrire, il faudrait de l'imagination... Oui, n'est-ce pas, la réalité quotidienne est pâlotte, répétitive, bornée. Heureusement, l'homme a un organe qui secrète ses propres images et hue Cocotte! le voilà emporté au-delà des limites de la réalité. Ce qu'on appelle: se faire du cinéma. La littérature-évasion.
Enfin – et c'est peut-être le plus important –, le vrai écrivain est un être libre. Il échappe aux déterminismes qui étranglent le commun des mortels. Il fait tout exactement ce qu'il veut, ce petit veinard. A une exception près (enfin, c'est un conseil): il ne doit pas dire merde à son éditrice.
Devant une telle semoule intellectuelle, rance, en plus, je me contenterai de citer Blanchot: "La littérature, actuellement du moins encore, constitue non seulement une expérience propre, mais une expérience fondamentale, mettant tout en cause, y compris elle-même, y compris la dialectique (...) l'art est contestation infinie."


Allez je ne résiste pas au plaisir de vous en donner un deuxième en lecture.
Et Merci bien Joseph...

Une amie écrivain m'a dit...
J'habite la même petite ville de province que mon éditrice. Comme Paris reste un point de passage obligé, aussi bien pour un auteur que pour un éditeur, nous nous retrouvons régulièrement sur le quai de la gare, direction Paris, à attendre le TGV. Ah! ma chérie ! dit l'éditrice, avec un sourire épanoui (malgré l'heure matinale et une marque d'oreiller sur la tempe gauche). Ses auteurs sont une grande famille dont elle serait un peu comme la maman. Une jeune maman, qui a aussi bien d'autres choses à faire, mais qui est toujours là pour distribuer une caresse, remettre une mèche de cheveux en place. Tout ça avec le même sourire épanoui qui donne envie de la gifler. Ce serait une violence incomprise, parce que tout le monde le dit : "Elle est charmante, Catherine." Elle est capable de remuer ciel et terre pour venir en aide à un auteur en détresse. Un auteur important, bien entendu. Qui a de la surface. De la visibilité. Ou au moins lourd de promesses. On a bien le droit de choisir ses amis. Bref, cette femme est d'un commerce agréable et c'est toujours un déchirement quand le TGV entre en gare : bien que nous allions dans la même direction, le moment est venu de nous quitter, car nous n'avons pas le même billet. Le sien coûte 50% plus cher. Dieu merci ! le bar central du TGV favorise le rapprochement entre les VIP et la piétaille. Catherine dit d'une voix enjouée : "On se retrouve au bar, d'accord ?" Au bar, elle paiera les deux cafés. Et même mon croissant.
A l'occasion d'une de ces rencontres ferroviaires, je lui demande : "Tu es contente de ton comptable?" "C'est un type formidable, me dit-elle. Très efficace et très dévoué." J'avais détecté dans mon relevé de droits, une erreur de 3000 €. Rien que ça. De quoi vivre pendant deux mois pour un pauvre auteur. Plusieurs lettres au service de comptabilité étaient restées sans réponse et impossible d'avoir le grand responsable au bout du fil. Deux mois plus tard, j'avais trouvé un chèque de 3000 € dans ma boîte à lettres. Sans aucun mot, ni d'explication ni d'excuse. J'ironise auprès de mon éditrice: "Un type formidable, en effet !" Elle me prend par l'épaule et me dit : "Oh! tu sais, ma chérie, qu'est-ce que c'est que 3000 € pour une boîte comme la nôtre !"
Pour compléter le portrait de cette éditrice qui compte dans le "paysage" éditorial français, mon amie rapporte une dernière anecdote. Toujours sur le quai de la gare. Elle était très déçue par les réactions de la presse à la sortie de son dernier livre – ou plutôt par l'absence de réactions: les journalistes "ne sentaient pas" son bouquin, c'est ce que l'attachée de presse s'entendait dire ! Ils lisent à vue de nez, ces crétins ! Elle vitupérait contre eux devant son éditrice, dénonçant leur manque de culture. L'éditrice l'arrêta et lui dit sans plaisanter : "S'il te plaît, ne soit pas si dure avec les gens qui manquent de culture, c'est mon cas." La culture n'est plus comme la confiture, on ne cherche même pas à l'étaler.
Ça me fait penser à cet autre éditeur, directeur d'une boîte d'édition moyenne, à qui je demande poliment des nouvelles de l'accouchement de sa femme. "Le col du fémur a eu du mal à s'ouvrir", me répond-il. "Elle est tombée sur un os", dis-je. Il n'a pas compris ni cherché à comprendre ma réplique. Le même arrive un matin au bureau et dit à ses collègues: "Vous avez vu ? Ils viennent de sortir une novellisation d'Au nom de la rose."
Pour être coiffeur, il faut passer un brevet. Sans brevet, pas le droit d'ouvrir boutique. Et pour être éditeur, il faut quoi?

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
C'est Mouloud, vous savez ce drôle de type, petit, frisé, rigolo, sympa, Toulousain de Montreuil, mien ami qui m'a donné le tuyau en me disant d'aller lire sur le blog du monsieur en question: Joseph Périgot . La surprise a été de taille. Tout simplement jubilatoire. J'ai cru y reconnaître, cru seulement, la Françoise en question. C'était pas la Verny non, elle devait avoir plus d'intelligence. Un jour je vous donnerai à lire des lettres de refus de manuscrits. Certaines valent leur prix en cacahuètes. Ces gens là m'ont rendu service. Je le jure, en m'apprenant le détachement. Que Ganesh les prenne en protection.
Aussitôt dit aussitôt fait, je colle un de ses billets sur mon blog et vous invite à aller jeter un oeil sur la plume du Monsieur. Qu'il est agréable de se sentir moins seul...
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Et voici le petit dessin hebdo de Ballouhey qu'on retrouve sur son site. En tapant sur Bacase dans la liste à gauche dans la rubrique dessinateur. Vous voyez. Juste là sur la gauche. Merci

medium_2-picture2.2.gif

18:25 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

05/01/2007

Les enfants de la balle

Cette année-là, en début de semaine, sans cahiers ni cartables, les cheveux longs et sales, trois bohémiens sont arrivés à l'école. Personne n'avait voulu se mettre à côté d'eux. N'ayant pas de voisin puisque je dissipais tout le monde, j'en avais récupéré un. Les deux autres étaient restés ensemble dans mon dos, près du poêle. Le maître aurait aimé que les grands leur fassent une place, mais ils ne voulaient pas attraper de maladies. Les gosses du cirque connaissaient par cœur tous les animaux du chocolat Poulain. Les tablettes renfermaient une photo surprise d'un animal qu'il fallait coller sur une carte dans un livre. En dehors des ouvrages scolaires je ne possédais que ce livre. Chocolat, mon copain, me l'avait donné en échange d'un lance-pierres taillé dans une vieille chambre à air de bicyclette. Il n'avait jamais vu de fronde si grosse. Il était tout noir. Le premier jour, on refusait de croire que c'était réellement sa couleur. Le maître nous a donné un cours sur les étrangers parce qu’il ne passait pas beaucoup de monde par ici. Les gens qui s'y installaient étaient encore plus rares. Toute la population de ce trou était pâle, ou violette, alors un Noir!
Les trois gosses ne sont restés qu'une semaine. Le dimanche, la place de l'église à la sortie de la messe était nette. Ils avaient enfoncé les piquets du chapiteau dans le goudron. En échange d'un lapin prêt à cuire, il m'ont donné des bons de réduction pour le spectacle. D'autres leur avaient apporté du bois de chauffage qu'ils avaient entassé sous la roulotte, là où leur chien dormait et aboyait à notre approche. D'autres encore avaient échangé des légumes, des œufs, du lait.
Mon voisin de classe causait peu, il avait un accent de Marseille très prononcé et il donnait un numéro d'écuyer. La représentation a eu lieu le vendredi. Depuis le début de la semaine, le village était divisé entre pro et anti-cirque. L'épicière prétendait que c'était un scandale d'avoir laissé les gitans, comme elle les appelait, esquinter le goudron tout neuf avec leurs piquets. Elle se méfiait de ces gens-là qui volent les enfants pour les vendre dans des cirques qui partent à l'étranger. Elle me prévenait que, s'il arrivait malheur, elle tenait la Mère pour responsable de mon destin. Je rêvais de me faire enlever. Je désirais devenir clown ou trapéziste. Le spectacle a eu lieu sans incident. Je m'étais tellement bien débrouillé, que j'ai eu droit à plusieurs coupons de réduction. Même si le Père n'avait pas voulu y aller, il ne pouvait prétendre nous en empêcher. Cet argent, je l'avais gagné. J'ai échangé ma poignée de coupons contre trois places gratuites.
Le lundi, l'école sans mon copain m'a semblé encore plus triste. J'imaginais des endroits fantastiques où la troupe s'était arrêtée.

Ce texte est extrait de: Un enfant de coeur éditions EDDIF