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10/01/2007

Qu'est ce que la littérature

par Joseph Périgot

Je voulais parler de cette soirée (soirée, c'est peu dire, ça a duré jusqu'à 5 heures du mat) avec une éditrice d'une maison jugée importante... Ça me brûle de donner le nom, parce que, au fond, je n'ai pas grand chose à perdre, et un procès pourrait m'amuser à l'âge où j'arrive, mais la personne en question est une pauvre petite folle, dans le genre hystérique, qui n'a jamais maîtrisé sa vie. Appelons-la Françoise. C'est le prénom de tout le monde, et elle n'est rien de rare. Rien de rare, mais agrégée de lettres (il faut quand même travailler dur pendant au moins un an pour y arriver) et éditrice depuis sa prime jeunesse (le professorat, c'était trop dur) dans cette maison d'édition que je ne citerai pas, inutile d'insister !
Je l'aimais bien, Françoise. J'aime bien les chtarbés, les désespérés, je me sens proche d'eux, sans doute parce que je leur ressemble et que la vie est trop mal faite. Mais ce soir-là, Françoise m'a sérieusement gonflé en prétendant que Malcolm Lowry et Albert Cohen n'étaient pas des écrivains. On peut ne pas aimer un écrivain, mais ériger sans précaution ce sentiment personnel en loi universelle frise la connerie, surtout quand on affiche une qualité d'éditeur. Mais justement, on finit par se prendre au jeu du pouvoir. En langue vulgaire (j'allais dire courante), on ne se sent plus pisser.
Non, mais vous voyez un peu le topo : l'éditrice d'une importante maison d'édition française aurait jeté Malcolm Lowry et Albert Cohen ! Je rêve et c'est un cauchemar ! Mais je suis resté très calme. Je lui ai dit : Françoise, ma petite Françoise, explique-moi, c'est quoi, la littérature pour toi? Elle a réfléchi longuement, parce que l'éditrice d'une maison d'édition importante n'a pas le temps de se poser ces questions théoriques, elle croule sous le travail. Elle a fini par lâcher: foi, imagination et liberté. En abrégé : FIL. Elle était presque fière de sa conclusion qui entrait dans une formule : FIL.
L'écrivain serait animé par la foi. C'est vrai qu'il faut y croire, pour se lancer dans un roman. Des centaines d'heures de boulot et tout le monde s'en fout, pour, au bout du compte, livrer le paquet à une Françoise. Mais ce n'était pas ça. Elle veut croire à un principe esthétique supérieur, Françoise, à quelque chose qui plane au-dessus de nos têtes et qui le soir rentre dans sa caverne. Ni Roland Barthes, ni Maurice Blanchot n'étaient à son programme d'agreg.
Pour écrire, il faudrait de l'imagination... Oui, n'est-ce pas, la réalité quotidienne est pâlotte, répétitive, bornée. Heureusement, l'homme a un organe qui secrète ses propres images et hue Cocotte! le voilà emporté au-delà des limites de la réalité. Ce qu'on appelle: se faire du cinéma. La littérature-évasion.
Enfin – et c'est peut-être le plus important –, le vrai écrivain est un être libre. Il échappe aux déterminismes qui étranglent le commun des mortels. Il fait tout exactement ce qu'il veut, ce petit veinard. A une exception près (enfin, c'est un conseil): il ne doit pas dire merde à son éditrice.
Devant une telle semoule intellectuelle, rance, en plus, je me contenterai de citer Blanchot: "La littérature, actuellement du moins encore, constitue non seulement une expérience propre, mais une expérience fondamentale, mettant tout en cause, y compris elle-même, y compris la dialectique (...) l'art est contestation infinie."


Allez je ne résiste pas au plaisir de vous en donner un deuxième en lecture.
Et Merci bien Joseph...

Une amie écrivain m'a dit...
J'habite la même petite ville de province que mon éditrice. Comme Paris reste un point de passage obligé, aussi bien pour un auteur que pour un éditeur, nous nous retrouvons régulièrement sur le quai de la gare, direction Paris, à attendre le TGV. Ah! ma chérie ! dit l'éditrice, avec un sourire épanoui (malgré l'heure matinale et une marque d'oreiller sur la tempe gauche). Ses auteurs sont une grande famille dont elle serait un peu comme la maman. Une jeune maman, qui a aussi bien d'autres choses à faire, mais qui est toujours là pour distribuer une caresse, remettre une mèche de cheveux en place. Tout ça avec le même sourire épanoui qui donne envie de la gifler. Ce serait une violence incomprise, parce que tout le monde le dit : "Elle est charmante, Catherine." Elle est capable de remuer ciel et terre pour venir en aide à un auteur en détresse. Un auteur important, bien entendu. Qui a de la surface. De la visibilité. Ou au moins lourd de promesses. On a bien le droit de choisir ses amis. Bref, cette femme est d'un commerce agréable et c'est toujours un déchirement quand le TGV entre en gare : bien que nous allions dans la même direction, le moment est venu de nous quitter, car nous n'avons pas le même billet. Le sien coûte 50% plus cher. Dieu merci ! le bar central du TGV favorise le rapprochement entre les VIP et la piétaille. Catherine dit d'une voix enjouée : "On se retrouve au bar, d'accord ?" Au bar, elle paiera les deux cafés. Et même mon croissant.
A l'occasion d'une de ces rencontres ferroviaires, je lui demande : "Tu es contente de ton comptable?" "C'est un type formidable, me dit-elle. Très efficace et très dévoué." J'avais détecté dans mon relevé de droits, une erreur de 3000 €. Rien que ça. De quoi vivre pendant deux mois pour un pauvre auteur. Plusieurs lettres au service de comptabilité étaient restées sans réponse et impossible d'avoir le grand responsable au bout du fil. Deux mois plus tard, j'avais trouvé un chèque de 3000 € dans ma boîte à lettres. Sans aucun mot, ni d'explication ni d'excuse. J'ironise auprès de mon éditrice: "Un type formidable, en effet !" Elle me prend par l'épaule et me dit : "Oh! tu sais, ma chérie, qu'est-ce que c'est que 3000 € pour une boîte comme la nôtre !"
Pour compléter le portrait de cette éditrice qui compte dans le "paysage" éditorial français, mon amie rapporte une dernière anecdote. Toujours sur le quai de la gare. Elle était très déçue par les réactions de la presse à la sortie de son dernier livre – ou plutôt par l'absence de réactions: les journalistes "ne sentaient pas" son bouquin, c'est ce que l'attachée de presse s'entendait dire ! Ils lisent à vue de nez, ces crétins ! Elle vitupérait contre eux devant son éditrice, dénonçant leur manque de culture. L'éditrice l'arrêta et lui dit sans plaisanter : "S'il te plaît, ne soit pas si dure avec les gens qui manquent de culture, c'est mon cas." La culture n'est plus comme la confiture, on ne cherche même pas à l'étaler.
Ça me fait penser à cet autre éditeur, directeur d'une boîte d'édition moyenne, à qui je demande poliment des nouvelles de l'accouchement de sa femme. "Le col du fémur a eu du mal à s'ouvrir", me répond-il. "Elle est tombée sur un os", dis-je. Il n'a pas compris ni cherché à comprendre ma réplique. Le même arrive un matin au bureau et dit à ses collègues: "Vous avez vu ? Ils viennent de sortir une novellisation d'Au nom de la rose."
Pour être coiffeur, il faut passer un brevet. Sans brevet, pas le droit d'ouvrir boutique. Et pour être éditeur, il faut quoi?

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C'est Mouloud, vous savez ce drôle de type, petit, frisé, rigolo, sympa, Toulousain de Montreuil, mien ami qui m'a donné le tuyau en me disant d'aller lire sur le blog du monsieur en question: Joseph Périgot . La surprise a été de taille. Tout simplement jubilatoire. J'ai cru y reconnaître, cru seulement, la Françoise en question. C'était pas la Verny non, elle devait avoir plus d'intelligence. Un jour je vous donnerai à lire des lettres de refus de manuscrits. Certaines valent leur prix en cacahuètes. Ces gens là m'ont rendu service. Je le jure, en m'apprenant le détachement. Que Ganesh les prenne en protection.
Aussitôt dit aussitôt fait, je colle un de ses billets sur mon blog et vous invite à aller jeter un oeil sur la plume du Monsieur. Qu'il est agréable de se sentir moins seul...
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Et voici le petit dessin hebdo de Ballouhey qu'on retrouve sur son site. En tapant sur Bacase dans la liste à gauche dans la rubrique dessinateur. Vous voyez. Juste là sur la gauche. Merci

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18:25 Publié dans Humeur | Lien permanent | Commentaires (0)

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