30/01/2019
Du côté des Pyrénées
Article de Pierre Challier paru dans la Dépêche du Midi
Dans la vie, il y a celui que l'on naît et celui que l'on devient. Avec parfois de sacrés gouffres franchis en funambule de l'un à l'autre. Pour Saïd Mohamed, né il y a 62 ans du côté de la Normandie, accent bocager compris, la première fée après le berceau s'est appelée l'Assistance publique, rappelle-t-il régulièrement. Sans renier sa famille mais juste pour dire qu'ainsi, il a pu avoir accès à l'instruction, l'éducation.
Venu au monde entre un père berbère, terrassier miné par le déracinement et l'alcool, et « la Mère », forte tourangelle passée de la misère des gueules noires de charbonniers à la pauvreté aux mains gercées des lavandières battant le blanc... Saïd Mohamed avait ainsi déjà raconté dans La Honte sur Nous la marginalité et le quart monde des années 60-70, non sans talent pour rendre férocement drôle le sordide d'un quotidien rural plombé par l'absence de tout, à commencer par celle des mots pour exprimer les sentiments. Ces mots qui allaient devenir sa planche de salut, sa conquête et son bâton de pèlerin pour faire société par des chemins de traverse.
Ouvrier imprimeur à Tarbes
« En me levant ce matin, j'ai levé la tête. Des étoiles sont tombées de mes cheveux. Ça m'apprendra à dormir dehors... », s'ouvre ce CD qui dit aussi, entre autres, et au delà de la chute du céleste à nos pieds, les écartèlements de Gibraltar entre Atlantique et Méditerranée, Afrique et Europe, d'une rive l'autre, avec des mots simples pour murmurer encore du Sud vers le Nord qu'il est désormais « difficile de croire encore à l'espace d'un monde souvenir ». De la bohème à l'errance, de l'errance à l'exil du migrant... Une poésie très en résonance avec l'actualité, parfois, et dont la musique éclairée par l'orgue de cristal de Karinn Helbert (cristal Baschet, directrice artistique de l'ensemble), la voix d'Eric Louviot, le violoniste Manuel Decoq et le chant soufi d'Ahmed Abdelhack el Kaâb de l'ensemble Dounia, trouve aujourd'hui la consécration avec ce 71e Grand Prix de l'Académie, pour de la belle ouvrage donnant à écouter et à... entendre que des reflets du cabossé naissent parfois des firmaments.
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