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03/05/2009

Train des indes...

Climbing the Ghats by MG (Aug. 12, 2007) from Mani Vijay on Vimeo.

Le train poussif avançait péniblement, tiré par une locomotive diesel en zigzaguant sur les rails tortueux qui s’élançait entre les plantations de thé. Dans une vallée large et ensoleillée, le convoi grimpait dans ces paysages qui semblaient peignés et sagement taillés par un jardinier scrupuleux. Pas un arbrisseau plus haut que l’autre. Impeccablement. De loin les champs dessinaient un puzzle verdoyant dans lequel se faufilaient les ouvrières. Parfois, ça et là, dans le paysage perçaient des villages verts ou bleus, de terre battue et couverts de tôles de zinc qui se reflètaient comme des plaques d’argent. Accrochées à flanc de colline, les maisons sont serrées les unes contre les autres pour économiser le terrain. Ces villages aux maisons de poupées ponctuaient de leur présence cette épaisse moquette végétale dans laquelle parfois des drapeaux rouges, marqués de la faucille et du marteau, faidaient des point comme des perles de sang dans cette immense étendue. Tout le paysage courait sur ces monts dodus d’où émergeaient quelques grands arbres aux troncs  noirs qui montaient droit au ciel. Ils étendaient des maigres branches où poussaient des feuilles éparses dispensant un semblant d’ombre.

Jadis, ici, ce n’était qu’une forêt primitive, où vivait paisiblement le tigre, l’éléphant, le perroquet, le paradisier. La terre, il a bien fallu, comme tout le reste, qu’elle crache son profit et qu’elle devienne rentable. Tondue et pelée sous la houlette des dominants. Un immense bâtiment au toit vert frappée du sigle de la famille Tata, collecte tout ce thé. Qui veut travailler ici doit posséder des arpents de terre. Les terres, les récoltes, les hommes, les routes, le ciel bleu, tout ici leur appartient. Cela semble bien impossible de pouvoir échapper à leur empreinte.

Dans la gare attendait une locomotive à vapeur qui crachait déjà son nuage blanc et le conducteur actionna le sifflet. On aurait pu croire à un modèle réduit. Changement de motrice, nous voilà après une longue demi-heure, attelés à cette nouvelle machine qui siffle, peste et avance en grimaçant sur ses rails. Deux trains par jour sur cette ligne construite au début du siècle dernier par les Anglais qui allaient se mettre au frais en altitude, en attendant la mousson. Temps modernes obligent, la montée s’effectue au diesel, la descente au charbon. Le convoi s’ébranle lentement. Quand nous abordons la descente, les freineurs installés sur les plates-formes à l’extérieur des wagons, un à chaque extrémité, tournent la manivelle en laiton brillant de leurs freins pour contenir l’accélération du convoi. On dirait un être vivant. Le dragon crache ses escarbilles et des petits feux s’allument ça et là le long de la voie. Souvent des débuts d’incendie ont noirci le bord des rails. Le petit train avançait lentement malgré la descente. Passer de deux mille à trois cents mètres d’altitude, sur une distance de trente kilomètres, rend l’exercice périlleux. A l’arrêt d’une gare entourée de hauts arbres, où, sous les frondaisons, à l’abri de la lumière, on cultive le cardamome, des bandes de singes encadrés de vieux mâles aux babines retroussées montrent leurs crocs. Des femelles flanquées de jeunes grimpés sur le dos surgissent et courent après le train. Ces agiles soudards regardent à l’intérieur des wagons prêts à chaparder tout ce qui passe à leur portée. Une distance de quelques mètres seulement sépare cette horde de petits humains accourus aux sifflement de la locomotive qui s’arrête là au milieu de nulle part. Des singes, il en arrive de partout ; des arbres, des rochers. Certains sont assis sur le ballast et attendent des fruits ou des gâteaux que des hindous ne tardent pas à leur jeter. Ce ne sont alors que courses poursuites cavalcades et bagarres entre mâles dominants quand un plus jeune s’empare d’une part de nourriture avant le chef.

Ces petits humains ont le contour des yeux plus blanc qui se détache sur leur pelage marron, comme s’il était maquillés. Cela leur donne un regard si expressif qu’ils vous dévisagent avec presque autant d’intensité qu’un mendiant attendant en souriant son aumône. Le cul posé à même la pierre, excités à la vue de la nourriture, les impudiques exhibent des sexes turgescents, sortis en érection de leurs fourreaux. Des femelles s’approchent plus près encore des wagons. Un gros mâle monte sur le toit, tandis qu’un autre s’installe entre les deux wagons à la place désertée par le freineur parti boire un thé épicé au buffet de la gare miniature. Sur le ballast, les macaques attendent près des hommes qui boivent et mangent des samosas debout au buffet. Leurs silhouettes font comme si d’étranges chiens s’étaient mélangés à une troupe d’humains. Ils gardent une distance de sécurité, bien qu’ils sachent ne pas craindre pour leur vie.

Soudain, des cris proviennent d’un des wagons. Un mâle s’est emparé du biberon qui dépassait d’un sac et nonchalamment presque avec agilité a rejoint la frondaison d’un acacia flamboyant, mordant la tétine pour mieux disposer de ses mains et escalader le tronc. En sécurité sur une haute branche, narguant le public des humains, il a arraché le tétine et il a bu lentement le lait. Fier de son forfait, le soudard provoquait l’assistance des voyageurs incrédules par tant d’audace et d’intelligence et pour rire de ce bon tour joué aux humains, quand il a eu fini de boire le lait qui lui dégoulinait des babines, il a laissé tomber le biberon qui ne l’intéressait plus. On se serait attendu à le voir roter d’aise. 

 

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