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23/10/2007

Robert Penn Warren

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Un "Cavalier de la Nuit" ?

Né en 1905 à Guthrie, petite ville du sud du Kentucky, d'une vieille famille sudiste : ses deux grands-pères avaient participé à la guerre de Sécession, et l'un d'eux, chez qui il passait ses vacances enfants, aimait raconter les batailles auxquelles il avait participé. On retrouve dans Le grenier de Bolton Lovehart
1) ce goût de la narration, ce talent de conteur
2) surtout, le poids de cette guerre fondatrice, mais ici dans une version quelque peu frelatée (héros de pacotille maquillant leur couardise et leur apathie sous le fard d'une virilité trop voyante ; communauté faussement soudée autour d'un monument aux morts kitsch...).

- UN FAUX PERE ? Très tôt, ambiguité des relations avec la figure paternelle (évoquée dans Who Speaks for the Negro ?), qui semblait être un personnage difficile. Warren a reconnu expressément : "le «vrai» et le «faux» pères sont dans pratiquement toutes mes histoires".

- ECRIVAIN BORGNE : après ses études secondaires, alors qu'il ambitionnait de devenir officier de marine (de fait, prit-il jamais "le large", dans tous les sens du terme ?), la perte d'un oeil le contraint à se replier sur les études : il enseignera toute sa vie. Et on dira (en forçant le trait) que cette demi cécité se retrouve dans l'univers moral toujours clair-obscur de ses romans ?

- " LES FUGITIFS " : il s'inscrit à l'université Vanderbilt, où il a pour condisciple Allen Tate, et où enseignaient alors le poète et critique John Crowe Ransom, ainsi que Donald Davidsom qui lui fit lire The Waste Land de T.S.Eliot dès sa parution. Profs et étudiants se réunirent dans un groupe littéraire dynamique, les Fugitifs, qui publia 2 revues dans lesquelles Warren fit paraitre 24 poèmes. Quitte Vanderbilt en 1925, puis aller faire sa maîtrise à Berkeley puis Yale. Une bourse lui permit d'aller passer 2 ans à Oxford (1928-1930).

- LE CONFLIT INTERIEUR DU SUD : pendant son séjour à Oxford, écrit sur commande une biographie de John Brown, un des héros du mouvement anti-esclavagiste du 19° siècle : The Making of a Martyr (1929) eut peu de succès. A la demande de Ransom, Davidson et Tate, écrit un essai pour l'important recueil d'articles I'll Take My Stand (1930) destiné à défendre la culture agraire et jeffersonienne du Sud contre la culture industrielle et urbaine du Nord. Il allait reprendre en 56 le thème de la ségrégation raciale dans Segregation. The Inner Conflict of the South pour dire aux gens du Sud que leur principal problème était d'"apprendre à vivre avec eux-mêmes".

- THE SOUTHERN REVIEW : Rencontre à l'université de Louisiane où il enseigne désormais Cleanth Brooks, un des fondateurs de la Nouvelle Critique avec qui il co-édite le très influent Understanding Poetry (1938) et surtout fonder la fameuse Southern Review (disparue en 1942) où parurent Auden, Burke, Eliot, Huxley, Blackmur, Mary McCarty. Nommé en 42 à l'université du Minnesota à Minneapolis. Puis à Yale jusqu'en 56 pour enseigner l'écriture de théâtre.

- D'ABORD UN POETE : on oublie souvent que Penn Warren, éclipsé en France par le succès de ses grands romans, était d'abord un poète : par exemple le recueil Promises (1957) qui lui valut le prix Pulitzer.
Dans son essai Pure and Impure Poetry (1943), il expose ses principes naturalistes en matière esthétique : nécessité de faire coexister le vulgaire et le métaphysique, le langage populaire et le langage le plus formel, pour créer un effet de choc et montrer la nature duelle de l'homme.

- LE SUD, ROMAN AMBIVALENT : on retrouve ce projet dans ces romans. Le premier insiste sur la dimension morale des combats que se menaient alors les planteurs du Sud. Le 2° dénonce le vide spirituel dont souffre le Nord urbain. World Enough and Time, en 1950, fondé sur un fait divers de 1825, raconte la célèbre tragédie du Kentucky au terme de laquelle une femme avait conduit son mari à assassiner un colonel qui l'avait autrefois séduite. Au lieu de faire raconter l'histoire par un des acteurs, Warren a inventé un historien anonyme qui a découvert la vérité dans un journal intime. Dans The Cave (1959), il écrit une sorte de version moderne de l'allégorie de la caverne de Platon.

- Il meurt en 1989 dans le Connecticut où il résidait .


Benoît Laudier
On ne prête pas grande attention à Robert Penn Warren. C’est un tort. Alors que Faulkner jouit d’une belle réputation, ce contemporain auquel on le compara est au Purgatoire. Pourtant, cet auteur ayant exploré le mythe du Sud n’a rien à envier à son aîné. Après L’Esclave libre, les éditions Phébus ont décidé de publier Les Fous du roi. Il passera inaperçu dans les salles de rédactions, puisqu’il est toujours plus utile pour ces gens-là de défendre l’indéfendable plutôt que de s’intéresser à un grand écrivain. En effet, le lyrisme qui parcourt Les Fous du roi en fait un roman vigoureux. La violence s’y trouve en bonne place -les souvenirs de la guerre de Sécession sont encore vivaces. La victoire des bouchers du Nord pèse lourdement sur les hommes du Sud. D’où un certain romantisme des causes perdues et un attrait pour l’échec chez ces esprits humiliés. Une scène du roman en donne une idée qui nous semble juste, lorsque l’auteur exprime les sentiments complexes d’un anti-esclavagiste fidèle à la tradition sudiste, et qui meurt dans les rangs des Confédérés sans avoir tiré un seul coup de feu.
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De même, le portrait de Willie Stark emprunte à l’Histoire : il est inspiré d’un ancien gouverneur de Louisiane, Huey Long, orateur plaisant aux foules, et démagogue ayant instauré la corruption et le chantage. Son idéal de justice (défendre les pauvres) se rattachant aux idées qu’il exprime sans pouvoir les réaliser. Un coup de feu sur les marches du Capitole arrêtera net sa course. Car la loi repose entre les mains de citoyens sans scrupules. Ainsi, le personnage du juge a d’autres mœurs. Il représente le monde de la chair. Il se trouve face à ceux qui ne s’en tirent jamais, les damnés, les hors-la-loi, toujours lucides sur leur condition, mais impuissants. Ils suivent la marche du monde sans s’y intégrer vraiment (aucune communication n’est possible entre ces deux mondes, celui des politiques-financiers et celui des réprouvés).
Il faut donc relire ce dramaturge. La force explosive de son style très imagé parcourt l’ensemble de son récit. Il sait ménager l’attention du lecteur jusqu’à la fin (l’histoire de Cass Mastern), car rien ne nous est donné jusque-là. Peu de romanciers peuvent prétendre à cela. Il en est de même de sa démonstration, qui ne souffre d’aucune faille. Et là, on est plus très loin de la métaphysique.
Robert Penn Warren - Les Fous du roi
Editeur Phébus 531 p.
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Le grenier de Bolton Lovehart
Robert Penn Warren , Jacqueline Chambon / Rouergue coll. Nouvelles du Monde , 2004 , 9.00 €


Par un après-midi de juin 1788 ou 1789, un trappeur d'aventure, Lem Lovehart, s'arrête au bord d'une rivière, au fin fond du Tennessee. C'est là que s'éléverait bientôt Bardsville, bourgade typique du Sud avec juste ce qu'il faut de légendes rafistolées et de pseudo-héros de la Guerre de Sécession pour justifier des vies sans but ni importance. Là aussi qu'un siècle plus tard, naîtrait et grandirait son arrière-petit-fils Bolton Lovehart, entre services du dimanche et lectures de la Bible... Puis un beau jour, quand il aurait seize ans, le cirque débarquerait à Bardsville. Quand il repartirait, Bolton repartirait avec lui... Plus tard encore, alors qu'on le croirait en train d'écrire un livre sur l'histoire de sa communauté, il se mettrait à construire un cirque, dans le grenier. Puis il passerait à autre chose, continuerait de vivre, bon an mal an, comme on vit quand on sait que, dans le fond, il n'y a que ça à faire : vivre jusqu'à ce que la boucle soit bouclée. Faire trois petits tours et puis s'en aller, rejoindre le cirque du grenier.

Un texte très fort, très dense, où R.Pen Warren regarde le cirque de la vie. Un pendant intéressant aux grands romans et poèmes qui ont fait sa notoriété.


Les fous du roi
Robert Penn Warren , Phébus coll. D'aujourd'hui. Etranger , 1999 , 24.24 €

L'ascension d'un politicien à l'ambition démesurée rattrapé par un passé dont il a imprudemment remué les eaux troubles. Le 3° roman de Penn Warren, prix Pulitzer 1946. Fut porté à l'écran en 1949 et marqua sans doute le sommet de la gloire pour Warren.

Le héros de All the King's Men n'est pas Willie Stark, réplique du gouverneur démagogue Huey Long, mais son complice Jack Burden, un journaliste féru d'histoire qui nous montre comment l'avidité des uns, les petites lâchetés des autres provoquent le pourrissement des moeurs collectives. La technique narrative en est assez complexe : les nombreux retours en arrière permettent à Burden d'effecturer une "excursion dans le passé".


L'esclave libre
Robert Penn Warren , Phébus coll. Libretto (poche) n°50 , 2000 , 11.50 €


Dans A Band of Angels (1955), Samantha Starr, fille d'un riche planteur du Kentucky, découvre à la mort de son père ce secret de polichinelle que nul n'osait lui avouer : elle est en réalité la fille d'une beauté noire qui avait partagé naguère le lit du maître de Starrwood. Elle n'appartient pas au monde des gens libres. Car règne encore l'antique loi du Sud : son père étant mort sans testament, la demeure est mise en vente, et elle-même, en qualité de fille d'esclave, fait partie des lots que les acheteurs vont se disputer à l'encan pour éponger les dettes paternelles. Elle sera émancipée lors de la guerre de Sécession... Le coup de force est de faire narrer l'intrigue par Samantha elle-même, à la première personne.

Frédéric Vitoux, in Le Nouvel Observateur : "Autant en emporte le vent n'aura cessé de faire de l'ombre à L'Esclave livre de Robert Penn Warren - longtemps considéré pourtant comme le grand rival de Faulkner. Une ombre que l'on est en droit de trouver injuste (au lecteur de comparer)...Le romancier évoque avec grandeur - et cruauté - les fastes trompeurs du vieux Sud à la veille de la guerre de Sécession... et ne fait de cadeau à personne. Raoul Walsh tirera du livre un de ses plus grands films (avec Clark Gable et Yvonne De Carlo)".


La grande forêt
Robert Penn Warren , Stock coll. Biblio cosmopolite n° 96 , 1988 , 9.15 €

Adam Rosenzweig, jeune Allemand dont le père a naguère, avant de mourir, renié son passé révolutionnaire, part pour l'Amérique où la guerre de Sécession fait rage...
Wilderness (1964), tout comme plus tard Meet Me in the Green Glen (1971) se passent dans le Tennesse et examinent l'évolution économique et sociologique de la région.


Les rendez-vous de la clairière
Robert Penn Warren , Actes Sud coll. Babel n°197 , 1996 , 10.00 €

"Savez-vous où il est, ce métèque ?" Et, avant qu'elle ait eu le loisir de répondre, prise dans son extase, il marcha sur elle et, à brûle-pourpoint : "Eh bien, il est mort ! Voilà où il est !"

Elle reprenait conscience et le regardait avec un sourire de pitié indulgente. "Mort ! Sur la chaise électrique. Coupable et exécuté ! Et vous savez pourquoi ?"

Le drame dont voici l'épilogue est la trame de ce roman de Penn Warren, qui s'ouvre sur l'arrivée d'Angelo, le jeune et beau Sicilien, dans ce Tennessee où Cassie vieillissante veille son mari impotent... Mais l'étoffe en est irréductible à une seule ligne narrative : l'histoire d'amour qui advient de cette rencontre, le meurtre, le procès, l'exécution... sont autant d'avatars du souffle romanesque d'un des écrivains américains les plus inspirés, à l'écriture puissante, tourmentée.


Un endroit où aller
Robert Penn Warren , Actes Sud coll. Babel n° 28 , 1991 , 10.00 €

A Place to Come to (1977) est sans doute le roman le plus important et le plus autobiographique des vingt dernières années de Penn Warren. Avec une multitude d'enchâssements et de flash backs, il narre l'ascension sociale et la difficile quête de soi d'un homme du Sud, professeur de 60 ans qui passe en revue sa propre vie et découvre le poids du passé sur son destin : il a beau faire, les tribulations de l'existence le ramènent invinciblement au pays natal, dont il n'a jamais pu cesser d'interroger les mirages et les sortilèges.

Penn Warren livre ici les 3 clés de son propre royaume : l'amour au sens le plus déchirant ; l'aventure sous l'angle presque médiéval de la quête ; et le Sud dans la dialectique la plus mythologique de l'appartenance et du détachement.

Commentaires

Pas la peine de l'écrire cinq fois avec une j'avais compris...

Écrit par : Admin | 17/09/2008

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