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04/03/2007

Et si l’avenir des petits éditeurs passait par un raccourci ?

S’adapter à un marché en perte de vitesse.

Un chiffre à connaître : cinq millions de tonnes de papier sont imprimées par an en France et un quart de ce tonnage part directement à la poubelle, sans jamais arriver à son objectif… Aucune autre industrie pourrait tolérer une telle gabegie, car c’est toute cette industrie qui s’effondrerait. Un quart du prix du produit est dû à l’erreur de processus de fabrication et de distribution du produit. On le voit, l’absence de gestion sérieuse dans ces deux domaines coûte très cher à cette industrie dont l’évolution du chiffre d’affaire en baisse commence à préoccuper sérieusement les états majors. Ce marché est maintenant entrée dans sa phase de récession et les effets vont se faire douloureusement ressentir d’abord sur les petits éditeurs…



L’éditorial de Louis Dubost des éditions l’Idée Bleu est révélateur du malaise qui règne actuellement au sein des petits éditeurs. Ecoutons son discours :


Nouvelles (mauvaises) du p'tit commerce des muses...

Depuis quelques temps déjà, et ça s'accélère depuis quelques mois, les conditions d'existence deviennent difficiles pour les éditeurs dans un « marché » du livre très mollasson, karchérisé par la grande distribution de l'ultralibéralisme triomphant sur tous les marchés, donc, après celui de la musique il y a quelques années, aucune raison que celui du livre fasse exception!

Les librairies indépendantes qui soutiennent nos livres, sont fragilisées à l'extrême, les ventes des best-sellers leur échappe de plus en plus - elles se font dans les « grandes surfaces »….
…. et par Internet - de sorte que, privés de trésorerie pour assurer les échéances de fin d'année, les libraires vident les rayonnages et opèrent des « retours » massifs : du coup, les éditeurs en subissent les dommages collatéraux et se trouvent asphyxiés par le manque de trésorerie.

Quant au militantisme, il est devenu comme quasi un mot grossier dans un tel contexte. Il reste encore, trop éparpillés - problème : comment les informer de nos publications -…
…Il semblerait que ce qui s'accélère en ce moment n'est pas de l'ordre conjoncturel, mais bien plus profondément structurel. Une mutation radicale s'opère dans nos modes de vie, il va donc falloir faire avec.

Pour l'heure, sans être critique, notre situation est difficile. Comme celle de tous les métiers du livre. Le livre a-t-il encore un avenir? Oui, affirme notre pessimisme indécrottablement lucide, mais autrement. Reste à inventer les façons de procéder et d'être: ce qui ne devrait pas, en principe, effrayer des...poètes! ( habitués aux vaches maigres aurait-il pu conclure)


Louis Dubost constate :
Premièrement ; que le marché est en train de changer et il craint à court terme de ne plus y avoir sa place,
Deuxièmement ; que sa trésorerie de ce fait est malmenée par des retours massifs d’où sa situation difficile.
Troisièmement ; que malgré cela un avenir lui semble possible…
Donc à partir de l’hypothèse qu’un avenir est possible, nous allons essayer de comprendre comment les petits éditeurs pourront tenter de se maintenir sur le marché. Mais avant d’aller plus loin il est intéressant de se pencher sur ce que dit Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired.


Nous ne savons penser qu’en termes de best-sellers – nous pensons que si une œuvre n’est pas un Hit, elle ne se vendra pas et par conséquent, qu’elle ne remboursera pas ses coûts de production. En gros, c’est une logique selon laquelle seulement les Hits ont le droit d’exister. Or des personnes comme Vann-Adibé et les responsables de iTunes, Amazon et Netflix ont découvert que les “bides” se vendent aussi. Et parce qu’ils sont tellement plus nombreux que les succès, l’argent qu’ils rapportent peut rapidement créer un formidable nouveau marché.

Quand on n’a plus à payer les étagères de présentation et même, dans le cas de services de distribution numérique tels qu’iTunes, ni de coûts de reproduction, ni pour ainsi dire de coûts de distribution, un bide devient une vente comme les autres et garantit la même marge qu’un succès. Les Hits et les “bides” sont, d’un point de vue strictement économique, égaux. Tous les deux sont de simples enregistrements dans une base de données, que l’on appelle en cas de demande, aussi intéressants l’un que l’autre à proposer à la vente. Brusquement, la popularité n’a plus le monopole de sa profitabilité.


Etonnant comme raisonnement non ?

La dématérialisation du stock ou le POD ( print on demand).

Au colloque l’Avenir du livre à Sciences Po le 22 février, on à beaucoup parlé de la dématérialisation du livre… et de la spécificité de l’objet livre qui ne s’accordait pas avec cette dématérialisation. On peut ne pas croire à la dématérialisation du livre au profit de l’écran et sérieusement envisager la dématérialisation du stock, ce qui est une nuance de taille.

C’est la solution qui semble s’imposer pour maintenir la rentabilité de l’activité des petits éditeurs car certains produits ne sont rentables qu’à long terme. Entendons nous bien, quand il s’agit de non rentabilité : c’est sur le court terme et la rotation rapide, mais pas sur le long terme. Ce qui change terriblement la donne. En effet, même un produit difficile à vendre sur le cours terme peut devenir rentable, voir très rentable sur le long terme, le cas d’école de En attendant Godot est ici plus qu’exemplaire. En effet il semblerait que le livre produit culturel réponde difficilement à la théorie dominante que le commerce peut tout vendre et sait tout vendre en un laps de temps de plus en plus réduit.
Chaque typologie de produit à son rythme d’existence. Le manga se vend au japon sur une semaine maximum, trois jours disent les plus optimiste, après si le stock est en rupture, si votre tirage de 250 000 exemplaires est épuisé dés le premier jour et si vous avez des demandes énormes et que vous ne pouvez pas réimprimer avant une semaine, vos ventes sont définitivement perdues, ce n’est pas la peine de réimprimer.
A l’opposé de cet exemple on sait qu’un ouvrage de poésie aura un rythme d’écoulement très lent, quelques dizaines d’exemplaires par an. Et une mévente dans des secteurs à rotation lente n’est pas synonyme de non qualité, Beckett en a été la preuve. Quel éditeur aurait misé sur Delerm à ses débuts?


Par quel coup de baguette magique cela serait-il une solution ?

Le zéro stock ou stock minimum est préconisé dans toutes les industries sauf dans le livre…
- Parce que le processus de fabrication oblige à faire des séries relativement importantes (de 1000 à 3000 exemplaires en fonction du type de produit)
- Parce que le processus de distribution diffusion l’oblige à présenter à de nombreux points de vente en même temps le produit et donc à multiplier les risque de mévente.

En dématérialisant le stock, on diminue les coûts de fabrication et de fait, le point mort d’un ouvrage, puisqu’on fait en partie l’économie de l’impression, des frais de stockages. Donc en ayant immobilisé moins d’argent on peut espérer dépendre de moins d’exemplaires vendus pour retour sur investissement. Ce qui est différent d’une rentabilité moindre.
Par contre processus oblige, cette dématérialisation du stock ne peut se faire que sur des produits très spécifiques. Du texte essentiellement.
Pas étonnant donc que les pépiniéristes d’auteurs aient depuis toujours adoptés la stratégie de « la durée de longue vie » de l’ouvrage, puisqu’il s’agit de leur survie en milieu hostile et ils l’ont fait avec des tirages en offset qui ont plombé leur trésorerie, ce qui ne sera plus le cas avec l’impression numérique.
Cette stratégie ressemble étrangement à celle de la "longue traîne".


Des arguments en faveur de l’impression numérique…

En effet ; la vente s’y fait à coup sûr, puisque impression à la demande ou avec des stocks réductibles à l’unité. Le petit éditeur n’a quasiment pas d’avance de trésorerie à faire ou si peu qu’il peut se constituer un catalogue cohérent très rapidement. Et l’éditeur n’a pas à subir l’effet pervers des retours de fin d’année.
Pour la même somme immobilisée sur un ouvrage imprimé en offset, il peut en sortir quatre en numérique et multiplier ses chances de vendre des exemplaires d’auteurs totalement inconnu comme pouvaient l’être à l’époque Delerm, Bobin, Autin Grenier, Metz et les autres.
Imaginez un roman de mille pages d’un inconnu. Le simple fait qu’il soit en offset oblige l’éditeur qui désire le produire à l’imprimer à mille exemplaires pour que la production d’un tel ouvrage soit rentable. Et s’il ne se vend pas, ou peu. La perte est aussi importante.
En imprimant par petite quantité en numérique, on prend le pari sur la durée et non plus sur l’effet de masse, car cela ne procure que peu de surface visible au produit. La promotion se fait via les circuits classiques, ou via l’outil Internet et de bouche à oreille, lentement. Actuellement même si on sait pertinemment qu’on ne peut tabler que sur cinq cent ventes, mais qu’effet de pile oblige, on se doit d’offrir au regard du public cette marchandise pour lui donner une chance d’être vendue. Il faut donc repenser tout le système de production, distribution, exploitation du livre.
Pour des ouvrages de fabrication complexes, comme les cartonnés. Il est bien sûr que ce type de production ne peut pas s’adapter au procédé numérique. Je vois mal comment caler une chaîne de reliure pour cinquante exemplaire. Mais en théorie rien d’impossible.
On le voit cet démocratisation des moyens va provoquer un véritable appel d’air qui permettra à nombre de petits éditeurs de s’engouffrer dans cette brèche Des éditeurs comme Rhubarbe, il y a deux ans ne possédait aucun titre au catalogue alignent déjà une production intéressante où se dessine une vraie ligne éditoriale. Cette démocratisation aura son revers, puisque n’importe qui pourra faire n’importe quoi et certains parlent déjà d’anarchie… Ce qui fera la différence sera le rapport avec le texte…


Ce qui importe, c’est le coefficient…

Le coefficient de la profession c’est le fatidique chiffre cinq, bien que mon expérience m’a appris que pour nombre de groupes on pensait en fonction d’un coefficient dix ou douze. J’en ai eu l’exemple à mon dernier poste de chef de fabrication. Alors prononcer ce mot devant mes amis me cloue immanquablement au pilori du traître qui assure sa pitance par ailleurs comme fonctionnaire et pérore des âneries.
Cela induit le fait que nombre d’ouvrage ne seront pas publiés parce qu’ils ne trouveront pas avec le procédé d’impression offset le public qui lui permettra de se maintenir dans ce coefficient.
Actuellement les éditeurs lorsqu’ils cessent l’exploitation d’un titre, déstockent et soldent les ouvrages et de fait ils perdent les droits sur les contrats signés. L’exploitation via l’Internet et l’impression sans stock permettra au texte de perdurer sur le marché et à l’éditeur de continuer à proposer l’ouvrage à la vente sans se départir du contrat. Pour des éditeurs de poésie, il est impossible de réimprimer et d’immobiliser leur argent sur des réimpressions aux ventes plus qu’aléatoires.

L’éditimpribraire, ou un raccourci possible de la chaîne du livre.

La chaîne du livre redeviendra-t-elle celle du dix-neuvième siècle, qui était celle de l’éditeur imprimeur libraire. Dans quelques années, quand les presses numériques seront vraiment très performantes, et je suis sidéré de la vitesse à laquelle la qualité d’impression et la productivité progresse avec ce matériel ; quel procédé d’impression sera le mieux adapté à au marché ?
Ce ne sera pas la première fois que le marché imposera une mutation technologique ;
Ne verrons-nous pas naître des libraires éditeur imprimeur qui posséderont des bases de données. Et le texte et l’image seront imprimés à la demande sur un site de production et l’ouvrage pourra être distribué à l’unité par la poste ou produit dans un délai de quelques heures et fourni au client qui passera le prendre chez l’éditimpribraire. Car ce qui compte, c’est bien la pertinence du contenu et non pas le processus de fabrication de l’objet. Et les amis typographes qui s’escriment encore à faire de l’édition typographique en plomb et bois gravés, je les considère d’abord comme des maîtres typographes, qui exercent un savoir faire de métier ancien. En effet ce qui fait la différence entre un éditeur et un typographe talentueux c’est le contenu de l’objet et non pas l’objet. Le texte, tout simplement. Combien ai-je vu de ces maîtres du plomb s’escrimer superbement avec du vélin d’Arches sur du texte qui ne méritait d’être lu que d’un œil distrait.
Alors que les conservateurs des vieux métiers se rassurent, il y aura encore des vieux métiers à conserver. On sait déjà que certaines presses numériques ont un rendu de qualité égal ou supérieur au procédé offset. L’étendue du gamut (capacité de reproduction des couleurs) est plus large sur une IGEN 3 de chez Rank Xerox que sur n’importe quelle presse offset. Pour laquelle il faudra passer en exachromie (impression en six couleurs) et non plus en quadrichromie (impression en quatre couleurs) pour récupérer l’écart de qualité qui se creuse entre les deux procédés au profit de l’impression numérique. Bien sûr ce matériel n’a pas encore atteint la cadence de production des presses offset, mais ce n’est qu’une question de temps.
Que n’ai-je entendu sur « Le Livre » ? Ce mot-là fait tomber en pamoison la moitié de l’engeance humaine fréquentée. Combien d’ennemis farouches m’aura value cette réflexion « Le contenant n’a aucun intérêt, ce n’est jamais que de la cellulose de la colle et du fil à coudre » ? Et c’est dit avec l’expérience de celui qui a noirci comme conducteur de machines, ou les as fait noircir comme fabricant dans la presse et l’édition, des milliers de tonnes de papier. C’est le contenu qui est intéressant pas l’objet.


Souvenons-nous…

L’impression avec la ronéo de nos années de révolution culturelle valait bien toutes les belles impressions typographiques du monde. Le Dé bleu, Le Castor Astral, toutes ces micros entreprises ont fait un impressionnant travail de découvreur de talent, tout en débutant avec les moyens techniques dérisoires, celui des militants de l’époque… La ronéo coincée dans le garage ou la cave entre le congélateur et la machine à laver.
Certains d’autres de ces petits éditeurs sont passés par le plomb, car à cette époque, les imprimeries bazardaient leurs casses pour gagner de la place dans les ateliers et plutôt que de fondre les caractères certains imprimeurs préféraient les donner à ces jeunes illuminés aux yeux d’apôtres. C’était le moyen le moins cher qui leur permettait de publier malgré une absence cruelle de trésorerie. La revue Travers, et les éditions Folle Avoine, sont de ceux-là. Ce n’est pas les moyens techniques qui fait l’éditeur, mais le grain de folie qui l’anime. Et son approche du texte… Voilà pour le passé, mais qu’en sera-il de l’avenir ?


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