12/10/2010
Quand Malanga parle de Charley....
TE BOUFFE PAS LA TÊTE par Gerard Malanga
Charles Plymell
Glass Eye Books / Ecstatic Peace Library
D’embée, Charles Plymell balance son premier coup en une fantasia de vibrations rythmiques dans « La théorie de la poussière meurtrie », qui surpasse même les premiers jets de Ginsberg. Et, ainsi donc, « Te bouffe pas la tête » est un recueil de dimensions modestes (29 poèmes réunis en 34 pages), empli de sévères mises en garde contre le mauvais sort et la destruction et des souvenirs de la planète Terre lorsqu’elle traversait des âges plus innocents, avec des vagues de blés chaleureux s’étendant aussi loin que le freux peut voler dans ces rêves du Kansas. J’ai lu ce plaisant petit recueil à haute voix de la première à la dernière page tout en écoutant, presque en sourdine, « Gaspard de la nuit » de Ravel et c’était pareil à l’émotion retrouvée dans l’un ou l’autre scopitone, comme si j’avais regardé par la fenêtre d’une voiture, avec Charlie au volant.
« Agenouille-toi, l’Amérique, et embrasse l’asphalte, tu as voté pour » est précisément l’un des vers mêmes qui fait mouche d’instinct. « (…) les succès trop répétés sont à coup sûr le prologue d’un désastre » en est un autre et, ainsi, la cupidité surgit çà et là, au moment où Charley se met à singer le jargon du Wall Street Journal afin que tous ces gusses en costard & cravate puissent comprendre entièrement une fois qu’ils auront terminé leur pause lunch et qu’ils se retrouveront sous une lumière aveuglante.
Charley est un homme au volant et il a passé beaucoup de temps sur les routes avant que Kerouac s’y mette (mais celui-ci ne conduisait pas) et, ainsi, il est solidement campé sur ses deux jambes :
« La création nous reproduit en double
à travers des éternités de sang et de savoir
de néons synchrones avec des lumières de tableau de bord
pirouettant dans toute une vie électrique. »
(de « Toi, regarde autour de toi »)
« Aujourd’hui, les autoroutes ne sont que des voies secondaires
et aucune ne suit ma propre voie. »
(de « Cette manie de rire au revoir »)
« Son esprit rouillé roule dans un pick-up
Jupiter hors sono
électro-corps précambrien
la banquette arrière pleine de canettes de Bud. »
(de « Les alambics crachotent séparément »)
« Fais du stop depuis la zone grise
Vire du côté de la route vers le sud
Sors du sud imaginé quelque part
En direction de la Gadoue du delta
Là où le coton est pur
Et où la chemise à pois clapote dans le vent »
(de « Lierre »)
… et ça continue sans arrêt, pour se terminer par « Poussière meurtrie » :
« Je me souviens du Kansas où tout étant mort et parti pour de bon
se muait en un tableau de bord presque éteint
avec la lumière verte et douce et des bouts de métal
pour garder les enfants d’un monde écroulé. »
Charley sait. Il sait de quoi il parle. Il vient d’une longue tradition de fileurs de coton et d’avaleurs de rails. Il a regardé dans toutes les directions et d’innombrables fois scruté ces champs où il a traîné quand il était môme, où « les fleurs des couronnes sauvages ne poussent plus » et où « le vent dans l’herbe chasse au loin les années », et « (…) quelle solitude dans les ombres là où ils parcourent la vaste route ! ».
Avec Charley au volant de la poésie et moi sur le siège de droite, je ne voudrais pas d’autre route.
21:53 | Lien permanent | Commentaires (0)
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