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25/05/2009

Du grain à Mouloud

Egalité républicaine : un Mc Do, une Sciences-po
Par Mouloud Akkouche


De passage à Paris, j'ai vécu une dizaine de jours dans un studio du VIIe arrondissement. Riverain éphémère, je me suis promené dans le quartier. En passant devant le collège Stanislas, les lycée Montaigne et Henri-IV, Sciences-Po, j'ai regardé ces jeunes gens en me disant : celui-ci sera juge, l'autre avocat, éditeur, cinéaste, journaliste, militant de l'ultragauche…

Cette belle jeunesse -plutôt uniforme- sous le soleil parisien était sympathique. Très joyeuse. Leur apparente désinvolture me fit penser à celle de mes gosses et à ceux de mes amis. Choisir sa vie est quand même le plus beau cadeau que nous puissions offrir à notre progéniture. Et je suis intimement persuadé que beaucoup de parents sont habités par ce rêve.

A Montreuil, un mélange de surface
Une demi-heure après, je me retrouvais à Montreuil : ma ville natale. A la sortie du métro, cette commune prisée par les agents immobiliers pour ses lofts offre un semblant de métissage social. Je dis semblant car un grand nombre d'enfants de bobos ne fréquente pas les écoles communales de leur secteur ; plutôt celles des villes plus nanties comme Saint-Mandé et Vincennes ou des établissements du type Montessori ou Decroly. Mais, quoi qu'on puisse penser, le centre-ville bénéficie d'un véritable foisonnement culturel ou le coude du plombier côtoie celui de l'artiste peintre. Comme disait Antoine Blondin : avec deux Whiskies, il fait beau partout. Et les différences fondent au moins jusqu'à la fermeture du bar….

Poussé par un irrépressible accès de nostalgie, je décidais de grimper dans le Haut-Montreuil -si haut que les habitants n'auront pas le droit comme les autres au Vélib. Ce quartier pas desservi par le métro où je fus écolier semblait étrangement détaché du reste de la ville, du pays. Comme dans les écoles des VIe et VIIe arrondissement de la capitale, les élèves se ressemblaient tous : uniformes eux aussi. Certes pas le même genre d'uniformité. Différents de beaucoup de jeunes montreuillois deux kilomètres plus bas, et à des années lumière du collège Stanislas. Un seul point commun à tous ces jeunes : leurs âges. Et l'énergie.

Que dire ? Que penser ? Le sujet ayant tellement été traité qu'il en devient presque vidé de sens, juste du grain à moudre pour les sociologues. Pourtant, debout devant mon collège, je ne pus m'empêcher de penser à la putain de difficulté de se frayer un chemin à travers ce labyrinthe de misère pour choisir sa vie. Juste autorisé à choisir sa survie. Comment continuer de croire que ces gosses appartiennent à la même trinité républicaine : liberté, égalité, fraternité. Dans certains quartiers, elle pourrait être rebaptisée : loyers impayés, électricité coupée, fin de droits.

Exporter Paris en banlieue ?
De retour à Paris, je passais en pleine nuit boulevard Saint-Germain. Près de la rue Saint-Guillaume, je me remémorais l'initiative du patron de Sciences-Po : proposer à des enfants issus de banlieue « défavorisées » un cursus scolaire dans son prestigieux établissement. Une espèce de Mercato de la matière grise dans les périphéries. Même si je trouve son initiative totalement inopérante, force est de lui reconnaître le mérite de la proposition. Contrairement à lui, je n'ai pas la moindre amorce de solutions : juste des interrogations. Et beaucoup de contradictions.

Mais tout de même étrange que ce responsable, sans doute très cultivé et humaniste, n'ait pas pensé à franchiser Sciences-Po dans ces contrées lointaines de France… A croire qu'il est persuadé que tout est foutu d'avance et, contraint et forcé par une dérive inévitable du système scolaire, accorde à quelques-uns la possibilité de quitter le navire pendant le naufrage. Et laisse les autres -moins compétitifs- se noyer. Pourquoi pas offrir au moins les mêmes chances éducatives à tous et sur tout le territoire ? Un Mc Do, une Siences-Po ? Bref, des jeunes séparés par quelques stations de métro « évoluent » dans le même pays, pas dans le même monde. Et on voudrait qu'ils sachent tous se tenir dans le monde.

La nuit suivante, accompagné d'un copain d'enfance aujourd'hui sans papiers, nous nous sommes arrêtés à « l'Old Navy », un bar de nuit. Sirotant une mousse, nous évoquions cette période où, descendus des hauteurs de Montreuil, nous nous accordions des haltes dans ce bistrot pour parler de littérature et peinture, avant de retourner à pieds ou en bus de nuit chez nos parents. Belle époque où les mains ne s'accrochaient pas sur les poitrines mais se serraient…

Dans les beaux quartiers, la force (de l'ordre) tranquille
Puis, après avoir essoré ensemble le passé, ce copain décida de me raccompagner dans mon antre provisoire. Près d'un ministère, son visage se crispa. Habitué aux nombreux contrôles d'identités à Montreuil où il réside toujours, il voulait s'échapper par la première rue à droite. Pourtant très proches et complices depuis longtemps (le premier à me faire lire Rilke), l'un et l'autre constations d'un seul coup que la ville lumière, si souvent arpentée et aimée à la folie, n'était plus du tout la même pour nous deux. Chacun d'un côté d'une frontière administrative, séparés par l'absence d'un rectangle de plastique dans sa poche.

Pour éviter d'attirer l'attention de la maréchaussée, nous restâmes sur le même trottoir de la rue de Babylone en devisant de poésie… comme avant Hortefeux et Besson. Occupés à monter la garde dans leur véhicule, les flics, après un bref regard sur les deux passants, continuèrent eux aussi leur conversation. Plus loin, il me sourit et lâcha : « Moralité : vaut mieux être sans-papiers dans les beaux quartiers. »

Mais aussi écolier.

texte publié pour la première fois par Rue 89

Ndlr: l'ami Mouloud m'a signalé son texte et c'est parce que je le trouve bien écrit et surtout témoignant parfaitement de la trajectoire de deux copains qui furent proches et qui sont maintenant séparés par une barrière administrative infranchissable que j'ai décidé de le repasser...

 

 

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