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30/11/2008

La Denise est passée à cinq heures...

malnuit.jpg

Michel Malnuit autoportrait

Malnuit a publié de son vivant un certain nombre de textes dont La denise est passée à 5 heures. Mon intention est non seulement de rendre disponible toute l'oeuvre publiée de Malnuit, mais aussi de publier celle qui ne l'a pas encore été...
Pour certains manuscrits dont il a fallu corriger et revoir le texte- passages incompréhensibles écrits sous l'emprise de l'alcool- passages entiers à supprimer qui n'amène rien au lecteur... Ce travail je le fais sous le contrôle de Bédé, alias Françoise Malnuit.
Traduire Malnuit en français sans altérer le substantifique moelle c'est un travail absolument étrange qui se situe à mi chemin de la traduction et du rewriting. C'est de la traduction sans en être...
Du rewriting sans en être... Il suffit parfois simplement d' aérer le texte par des retours à la ligne, mettre des points, là où parfois il n'y a que des virgules qui en saccades finissent par plomber l'appétit du lecteur...
Terribles décision à prendre et à assumer... Cela a été étrange de découvrir la force du texte sous les scories qui l'encombraient... De redécouvrir cet auteur quasi inconnu et d'être persuadé là encore de toucher du doigt une grande oeuvre... Un peu comme celle de René Barde... ces deux là ne se connaissaient pas n'avaient rien en commun et pourtant...

un petit extrait


Le feu, dans l’âtre, et sous la daube... puis au clope... Bédé bientôt suivie des autres et clic et clac ! tant qu’on y est... La faim. La soif. La neige.
—Neige alors drue !
— Souaf souafeuse et faim de loup !
— De loup hou-hou,
— De fofifon et, hé hé : de ragoût ragoûtant !...
— Alors... à table !
Et que je te verse. Corbières. Rasades.
— Vin cuit pour celles qui…
— Oh oui bien volontiers merci !
— Santé !
— Conservation !
— Y avait longtemps !...

Nos aises... Taillées dans le fameux gros pain nos aises, taillées dans ce qui reste du pâté…
— A moinsse, qu’on en aye racheté...
Taillées dans les bavettes, des sur-mesure pour chaque une et chaque un. Et les toutous qui tournent et virent, et le fuego qui crépite, et dehors les flocons
— Dis-donque ce coup-ci c’est parti !...
Parti la neige... parti la daube... et les vins lourds, Bordeaux, Vieux Pape...
— Y a...vait pas un... ptit Minervois ?...
— M’inerve pas ac ton Minervois ...
Tournée aller tournée retour, je suis peu pour ces lourds je m’en reviens à ceux qui tachent. Et qu’à se tendre les plates et qu’à se tendre les vides et se remplir les vides et se vider les pleins et s’envoyer tout ça qu’assurément c’est pas dégueu…
— Pas plus haut que le bord merci et si tu veux savoir t’as qu’aller dire à Polbocu qu’il est venu pour lui le temps de le rendre son tablier ah si ah si !...
Et les douces effluves ondulantes me serinent à la serinette l’opulence et le dénuement... la blanche neige symbol... hic ! eee, j’entends « Mazio t’es un inquiet » fin de citation sans date et moult fois réitérée ni vraie ni fausse donc vraie, ou fausse... la solitude la communion... tu parapport à je... me sentais rien qu’un œil, pas voyeur mais voyant... petit peu voyeur quand même.
—Plaisir... de voir c’est boire des yeux !...
De boire...
En me dressant bien haut les antennes hors des gaines et j’avais l’air... ou pas... comme ça...
— Recul approche...
— Et recul et approche...
— Et re... cula... prrroche...
— Loin...
— Pas là...
— Où ça ? ...
— Ailleurs.
— Où ça ?...
— Qui quoi...
Bédé. Ma gauche. La joie... ou l’abrutissement. Jaja. Coucou.
— R’un coup de daube, cette...
— Vindieu !...
Moment... moment un tant soit peu durable un... tant soit peu total... un temps... soit peu qui fut !... rempli comme les estomacs ! Petit délire tant soit peu rien. Rempli de mots. Pas les ceux qui volaient bien sûr, ceux-là... perdus ! tous envolés !... qu’on retrouverait dans les murs... dans le lambris sous les dessins... dans le four à pain qui sert de sac à vin... dans les festons de la nappe blanche à festins... dans le paillon des chaises... dans la boîte à cigares, lesquels itou partent en fumée ! Mots morts sitôt qu’on les a dits, vivants tout juste l’instant des bouches et de ces goûts qui les tapissent, tissage ou modelage, ou sculpture d’air... et l’air qu’a le sculpteur souvent très convaincu pas toujours convaincant, jactant cette drôle d’histoire de bonhomme antérieurement cheval et en voici la preuve mais restez donc assis : ayant perdu un fer il s’en est souvenu précisément où ça... et il l’a retrouvé... Ou celle-ci encore plus bizarre tout autant authentique et qui dit que l’individu ici-présent pour le plaisir commun Couraudon Le Besset... serait, comment douter ? un des, pour pas dire ze ! unique survivant de l’hécatombe du Montségur... « enchanté, verse m’en un »...
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photo Bédé

Et je m’allume un clopinet,
— Mmm, pas de doute là-dessus et de loin : j’me préfère le corbières des Corbières à ces velours d’Bordeaux et d’ailleurs qu’on sait même pas d’où j’vous les brade avèque « sans façon » le from des Pyrénées,
— Bien que ça j’aimerais l’aimer c’est pas d’blague
— Tu dis ça
— Mais c’est pas vrai
— Alors goûte-z-y
— ça veut pas »...
Et nia et nia
— Pas insister sinon je pique ma crise je vomis tout j’inonde je vous pleure dans l’assiette je vous renie définitif !...
Et je sais plus tant quoi vous narrer qui soit marrant de ces agapes, qu’ont pourtant bien duré leur couple d’heures à l’aise oh oui ! Sauf ça. Qui nous reviendra à tous à toutes en son temps... chacune... chacun... clair et net. Précis. Incisif. Comme un coup de trique. Comme. Un burin de Rembrandt. La Denise est passée à 5 h. Environ.
Sur le coup j’ai pas fait gaffe en tout cas peu importe sinon, que pour ma part, j’ai dit à ma voisine, Bédé
— Regarde, tu l’as vue ? c’est Denise, la fille à l’Émile...
et je suis sorti pour lui serrer la main bonjour,
— ça va ?
– ça va ...
Et elle a dit aussi :
— Alors ? revenu ? et peut-être aussi « voir les amis ? » et j’ai pu dire
— Oui, quelques jours »...
Alain était près d’elle et il parlaient du vilain temps, et elle avait un seau... fontaine chercher de l’eau oui, de l’eau à la fontaine... Rentré mézigue j’ai repris mon endroit à côté de Bédé
— Tu l’as vue ?
— Oui, pas beaucoup mais j’l’ai vue, oui »...
Parce qu’à Bédé je lui avais dit les deux ou trois choses... qu’elle vivait là avec son père qui l’avait élevée tout seul, sa mère était morte elle était tout bébé... et ça presque incroyable : elle était jamais descendue à Biert au village... toujours restée ici... trois choses à peu près tout. Quasi. Alors. Les questions les problèmes... quasiment le mystère ? mais non. Pas de mystère. Tout clair. Tout net ! Pasque là, ouais... déjà t’à l’heure la sécheresse, rapport à nos agapes... d’agapê qui veut dire amour c’est grec, c’est pas chinois... je pouvais plus. Qu’abréger tout. On est montés. Changer d’endroit et... écouter des musiques et, continuer à causer, fumer, boire se chauffer tout ça. Aux étages. D’où c’est vrai je suis redescendu pour pisser... puis... sur la tôle dressée à moitié à droite de l’entrée j’ai eu l’idée d’écrire au doigt dedans la neige épaisse d’une main « just maried » et « Alain ! ho Alain ! viens voir ! t’as un message !
– Quoi ?
– Un télégramme ! »
Et il a déboulé comme un fou incrédule, j’y ai dit monte là dessus où j’étais, dessus un tas ou la chèvre ou le pétrin qui traîne toujours là à l’envers... il est venu et il a vu et, m’a traité de tous les noms copieux en chipotant d’avoir l’air de se marrer, même ils sont tous radinés voir. On a bien ri. Sinon. Autour et à partir de là je vois que dalle... jusqu’à quand qu’Alain dégringole quatre à quatre on était là-haut... et en bas ça frappe ! Ç’aurait pu être ceux du Ramé ? Plus ou moins attendus vers les pâques rappliqués de leur Nantes, ou bien Rico le peintre... ou l’Émile c’était bien son heure, 7 ou 8 ?... et on bavardait avec Pierre mollo étendu trop bouffé la ceinture relâchée, « Mazio ! descends ! » j’entends, « vite ! »... ah... Isabelle a changé d’œil... elle a dit que c’est l’Émile... Mes godasses...
— Mazio ! t’arrives ? ...
— Et merde, de lacets…
Swann dans les jambes je déboule. Émile, Alain, nerveux les deux, j’ai l’impression,
— Queskia ?
— Denise a disparu... maison fermée de l’intérieur ...
— On y va.
L’Émile déjà là-bas, marmonne, nuit noire, Alain une torche. Rien. Marmonne... et que ça sentirait mauvais... Alain chercher une échelle... était pas aux brebis comme d’habitude tous les soirs... attendu un peu une demi-heure, et alors non y a quelque chose... venu voir, trouvé ça : fermé, c’est du dedans. L’échelle.
— Laissez l’Émile, j’y vais .
Et ça pleut neige gouttes dans les yeux...
— Regardez sur le lit ...
Fouille avec la loupiotte... «
— Y est ?... pas ? »...
— Là-haut
— Oui... y est
Et l’Émile
— Nom de dieu
— Grimpe.
— Attendez !
Déjà haut, près, la torche, Alain donne, passe en bas... son regard !... Là-haut bing ! le carreau badagling ! gling ! réflexe la tête le coude !... et tous les trois l’un après l’autre par la fenêtre et dans la chambre. Denise... sur le lit sur le ventre tête côté. L’Émile est allé tourner le bouton, et
Nom de dieu et va savoir et quelle idée pourquoi ce qui l’a pris
— Qu’est-c... qu’elle a fait ?...
— Qu’est-ce que tu as fait là, dis ! qu’est-ce que tu as fait ? »...
Et Alain et moi on la retourne sur le dos et
— Nom de dieu Mazio...
Il dégage le cou serré «
— Voilà ce qu’elle a fait, voilà !...
Et il sort son inséparable lame, la glisse fébrile mais sûr entre la peau et ce ruban et tchac !... et la Denise elle est bien chaude ! autant que toi ! que moi !...
— Allons, tant que possible, de la méthode...
— Voyons... si le cœur bat.
Je palpe. Et pas le moindre bruit. Retenir ma respiration. Malgré ça j’entends, je sens, que moi, que... dalle ! que... moi ou quoi... ?
Dans mon oreille dessus son sein y avait mon cœur et pas le sien s’il battait j’entendais le mien !... Alors, respiration artificielle. Traction du bras, gauche, droit, une, deux, une, deux, descendre, monter et... je monte descends à califourchon.
— De dieu de merdalors j’aimerais voir ça un peu tiens si t’as fait la conne !
Et han ! et han !... ça marchait pas des mieux. Terrible face à face que je venais d’entamer là. Avec qui ? qui es-tu ? pour nous faire comme ça me faire m’activer s’activer allez ! han !... Je sentais pas très… Je, j’étais pas à l’aise et rien disait sur sa figure si ça pouvait venir,
— Quéchose ?
— Non et non !!!
Redescendre. Entamer bouche-à-bouche. On sera plus en tête-à-tête... je... et... ses yeux mi-clos sur... mi-ouverts que j’ai pas su voir si quoi... Voyons. La bave. Une drôle de bave un peu verte, m’a semblé. Avec la main, j’essuie. Lèvres bleutées légèrement... lesquelles... sur lesquelles... peut-être que jamais... mais les miennes, et pour que ça vive ça nom de dieu,
— Deniiiiiise ! déconne pas !!...
Et qui pouvait me dire où c’est qu’on allait comme ça ? jusqu’où ? combien ? et si c’était utile ? vraiment ?... vraiment ?... Je plaquais bien ma bouche en, d’une main la gauche à deux doigts pouce index lui creusant les deux joues entre les deux mâchoires pour la faire se l’ouvrir et, de l’autre, à deux doigts pareils doigts et main droite je lui bouchais le nez, et l’air c’était le mien que... j’aspirais féroce et je lui donnais tout. Cet air. Que je respire, et qui me sert à quoi ? Qui pouvait tout pour elle. Que j’avais l’impression de sentir refroidir... et une voix, l’Émile :
— Regarde !...
J’ai regardé, très vite levé la tête accommodé mon œil... mais comme quoi tout ça c’était peine perdue. Une étiquette rouge sur un petit flacon minable de rien du tout.
— C’est fini ! c’est fini ! ... l’Émile.
Alain est revenu avec du lait d’abord... qu’est resté sur la table en bas où il a trouvé ce flacon... les filles ensuite , Bédé Isabelle... et Isabelle pour s’occuper d’Émile.
— Et toi Bédé tu viens m’aider.
Appuyer là-dessus les côtes pour sortir l’air que je lui souffle. Pendant ce temps, Alain taille jusqu’aux Jaques chercher la fille Rico que paraîtrait qu’elle est ici et étudiante en médecine à sa cinquième année ! Okay. Alors Bédé mézigue tout ce qu’on sait on croit savoir ! Continuer.
—Dedieu dedieu Denise... l’Émile...
— Isabelle tu t’occupes hein.
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photo Bédé

Et mal aux reins bordel j’en peux plus, courber relever courber relever... souffler tout ! fort ! à y laisser pas que mon air ! tout mon être !... et elle est nettement plus froide ! merde... ça fait rien je m’accroche je la gonfle Bédé la dégonfle et la gonfle, la dégonfle, gonfle, dégonfle, et tant que y a de l’espoir y a de la vie la vie la vie... la vie... la mort... ? non pas la mort non... non... la vie !... la vie, même sans espoir même, sans espoir n’est-ce pas Denise... n’est-ce pas Denise... Denise... hé... tu m’entends ?... me sens ?... sens ?... tu sens ?... hé... dis... la vie... ma bouche... tous ses... tous ces baisers ?... à quoi tu joues... tu jou... is ?... au moins ?... ou mairde !...Denise !... sans blague... quoi... ‘niiiiise !!!... salope !... et chuis poli !... Et ... Oui... Tout ça.
Et bien beaucoup plus d’autres choses me suis je pensé avoir ressenti. Terrible. Époustouflant c’est bien le cas : de l’ancien françois « s’esposser » qui veut dire s’essouffler. J’y reviendrai peut-être... ou pas. Comme si... j’ai mal à dire... ma j’ai besoin... cette fille.
Denise. Trente huit ans, qu’avait tout l’air solide, certaine corpulence on dit, ça peut se dire, et vierge ça peut se dire, du moins ça pouvait que se croire... et fille de l’Émile, un chêne !... cette femme donc.
Comment dire ça. Que ça. Me devenait tout l’important c’est ça. Que ça. Qu’une femme peut devenir. Et qu’elle avait pas pu. J’ai parlé de mystère quand y avait rien qu’un drame... vrai. Et si simple et si plein et si brut. Dur comme c’est dur de vivre. Ici. Elle. Etcétéra et quoi ?... Quand ils sont arrivés j’étais sur le point d’abandon... exténué vidé. Flat !... Et de tout ce temps l’Émile ?...


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Peinture Michel Malnuit: "Elle est partie" 140 x165 acrylique sur toile, rajout de tissu et de verre

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