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05/09/2008

René Barde

Aux dernières nouvelles l'ouvrage La soupe à la chaussettede René barde sera disponible en librairie dans une semaine ou deux au plus...

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Mon travail? le destin, la providence en décideront: l'arbre ne vend pas ses fruits.

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Il faut que je vous raconte cette histoire...

Bédé Malnuit, -illustratrice des ouvrages de Jacques Salomé- épouse de feu Michel Malnuit- et complice de trente ans, alors que nous étions en pleine préparation de la rétrospective de Malnuit à St Marcellin et de la publication des "Crobards" à paraître de façon officielle en juillet à l'Arganier ( un premier avant tirage a été effectué pour la rétrospective et le cercle des collectionneurs de Malnuit ), dont la diffusion sera assurée en librairie par Pollen, me donna une adresse de blog où je me suis rendu... J'ai commencé à lire, deux ou trois post. Curieux je suis revenu à cette adresse, pensez donc, un tel style ne laisse pas indifférent... J'ai recommencé encore et encore à lire... Puis j'ai copié collé dans un dossier dans l'ordre croissant pour lire le manuscrit en entier. Je suis parti en vacances à Noël. Le manuscrit lu, j'ai aussitôt écrit à Bernard Collet le légataire universel de René Barde.
dont voici le contenu:

Monsieur,

Je viens de terminer la lecture du texte de René Barde.
J’en sors bouleversé, de ce bouleversement que seuls procurent les grands textes. Barde appartient à ce peuple des anges de la nuit qui dans l’apprentissage de la douleur de vivre frottent leurs âmes à la noirceur de l’existence, et malgré cela une immense clarté se dégage de leur oeuvre. Je pense à des poètes contemporains malheureusement disparus trop jeunes, comme Thierry Metz, bien plus qu’à Christian Bobin...
J’ai lu crayon à la main prêt à couper dans le texte à la moindre imperfection. Hormis quelques coquilles de frappe ça et là, aucune fausse note ne vient nuire à la symphonie du texte, depuis les descriptions naturalistes de la ferme d’un cruel réalisme jusqu’aux fureurs de ses crises mystiques, aucune phrase n’est en trop, à peine s'il ne faut pas changer une seule virgule à ce texte...
Quelle immense leçon de ténèbres et de soleil brûlant. Pas de faire valoir, pas de flagornerie, aucun branle de l’âme du lecteur, aucune grandiloquence jusque dans la description de sa misère choisie. Il plonge sans cesse dans les gouffres de douleur qu’il creuse avec enchantement au fond de lui-même.
Dire que j’ai été dérouté par ce manuscrit de Barde est peu. Je n’ai pu m’empêcher de penser au bouleversement salutaire que m’avait alors provoqué, jeune adulte, le style de « Voyage au bout de la nuit »... Et aussi la lecture d’Antonin Artaud. Ce mysticisme ouvre sur des paysages intérieurs si immenses.
Le titre qui me vient en tête immédiatement c’est : « On charriait le foin le matin où je suis né »... qui semble être l’événement majeur d’une catastrophe annoncée. La vie...
Il me faudra le relire deux, trois, quatre, fois plus sûrement pour accepter la lumière de ce corps noir, en déceler les nuances, en capter les fulgurances.
Voila en quelques phrases le ressenti de cette lecture.
Est ce l’ange ou le démon qui nous touche à ce point à travers la force de son style. Comment un homme a-t-il pu écrire ainsi et passer aussi inaperçu. Question d’époque ? De destin forcé ?
Non seulement j’ai aimé ce texte, mais j’aimerai en lire d’autres de lui. Car je suis prêt à publier l’auteur de cette oeuvre d’une telle sauvagerie
.../...

Puis revenu à Paris, j'ai téléphoné à Bernard Collet. J'ai donné le manuscrit à lire à Nicolas Grondin qui lui, n'a pas été convaincu lors d'un premier survol du texte. Devant mon insistance, et me faisant aussi un peu confiance, il m'envoya un mail pour s'excuser d'avoir été si peu attentif et mis ce texte en écho aux Mémoires d'un paysan bas breton de Jean Marie Déguignet 1834-1905.
Le manuscrit va paraître en septembre aux éditions l'Arganier dans la collection "La belle ouvrage".

D'ici là patientez un peu. Belle revanche pour le misérable par conviction qu'était René Barde.
Beau témoignage d'amitié fidèle, par delà les quarante cinq années écoulées depuis sa mort.

Et voici la préface par Bernard Collet de La soupe à la chaussette titre retenu pour la commercialisation de l'ouvrage.

Enfant, j’ai connu René Barde à la fin de sa vie. Nous habitions le même immeuble de la rue Ernest Renan dans le Paris d’après-guerre. Avec sa silhouette un peu voûtée, son visage de patriarche aux joues creuses rongées d’une barbe grise, ses vieux habits sombres et dépareillés, il m’était une figure familière et rassurante. On se croisait dans l’escalier lorsque je dévalais mes trois étages et que lui remontait péniblement vers sa mansarde son cabas de toile cirée noire au bout du bras. Cherchant à reprendre son souffle, il devait s’arrêter souvent, se retenant d’une main à la rampe. Sa poitrine se gonflant et se dégonflant comme un soufflet, il ne pouvait répondre à mon salut que par un sourire que je devinais sous sa barbe grise. Je lui prenais alors son sac et le montais vivement jusqu’au sixième pour le déposer devant sa porte, pendant que lui poursuivait sa lente ascension. Parfois il me demandait d’attendre pour me laisser choisir dans une petite boite en métal ronde un morceau de sucre candi. À la fin de l’adolescence sa mansarde sous les toits m’est devenue familière. J’étais curieux de cette toute petite pièce sans chauffage aux murs de plâtre gris. Entre le lit-cage qui en mangeait la moitié, et une vieille table de bois d’où s’élevaient sur des étagères de bois noirci des empilements de livres, cahiers, papiers jusqu’au plafond, il n’y avait que la place d’une chaise et un étroit passage vers la fenêtre. Mansardée, elle s’ouvrait sur la gouttière, les moineaux et les toits de Paris. Pour tout «décor» vêtements et linge accrochés au plafond à des ficelles comme les peaux de lapins retournées mises à sécher dans une grange. Punaisée au mur face à la fenêtre, une grande aquarelle représentant des arbres, au bas était écrit « à René, mon ami de toujours, Pignon 55 ». Sur une étagère du « bureau » entre ses manuscrits et la Bhagavad-Gîtâ, méditait un buddha accroupi de plâtre doré. En dessous grimaçait une photo de Ramakrishna. Des quelques réflexions générales de bonne cordialité à l’adolescent, René confiera davantage au jeune idéaliste que je devenais. Partant de mes frustes affirmations morales, de mes balbutiements artistiques, ou de mes a-priori politiques, il me dévoilera des soubassements idéologiques cachés, me laissera entrevoir comme autant de perspectives les développements lointains de la réflexion, ou, au détour d’une remarque, deviner la virtuelle moisson d’idées d’une analyse. Il conviait à ses propos, artistes ou poètes, saints ou bandits brésiliens, hommes d’État ou prophètes. Marx, Jésus, Van Gogh, Beethoven ou Bach, Khrisna Murti ou Freud habitaient un instant sa soupente. Évoquant les pieds nus martelant la terre au rythme du coeur devant les temples indiens, la résistance des humbles à l’exploitation, le sang offert au soleil au sommet des pyramides mayas, ou l’énigmatique Marabout de la steppe marocaine, il m’élargissait le monde. Je sentais pourtant sa souffrance, prisonnière de ce corps prématurément vieilli par la misère et l’ascèse. Sa solitude aussi où son tempérament trop entier l’avait enserrée. Par moments son regard devenait lointain, sur son visage passait comme une pâle et insondable tristesse. De quels rêves défaits, de quelles épreuves inachevées venait cette détresse muette ? Parfois au contraire, c’est en rugissements dantesques qu’il appelait la géhenne sur les bourreaux d’Alger, ou les dirigeants hypocrites et lâches, qu’il dénonçait les sépulcres blanchis des prélats à double face, ou appelait les bombes atomiques sur les peuples corrompus. La rudesse de sa pensée m'a placé alors quelques repères où appuyer ma vie.
Jamais il ne m’a donné à lire le moindre de ses écrits. Ce n’est qu’après sa mort que je les ai découverts, un énorme manuscrit maintes fois remanié, trois cahiers de proverbes, des notes innombrables jetées jour après jour d’une écriture serrée sur toutes sortes de bouts de papier, et puis cette autobiographie à laquelle je savais qu’il travaillait. Il disait qu’elle serait nécessaire à ceux qui viendraient à lire son livre, pour en resituer la genèse et le développement. En fait c’est une œuvre à elle seule où se déroule la trajectoire insolite d’une aventure humaine : de sa rude enfance où, dans la violence de son milieu, il développe le respect de la vie et étend silencieusement en lui des espaces de recueillement et de spiritualité, du jeune paysan, qui au hasard des amitiés, et des rencontres s’instruit quelque peu, de l’ouvrier d’occasion, compagnon de marginaux et de déclassés, qui commence à écrire dans le Paris de l’entre-deux-guerres.
Il fréquente également le milieu fantasque des peintres que lui fait connaître son ami d’enfance Édouard Pignon. Une amitié fertile et ombrageuse le liera au peintre italien Orazio Orazi. La rugosité de ses écrits d’autodidacte et ses convictions farouches lui valent l’attention de Romain Rolland, Marcel Martinet, Gabriel Marcel ou Léon Chestov. Il poursuivra une longue et opiniâtre quête d’absolu jusqu’à sa mort au prix du dénuement, de la souffrance physique, de l’angoisse spirituelle. C’est l’histoire de ce lent dépouillement, que d’autres appelleront descente aux enfers, que relate ce livre. Lorsque je l’ai connu, à la fin de cette odyssée son regard intériorisé posait encore sur le monde et la vie des lueurs farouches, mais pouvait aussi s’embuer de larmes devant un brin d’herbe ou un regard d’enfant. Son corps épuisé où résistait encore un peu la vie, devenait comme transparent. N’était-il pas un ange dans sa mansarde sous les toits ? Seul, terrassé par la vie qu’il s’était imposée, c’est par un souffle de victoire que s’achève son récit : « …c’est sans crainte que je vois le présent approcher l’autre rive. Oui, vraiment, j’ai gagné la partie. »
Depuis longtemps René Barde ne cherchait plus à publier : « Mon travail ? Le destin, la providence en décidera, l’arbre ne vend pas ses fruits » disait-il et c’est à moi, comme à une corbeille d’osier sur le fleuve qu’il confiera ses écrits par testament… Voici plus de 4O ans qu’il s’est éteint dans mes bras un jour d’hiver 1963. La corbeille n’a pas sombré, et le destin a placé Saïd Mohamed sur son errance. Qu’il soit remercié de « sortir au jour » cette vie sombre et ardente, celle de mon ami René.


Photo Bernard Collet "1961"
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René Barde et le jeune Bernard Collet

Commentaires

La préface est vraiment réussie tant elle donne envie de lire la suite...

Écrit par : Ben | 14/06/2008

Oui... Quand j'ai demandé une préface à Bernard Collet, il m'a répondu qu'il ne savait pas ce qu'il pouvait bien dire sur René Barde. Je l'ai alors interrogé sur cet homme, il m'a raconté. Je lui ai répondu: la voilà la préface, racontez cela... Simplement cela. Ce sera bien et juste.

Écrit par : Admin | 14/06/2008

ce livre m'a secoué et votre commentaire est celui que j 'aurais aimé écrire. Son visage d'une grande dignité et noblesse me rappelle Tolstoï et certain sage hindou, mais son attitude, sa révolte celle de Henry-David Thoreau, à la différence que Thoreau était né dans un milieu bourgeois et été allé à l'université. Certains parlent de paresse (pour l'un et l'autre), ce n'est pas ça du tout.
C'est un livre que je recommande beaucoup mais pas à n'importe qui.

Écrit par : christel cynober | 19/03/2012

ce livre m'a secoué et votre commentaire est celui que j 'aurais aimé écrire. Son visage d'une grande dignité et noblesse me rappelle Tolstoï et certain sage hindou, mais son attitude, sa révolte celle de Henry-David Thoreau, à la différence que Thoreau était né dans un milieu bourgeois et été allé à l'université. Certains parlent de paresse (pour l'un et l'autre), ce n'est pas ça du tout.
C'est un livre que je recommande beaucoup mais pas à n'importe qui.

Écrit par : christel cynober | 19/03/2012

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