24/03/2007
De la prétention littéraire
collage Maryvonne Lequellec
Pour écouter la musique de l'ami Patrick Chartrolen lisant ce texte....
C’est sûr, si j’avais été moins lâche, il aurait été plus judicieux de partir quand il en était encore temps. Pour se remettre des frayeurs, on laisse glisser sa plume tout le long de la ligne en espérant en tirer quelques récompenses. Mais tout cela est vain. Les plaisirs spirituels sont bien trop spirituels, les physiques, s’ils finissent en apothéose et procurent plus de satisfaction que de planter sa plume dans un encrier, ils épuisent la bête.
Il reste la littérature pour faire le bilan de tout ce temps où j’ai fini par me demander si tout cela a été bien réel. J’ai souvent replongé à l’eau au risque de me noyer encore et d’appeler à l’aide, parce que ce bateau est mieux dans les tempêtes, avec des voiles blanches et rondes de la force d’un ciel d’ardoise. Plein de cet oxygène animé de vent polisson à faire péter la cage thoracique. Piailler avec les mouettes en s’ébattant dans les risées, en plongeant, filant, planant, rebondissant sur les cascades de l’air. Avis de coup de vent, tempête, tornade, ouragan, il n’y a que dans les turbulences, quand le zeph souffle dans les drisses, que les roseaux trépignent, que les haubans sifflent, que la membrure craque, que le toit remue, que l’eau ruisselle en fines lézardes transparentes sur les vitres, qu’on sent réellement le poids du vivant. On sait qu’après arrivera le soleil qui réveillera tout ça. Comme une grande lessive dans un bistrot qui vient d’ouvrir. Alors que le sol est encore mouillé, que l’odeur du café emplit déjà la salle et que vous êtes le premier client. Cette appréhension perce sous la peau de ces instants. Il n’y a rien à dire. Ce sont par ces moments là qu’on légitime nos heures dans ce foutoir.
On a beau avoir l’impression que dans le temps imparti, on ne réussira pas à boucler ce pourquoi on pense être fait, -il est étrange de croire qu’on doive mener à bien un projet ou subir un ensemble d’événements-, on ne désespère plus, bien que le corps s’amenuise, que l’échine se courbe et que le ton de la voix devienne moins arrogant et que ce projet-là, quoi qu’il arrive, ne laissera jamais assez de temps à l’existence. Que chaque jour sera toujours trop court, chaque heure incomplète, chaque instant inachevé suspendu au néant, comme un manque permanent..
Depuis le temps que l’imminence du désastre est perceptible, on s’étonne qu’il ne se soit pas encore produit. Tout échappe, c’est bien la seule certitude que peut avoir la marionnette qui coupe son fil pour s’aventurer au-delà du cercle des projecteurs. Si elle savait, elle s’abstiendrait de tenter de s’évader. Chercher la raison qui pousse à écrire, peindre ou dessiner, c’est perdre son temps. Il faut agir pour se vider de tout ce prurit et se remplir à nouveau, tout simplement. Ce qui a été fait n’est plus à faire et ne pèsera plus de tout son poids de remords. Tant pis si cela a été mal fait, et tant mieux dans le cas contraire. C’est en faisant qu’on apprend à se soulager mieux chaque fois.
09:30 Publié dans De la poésie au quotidien | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
C'est en forgeant qu'on devient forgeron, c'est en poétisant qu'on devient poète à litrons et c'est en sciant que Léonard devint scie.
Écrit par : Saturnin Abadie | 24/03/2007
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