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14/03/2007

Paroles de Coyote

Par Alain Jégou

Alain dont j'ai publié en avant première des textes en juillet 2006 sur le blog, n'est plus marin pécheur. Il a revendu l'Ikaria son bateau qui péche toujours du côté de Lorient, mais avec un autre capitaine. Il ne regrette pas son repos bien mérité quand il entend souffler le vent, il est bien content de ne plus être chahuté au large. Il se consacre dorénavant totalement à l'écriture. Vous le retrouverez de temps à autre sur le blog. Au gré de ses humeurs de ses coups de gueule aussi.

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photo Gérard Gautier


Une médecine pour remodeler le silence captif :

En certaines années bigrement évaporées, nous mioches, esprits neufs et purs, attentifs et clients benoîts de toutes aventures cousues de fil blanc et truffées d’un héroïsme simplet, avons été manipulés de la façon la plus abjecte qui soit. Empapaoutée notre cervelle toute molle de fraîcheur, maculée notre crédulité, salopée notre jugeote, par les fourbes faiseurs de magazines et fanzines westerns.
Scénaristes, dialoguistes, dessinateurs, emberlificoteurs de pensées juvéniles, à la solde d’une culture, d’un culte et des vraies foireuses valeurs de la race indélébile des seigneurs. Toujours appliqués à nous bourrer le mou de leurs pernicieux principes, de leurs impayables conceptions du bien et du mal, à nous faire ingurgiter, sans autre forme de jugement possible, leurs vérités toutes moulées pour nos âmes de chérubins. Toujours affairés à nous faire abonder dans le sens de leur giration spirituelle. Acharnés à nous foutre les foies, à nous dégoûter ou nous faire nous moquer de l’autre, du différent, de l’autrement coloré ou charpenté.
Les héros farauds de nos boulimies aventureuses avaient tous le regard et les idées purs braqués sur la ligne bleu uniforme des sierras ? Bien sûr tous blancs de peau et ne permettant pas que quiconque émette le moindre doute sur la noblesse raciale de leurs origines.
C’était pas de vulgaires trouducs à face de rats et teint chiasseux, nos héros amerloques. La belle allure qu’ils entretenaient et la forme olympique de leurs balèzes carrures. Franchement, c’était pas des lopes les Kit Carson, Buck John, Davy Crockett, Bleck Le Roc, Buffalo Bill et autres Cornflakes Joe de la saga du Grand Ouest sauvage. Pas comme ces enflés de diables rouges qu’avaient aucun respect et aucune tenue dans leurs façons d’être et d’agir, qui se mettaient à une dizaine pour torturer et estourbir un pauvre pionnier sans défense sous les yeux horrifiés de sa famille qu’ils massacraient ensuite.
Qu’ils soient natifs du Tennessee ou du Nevada, de l’Ohio ou de l’Indiana, de l’Arizona ou de l’Oklahoma, du Texas ou du New Mexico, ils avaient tous de la classe, nos idoles de B.D. Tous aussi fortiches les uns que les autres à manier le coutelas ou la Winchester, à suivre une piste ou traquer l’ennemi, à dresser un mustang ou chasser le bison. Jamais froid, jamais faim, jamais soif, jamais fatigués, jamais peur, jamais envie de pisser, ils chevauchaient sur les vastes étendues sauvages toujours en quête de nouvelles aventures, de nouveaux faits d’armes et de bravoures à accomplir. Ils étaient la fierté de l’Amérique.
Sans chiqué ni forfanterie, ils vous mettaient en fuite toute une tribu d’énergumènes énervés et sanguinaires pour délivrer la caravane des colons fourvoyés en si périlleuse situation, vous descendaient trois ou quatre bisons d’un seul coup de fusil ou vous abattaient un grizzly d’un uppercut dans les gencives, sans la moindre émotion.
L’ennemi numéro un, le souffre-douleur, le faire-valoir, de ces supermen vedettes de la conquête de l’Ouest, évidemment c’était l’Indien. Tampon de toutes affabulations, le vilain moche, le cruel, l’infâme, le méchant Peau-Rouge, le suppôt de Satan, le barbare ultra, le tueur et violeur de femmes et d’enfants, le chasseur de scalps, le buveur de millésimes judéo-chrétiens, l’être le plus abject de la planète, c’était lui, c’était bien lui, l’incroyable incroyant, qu’il fallait combattre sans relâche, exterminer sans rémission du plus petit au plus grand, génocider jusqu’au dernier.
L’Indien, affublé de toutes les tares et vilenies les plus hardies, décrété durement et sans appel l’ennemi définitif de toute l’humanité en marche vers son idéal progressiste, ne pouvait être qu’un obstacle à cette avancée vers l’Eden convoité.
Alléluia pour nos frères, héroïques conquérants du Nouveau Monde ! Pour nos pionniers dévots défricheurs de terres vierges, porteurs et défenseurs ardents de la parole du Christ ! Sonnez trompettes ! Roulez tambours ! Pour l’arrivée toujours à point de notre cavalerie. Hourra pour nos p’tits gars fringants et audacieux ! Hourra pour la Grande Amérique ! Son peuple ! Son président ! Et sa politique expansionniste et exterminatrice !...
Voilà ce qu’ils voulaient nous inculquer, les salauds de bidouilleurs de pensées mineures. Nous ont violé le rêve et l’innocence. Toujours habiles et persuasifs, experts à faire passer l’Amérindien pour un être dénué de tout sentiment humain, à nous faire frémir et pétocher maousse devant le faciès ingrat, l’œil sournois, le nez busqué et la mâchoire crispée par la haine, le corps paré de ses peintures de guerre, presque nu, son cul juste couvert d’un morceau d’étoffe grossière, du combattant féroce montant à cru l’apaloosa véloce, rapide et âpre à décocher ses flèches vers tous corps étrangers, à décoller du crâne de l’ennemi abattu, mort ou seulement blessé, la chevelure sanglante pour s’en faire un trophée, à tailler dans le vif des chairs des prisonniers attachés solidement à d’étranges et effrayants poteaux de torture.
Durant de longues années le mythe escroc a bien vécu. L’arnaque historique menée de mains de maîtres est parvenue à duper d’imparable façon plusieurs générations de petits hommes blancs, admiratifs et respectueux à souhait de la parole des grands.
Ca n’est qu’à la fin des années 1960, avec la naissance de l’AIM (American Indian Movment) et le combat mené par ses activistes que les mioches lecteurs de BD ont découvert le pot aux roses, pris conscience que les méchants n’étaient pas ceux que les dessinateurs et dialoguistes de leurs illustrés avaient sournoisement désignés à leur vindicte juvénile, mais bien ces salopards de Kit Carson, George Custer, William Cody, Philip Sheridan, tous ces chasseurs de scalps et massacreurs de natives dont le seul crime fut d’exister et de résister à leurs ambitions impérialistes.

( éd. Alcatraz Press, Un siège pour les aigles, janvier 1995)

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