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02/02/2007

La nostalgie, camarade... sur un air de Serge Gainsbourg

Je laissais tourner mon magnéto face à cet homme. A combien de wiskys en étions nous. Je l’ignore. Il admirait Hemingway, st Exupéry et Cendrars. Cet homme d’action ne pouvait en aucun cas être stupide. Notre discussion n’avait porté que sur la littérature jusqu’à présent. Je sentais la chaleur du bourbon me battre les tempes. Et j’écoutais. J’avoue que si je n’avais pas gradé ouvert le magnétophone, je ne me serais pas souvenu ce qu’il m’avait raconté.

-Vous les pacifistes vous me faites rire, vous n’êtes que des imbéciles. Vous crachez dans la soupe mais vous ne vous rendez pas compte de ce que vous devez à l’activité de la guerre. Vous voyez mon cher ami, entre gens civilisés on ne peut pas cracher sur la guerre. Parce que c’est l'activité humaine la plus sérieuse qui soit. Rien n'est plus captivant, ne requiert autant d'énergie. La guerre est à la base de toute société. Toute activité humaine, si elle veut progresser, doit s'inscrire dans cette logique. Il n'y a que chez les primitifs, les sous-développés que la guerre ne sert pas le progrès. Ils se massacrent à coups de machette, s'égorgent au tesson de bouteille, se font gicler la tripe à la serpe. C'est pas du travail… On en parle à peine à la télé… vous le voyez bien vous qui êtes dans les médias que ça n'intéresse personne… Quel gâchis !
Alors qu'une bonne guerre moderne, comme on sait les faire ça maintient un Audimat en haleine pendant six mois, un an. Tous les bonimenteurs y vont de leurs pronostics, sur le déroulement des événements à venir. Les petites gens stockent des vivres, on écoule des tranquillisants. L'Audimat progresse, les pages de pub se vendent plus cher. Cela fait marcher le petit commerce, qui en a bien besoin. C’est merveilleux…
Les guerres des pauvres ne valent pas tripette. Un million d’Africains, ça fait moins de bruit qu’une poignée de bon gros pépères pétris de bonnes manières ou qu’un paquet de yankee réduit en poussières. Les guerres des pauvres sont sales, parce qu’elles sont silencieuses. Quelques explosions par-ci, par-là, quelques rafales de mitraillettes. Rien d'autre. Comment voulez-vous faire peur avec ça ? Comment ces difformes du bide, ces maigrichons couverts de mouches peuvent-ils faire trembler la ménagère? Ils sont trop maigres pour être crédibles. A peine réels. Non ?
Toute notre belle technologie ne leur sert à rien. Pas de radar, pas de contre-mesures électroniques, pas de sous-marins, pas d'avions, ni de chars. Il ne consomment rien, pas de bombes à ailettes, à fragmentation, à souffle, au phosphore, à ondes de choc. Pas d'obus, pas de canon, de jeep, d'half-tracks, de véhicules blindés, d'automitrailleuses, de barges de débarquement, de rations de survie, de casques lourds, de parachutes, de planeurs. Rien de tout ce qui fait notre belle civilisation ne les intéresse. Des cailloux, des couteaux, des arcs, des flèches, voilà de quoi se servent les pauvres, pour s'étriper. Une misère, je vous assure.
Chez nous, au minimum, ça finit par un grand feu d'artifice. Je te rase une ville, tu m’en rases une autre. En beauté, Dresde, Hiroshima, Londres. Nous autres, on ne lésine jamais sur la camelote. Qui plus est, maintenant avec la télévision, il faut mettre le paquet. Que les ponts s'écroulent, que ça pétarade, que ça casse, que ça bastonne, de partout. Beaucoup de bruits et de dégâts, pour peu de morts, finalement. Cent mille, deux cent mille, peut être ? De la rigolade. Pendant ce temps-là, à la machette, un million et demi, sans bruit. Avec, par-dessus, une couche d'épidémies de peste, de choléra, ou tout autre virus inconnu. Plus une bonne vieille famine. On frôle les deux millions en quelques semaines. Personne ne peut prétendre à mieux !

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Pour obtenir le même chiffre, dans n'importe quelle guerre qui se respecte, au Vietnam, en 14 ou ailleurs, combien a-t-on utilisé de million de tonne, de napalm, d'agent orange, de gaz moutarde?
Nous, on sait faire durer… Cinq ans, dix, trente, ou deux générations. Pendant ce temps-là, on se hait. Là, en deux mois, plus rien. Ils se zigouillent jusqu’au dernier. Ce n’est pas du travail. Comment voulez-vous après ça, revendre des armes aux survivants pour venger leurs morts ? Ils n’ont aucun sens du commerce. Alors que nos guerres à nous, c’est pas croyable tout ce beau matériel qu'on utilise. Quand j’y pense.
C’est parce que les pauvres ne savent pas se tuer correctement, et qu’ils font ça quasiment avec rien, qu’ils ne peuvent que rester pauvres durablement. Pas étonnant que personne n'en entende parler. Heureusement qu’il reste quelques idiots de médecins français, à cheval sur les principes et arriérés au point de croire encore aux valeurs humaines pour en faire parler. Alors-la ça devient intéressant…
La guerre, c'est trop sérieux pour ne la laisser qu'aux seules mains des intérêts particuliers. Il faut aussi y associer, les publicitaires, les caméras… Le plus de monde possible, je vous dis. Pour vendre du papier il faut de la tripe à chaque repas. Sinon comment les braves gens pourraient se repaître de leur bonheur de vivre dans nos sociétés. Il faut qu’ils puissent mesurer leur joie. Sinon c’est pas du jeu. Il faaut qu’ils aient peur aussi pour qu’on puisse vendre les services de notre police.
Si on les laissait faire, les pauvres se garderaient tout le meilleur pour eux et on n’aurait pas droit à notre show télévisuel.
Même la Rome antique avec ses stades, ses lions, ses gladiateurs, ses esclaves ne pouvait pas en aligner autant de spectateurs. Six milliards d’un seul coup… C’est vraiment joli un puits de pétrole en feu, sur un ciel noir, avec une ambiance de fin du monde. La ménagère de moins de cinquante ans prend une poussée d’adrénaline. Elle court s’acheter des provisions car le pire est à venir. C’est du sérieux, ça... Pas comme ces peigne-culs de pauvres. Pire. Ils font eux-mêmes leurs kalachnikovs, avec des bouts de bois et des tuyaux au fond de leurs gourbis. Il faudrait que la convention de Genève interdise ça. Ils ne devraient avoir le droit de se charcuter qu’avec des vraies armes manufacturées sinon c’est un crime contre l’humanité Sinon à quoi servent tous nos efforts ?
C’est pas le tout de s’étriper, mais dans les règles de l’art, c’est bien plus profitable. Ça donne de l’emploi aux arsenaux. Notre belle industrie qui ne sert plus à rien. Ces saletés de pauvres nous la jouent bégueules et à la déloyale. Nos règlements, nos explosifs, nos tribunaux, nos procès et tout le bastringue ne servent plus à rien. Qu’ils se saignent n’a jamais empêché les mines de diamant de produire, les puits de cracher le pétrole, le pavot de pousser. Le profit est toujours là, malheureusement pas assez juteux. Dans l’échelle de l’économie, on pourrait faire des bénéfices à trois chiffres. C’est à cause de l’incivilité de ces sauvageons qu’on est obligé de se rabattre sur des opérations moins mirobolantes.
Le citoyen honnête en réclame pour ses impôts. On n’a pas le droit de le tromper sur la marchandise. Il faut qu’il ait peur et qu’il soit rassuré par cette noble institution qu’est l’armée. À quoi serviraient toutes ces médailles, ces camions, ces galons, ces défilés, sinon ? Si on n’y prenait pas garde et si on les laissait faire notre belle civilisation serait dangereusement menacée par tous ces primitifs.

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