04/12/2015
Encore M. Ernesto….
Article de Mustapha Harzoune paru dans le magazine de la cité
Allez ! Disons-le, d’entrée : Monsieur Ernesto est le porte-flingue de Monsieur Saïd Mohamed. Car le bonhomme, familier du café Chez Nicole, tire sur tout ce qui bouge, avec précision, férocité, sans état d’âme, sans ce faux semblant, ce trompe-couillon, cette couche superficielle de civilisation qui sied à nos contemporains fiers de leur "patrie des droits de l’Homme" mais qui claquent la porte au nez des infortunés déguenillés du Sud ou de l’Est, fiers du triptyque républicain mais qui, au nom de l’égalité et de la fraternité, se soucient davantage d’une chemise déchirée que d’existences brisées par ceux que l’auteur appelle sans doute "les intégristes de l’économie". "Va savoir à quoi ça sert toute cette saleté de progrès" dixit Monsieur Ernesto.
Parfois, l’habitué du comptoir sort le bazooka. C’est gros. Exagéré. Au point de blesser quelques innocents. Affaire de fesses souvent, de tournantes parfois. Affaire aussi de fonctionnaires - "un fonctionnaire ça fonctionne. Ça n’est pas fait pour réfléchir". Ça peut frôler l’inacceptable. Saïd Mohamed ne prend pas de gants. A n’en pas douter, il s’amuse. Et le lecteur aussi, pour peu qu’il soit sensible à cette plume qui écrit sans concessions, en toute liberté. Saïd Mohamed fait partie de ces écrivains-poètes, rescapés de l’Adass, miraculé de l’existence qui, plutôt que de dézinguer - littéralement - ses contemporains, préfère le faire, littérairement. Écrivain rare qui écrit sans forligner, fidèle aux siens, les réprouvés de la terre, de la migration et des usines. Espèce rare en voie de disparition, gavroche de l’écritoire qui mêle à la gouaille reçue en héritage la poésie des mots. Et le bourgeois est dans le collimateur : "C’est pas possible ce que le bourgeois peut-être niais ! Ça ne pense qu’à moitié. Normal, ça n’a pas besoin de réfléchir aussi vite que nous pour survivre dans cet univers, alors les neurones s’enkystent. C’est la seule explication. J’en vois pas d’autre".
Ainsi, Monsieur Ernesto vient de faire irruption dans l’œuvre de Saïd Mohamed. Une quarantaine de pages, une esquisse donc, la préfiguration d’un personnage à construire, à qui il faudra donner du corps, de la chair. Pour ce qui est de l’âme, on en a déjà une petite idée. Bien sûr, "Monsieur Ernesto" est un sobriquet dont on est coutumier dans le populo - de "souche" ou immigré. Dans le bistro paternel on apostrophait le quidam à coup de "Neuneuille" et de "Quatre et trois sept" (le premier pour celui dont la vue baissait, le second pour celui qui, accident ou malformation, boitait d’une jambe). Ici, c’est un béret, encore et toujours visé sur la tête de notre "client" qui lui a valu le surnom. Un béret comme celui du camarade qui a fini en T-shirt pour gogos. Mais il n’y a pas que le couvre-chef qui rappelle le révolutionnaire argentin. Il faut écouter Monsieur Ernesto tomber sur les féministes, les écolos, les militaires et autres va-t-en-guerre, l’administration inquisitrice, les hypocrisies particulièrement rentables de la "justice" pénitentiaire, l’économie de la drogue dont s’accommoderait "le système", le bizness de la guerre, les l’influence des pesticides sur la fécondité, vanter la "bagatelle" qui se termine en grossesse plutôt que les discours "pervertis" qui se terminent en bain de sang, sans oublier les médias, dealeur de peur et accros à l’audimat ! D’ailleurs, à propos des réfugiés, "dès qu’ils le peuvent, certains fuient nos guerres mal faites. Autrement, ils crèvent en patera dans la Méditerranée, et dans l’indifférence la plus totale. Ça mettait la larme à l’œil à tout le monde, à l’époque, les boat people qui fuyaient les Bolcheviks. Ça c’était une bonne cause à défendre. Mais, un pauvre Nègre ou un Arabe qui fuient une guerre qu’on a volontairement organisée dans leur pays, ça faut pas tripette à l’audimat". C’est écrit avant l’émotion suscitée par l’insoutenable photo du jeune Aylan.
Alors allons faire un tour en banlieue, ici pas de photos, donc rien de nouveau. "Sur la délinquance, il y a bien une recette : entasser des pauvres d’un autre pays dans des cités construites par des types qui sortent des grandes écoles et qui n’y habiteront jamais. Et pour cause, dans les quartiers aux esclaves, on y loge les esclaves, pas les dominants". Et voilà notre Ernesto qui multiplie les descriptions et les explications sociologisantes. Et il n’a sans doute pas tort quand il affirme que "pour s’en sortir, ils [ces jeunes de banlieue] devront être des Superman, des Rambos ; sans ça ils ne pourront prétendre à rien d’autre". Et malgré le laïus anti fonctionnaire, personne n’étant à une contradiction près, Monsieur Ernesto, sans doute après avoir glouglouté quelques verres, revient à la raison : "Depuis le temps que les tubes cathodiques leur défèquent dans le cerveau, à ces enfants-là ! Normal qu’ils finissent par ne plus rien y comprendre. Et ce serait la faute de l’éducation nationale si le monde va si mal ? Mais, que peut un triste prof castré par son administration versus le plaisir déversé à flots par la tétée quotidienne d’ondes hertziennes qui leur dilate la rate, aux Gremlins ?".
De cela tout le monde s’en fout. Finalement, il y a deux façons de réussir et attendrir le chaland : le faire chialer de compassion pour une de ces femmes, abstèmes et soumises, mais ô combien courageuses, voire, dorénavant, pour un gamin qui a fini sa courte course le nez dans le sable, où alors le faire rire. Mais pas n’importe comment : "Si vous voulez passer pour un comique, imitez leur sabir et vous ferez tordre de rire n’importe quel natif local-local lors d’un repas de noces". A méditer…
Reste que "pour la première fois, la génération présente sait que l’avenir n’est pas assuré", "le rêve est terminé. La réalité s’est imposée". Et le presque cynique Monsieur Ernesto serait déjà dépassé par cette réalité ! Le sage rabbi Nahman de Braslav enseignait que "plus les temps seront durs, plus notre rire sera fort". Il n’est pas certain que ce Monsieur Ernesto fasse rire - quoi que ! - mais en tout cas, sa voix permet de recouvrir les discours de ceux qui ont fait du boniment leur profession et qu’"on croirait démoulés d’une usine à cons".
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