09/04/2007
Un homme parmi d'autres...
Il était assis au café penché en avant sur sa tasse. Il avait bien vieilli, son dos s’était voûté. Il m’a regardé comme s’il s’adressait à un inconnu. Quand je me suis assis à sa table, j’ai eu un instant de doute. Non, ça ne peut être que lui, étant donné sa stature, son pouce coupé. Son visage était tout couperosé et bouffi, son regard absent.
-Salut je t’amène le roman dans lequel je parle de toi, je lui ai dit tout de go. Je préfère que ce soi moi qui te le remette en mains plutôt que tu apprennes son existence par la bande. Comme ça tu pourras me casser la gueule si tu en as envie… Tu ne peux plus porter plainte le délai légal est passé…
Le vieux en face de moi a gardé le silence, puis il a articulé difficilement
-Qui tu dis ?
-Moi tu ne me reconnais pas?
-Excuses-moi j’avais confondu avec quelqu’un d’autre… Et depuis ces accidents au cerveau, j’ai du mal avec la mémoire…
La terreur de la ville était là, devant moi, incapable de se souvenir du passé. Avec dans le regard autant d’intelligence qu’un âne qui vient de bouffer sa merde… L’alcool, les nuits blanches, les femmes, les amphétamines avaient eu raison de sa santé, physique et mentale…
Il l’a bien utilisé notre argent et a laissé des ardoises dans les bars, les restaurants, les boites de nuit, les hôtels où il emmenait ses pépés.
Un beau jour sa femme n’a pas fait qu’amener ses valises et ses fringues devant la porte de l’imprimerie… Elle a demandé le divorce et changé les serrures de la maison… Le soir même il partageait sa chambre d’hôtel avec une nouvelle maîtresse danseuse de flamenco, maquettiste, ouvreuse de cinéma… Une compagne de tendresse tout simplement…
Les banques ont fermées le robinet quand sa femme a revendu ses parts de l’entreprise… Alors les dominos se sont effondrés. Je n’étais déjà plus chez lui quand c’est arrivé. A l’époque, quand il avait besoin d’une machine neuve il emmenait sa femme une semaine en vacances dans des palaces exotiques. Elle ne lui garantissait en retour le crédit auprès des banques… En son absence la secrétaire annonçait :
-Le vieux est parti à la sucursale, pour désigner le café d'en face....
Comment lui en vouloir de nous en avoir à tous autant fait baver. Toute sa fortune volatilisée en bagnoles, bamboches et donzelles. Il avait revendu l’imprimerie pour éponger les dettes. Ne lui restait que sa retraite, l’ennui et plus assez de souvenirs pour en rire. Son cerveau aussi l’avait lâché. Il ne m’inspirait pas de pitié, ni de haine. J’ai détourné le regard pour ne pas lui montrer ma peine. Je préférais encore le voir saoul et hurlant comme un macaque plutôt que minable et tout poisseux de déveine échoué sur une plage, mazouté avec les autres piafs. Il n’aurait pas dû vieillir et crever d’un seul coup, d’une angine de poitrine, ou d’une durite qui claque au moment sublime d’une étreinte… Qu’il ait le droit de crever comme on pisse… Debout la bite à la main et le nez dans les étoiles…
17:35 Publié dans Extraits de romans | Lien permanent | Commentaires (0)
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