28/03/2007
Les Crobards
de Méze Malnuit
L'illustration est de Yves Budin qui vient de publier aux carnets du dessert de lune Visions of Miles
Voila ça y est l'idée fait son chemin. On va republier Malnuit. Oui c'est un événement. Ce sera pour l'automne probablement. C'est Bédé qui s'est mis au clavier pour exhumer ces textes devenus introuvables. Je vous en dirai plus au fur et à mesure de l'avancée des travaux. Mais pour commencer juste un petit morceau pour le plaisir, comme on lèche les plats...
Crobard : n.m. Dessin à main levée qui ne fait qu’esquisser l’image d’un être ou d’une chose. (Petit Larousse – voir : croquis)
Le regret de ma vie c’est de pas avoir appris à jouer d’un instrument ; alors quand je peux… je me mets là, tout près de lui, et je regarde le mec jouer…
Je me souviens d’un soir, c’est pas vieux… un bal huppé où je suis entré en fausse, avec les gars de l’orchestre – un des 3 ou 4 qui devaient se produire – justement l’orchestre des Archi. – Servole voulait pas — « Pas pour nous c’machin-là » - Tous les types sapés à mort, et les gonzesses fallait voir : décolletés, paire de cuisses, tout du grand luxe… Servole il maudissait sa mère et jurait une fois de plus de se faire curé, ou pédé, ou de se la couper, ou de s’engager dans la Légion… Moi je me fredonnais des comptines pour détourner en corner… Mais quand Bill Coleman emboucha son cuivre, je plaquai tout là et, taillant ma fissure dans la masse compacte des gambergeurs, je déboulai sur l’estrade et j’y posai mon cul. Les projecteurs en pleine poire je buvais des yeux le grand prêtre. Non pas que Bill Coleman soit du 4 étoiles, - il a jamais atteint la Voie Lactée du Jazz où Armstrong a planté sa tente une fois pour toutes – mais en l’occurrence, c’est un type honnête, de la bonne interprétation… J’en voulais et j’en voulais encore, de sa trompinette et de ses solos… Il avait pas tardé à me percer à jour, Bill…J’étais comme un enfant qui reconnaît se mère… J’avais perdu le fil, et le secret de mes origines je le retrouvais après des jours et des jours dans le désert… Le chagrin emmagasiné se trouvait soudain une issue et sortait par la bouche de Bill – After you’ve gone – La délivrance. Le pardon. La paix du cœur. Swingman… La brume était dissipée, la voie libre, et Bill chantait pour moi. Mon frère, je te regardais dans les yeux pendant que tu vidais cette gousse – et sur ta pauvre voix de nègre les autres dansaient, consciencieusement, scrupuleusement, à la perfection, comme d’excellents élèves qu’ils étaient, sensibles au seul tempo mais insensibles à la vie, à la haine et à l’amour que tu exprimais et qui me secouaient comme un prunier YAAA ! – Le seul couple qui touchait sa bille était juste devant moi, un négre et une blonde qui s’aimaient d’amour, une merveille de grâce et de force, une paire comme elles le seront toutes le jour où LA VIE aura gagné la bataille – la vie, le sang, une débauche de plaisir partagé comme j’en ai jamais vu avant ni retrouvé depuis ! – une condamnation à mort de l’exhibitionnisme lucratif – un couple totalement égoïste et pur –
Quand je dis que j’ai jamais rien pigé à la musique (j’ai dit ça ?) faut s’entendre… Pour moi tout est musique, c’est-à-dire que TOUT CONDUIT À LA MUSIQUE – À la musique et à la danse. (Pour un qui bricole du stylo et du pinceau, on pourra pas m’accuser d’être borné). Parce que tout ce qui vit est RYTHME. Et tout est vie. Même la mort qui vient à son heure donner le dernier coup de gong – dont l’écho hante nos mémoires parce qu’il nous obsède de la réminiscence obscure de nos vies antérieures, notamment notre vie fœtale.
Notre âme est charnelle, gorgée de sang et douloureuse. C’est la brousse, la jungle, et non pas un jardin à la française. La musique en est l’expression immédiate : elle ne peut se soumettre à une volonté didactique ou à une idée préconçue… Wagner et Jean-Philippe Rameau ne sont pas des musiciens – Ce sont des faiseurs, des fabricants – un goitreux et un lèche-cul. Ils composaient pour les hyènes et pour les colibris – pas pour les hommes.
Be cool boy… J’étais relax. Balaise Blaise… Bill oubliait les toupies qui ciraient la piste, et il jouait pour jouer, et il jouissait de me voir jouir… Quand il était obligé de balancer un air tarte à la mode pour « honorer » son contrat – hé – il me jetait un regard misérable, et je lui faisais les gros yeux. – J’attendais que ça passe en sirotant la mousse que le garçon-trotteur, qui m’avait à la bonne, m’avait refilée…
Let’s go – Ils s’en donnaient les gars…
Assis sur le bord de l’estrade, j’en prenais plein les feuilles, et c’était bon. La fille à qui j’avais foutu la main, dans la cohue, me jetait du sournois à chaque tour de piste et je rigolais. Sa petite chose intime je l’avais dans la main, bien au creux, et pour toujours que ça te plaise ou non la belle ! – Ça valait bien la gifle qu’elle m’avait retournée – Tiens, j’ouvre, regarde… tu la vois dis, ta petite chatte, roulée en boule et qui ronronne de plaisir ? Alors, pas la peine de t’fatiguer, ta rancune c’est de la frime – tu vois, j’me marre… - Let’s go – Fais comme moi – Éteins la veilleuse et laisse-toi porter, pénétrer, retourner… t’es pas mieux comme ça ? t’as toujours envie de bouder ? Les chatouilles appellent les caresses et les caresses suscitent l’amour… Regarde Glaizo qui traîne son gros cœur tout gonflé… Laisse tomber ce cavalier à la noix qui danse comme un charme et cours vers mon pote et invite-le, et si il te dit « J’sais pas danser » fais le danser quand même… Regarde Bacaze qui se bouffe les ongles, serait-y pas qu’il se sent seulabre ? sa Poppy est retournée avec l’autre – I’m crazy ‘bout you baby, tu pourrais pt’êt’ kekchose pour lui ? – Ah nom de dieu, la sympathie c’est le fruit rare, l’objet de luxe, la chose qu’on mesure – pi d’abord ce gars-là je connais pas. – Ben alors, raison de plus, laisse-toi aller, Y’A LE FEU À LA CAVE !
- Viens là Bacaze, laisse tomber ton fagot, écoute ça… Tu sens comme ça remue… le bon truc j’te dis… le cataplasme impeccable… Vise le batteur, il est joille… t’as pas l’impression, bye bye baby, y’a rien qui tient le coup… du vent… du vent… Écoute un peu… j’me sens parti… viens avec moi, bon dieu, me laisse pas … Ça va ?… Tu t’souviens l’autre soir, Memphis Slim… on s’est marré non… j’parle pas musique, je sais, faut pas comparer les types entre eux, z’ont tous leurs tics… c’est quand tu voyages pépère avec le bonhomme, c’est bath… avec ou sans escales… quand tu – moi en tous cas ce qui me plait pas trop je tiens pas compte, si le mec colle à son truc je marche… j’crois que ça dépend de pas mal de trucs, les conditions et tout le reste, si on a bien bouffé à midi et tout ça, ou bien baisé la dernière fois, tout le bizness… Gerry Mulligan… Ray Charles bon dieu… toi t’aimes bien Fats Domino moi j’accroche pas… Et le Duke ?… c’est comme Armstrong, on a l’impression qu’ils en sortent jamais… des poissons dans l’eau… mais c’que j’en dis… C’que je cherche c’est l’VOYAGE. – J’en ai pas tant à foutre que le bonhomme soit un vrai kèke ou un médiocre… comment savoir d’ailleurs… Le seul critère c’est qu’il fabrique de la vie, du carbure… -
Les p’tits gars ce soir-là ils carburaient ! – Le batteur avait la trouille au ventre parce qu’il décollait – ça y est, il avait trouvé la bonne mesure, le bon mélange… Temps en temps Glaizo se radinait avec une bière qu’on vidait à trois chacun une tasse en discutant le bout de maigre : les fesses, ces vacheries d’paires de fesses etcetera…
J’avais repéré Chaff dans le tas ; il apparaissait entre deux slows une nénette pendue à son cou – et jamais la même, sacré tombeur – mais tombeur de bois mort…
Bacaze s’échauffait… Les « Mélo » avaient épuisé leur répertoire et puisaient dans les pots-pourris, question de durer jusqu’à l’aube… J’avais eu droit à mon petit charleston – la seule chose que j’danse mais sur les chapeaux de roues, faut voir – j’avais écœuré tout le monde…
Les clampins dégageaient la piste les uns après les autres. Restaient les jusqu’à-la-lie…
Le batteur soufflait un peu en buvant sa limonade, et Bacaze avait pris la relève… Petit à petit, piano ma sano, le Dieu du Rythme déliait ses poignets et un sourire lui montait en coin – juste en coin : si tu jubiles tu foires, la synchro c’est sérieux…
Je me souviens d’un soir, c’est pas vieux… un bal huppé où je suis entré en fausse, avec les gars de l’orchestre – un des 3 ou 4 qui devaient se produire – justement l’orchestre des Archi. – Servole voulait pas — « Pas pour nous c’machin-là » - Tous les types sapés à mort, et les gonzesses fallait voir : décolletés, paire de cuisses, tout du grand luxe… Servole il maudissait sa mère et jurait une fois de plus de se faire curé, ou pédé, ou de se la couper, ou de s’engager dans la Légion… Moi je me fredonnais des comptines pour détourner en corner… Mais quand Bill Coleman emboucha son cuivre, je plaquai tout là et, taillant ma fissure dans la masse compacte des gambergeurs, je déboulai sur l’estrade et j’y posai mon cul. Les projecteurs en pleine poire je buvais des yeux le grand prêtre. Non pas que Bill Coleman soit du 4 étoiles, - il a jamais atteint la Voie Lactée du Jazz où Armstrong a planté sa tente une fois pour toutes – mais en l’occurrence, c’est un type honnête, de la bonne interprétation… J’en voulais et j’en voulais encore, de sa trompinette et de ses solos… Il avait pas tardé à me percer à jour, Bill…J’étais comme un enfant qui reconnaît se mère… J’avais perdu le fil, et le secret de mes origines je le retrouvais après des jours et des jours dans le désert… Le chagrin emmagasiné se trouvait soudain une issue et sortait par la bouche de Bill – After you’ve gone – La délivrance. Le pardon. La paix du cœur. Swingman… La brume était dissipée, la voie libre, et Bill chantait pour moi. Mon frère, je te regardais dans les yeux pendant que tu vidais cette gousse – et sur ta pauvre voix de nègre les autres dansaient, consciencieusement, scrupuleusement, à la perfection, comme d’excellents élèves qu’ils étaient, sensibles au seul tempo mais insensibles à la vie, à la haine et à l’amour que tu exprimais et qui me secouaient comme un prunier YAAA ! – Le seul couple qui touchait sa bille était juste devant moi, un négre et une blonde qui s’aimaient d’amour, une merveille de grâce et de force, une paire comme elles le seront toutes le jour où LA VIE aura gagné la bataille – la vie, le sang, une débauche de plaisir partagé comme j’en ai jamais vu avant ni retrouvé depuis ! – une condamnation à mort de l’exhibitionnisme lucratif – un couple totalement égoïste et pur –
Quand je dis que j’ai jamais rien pigé à la musique (j’ai dit ça ?) faut s’entendre… Pour moi tout est musique, c’est-à-dire que TOUT CONDUIT À LA MUSIQUE – À la musique et à la danse. (Pour un qui bricole du stylo et du pinceau, on pourra pas m’accuser d’être borné). Parce que tout ce qui vit est RYTHME. Et tout est vie. Même la mort qui vient à son heure donner le dernier coup de gong – dont l’écho hante nos mémoires parce qu’il nous obsède de la réminiscence obscure de nos vies antérieures, notamment notre vie fœtale.
Notre âme est charnelle, gorgée de sang et douloureuse. C’est la brousse, la jungle, et non pas un jardin à la française. La musique en est l’expression immédiate : elle ne peut se soumettre à une volonté didactique ou à une idée préconçue… Wagner et Jean-Philippe Rameau ne sont pas des musiciens – Ce sont des faiseurs, des fabricants – un goitreux et un lèche-cul. Ils composaient pour les hyènes et pour les colibris – pas pour les hommes.
Be cool boy… J’étais relax. Balaise Blaise… Bill oubliait les toupies qui ciraient la piste, et il jouait pour jouer, et il jouissait de me voir jouir… Quand il était obligé de balancer un air tarte à la mode pour « honorer » son contrat – hé – il me jetait un regard misérable, et je lui faisais les gros yeux. – J’attendais que ça passe en sirotant la mousse que le garçon-trotteur, qui m’avait à la bonne, m’avait refilée…
Let’s go – Ils s’en donnaient les gars…
Assis sur le bord de l’estrade, j’en prenais plein les feuilles, et c’était bon. La fille à qui j’avais foutu la main, dans la cohue, me jetait du sournois à chaque tour de piste et je rigolais. Sa petite chose intime je l’avais dans la main, bien au creux, et pour toujours que ça te plaise ou non la belle ! – Ça valait bien la gifle qu’elle m’avait retournée – Tiens, j’ouvre, regarde… tu la vois dis, ta petite chatte, roulée en boule et qui ronronne de plaisir ? Alors, pas la peine de t’fatiguer, ta rancune c’est de la frime – tu vois, j’me marre… - Let’s go – Fais comme moi – Éteins la veilleuse et laisse-toi porter, pénétrer, retourner… t’es pas mieux comme ça ? t’as toujours envie de bouder ? Les chatouilles appellent les caresses et les caresses suscitent l’amour… Regarde Glaizo qui traîne son gros cœur tout gonflé… Laisse tomber ce cavalier à la noix qui danse comme un charme et cours vers mon pote et invite-le, et si il te dit « J’sais pas danser » fais le danser quand même… Regarde Bacaze qui se bouffe les ongles, serait-y pas qu’il se sent seulabre ? sa Poppy est retournée avec l’autre – I’m crazy ‘bout you baby, tu pourrais pt’êt’ kekchose pour lui ? – Ah nom de dieu, la sympathie c’est le fruit rare, l’objet de luxe, la chose qu’on mesure – pi d’abord ce gars-là je connais pas. – Ben alors, raison de plus, laisse-toi aller, Y’A LE FEU À LA CAVE !
- Viens là Bacaze, laisse tomber ton fagot, écoute ça… Tu sens comme ça remue… le bon truc j’te dis… le cataplasme impeccable… Vise le batteur, il est joille… t’as pas l’impression, bye bye baby, y’a rien qui tient le coup… du vent… du vent… Écoute un peu… j’me sens parti… viens avec moi, bon dieu, me laisse pas … Ça va ?… Tu t’souviens l’autre soir, Memphis Slim… on s’est marré non… j’parle pas musique, je sais, faut pas comparer les types entre eux, z’ont tous leurs tics… c’est quand tu voyages pépère avec le bonhomme, c’est bath… avec ou sans escales… quand tu – moi en tous cas ce qui me plait pas trop je tiens pas compte, si le mec colle à son truc je marche… j’crois que ça dépend de pas mal de trucs, les conditions et tout le reste, si on a bien bouffé à midi et tout ça, ou bien baisé la dernière fois, tout le bizness… Gerry Mulligan… Ray Charles bon dieu… toi t’aimes bien Fats Domino moi j’accroche pas… Et le Duke ?… c’est comme Armstrong, on a l’impression qu’ils en sortent jamais… des poissons dans l’eau… mais c’que j’en dis… C’que je cherche c’est l’VOYAGE. – J’en ai pas tant à foutre que le bonhomme soit un vrai kèke ou un médiocre… comment savoir d’ailleurs… Le seul critère c’est qu’il fabrique de la vie, du carbure… -
Les p’tits gars ce soir-là ils carburaient ! – Le batteur avait la trouille au ventre parce qu’il décollait – ça y est, il avait trouvé la bonne mesure, le bon mélange… Temps en temps Glaizo se radinait avec une bière qu’on vidait à trois chacun une tasse en discutant le bout de maigre : les fesses, ces vacheries d’paires de fesses etcetera…
J’avais repéré Chaff dans le tas ; il apparaissait entre deux slows une nénette pendue à son cou – et jamais la même, sacré tombeur – mais tombeur de bois mort…
Bacaze s’échauffait… Les « Mélo » avaient épuisé leur répertoire et puisaient dans les pots-pourris, question de durer jusqu’à l’aube… J’avais eu droit à mon petit charleston – la seule chose que j’danse mais sur les chapeaux de roues, faut voir – j’avais écœuré tout le monde…
Les clampins dégageaient la piste les uns après les autres. Restaient les jusqu’à-la-lie…
Le batteur soufflait un peu en buvant sa limonade, et Bacaze avait pris la relève… Petit à petit, piano ma sano, le Dieu du Rythme déliait ses poignets et un sourire lui montait en coin – juste en coin : si tu jubiles tu foires, la synchro c’est sérieux…
20:20 Publié dans A hauteur d'homme | Lien permanent | Commentaires (0)
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