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25/02/2007

ROUGE A RÊVES

Une petite nouvelle de Mouloud Akkouche
Merci à Elie ( 7 ans ) pour le titre

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Collage: Maryvonne Lequellec

Michel grimpa l’escalier en titubant et ouvrit la porte de la salle de bains.
Virginie lui jeta un œil noir.
- Qu’est-ce que tu veux ?
Un pâle sourire aux lèvres, il dévisagea sa femme en petite tenue, une brosse à cheveux à la main. Une éternité sans glisser ses doigts entre les boucles blondes.
- Je… Je…
Elle secoua la tête.
-Toi, tu as encore trop bu.
- N’y va pas Virginie.
Elle poussa un soupir avant d’enfiler sa robe légère, la bleue, celle choisie ensemble.
- Laisse tomber.
- Je voudrais qu’on se parle, bredouilla-t-il en s’asseyant sur la baignoire.
- Tu sais bien que c’est fini entre nous.
Elle se parfuma et ajouta :
- Si d’ici la fin du mois tu n’as pas fini par trouver un logement, c’est moi qui partirai.
Il blêmit.
- Non, non. Je vais trouver.
- On verra bien.
- Tu peux sortir de la salle de bains, souffla-t-elle.
- …
- Je peux pisser en paix quand même !
Il regagna le salon et se servit un verre de cognac. Comme tous les week-ends depuis près d’un an, il s’affala dans le canapé et essaya de penser à autre chose, oublier qu’elle le trompait. Et que jamais il ne pourrait lui donner un enfant.
Fardée comme une collégienne à sa première sortie, Virginie apparut sur le palier. En équilibre sur des talons hauts, elle descendit lentement l’escalier. Il ne pouvait détacher ses yeux de cette intime étrangère. Elle le narguait, c’était sûr.
Il se jeta sur le paquet de cigarettes.
- C’est pas comme ça que tu trouveras un logement un jour, lui reprocha-t-elle.
Il baissa les yeux.
- Si, si.
- Ressaisis-toi, Michel.
- Laisse-moi une chance…
-Pourquoi faire ?
Il se redressa sur le canapé.
- Pour nous… reconstruire.
- C’est fini Michel. Tu ne me fais plus rêver.
Il se leva et s’approcha d’elle.
- On adoptera un enfant…
Il avait balancé cette phrase comme s’il venait de tirer sa dernière cartouche.
- C’est… c’est trop tard.
D’un geste maladroit, il essaya de lui prendre le bras. Elle recula d’un pas.
- Je te dégoûte, c’est ça.
Virginie posa un regard attristé sur le fantôme de l’homme qu’elle avait aimé plus de 12 ans. Depuis une quinzaine de jours, une irrépressible culpabilité entamait sa détermination. Par trois reprises, elle avait été tentée de replonger dans les bras de l’ex, mais à chaque fois, les souvenirs les plus insipides de leur quotidien avaient repris le dessus.
Ce ventre qu’il ne pourrait jamais transformer...
- Tu peux pas foutre notre histoire à la poubelle comme ça, dit-il. C’est pas possible !
Virginie détourna les yeux du fantôme bouffi d’alcool et lâcha :
- C’est plus la mienne.
La fin du mois du mois de novembre approchait sans que Michel n’ait dégoté un appartement; il n’en avait d’ailleurs jamais cherché. Par trouille de trouver en rentrant la maison vidée des affaires de Virginie, il quittait chaque soir, très tôt, son labo pour se retrouver le plus longtemps possible avec elle. Virginie était rarement là, elle évitait de le croiser. Le cœur de Michel se serrait lorsqu’elle passait à quelques centimètres de lui… Presque peau contre peau. Et elle ne le voyait pas. Cette indifférence l’exaspérait plus que tout le reste. Il n’était plus qu’un meuble à déménager…
Le dernier vendredi de novembre, Michel prit son après-midi. Il rassemblait ses affaires dans une grosse mallette quand la porte de son bureau s’ouvrit. Vêtu d’un costume de lin, un grand blond avec une queue de cheval lui tendit la main.
- Salut Michel, fit-il avec un air jovial, je t’invite ce soir chez moi. Je fais une bouffe.
Interloqué, il ne serra pas la main du nouveau commercial et le dévisagea sans un mot. Cette phrase lui parut étrange comme si elle ne pouvait s’adresser à lui. La moindre seconde était aspirée par son problème de couple et, les autres, collègues, amis, voisins, n’étaient plus que des silhouettes s’éloignant de plus en plus. Des figurants. Seul son travail de chimiste lui donnait un peu de répit. L’œil vissé sur son microscope et, tandis que sa vie privée se disloquait, il se concentrait au-dessus de sa paillasse à la recherche de nouvelles formules chimiques toujours plus performantes. Son bras de fer avec l’infiniment petit était devenu son ultime refuge pour échapper à la folie ou au suicide.
- Eh ! tu viens ou pas, insista-t-il.
Après un hochement de tête négatif, Michel saisit sa mallette et emprunta le couloir qui donnait sur la porte de sortie du grand immeuble vitré. Il marchait vite. Par groupe de deux ou trois, les employés de la société s’émiettaient dans les rues du quartier en quête d’un restaurant.
- Bon week-end Michel.
Il aurait volontiers étranglé son assistante.
***
-Vous déjeunez seule ?
- Non, j’attends quelqu’un.
En lissant sa moustache, le serveur proposa :
-Un petit apéritif pour patienter ?
L’œil dans le vague, elle marqua un temps d’hésitation et commanda un Kir.
Attablée devant la vitrine, Virginie fumait, regard perdu dans la rue piétonnière. Depuis sa rencontre avec Jacques, elle sentait que la vraie vie était à portée de main. Et ne la laisserait pas passer. A trente huit ans, plus de temps à perdre.
Son portable sonna.
Elle rama parmi un tas d’objets et de papiers avant d’attraper le téléphone.
- Allô.
- C’est Jacques.
Un sourire sur le visage de Virginie.
- Tu es où ?
Il se racla la gorge.
- Je suis encore au bureau.
Elle pâlit.
- Mais tu m’avais dit que…
- Ecoute Virginie, je parle doucement : ma femme est à côté. On pourra pas passer tout le week-end ensemble.
- Mais tu m’avais dit que nous allions à la Baule.
Il s’éclaircit une nouvelle fois la voix.
- Ma femme a annulé son départ et je suis coincé.
Virginie serra très fort son portable. Elle était comme un gosse qui, après avoir rameuté tout le monde sur la plage pour admirer son château, découvre un tas de sable sans forme. Elle réprima une larme. La poitrine dans un étau, elle sentit poindre les premiers signes de la crise de nerfs. Virginie commençait à ne plus croire que Jacques quitterait sa femme pour vivre avec elle… et mettre au monde leur bébé.
Elle expira un grand coup.
- Il faut que tu lui en parles, Jacques.
- Tu crois que c’est facile, rétorqua-t-il d’une voix agacée. Je t’ai promis et je le ferai, mais sois patiente.
- Jusqu’à quand ?
Ne t’en fais pas, Virginie.
- On se voit quand alors ?
- Ce soir. Ma femme part dans deux heures chez son frère et elle ne rentre que demain à 15H. À ce soir.
D’un geste sec, elle balança le portable dans la gueule ouverte de son sac.
‘’ J’en ai marre ! ‘’
Elle fouilla du regard les passants en se demandant si, eux, vivaient leur vraie vie.

Assis dans sa voiture, Michel alluma une cigarette et resta un long moment à fixer sa maison. Grâce à sa promotion, il avait pu acquérir cette villa dans un quartier résidentiel de la ville où se côtoyaient cadres sups et autres notables. Enfin installés dans une maison bien à eux, Virginie et lui avaient lancé des dizaines de projets… Tous brisés contre la porte d’une chambre vide… d’enfant. Les années défilèrent derrière le pare-brise. Des cartons du début quand une nouvelle maison vous tend les bras jusqu’à l’instant où même les murs vous jugent. Des détails enfouis au plus profond de sa mémoire remontaient pour une dernière pirouette avant de disparaître à jamais. Chaque jour, elle le poussait dehors. Inexorable départ. De toute façon, il ne pouvait rester seul dans cette maison. Le camion de déménagement filerait sur l’autoroute , quarante mètres cube de souvenirs inutiles.
Un rictus de haine déforma ses lèvres, il ouvrit la portière.
- Salut Michel.
Sans un mot, il serra la main de son voisin qui n’eut pas le temps d’entamer sa conversation glue et poussa le portail. Il traversa rapidement la pelouse pelée.
Le seuil à peine franchi, il se précipita sur le frigo. Une bière à la main, il enclencha le répondeur.
‘’ Allô Michel, c’est Max, rappelle-moi au bureau s’il te plait. Il y a un petit problème au labo. ‘’
- Démerde-toi ! s’écria-t-il avant de vider d’un trait sa cannette.

Virginie rentra à 17H30 de la banque où elle travaillait à mi-temps depuis trois mois, un horaire choisi pour pouvoir bien s’occuper du futur bébé... Elle déposa son sac sur la commode du patio et monta dans leur… sa chambre.
Souriant, Michel alluma une cigarette et, en sifflotant, s’installa dans un fauteuil encombré de vêtement sales. La télécommande à la main, il rebondit d’une chaîne à l’autre pour s’échouer sur la chaîne sports.
- J’ai décidé de partir dès lundi, martela Virginie.
D’un mouvement lent, il se tourna vers elle. Adossée contre le mur du salon, elle ne portait pas de chaussures.
Ses yeux ne pouvaient se détacher des pieds nus.
-Tu m’entends, Michel ?
Sa voix s’était adoucie.
Sa chevelure détachée faisait comme un rideau devant le visage. Il remarqua qu’elle avait teint tous ses cheveux blancs. Elle écarta la mèche sur son front et accrocha ses cheveux derrière ses oreilles. En croisant son regard, il fut très étonné de ne pas y retrouver le mépris arboré les rares fois où elle avait daigné lui adresser la parole.
- Je m’en fous. Tu fais absolument comme tu veux, finit-il par répondre après un long silence.
- Mais je croyais que tu ne voulais surtout pas rester dans cette maison et que tu cherchais autre chose.
- Je t’ai dit que tu fais comme tu veux. Quand tu m’as trompé, tu ne m’as pas demandé mon avis, alors… continue. On fait comme tu veux.
Cette volte face de son mari la déstabilisa. Elle l’observa un bon moment.
L’œil rivé sur un match de foot, il sentait le poids de son regard.
- Tu pourrais quand même nettoyer ce salon et au moins refermer le canapé.
- Qu’est-ce que ça peut te foutre, tu dors pas dedans !
- Je dis ça pour toi.
- Depuis quand tu t’intéresses à moi, toi.
- Je te préviens qu’à partir de lundi, cette maison sera vide
- Comme tous les jours.
Elle haussa les épaules.
- Tu ne comprendras jamais rien.
- Tu te répètes ma chérie.
Le ‘’ chérie ‘’ excéda Virginie qui s’approcha du canapé. Elle récupéra un cendrier sur l’accoudoir, le vida et le lava avant de retourner à l’étage.
- C’est ça, tire-toi ! grommela-t-il.
Lorsque la porte de la salle de bains se referma, Michel afficha un large sourire.
‘’ Fais-toi belle ma chérie, très belle. ’’ murmura-t-il en ouvrant une autre bière.
A la seconde près, il aurait pu décrire tous les gestes de sa femme à l’étage du dessus. Elle placerait le cendrier sur le bord de la baignoire et allumerait une cigarette avant de se glisser dans l’eau brûlante recouverte d’une épaisse moquette de mousse. Elle fumerait lentement, la tête légèrement inclinée en arrière puis, à la fin de la deuxième ou troisième cigarette, elle jetterait un coup d’œil à l’horloge murale, et, d’un bond, se lèverait, se rincerait et s’essuierait très vite. Puis après avoir revêtu sa robe, elle débuterait son maquillage…
<< Surtout mets une belle couche de rouge à lèvres ma chérie… Et bécote-le toute la nuit, l’autre. >>
Le minable chimiste d’un labo spécialisé dans la dératisation et désinsectisation avait mis au point un nouveau produit. Grâce à cette molécule très performante, il allait encore prendre du galon dans son entreprise.
Et surtout balayer des mois d’humiliation.
Dès que Virginie posera ses lèvres sur celles de son amant, le poison commencera son œuvre insidieuse. Il s’infiltrera peu à peu dans leurs corps et produira un arrêt cardiaque une vingtaine d’heures plus tard. Ils seront piégés. Comme les rats qui, plus méfiants que les amants, envoient le plus vieux d’entre eux pour manger et ne se précipitent à leur tour que si leur doyen ne tombe pas raide mort. Michel n’était pas peu fier de sa découverte jalousée par les concurrents. Certes, il ne pouvait pas donner la vie mais était devenu un spécialiste de la mort.
Quand la première marche de l’escalier grinça, Michel se replongea dans la télé.
- Je m’en vais, fit-elle en prenant son sac à mains.
Qu’est-ce qu’il lui arrive ? se demanda Michel. D’habitude, seul le moteur de la Clio annonçait son départ.
- Tu connais le chemin.
Malgré la décision de ne pas croiser son regard, Il finit par tourner les yeux vers elle.
Le front trempé de sueur, il ne voyait plus que ses lèvres peintes : le rouge de sa vengeance.
- Pour lundi, je voudrais que…
- Tu te répètes.
Elle toussota, un peu gênée.
- On devrait peut-être mettre au point… Je ne sais pas, moi, organiser notre séparation.
- J’en ai rien à foutre, tu prendras ce que tu veux. Et maintenant tire toi et fous-moi la paix !
Il ne réussit pas à réprimer le tremblement de sa voix et la marée montante dans les yeux. Surtout ne pas chialer devant elle ! Elle paraissait si douce, presque comme avant. Il fixa le parquet. Sois fort Michel, se répétait-il pour ne pas tout lui avouer. Penser à autre chose.
Suivre le ballon sur l’écran…
- Il faut que nous décidions pour la maison.
Tendu, il marmonna :
- Il va t’attendre.
- Oh ! Après tout, fais comme tu veux !
Debout devant la fenêtre du salon, il la regarda grimper dans sa voiture et démarrer.
- Tu vas crever... avec lui.
Il alluma une cigarette et resta une longue minute, hésitant, cloué au milieu du salon, puis éteignit la télé et fouilla parmi les C.D empilés sur la table basse. Il choisit Téléphone : le disque de sa première rencontre avec Virginie.
Agitant la tête au rythme de la musique, il était détendu comme si la tension accumulée durant une année s’était évacuée d’un seul coup. Il songea même à l’avenir. Il vendrait la maison et demanderait à son patron de le muter dans leur nouvelle agence espagnole.
Il n’entendit pas la porte s’ouvrir.
- C’est ici la vraie vie !
Et Virginie colla ses lèvres contre les siennes.


Je précise pour tous ceux qui auraient loupé les précédentes interventions du lascar, qu'il m'a envoyé une de ses nouvelles. Elle a été publiée par les Editions In 8, qui par ailleurs font un excellent travail, et Mouloud l'offre aussi aux lecteurs...

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A télécharger
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et bonne lecture.


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