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10/01/2009

René Barde- Charlotte (2)

Comment vous dire cette joie, lorsque dans cette valise en carton ouverte devant moi j'ai vu apparaître les manuscrits de René Barde tout jaunis, écris à la plume d'écolier de cette graphie nette, précise, belle... Dessinée avec cette minutie d'écolier appliqué. Une émotion intense en ayant l'impression de découvrir un trésor. De remonter des fonds de la terre, enfouie dans l'or du temps, la matière vivante de la parole. Plusieurs manuscrits, des aphorismes, et un gros pavé de mille pages. Puis ce texte intitulé Charlotte dont j'ai évalué le calibrage à environ cent cinquante mille signes. Un petit roman. Encore inédit, et dont je vous offre, Bernard Collet m'en pardonnera, les quelques premières pages....

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René Barde dans sa mansarde en 1962
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Charlotte ( 2 )
Parfois la porte d’un de ces lieux s’ouvrait, une clameur en sortait : bruits confus de voix dans lesquelles chantaient la bière, l’alcool et le plaisir ; puis tout redevenait lointain, la porte s’étant refermée.
Mais l’obscurité et le silence n’allaient pas de paire dans la rue : des hommes y chantaient des louanges au bon vin ou râlaient des choses ineptes. Il y en avait toujours sur le chemin qui allaient d’un bar à l’autre par groupe, se tenant par le bras, souvent obstinés à ne pas perdre l’aplomb qui parfois les trahissait.
C’est qu’on était dimanche et lendemain de paye. Ah ! On était loin du calme village qu’avait été Nasinghem ! C’avait été un petit centre mi-usinier, mi-campagnard et les quelques ouvriers qui y demeuraient ne s’y distinguaient pas des paysans de mœurs toujours rassises.
Mais depuis que la fabrique de coton s’était agrandie, avait quadruplé ses métiers, la population avait bien augmenté… Hé ! de quoi ? De la roture, de bricoleurs, de claque-la-dent, l’écume des environs. Et on lâchait un « milliard de D… » qui montrait la colère retenue, elle eut été vaine. Puis, ils augmentaient toujours de nombre… Les baraquements aménagés pour eux ne suffisant plus, ils entraient dans les maisons comme locataires.
La plupart n’avaient pas de femme – elle est encombrante au nomadisme – et que peut-il se passer quand chaque homme n’a pas sa femme ?… Et de ces gens qui sapaient si fortement les coutumes - aussi vieilles que le clocher qui avait vu naître et fondre bien des générations – plus d’un avait déjà empli son casier judiciaire.
- Oui ! tout a bien changé, les voilà tous amis de nos gars et de nos filles disaient les mères outrées.
Car ceux là n’étaient pas fâchés de ce revirement des habitudes ; les contraintes pesaient aux jeunes du village qui supportaient toute la dureté de la vie d’ouvrier, sans profiter de l’agrément qu’elle leur offrait.
Auparavant on ne savait qu’aller le soir travailler au jardin ou se louer pour quelques heures après l’usine à un fermier qui payait peu. Mais maintenant, le soir, c’était le brin de toilette, la danse, la boisson et la course aux belles. C’était inconciliable avec les penchants traditionnels.
Il y eut bien au début quelques bons frottements entre ceux du pays et les nouveaux venus, à tel point que les gendarmes en patrouille se faisaient, eux aussi, mettre à mal. Tantôt un parti, tantôt l’autre formait des complots pour venger des camarades qui avaient eu à souffrir la rudesse d’un poing sans douceur.
Mais après quelques échauffourées, le nombre étant pour l’envahisseur, il fallut en rabattre ; et tout finit par s’arranger. Attelés au même travail, leurs peines et leurs besoins étant communs, la camaraderie n’eut plus d’autres agents de trouble que les surprises de la vie ordinaire, telles la jalousie pour les belles ou parfois, après boire, la vague envie de montrer que l’on a du sang et des muscles.
Un cafetier eut l’initiative de louer un piano automatique et d’aménager une salle pour les danseurs ; huit jours après dix de ces instruments étaient installés dans le village. Les estaminets ne désemplissaient plus. Une fois la pension payée le reste de la semaine tombait dans la caisse des comptoirs.
Les vieux du village qui avaient l’habitude de s’assembler pour jouer tranquillement aux cartes dans leurs estaminets attitrés en avaient été vite vidés.


Et toujours en librairie La soupe à la chaussette de René Barde aux éditions l'Arganier


06/10/2007

LE VIN DES CRAPAUDS

Le Vin des Crapauds a été publié pour la première fois dans la collection Polder en supplément à la revue Décharge N° 81 par Jacques Morin en 1995. L'édition originale ne comprenait pas ces dessins de Bob de Groof, dessinateur dans la revue KITOKO JUNGLE MAGAZINE publiée à Vilvoorde par Guido kuyl et Guido Vermulen, mais ceux de Fatmir Limani lui aussi publié dans KITOKO. C'est pour rendre hommage au travail remarquable de Bob de groof qu'aujourd'hui je les publie avec ses dessins

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à Emir Kusturica pour Underground
à Jérome Bosch
à Goya




1


Un général de sa botte fourrageait dans une fourmilière prés du cimetière des esclaves noirs.
Sur le bout du pont il goûtait son tabac et pensait à des batailles factices.
La toute puissance entre ses mains, pétrisseur du feu, magicien de l'insolence.
Il réfléchissait à de chiennes alliances.
Bâtards grouillants sur des bateaux à la dérive, ou nus dans la forêt les déserteurs erraient et traquaient les rats musqués pour survivre.
Des soldats n'ont plus d'arbres pour veiller sur eux tandis que joue les écureuils de Central Park.
Quelle est cette peur qui hante ta maison général?
Tes esclaves auront une stèle n'est-ce pas, général?
Les écrans visitent le décor de l'enfer.
Les moteurs prêts à mordre tournent dés l'aube.
Ceux qui perçoivent les ténèbres à travers la peau de leurs gants me parlent.
Que sonne la charge des cavaliers livreurs d'orages.
Ce n'est pas un poème mais une agression envers ceux qui croiront ces futiles magiciens.


2


Du sang coulait des yeux crevés.
De ses mains écrasées elle le tenait dans ses bras et criait en entendant passer là-haut les insectes du désespoir.
Les voyants rouges allumés, les soutes ouvertes, riez, riez! Et que les bouches tordues mordent l'ordre du silence. Instants dépravés avant la mort du taureau.
Mange ton fils amère humanité et pose le couteau sur sa gorge.


3


Voilà la puissance entre vos mains.
Où sont les chants de la victoire?
Je ne reconnais rien qui m'appartienne.
La cendre a tout recouvert.

Dressées en l'honneur du sacrifice des statues de pierre en larmes.
Les fous agitent leurs crécelles et dispersent les lauriers des vendeurs d'horizon.
Dans mes visions cauchemardesques je traverse la ligne de feu, machette en main besogneux coupeur de têtes, nettoyeur de tranchées.
Le rideau rouge se lève sur un spectacle éternel.
Soient maudits ce temps, cette infâme cité construite avec des débris d'os.

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4


Ténébreux ouvriers de la mitraille, éclopés des bouges de la victoire, abeilles rutilantes percez les chairs.
Crachez sur l'amertume des âmes brisées.

Des squelettes de chiens aux portes des villages dégoulinants de vapeur et d'acide jappent d'effroi avec d'infernaux aboiements.
Bâtards pire que maudits qui jonglez avec le feu de mes mains je veux vous arracher les yeux.

De la terre fendue monte des langues de caméléons.
Des flammes vertes et phosphorescentes bruissent sous une marmite où cuisent des cadavres dépecés pour un festin anthropophage.
Le soir le fou se glisse le long des murs, ce gueux impardonnable refuse la danse des singes.


5


Bel acier cherche ta voie dans les entrailles, la viande chaude et le sang doux.
Couvre toi de gloire acier. Trempe ton fil dans le muscle et la gorge de la poupée.
Mouche noire au reflet d'argent voici ta terre.
Creuse tes tunnels dans la mort fertile.
Petite perle de nacre qui rend la viande propice à la multiplication des pains.
Cherche bel acier! Cherche!
Ton chemin dans ces carcasses.


6


Que brûlent les noms vénérés dans les batailles.
Le Tage charriera la pestilence du monde et le fleuve amour coulera rouge.
Je crains ne jamais pouvoir donner mon pardon à l'oeuvre de l'enfer.

Vagabonds en selle sur des chevaux de carton pâte, hardes de brouillard qui hantent de leur présence les chemins parsemés de clous.


7


Pourrais-je apaiser cette brûlure? Cette insouciance est en trop.
Héros dites-nous le prix de la vilenie et du mensonge!
La mort vous attendait translucide couverte de douces lumières.
Silhouettes pétrifiées témoins des nuits blanches.

Dites-nous la mémoire des ténèbres le voyage au bout, soldat inconnu.
Serrant ta défroque la peur au ventre allumes une cigarette et souviens toi.
De ces chants orgueilleux qui unissaient votre gloire.
Héros dites-nous le prix de la vilenie et du mensonge!

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8


Dans mes veines rentraient la froideur du métal et la pâleur de la lune.
J'avais si peur et si froid que je demandais pitié à l'ombre.

A la gloire du monde des paroles sans haine la tragédie des textes de mains offerte à un dieu sanguinaire.
Le grand silence de la bave entre nous a pris place je voudrais prononcer des mots à l'encontre du malheur.

Il serait si doux de décider d'un autre chant que celui de la plèbe couverte de mensonges.
Répandre d'autres croyances.
Je voulais du vin et du silence l'amertume des nèfles avant la gelée préférant fuir les heures du chaos et la grêle des mitrailleuses égrenant l'aube.


9


Plus rien n'étonne, ni la faim ni la peur.
Les flammes délivrent de l'amertume.
La parole n'a plus cours. Pestilences du monde.
Odeur de charognes et de cadavres en pourriture parfums de guerre, maisons brûlées.
Le deal des fous, l'horreur cotée en bourse.
Et moi qui me croyais idiot.

Répétition des tirs automatiques symphonie sourde du canon. Explosion féerique du massacre fusées éclairantes feux de Bengale. Impacts des balles traçantes. Staccato des mitrailleuses lourdes. Pointes aiguës des tireurs d'élite. Sifflement des projectiles perdus. Bal de nuit, tango de la mort. Riez squelettes, étreignez vos partenaires. Serrez les os de vos cavalières au fond des fosses communes.

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Carnage rieur, gaz moutarde hilarant... Plasma fumant tripes et boyaux s'enlaçant. Boue, fumier, ordure, foutre, merde, viol, torture: le régal des gourmets. Guerre, jeunesse du monde. Ces paroles n'ont pas plus de sens que ces actes, ils procèdent du même cauchemar. Refaire le devoir injuste, les plans faux. L'horreur ne faillit jamais. Béquille de bois, la vie n'est qu'une béquille de bois aux monstres bipèdes. Celui qui ne possède pas la peur ne peut que se reposer sur l'enfer.

Wall street et Nikkai, Cac Quarante, Dow-jones & Kopek, Rial, Escudos. La saga des couteaux le théâtre du devoir, le concert des nations, la patrie des sans abris caviar et champagne. Aka quarante sept ou Uzzi jolis prénoms pour une étreinte céleste. Où trouver refuge, fermer ses yeux boucher ses oreilles. Quand la force et le mépris s'unissent. Déjà mille fois entendue, la logique du jeu. Comment croire en ces vieux singes fourbes et niais qui ne souffrent pas de compassion?

Du poète c'est le lot que de la guerre devoir encore en extraire l'or de l'amour. Paroles graves dans ces heures de lampion. La fête donne les fruits amers de l'horreur derrière les façades désertes des villes mortes. L'humanité suffoque de ces ventres atroces de femmes violées, la vie survit. Ouvertes nos mains aux cendres qui nous privent de toute joie. Les récits viennent des racines de la haine, des regards qui déshabillent et tuent en silence.

Je n'ai pas souvenir d'un instant de paix, chaque jour déverse son lot guerrier et nous maintient la tête sous l'eau. Nous devons cesser de croire possibles la beauté et l'amour.

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10


Les combattants hantent en vain le domaine du sacrifice dressés au feu et à l'odeur de mort. Ils ont le vertige de l'innocence.

Cavaliers venus des terres perdues chevauchant le hasard, le désespoir au bout du sabre, fantassins des miroirs, bâtards en chasse. Le sang des martyrs, la folie des âmes.

Des femmes sur le champ de bataille cherchent leurs morts et psalmodient pour être délivrées de ces tyrans.
Ils voulaient la guerre ces ludiques imbéciles: qu'elle les emporte d'un voile.
Pas de tristesse seulement le désir d'autre chose qui persiste.
Sublime laideur et sa volonté d'oeuvre.


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